N° 596

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2021-2022

Enregistré à la Présidence du Sénat le 30 mars 2022

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des affaires européennes (1) sur la proposition de résolution européenne en application de l'article 73 quinquies du Règlement, demandant, au regard de la guerre en Ukraine , de réorienter la stratégie agricole européenne découlant du Pacte Vert pour assurer l' autonomie alimentaire de l' Union européenne ,

Par M. Jean-François RAPIN,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. Jean-François Rapin , président ; MM. Alain Cadec, Cyril Pellevat, André Reichardt, Didier Marie, Mme Gisèle Jourda, MM. Claude Kern, André Gattolin, Henri Cabanel, Pierre Laurent, Mme Colette Mélot, M. Jacques Fernique , vice-présidents ; M. François Calvet, Mme Marta de Cidrac, M. Jean-Yves Leconte , secrétaires ; MM. Pascal Allizard, Jean-Michel Arnaud, Jérémy Bacchi, Mme Florence Blatrix Contat, MM. Philippe Bonnecarrère, Pierre Cuypers, Laurent Duplomb, Christophe-André Frassa, Mmes Amel Gacquerre, Joëlle Garriaud-Maylam, M. Daniel Gremillet, Mmes Pascale Gruny, Véronique Guillotin, Laurence Harribey, MM. Ludovic Haye, Jean-Michel Houllegatte, Patrice Joly, Mme Christine Lavarde, MM. Dominique de Legge, Pierre Louault, Victorin Lurel, Franck Menonville, Mme Catherine Morin-Desailly, M. Louis-Jean de Nicolaÿ, Mmes Elsa Schalck, Patricia Schillinger .

Voir les numéros :

Sénat :

585 et 597 (2021-2022)

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Conformément à l'article 73 quinquies du Règlement du Sénat, la commission est saisie d'une proposition de résolution européenne (n° 585 ; 2021-2022) demandant, au regard de la guerre en Ukraine, de réorienter la stratégie agricole européenne découlant du Pacte Vert pour assurer l'autonomie alimentaire de l'Union européenne, et déposée par Mme Sophie Primas et M. Jean-François Rapin.

L'invasion de l'Ukraine par la Russie, le 24 février 2022, représente un évènement historique majeur, dont les conséquences humanitaires, politiques et géostratégiques se précisent chaque jour davantage. Les chefs d'État ou de gouvernement de l'Union européenne ont pris d'emblée toute la mesure de la crise en adoptant très rapidement, lors de leur réunion informelle des 10 et 11 mars 2022, un ensemble de décisions politiques fortes. Le résultat de ces délibérations a pris la forme d'un document intitulé « Déclaration de Versailles » portant, à la fois, sur l'agression russe, sur le renforcement des capacités de défense, la réduction de la dépendance énergétique et la construction d'une base économique plus solide.

Le point 20 de cette Déclaration traite, en ces termes, de la question cruciale des produits alimentaires :

« Nous améliorerons notre sécurité alimentaire en réduisant notre dépendance aux importations des principaux produits et intrants agricoles, en particulier en augmentant la production de protéines végétales au sein de l'Union européenne.

Nous invitons la Commission à présenter des options visant à remédier à la hausse des prix des denrées alimentaires et à répondre à la question de la sécurité alimentaire mondiale, et ce dès que possible. »

Au-delà du choc et de la sidération initiale, les évènements dramatiques en Ukraine doivent en effet conduire l'Union européenne à réévaluer ses orientations politiques fondamentales au regard de l'impératif d'autonomie stratégique unanimement reconnu à Versailles par les chefs d'État ou de gouvernement. Tel est le cas, à l'évidence, en matière de défense, de politique industrielle, ou de choix énergétiques.

Il en va également de même pour la Politique agricole commune, qui vient tout juste de faire l'objet d'une réforme majeure, laquelle entrera en vigueur le 1 er janvier 2023, sans préjudice des dispositions à intervenir prochainement au titre du paquet « Ajustement à l'objectif 55 » destiné à décliner concrètement le « Pacte vert ». Or les deux perspectives ouvertes par ce dernier dans le domaine agricole, à savoir les stratégies dites « De la ferme à la fourchette » et « Biodiversité », augurent d'un tournant radical.

