EXAMEN EN COMMISSION

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MERCREDI 5 JANVIER 2022

M. Jérôme Durain , rapporteur . - Madame la présidente, mes chers collègues, inscrite à l'ordre du jour réservé du groupe de l'Union Centriste, la proposition de loi présentée par notre collègue François Bonneau et plusieurs de ses collègues tend à imposer le port du casque pour, d'une part, les cyclistes et, d'autre part, les usagers d'engins de déplacement personnel motorisé (EDPM), c'est-à-dire notamment les trottinettes électriques et autres gyroroues.

En effet, l'obligation du port du casque n'est à ce jour pas généralisée pour les cyclistes et utilisateurs d'EDPM.

Il n'est imposé que dans deux hypothèses, toutes deux récentes : depuis 2017, pour les conducteurs et passagers de vélos de moins de 12 ans, sous peine de l'amende prévue pour les contraventions de quatrième classe, en application de l'article R. 431-1-3 du code de la route ; et, depuis 2019, pour tous les utilisateurs d'EDPM, qui doivent être âgés de 12 ans minimum, lorsqu'ils sont autorisés par l'autorité de police à circuler hors agglomération, sous peine de la même amende, en application de l'article R. 412-43-1 du même code.

Par comparaison, le casque est obligatoire depuis 1980 pour tous les usagers de motocyclette, tricycle ou quadricycle à moteur.

À l'étranger, nous pouvons observer que peu de pays ont opté pour une obligation généralisée du port du casque à vélo. Au sein de l'Union européenne, on compte seulement la Finlande - sans sanction toutefois - et, dans le monde, l'Argentine, Singapour, l'Australie, le Canada et la Nouvelle-Zélande, avec parfois des exceptions dans certains États.

J'ai souhaité, comme nous en avons l'habitude, entendre le maximum d'acteurs concernés dans le temps qui m'était imparti. Certains collègues ont d'ailleurs pu participer à mes auditions, notamment Guy Benarroche, et je l'en remercie. Il ressort de ces auditions que la recherche scientifique atteste de la protection du port du casque en cas d'accident. D'après la délégation à la sécurité routière, il existe un consensus scientifique sur l'efficacité du casque, qui protège notamment des traumatismes crâniens ou de la fracture du crâne.

Le professeur Philippe Azouvi, chef du service de médecine physique et de réadaptation de l'hôpital de Garches, qui est notamment à la pointe de la prise en charge des polytraumatisés, a plaidé pour le port du casque obligatoire tant à vélo qu'à bord d'un EDPM.

Une étude de l'Université d'Australie, publiée en 2016, incluant les résultats de 40 études internationales et portant sur près de 65 000 cyclistes impliqués, a conclu que le port du casque à vélo était associé à une réduction de 51 % en moyenne des risques de blessures à la tête, avec une réduction importante de 69 % pour les blessures graves et 65 % pour les blessures mortelles.

Rémy Willinger, professeur à l'Université de Strasbourg et spécialiste en biomécanique des chocs, a plaidé dans le même sens lorsque je l'ai entendu. Les travaux du laboratoire ICube de cette université montrent notamment que, dans le cas d'une collision avec un véhicule roulant à 45 km/h, le risque de fracture crânienne est divisé par trois grâce au casque. Il faut toutefois noter que l'efficacité du casque décroît fortement au-delà d'une certaine vitesse - 45, voire 30 km/h.

Les conclusions de l'étude conduite par le même laboratoire pour les EDPM sont encore plus frappantes : l'utilisateur d'un tel engin non casqué risque une fracture du crâne dans près de 95 % des cas, même à faible vitesse, et une commotion cérébrale dans 90 % des cas lorsque la vitesse de l'EDPM dépasse 20 km/h.

Philip Roche, président de l'Association nationale des utilisateurs de micro-mobilité électrique, a confirmé qu'un grand nombre d'utilisateurs d'EDPM blessés l'étaient au niveau de la tête, ce qui plaide, selon lui, pour l'obligation du port du casque.

Pour autant, le port du casque est encore minoritaire : s'il a progressé de 10 points depuis 2016, seuls 31 % des cyclistes le porteraient en 2020 d'après l'Observatoire national interministériel de la sécurité routière. La proportion d'usagers d'EDPM propriétaires portant un casque est quant à elle estimée à 86 %, contre 9 % pour le libre-service.

