B. LES OBSERVATIONS DES RAPPORTEURS SPÉCIAUX

1. Alors que la montée en charge des crédits de la mission, promise depuis 2019, ne s'est pas encore concrétisée, l'impossibilité de parvenir aux objectifs fixés d'ici 2022 doit être actée

Au regard des profondes difficultés rencontrées par les responsables de programme dans l'exécution des crédits demandés en loi de finances initiale, les rapporteurs avaient souhaité mener en 2020 un travail de contrôle budgétaire consacré à cette problématique. Leurs conclusions avaient été reprises dans leur contribution à la loi de règlement pour l'année 2020 33 ( * ) , où ils indiquaient que la crise sanitaire ne pouvait expliquer que très partiellement les retards constatés , qui étaient en réalité principalement dus à des difficultés structurelles et à la nature même des programmes, appuyés sur des appels à projets ( hors programme 148 ). Un an plus tard, les constats sont les mêmes et peu de progrès ont été accomplis.

a) Une montée en charge des crédits de la mission plus lente qu'attendue

Il est surprenant, après plusieurs années de sous-exécutions significatives et de retards certains sur les projets, que le Gouvernement continue de demander l'ouverture de crédits aussi élevés lors de l'examen du projet de loi de finances initiale. Déjà en 2021, les rapporteurs spéciaux s'étaient montrés critiques de la programmation prévue : « [ils] sont de nouveau obligés d'appeler à la plus haute vigilance sur les prévisions de crédits pour l'année 2021 [...]. Les écarts constatés ces trois dernières années ne font que confirmer leurs inquiétudes sur la capacité des directions responsables de ces programmes à mobiliser ces crédits à un rythme aussi soutenu [...] ».

Les nouvelles sous-exécutions constatées en 2021 ne font que valider le point d'alerte des rapporteurs spéciaux , même s'il est indéniable qu'il y a eu des progrès dans le décaissement des crédits , après plusieurs années de très faible consommation totale. Les rapporteurs spéciaux réitèrent néanmoins leur recommandation n° 6, par laquelle ils avaient appelé à un effort supplémentaire de sincérité budgétaire pour les crédits soumis à l'autorisation du Parlement .

Ils relèvent également que la totalité des AE prévues au titre du Fonds pour la transformation de l'action publique (FTAP - programme 349), soit 700 millions d'euros, n'a pas été totalement engagée à la fin de l'année 2021 . Il est ainsi trompeur, comme indiqué dans les documents budgétaires, de parler de la consommation de « la totalité de l'enveloppe 2018-2021 disponible » 34 ( * ) . De même, les CP connaissent de nouveau une forte sous-exécution et plus d'un quart devrait être décaissé à compter de 2023 et au-delà, pour un programme qui était initialement supposé prendre fin en2022. Les rapporteurs spéciaux espère que la revue complète des porteurs de projets menée au premier trimestre 2021 s'est bien traduite par une demande de crédits plus sincère lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2022.

12 projets supplémentaires ont été sélectionnés par le FTAP en 2021, portant le total à 107 . Certains retours sont extrêmement positifs , les administrations s'étant appuyées sur les crédits du FTAP pour cofinancer des réformes ou des projets coûteux, généralement dans les domaines informatique et numérique. Ainsi, la maîtrise affichée par certaines administrations quant à leurs dépenses de fonctionnement ou d'investissement doit être relativisée par rapport à la totalité des crédits qu'elles peuvent percevoir en dehors de ceux demandés sur leur programme.

Les rapporteurs spéciaux ont d'ailleurs plaidé pour une meilleure identification, au sein des documents budgétaires, des projets cofinancés par les programmes 349 ou 351 , afin de donner une information plus transparente sur le coût total d'un chantier dit de « transformation » ou d'une réforme à forte composante ressources humaines 35 ( * ) .

Concernant l'exécution des crédits des programmes de la mission, et au-delà de l'hétérogénéité des objectifs poursuivis, les écarts de dotation doivent également être relevés - entre près d'un milliard d'euros sur le programme 348 et 700 millions d'euros sur le programme 349 sur cinq ans, plus de 215 millions d'euros par an sur le programme 148, mais seulement quelques millions d'euros sur les programmes 351 et 352.