Si la promotion d'objectifs environnementaux est une nécessité au regard des enjeux liés au changement climatique, elle doit se faire en cohérence avec les objectifs économiques, sociaux et géopolitiques du continent, qui requièrent la production d'une alimentation de qualité en quantité suffisante pour les Européens et le monde entier. Il n'est donc pas envisageable de se ranger à une vision décroissante de notre agriculture.

Dès le printemps 2020, certains acteurs du débat public soulevaient des inquiétudes et des objections. La Commission européenne les a ignorées, donnant priorité à l'exemplarité de l'Union en matière climatique, afin d'entraîner la communauté internationale.

Depuis, plusieurs études universitaires indépendantes, celles des universités de Kiel 1 ( * ) et de Wageningen 2 ( * ) , en particulier, ainsi qu'une étude partielle réalisée par le propre centre de recherche de la Commission européenne 3 ( * ) , ont estimé que la mise en oeuvre des deux stratégies précitées exposerait l'Union européenne à un risque avéré de diminution de sa production agricole dans des proportions de 5 % à 20 % d'ici 2030, voire davantage, suivant les filières et les scénarios étudiés, en raison de la chute attendue des rendements, de la réduction des surfaces cultivées et du volume des récoltes, conjuguées à la diminution des revenus des producteurs. Il s'en suivrait également un fort recul des exportations européennes et surtout un développement des importations venant se substituer aux productions domestiques, devenues trop chères pour nombre de consommateurs : il s'agirait d'une substitution inédite de denrées produites selon le plus haut standard environnemental du monde par des productions importées, transportées sur des centaines de kilomètres, ne respectant pas nos normes exigeantes.

Cette stratégie, évinçant des agriculteurs de nombreux territoires européens à l'heure d'un vaste renouvellement des générations, prend donc le risque d'aboutir à une désastreuse réduction du potentiel agricole européen, sans parvenir, dans le même temps, à réduire l'empreinte environnementale de l'alimentation du continent.

En outre, un déclin de la production agricole du continent mettrait à mal notre autonomie stratégique, notre indépendance alimentaire et notre capacité à nourrir les autres continents, alors même que, dans un monde incertain, l'alimentation est facteur de paix et de stabilité.

La guerre en Ukraine oblige donc à débattre de la soutenabilité politique, économique et sociale des objectifs du « Pacte vert ».

La présente proposition de résolution européenne vise précisément à demander un aggiornamento de la stratégie agricole de l'Union européenne, qui, apparaît désormais comme une priorité absolue : une remise à plat des deux stratégies dites « De la ferme à la fourchette » et « Biodiversité » est indispensable, afin d'éviter que ne soient compromis, au pire moment et de notre propre chef, les impératifs d'autonomie stratégique et d'indépendance alimentaire de l'Union européenne.

La commission des affaires européennes propose donc de soutenir cette proposition de résolution européenne.


* 1 Christian-Albrechts-Universität zu Kiel (Institut für Agraökonomie) - étude publiée le 9 septembre 2021 par le Professeur Christian Henning : « Farm to Fork-Studie: Ökonomische und Ökologische Auswirkungen des Green Deals in der Agrarwirtschaft » https://www.bio-pop.agrarpol.uni-kiel.de/de/f2f-studie

* 2 University of Wageningen - étude complète publiée le 19 janvier 2022 par Johan Bremmer, Ana Gonzalez-Martinez, Roel Jongeneel, Hilfred Huiting et Rob Stokkers: « Impact Assessment Study on EC 2030 Green Deal Targets for Sustainable Food Production - Effects of Farm to Fork and Biodiversity Strategy 2030 at farm, national and EU level » https://www.wur.nl/en/show/Executive-summary-Study-on-Green-Deal-Targets-for-Food-Production.htm

* 3 Centre commun de recherche (Joint Research Centre ou JRC en langue anglaise) de la Commission européenne - étude publiée, le 28 juillet 2021 : « JCR technical report Modelling environmental and climate ambition in the agricultural sector with the CAPRI model » https://publications.jrc.ec.europa.eu/repository/handle/JRC121368

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