Or la mortalité cycliste a augmenté de 21 % depuis 2010, et le nombre de blessés en EDPM a augmenté de 40 % en un an : 62 % ne portaient pas de casque. L'accidentalité de ces véhicules est, de surcroît, en hausse sur les dix premiers mois de l'année 2021, par comparaison avec la même période en 2019 : on dénombre 30 cyclistes et 5 utilisateurs d'EDPM décédés en plus.

L'obligation du port du casque ne fait toutefois pas consensus, en particulier pour les cyclistes. La Fédération française des usagers de la bicyclette (FUB), que j'ai entendue, s'y oppose, craignant qu'elle ne décourage la pratique du vélo, dont les bénéfices en termes de santé publique sont connus. D'après l'avis de l'Institut national de santé publique du Québec publié en 2018, qui fait référence sur le sujet, si un effet « désincitatif » ne peut être exclu, en particulier chez les plus jeunes, il est toutefois difficile de l'affirmer définitivement, compte tenu des limites méthodologiques des évaluations sur le sujet.

La proposition de loi de François Bonneau nous invite donc à passer de l'incitation à l'obligation. Cette ambition est légitime, et je la salue. Je partage l'intuition et l'intention de notre collègue.

Pour atteindre cet objectif louable, le texte propose deux dispositifs qui ne sont toutefois, à mon avis, pas viables sur les plans juridique et pratique.

Premièrement, il tend à étendre la possibilité d'immobiliser ou de mettre en fourrière un véhicule à moteur qui existe aujourd'hui à l'article L. 431-1 du code de la route pour les conducteurs de deux roues à moteur en cas de défaut du port du casque ou de gants moto, aux cycles et EDPM. L'immobilisation et la mise en fourrière seraient également rendues possibles en cas de défaut des autres équipements obligatoires destinés à la sécurité du conducteur : gilet réfléchissant hors agglomération pour les usagers de vélo ou d'EDPM ; éclairage complémentaire pour les EDPM.

Deuxièmement, la proposition de loi vise à ajouter un nouvel article L. 431-2 au sein du même chapitre du code de la route pour sanctionner l'infraction de l'usage sans casque de ces véhicules par l'amende déjà applicable, dans la même situation, aux deux roues à moteur. Cette infraction contraventionnelle figure dans le droit positif dans la partie réglementaire du code, à l'article R. 431-1.

Bien que partageant l'objectif de renforcer la sécurité d'usagers vulnérables de la route, je ne peux que constater que ce texte relève de la responsabilité du Gouvernement. En effet, comme nous l'avons vu, l'obligation du port du casque est une disposition de nature réglementaire, tout comme les peines applicables aux infractions contraventionnelles ou même, par comparaison, l'obligation du port de la ceinture de sécurité. Nous sommes tous soucieux, je le sais, du respect de la Constitution, notamment de ses articles 21, 34 et 37. Dans ces conditions, la commission ne peut pas se montrer favorable à l'adoption de ces dispositions.

De surcroît, la possibilité d'immobiliser ou de mettre en fourrière un vélo ou un EDPM, seule disposition législative de la proposition de loi, me paraît disproportionnée et source de difficultés pratiques.

L'immobilisation des motos ou des voitures est rendue possible par le retrait de la carte grise, qui n'existe pas pour les vélos ou les EDPM. La mise en oeuvre par les forces de l'ordre paraît donc trop complexe et coûteuse, notamment pour la mise en fourrière, d'autant plus qu'elle s'appliquerait dès le 1 er mars 2022, date d'entrée en vigueur trop rapprochée pour une application effective.

En revanche, le débat est légitime sur cette importante question de sécurité routière et de santé publique.

Les nombreuses études scientifiques sur le sujet attestent de la protection qu'offre le port du casque en cas d'accident à vélo ou à bord d'un EDPM. Il est donc crucial de l'encourager fortement.

Nous pourrions inviter le Gouvernement à envisager de rendre obligatoire le port du casque, au moins pour les EDPM dans un premier temps.

Pour le vélo, la situation mérite que nous prenions en compte le risque de décourager la pratique. Nos préconisations sont guidées par une recherche d'équilibre, avec une forme de volontarisme dans le port du casque et de prudence dans la dimension obligatoire.