Les rapporteurs spéciaux se félicitent tout d'abord que le projet de loi de finances pour 2022 ait acté la suppression du programme 351 et son intégration au sein du programme 148, alors que les objectifs poursuivis sont similaires. Ils plaident également de nouveau pour le rattachement du programme 352 à l'action 16 du programme 129 de la mission « Direction de l'action du Gouvernement » , qui correspond à la coordination de la politique numérique. La dimension interministérielle serait ainsi conservée.

b) Des retards qui pourraient pénaliser l'exécution même de certains programmes

Il est désormais clair que la mission, initialement conçue comme temporaire, est désormais appelée à se poursuivre et que les programmes 348 ou 349, qui devaient porter leurs fruits en cinq ans, verront leur durée de vie prolongée.

Sur le programme 348, et à la fin de l'année 2021, sur les 38 cités administratives sélectionnées, seuls 16 marchés de travaux ont été notifiés, dont 12 en 2021. Quatre ans après le lancement du programme, les travaux n'ont réellement commencé que pour 10 cités administratives 36 ( * ) , et une seule cité a pu être partiellement livrée après rénovation (Rouen). La crise sanitaire ne peut pas être la seule excuse mise en avant par le Gouvernement, alors même que le processus de sélection a été très long, tout comme celui de la passation des marchés. Le démarrage de plusieurs chantiers ayant fait l'objet d'un marché global de performance a été reporté à 2022 , aggravant d'autant plus les retards d'exécution et la sous-consommation des CP. La DIE estime que les travaux ne constitueront la majorité des dépenses du programme 348 qu'en 2022, soit à la date limite originellement fixée pour le programme...

Les rapporteurs spéciaux ont ainsi alerté l'an dernier sur les surcoûts auxquels s'exposait la direction de l'immobilier de l'État (DIE) sur le programme 348. En effet, depuis la sélection des projets de rénovation et de construction et la passation des premiers marchés publics, le coût des matériaux a fortement augmenté . L'index du bâtiment (BT 01), qui retrace l'évolution des prix du secteur, a augmenté de près de 5 points entre le 1 er janvier 2021 et le 31 décembre 2021, et de plus de 10 points entre le 1 er janvier 2021 et le mois d'avril 2022 37 ( * ) . Or, la DIE ne dispose plus d'aucune marge de manoeuvre pour y faire face . Le programme 348 a même bénéficié de transferts en provenance du programme 148 pour le financement des études et des travaux touchant à de l'action sociale interministérielle (restaurants inter-administratifs, crèches).

Il est bien indiqué dans les documents budgétaires que, pour faire face aux surcoûts, les crédits qui devaient être consacrés au projet de Melun (abandonné) - 17,2 millions d'euros en AE - seront préservés pour gérer ces aléas. Or, la somme n'apparait pas suffisante, ce qui nourrit les interrogations sur le pilotage des projets et sur la soutenabilité du programme . Par ailleurs, le choix de conserver ces AE, pour faire face aux aléas de gestion, nécessitera la levée de leur affectation par un arrêté du ministère chargé du budget 38 ( * ) .

Sur le programme 349, lui-aussi initialement créé pour une durée de cinq ans, il est également surprenant que la DITP n'insiste que depuis 2021 sur le suivi « renforcé » des projets sélectionnés par le FTAP, pour « s'assurer du respect des engagements et de l'atteinte des résultats » de chacun des porteurs de projet. Les rapporteurs spéciaux espèrent que ce travail de suivi a été entamé avant, son absence pouvant expliquer les retards constatés sur le programme . Ainsi, 51 projets ont donné lieu à une sur ou à une sous-consommation notable, 49 projets connaissent un retard supérieur à trois mois, dont 30 un retard supérieur à un an 39 ( * ) . De même, au niveau déconcentré, certains fonds octroyés par le biais du programme 349 auraient finalement servi à financer des déménagements ou l'achat de mobilier 40 ( * ) , ce qui témoigne d'une défaillance grave du suivi et du responsable du programme .