Ces mesures pourraient aussi s'accompagner d'une nouvelle campagne de communication sur les dangers du non-port du casque, ainsi que d'autres mesures, comme la poursuite de la sécurisation des infrastructures, pour renforcer l'effet « sécurité par le nombre », ou le développement d'innovations pour rendre le transport du casque moins contraignant et permettre sa mise à disposition dans les flottes de véhicules partagés.

À titre personnel, je comprends véritablement la motivation et la sincérité de la démarche de François Bonneau sur ce sujet extrêmement important. Si j'ai indiqué en quoi elle posait problème, cette proposition de loi qui a une dimension d'appel ouvre un débat nécessaire.

Mais, pour toutes les raisons que j'ai indiquées, je vous propose, mes chers collègues, de ne pas l'adopter. En conséquence, en application de l'alinéa 1 er de l'article 42 de la Constitution, le débat sur cette importante question de sécurité routière et de santé publique aurait lieu en séance publique sur la base du texte initial de la proposition de loi.

M. Guy Benarroche . - Je veux remercier notre rapporteur de son travail et de ses auditions sur cette intéressante proposition de loi, dont, comme lui, je souscris aux objectifs.

Notre groupe suivra sa position, en raison des problèmes techniques qui ont été expliqués.

La balance entre les avantages de la pratique du vélo, qui semble diminuer dans les pays où le port du casque est obligatoire, avec les incidences que cela peut avoir sur la santé publique, et les accidents invalidants, voire mortels, qui sont liés à l'absence de casque, n'est pas clairement établie.

Du reste, de nombreuses études ont démontré les limites de la protection apportée par un certain nombre de casques. Adopter aujourd'hui une disposition qui imposerait le port du casque, alors que l'on sait parfaitement que, techniquement, les casques qui sont aujourd'hui mis sur le marché ne sont pas suffisamment protecteurs, créerait aussi un réel problème, la sécurisation n'étant pas aussi optimale qu'elle paraît l'être.

Pour toutes ces raisons, et parce que nous pensons qu'un certain nombre de mesures très importantes doivent être prises pour protéger les utilisateurs de vélo, en particulier sur les infrastructures routières - pour l'instant, tous les plans de déplacements urbains que j'ai pu voir, en particulier celui de la métropole Aix-Marseille-Provence, accusent un retard considérable en termes d'aménagements par rapport à Grenoble ou à d'autres pays d'Europe -, je suivrai la position du rapporteur. Notre groupe ne votera très vraisemblablement pas cette proposition de loi.

M. François Bonhomme . - Je souscris sans réserve aux propos du rapporteur.

Au-delà de la question juridique du caractère réglementaire de ces mesures, je dois dire que ce texte nous interroge sur la part de liberté qui nous serait encore laissée dans l'appréciation de la nécessité de nous protéger dans tout un tas d'activités, dont le vélo.

Le vélo se développe, mais je note que les pratiquants portent plus ou moins le casque suivant les risques qu'ils prennent et qu'ils arrivent peu ou prou à évaluer. Ainsi, les sportifs qui pratiquent le vélo à une vitesse importante portent le casque, et les parents dotent de plus en plus les jeunes enfants de casques.

Au final, je suis favorable à une forme de liberté et à une appréciation éclairée du risque pour chaque utilisateur.

Si l'on prévoit une obligation, il faut prévoir une sanction, ce qui me paraît peu proportionné à l'enjeu de la pratique du vélo.

M. Philippe Bonnecarrère . - Je remercie M. le rapporteur de son travail et d'avoir souligné la convergence scientifique sur la pertinence du port du casque. À cet égard, je comprends que vous ayez apporté un soutien à l'esprit de la démarche de notre collègue François Bonneau, sans forcément approuver la méthodologie qu'il propose.

Nous sommes convaincus que vous saurez trouver les mots pour l'aider à obtenir des engagements du Gouvernement sur des dispositions réglementaires adéquates permettant d'avancer dans le sens de la proposition exprimée, car nous avons bien compris que les éléments d'équilibre n'étaient pas totalement assurés.

Mme Françoise Gatel . - Une société par trop hygiéniste serait un enfer. Il ne faudrait pas que chacun reste dans sa chambre pour éviter tout danger...

Rouler à vélo est tendance, et l'on voit aujourd'hui une pratique du vélo parfois un peu désordonnée, certains cyclistes empruntant leur vélo sur des trajets qui ne sont pas très accueillants pour eux. On voit parfois, sur des routes qui ne sont pas sécurisées, une cohabitation plus ou moins heureuse entre voitures, vélos et piétons, chacun pouvant manquer de civisme. On sait que les accidents de vélo peuvent parfois être extrêmement graves, avec notamment des chutes sur la tête.

Je trouve la question extrêmement intéressante, raison pour laquelle j'ai d'ailleurs cosigné la proposition de loi. S'il est plutôt agréable de faire du vélo sans casque, je pense tout de même que le débat doit pouvoir avoir lieu afin d'essayer de trouver des dispositifs de caractère éducatif, comme dans les écoles, où l'on permet aux enfants de passer un permis vélo.

Je vous remercie, monsieur le rapporteur, de votre travail, de la manière dont vous abordez la question et dont vous contribuerez à apporter des solutions.

M. Alain Marc . - Je veux dire tout le bien que je pense du travail du rapporteur.

Tout à l'heure, nous avons considéré qu'il n'était pas forcément nécessaire de créer un délit supplémentaire en matière de harcèlement et qu'il s'agissait surtout d'éducation.

Dans une société de liberté, on peut être parfaitement éduqué. Si l'on sensibilise aux dangers de la conduite du vélo sans casque, les cyclistes le porteront peut-être. Je crois beaucoup plus à l'éducation qu'au traitement législatif de ce genre de problèmes, d'autant que le dispositif qui nous intéresse est plutôt de nature réglementaire.

Dans le même ordre d'idée, si l'on imposait un arceau dans les quads, il y aurait moins de conducteurs qui se trouveraient paralysés.

Mme Marie Mercier . - Je veux féliciter M. le rapporteur de son travail très objectif, de son bon sens et de l'état d'esprit dans lequel il a abordé cette proposition de loi.

Il faut responsabiliser les sportifs, comme ceux qui pratiquent des sports dangereux.

Nous sommes abrutis par des slogans comme « manger cinq fruits et légumes par jour ». S'agissant du vélo, on pourrait peut-être ressortir le slogan « Sortez couverts »... Cette recommandation n'avait pas été traduite dans la loi !

M. Ludovic Haye . - Je suis tout à fait d'accord avec l'impératif sécuritaire : les personnes qui conduisent ce type de deux roues et estiment qu'elles ont besoin de porter un casque doivent le mettre.

Tout cela est aujourd'hui bien couvert, dans le domaine de la compétition, par les fédérations sportives. On ne peut pas participer à certains événements sportifs sans disposer de l'équipement nécessaire.

Dans le contexte actuel de restriction des libertés, pouvoir prendre son vélo pour se changer les idées est pour ainsi dire tout ce qui nous reste... S'il y a, derrière, la crainte de pouvoir être verbalisé si l'on n'est pas en règle, cela peut encore aggraver le climat social.

Je remercie le rapporteur du travail qu'il a effectué.

Mme Catherine Di Folco , présidente . - Effectivement, l'éducation est importante, mais, dans le volet éducatif, il faudrait peut-être aussi rappeler l'existence du code de la route. Beaucoup de cyclistes se mettent aussi en danger parce qu'ils ne respectent pas ce code, notamment les panneaux qui les concernent spécifiquement.

M. Jérôme Durain , rapporteur . - J'observe qu'il y a un assez large consensus pour plaider en faveur du port du casque. Les auditions ont été assez accablantes pour les non-casqués.

Il est extrêmement important de porter le casque. Je vous invite vraiment à le faire, à le faire faire à vos proches, tout en sachant que cela ne procure pas d'invulnérabilité. Nous avons collecté un certain nombre d'informations, notamment du professeur Willinger, qui nous a indiqué, par exemple, que, pour les motos, les casques étaient testés à 30 km/h. La protection est donc nécessaire, mais relative.

Nous n'épuiserons pas le sujet par la seule question de la liberté ou de l'obligation de porter le casque, puisque se pose également la question très importante des infrastructures, des aménagements urbains et de la conception de l'espace public.

Il me semble que, sur toutes ces questions, François Bonneau voit juste et nous invite à aller vers une mobilisation collective et une incitation faite au Gouvernement à poursuivre les efforts entrepris en matière de pédagogie et de communication. Je pense que nous pourrons avoir un débat véritablement utile lors de l'examen de la proposition de loi, jeudi 13 janvier prochain.

La proposition de loi n'est pas adoptée.

Conformément au premier alinéa de l'article 42 de la Constitution, la discussion en séance portera, en conséquence, sur le texte initial de la proposition de loi.

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