Il est ensuite assez peu compréhensible que, près de quatre ans après la création du programme, le pourcentage de lauréats du FTAP signant leur contrat l'année de leur sélection soit aussi bas, à 30 % 41 ( * ) . Un tel niveau pouvait se comprendre en 2018 et 2019, lors de l'organisation des premiers appels à projet et du début de la contractualisation, mais pas en 2021.

De même, il est plus que regrettable de constater le défaut de prévision de la DITP . Ainsi, en dépit de ses assurances quant au dialogue qu'elle entretient avec les porteurs de projet, le montant des CP prévu pour l'année 2021 s'est avéré insuffisant pour couvrir le rattrapage des décaissements de projets lauréats de 2018 42 ( * ) . Non seulement il y a un retard dans le processus de contractualisation, mais en plus ce retard se diffuse désormais au décaissement des crédits faute d'anticipation, ce qui peut sembler surprenant après des années de sous-consommation chroniques.

c) Des indicateurs de performance insuffisants

Les rapporteurs spéciaux disent depuis plusieurs années que les indicateurs de performance de la mission sont insuffisants et insatisfaisants, en particulier ceux des programmes 348 et 349 . Ils avaient ainsi relevé dans leur rapport budgétaire que les cibles prévues sur le programme 348 - en termes d'économie d'énergie et de surface optimisée - étaient définies à partir des données transmises par les préfets de département et que les résultants ne pourraient donc être constatés qu'une fois les travaux achevés. Ces cibles n'engagent donc pas les gestionnaires du programme et aucun mécanisme d'alerte n'est prévu.

Pour les rapporteurs spéciaux, ces indicateurs ne répondent donc que très partiellement aux exigences de la loi organique relative aux lois de finances, aux termes desquels les indicateurs doivent permettre, en sus des résultats attendus, de mesurer les coûts associés à chacune des actions ainsi que les résultats obtenus. Le même constat pouvait être fait pour les autres programmes de la mission, à l'exception du programme 148.

Les rapporteurs spéciaux se félicitent donc de voir leur recommandation n° 1 reprise par la Cour des comptes , qui, dans sa note d'analyse de l'exécution budgétaire, énonce une nouvelle recommandation visant à « compléter les indicateurs de performance des fonds des programmes de la mission afin de mesurer l'efficacité du suivi de l'avancement des projets financés et de leur impact » 43 ( * ) .

À noter, la révision à la baisse du nombre de kWh économisés grâce aux travaux - de 139 millions à 132,5 millions - et la révision à la hausse du coût du Wh économisé - de 7,1 euros à 7,5 euros - s'expliquent par la prise en compte de l'abandon du projet de Melun. Encore une fois, il ne s'agit que de prévisions « statiques » et la moitié des économies d'énergie prévues serait liée à la cession de bâtiments énergivores et non aux travaux de rénovation engagés.

Par ailleurs, l'ajout d'un indicateur de performance sur le programme 349 permettant de mesurer la part des projets sélectionnés ayant soit un impact direct sur la qualité de service aux usagers soit un impact direct sur la qualité de travail est purement informatif . Ce double-objectif ne doit pas faire oublier le fait que, progressivement, la cible initiale du FTAP, qui était de permettre de réaliser un euro d'économie pérenne pour un euro investi, est passée de prioritaire à une parmi d'autres. Cette multiplicité des objectifs attribués au FTAP est donc plutôt source de confusion, voire le signe d'un renoncement quant à son but premier. De plus, comme pour le programme 348, le retour sur investissement indiqué dans les documents budgétaires n'est là encore que celui qui est attendu, à 1,4 désormais, contre 1,5 en 2020.

Toutefois, et à compter de l'exercice 2022, deux évolutions plutôt favorables seront apportées aux indicateurs de performance du programme 349, avec le suivi de la mise en oeuvre des projets financés par le FTAP et la présentation du retour sur investissement effectivement constaté.

Enfin, alors que le ministère de la transformation et de la fonction publiques s'est défini comme le ministère de la « qualité des services publics », il est curieux que la mission ne comprenne aucun indicateur concernant la numérisation des démarches publiques . Pour rappel, le Gouvernement s'est fixé l'objectif de numériser entièrement les 250 démarches administratives les plus usuelles . Le taux atteint en 2021 étant de 87 %, la cible pour 2022 semblant atteignable . Toutefois, comme ils ont eu l'occasion de le rappeler lors de l'examen des projets de loi de finances, les rapporteurs spéciaux relèvent qu'au-delà de la numérisation, le ministère doit également progresser sur l'accessibilité des démarches en ligne pour les personnes en situation de handicap , le niveau de satisfaction étant moins élevé sur ce point.

2. La réforme de la haute fonction publique ne s'est pas (encore) traduite par une modification des crédits du programme 148

Le champ d'action de la direction générale de l'administration et de la fonction publique (DGAFP) ne doit pas être résumé aux programmes 351 et 148 . La DGAFP a joué un rôle important dans la réforme de la haute fonction publique et a également coordonné d'autres chantiers d'ampleur pour les agents publics (mise en oeuvre et prise en charge partielle de la protection sociale complémentaire, convergence indemnitaire des agents de la filière administrative de l'État, signature du premier accord sur le télétravail dans la fonction publique le 13 juillet 2021).

L' Institut national du service public (INSP) remplacera ainsi au 1 er janvier 2022 l'École nationale d'administration, l'un des deux opérateurs bénéficiant d'une subvention pour charges de service public sur le programme 148, avec les instituts régionaux d'administration (IRA). La création de la délégation interministérielle à l'encadrement supérieur de l'État (Diese) a été annoncée dans le même temps.

Exécution des crédits octroyés au titre de la subvention
pour charge de service public aux opérateurs du programme 148

(en millions d'euros et en %)

Opérateurs

Exécution 2020

LFI 2021

Exécution 2021

Exécution 2021 / exécution 2020

Exécution 2021 / LFI 2021

ENA

AE = CP

30,42

30,60

31,70

4,22%

3,59%

IRA

AE = CP

40,63

40,10

39,70

-2,28%

-1,00%

Total

AE = CP

71,04

70,70

71,40

0,50%

0,99%

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

Les crédits octroyés à ces deux opérateurs, par le biais de la subvention pour charges de service public, se sont globalement stabilisés ces dernières années. Il en sera certainement autrement en 2022 pour la première année d'exercice de l'INSP, avec une hausse de la subvention octroyée en loi de finances initiale pour 2022 (+ 5,75 millions d'euros).


* 33 Annexe 15 au rapport n° 743 (2020-2021) sur le projet de loi de règlement et d'approbation des comptes de l'année 2020 de MM. Albéric de MONTGOLFIER et Claude NOUGEIN , fait au nom de la commission des finances, déposé le 7 juillet 2021. Missions « Gestion des finances publiques et des ressources humaines », « Crédits non répartis » et « Action et transformation publiques ».

* 34 Rapport annuel de performance de la mission pour l'année2021.

* 35 Dans le rapport annuel de performance de la mission pour 2021, il y a eu un premier pas d'accompli avec, pour les programmes 349 et 352, l'identification des opérateurs de l'État bénéficiaires de cofinancements.

* 36 Il s'agit des cités administratives d'Amiens, d'Agen, d'Albi, de Besançon, de Bordeaux, de Cergy, de Colmar, de Rouen, de Strasbourg et de Toulon (construction).

* 37 Selon les données publiées par l'Insee.

* 38 Aux termes des règles budgétaires et comptables, les autorisations d'engagement issues du retrait d'une affectation ou d'un engagement d'une année antérieure ne sont en effet pas éligibles aux reports, sauf exceptions, sur arrêté sur du ministère chargé du budget.

* 39 D'après les données transmises par la DITP et reprises dans la note d'analyse d'exécution budgétaire de la mission en 2021 de la Cour des comptes.

* 40 Ibid.

* 41 Indicateur de performance 1.1 du programme 349.

* 42 Un élément relevé par la Cour des comptes, dans sa note d'analyse d'exécution budgétaire de la mission en 2021 .

* 43 Ibid.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page