EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 1 er décembre 2021, la commission a examiné le rapport de M. Daniel Gremillet sur la proposition de résolution européenne n° 214 (2021-2022) sur l'inclusion du nucléaire dans le volet climatique de la taxonomie européenne des investissements durables.

Mme Sophie Primas , présidente . - Mes chers collègues, nous examinons maintenant la proposition de résolution européenne sur l'inclusion du nucléaire dans le volet climatique de la taxonomie européenne des investissements durables, rédigée par nos collègues Daniel Gremillet, Claude Kern et Pierre Laurent.

M. Daniel Gremillet , rapporteur. - Cette initiative transpartisane est partagée par les commissions des affaires économiques et des affaires européennes. Je tiens ici à remercier chaleureusement mes collègues Claude Kern et Pierre Laurent de cette coopération.

La taxonomie verte consiste en une classification des activités économiques selon leur impact environnemental, afin de faciliter le financement des activités les plus vertueuses.

Elle poursuit six objectifs environnementaux : l'atténuation du changement climatique ; l'adaptation au changement climatique ; la transition vers une économie circulaire ; la prévention et la réduction des pollutions ; la protection et la restauration de la biodiversité et des écosystèmes.

Elle prévoit trois catégories d'activités économiques : pour être qualifiées de durables, ces activités doivent poursuivre au moins l'un des six objectifs environnementaux et ne porter préjudice à aucun autre ; à défaut, ces activités peuvent être qualifiées de transitoires ou d'habilitantes.

Le champ de la taxonomie est large puisque celle-ci s'applique à des acteurs publics - l'Union européenne et ses États membres -, mais aussi à des acteurs privés - les acteurs de marchés et les entreprises de plus de 500 salariés.

À l'évidence, ses conséquences sont importantes.

Tout d'abord, elle vise à renforcer les règles de transparence financière. Les acteurs des marchés et les entreprises de plus de 500 salariés devront rendre compte de leur contribution à l'atteinte des objectifs environnementaux. Leurs produits financiers devront afficher la part des investissements réalisés dans des activités durables, habilitantes ou transitoires. Leurs déclarations de performance non financière devront préciser les parts des dépenses d'investissement ou de fonctionnement associées à des activités durables.

Plus encore, la taxonomie entend réorienter les investissements économiques. En uniformisant les critères de durabilité des produits et des obligations, elle facilitera les comparaisons et accroîtra la transparence. Dans le même temps, elle contribuera à lutter contre l'éco-blanchiment, c'est-à-dire la mise à disposition de produits ou d'obligations indûment présentés comme durables. Ce cadre permettra de supprimer tout obstacle aux levées de fond pour les activités durables.

Enfin, la taxonomie ambitionne de servir de point d'appui aux politiques publiques. Tout d'abord, les États membres devront appliquer ses critères dans les exigences imposées nationalement aux acteurs des marchés ou aux entreprises. Par ailleurs, la taxonomie sera utilisée dans les futures politiques de l'Union européenne, en matière de finance durable et au-delà.

Le processus d'élaboration de la taxonomie, complexe, n'est pas encore achevé.

Certes, un règlement du 18 juin 2020 a bien été adopté pour en fixer le cadre général ; pour autant, ce règlement a prévu que la Commission européenne, après avis d'un groupe d'experts techniques, adopte un acte délégué pour fixer les critères permettant de déterminer si une activité contribue à l'atténuation du changement climatique et si elle cause un préjudice aux autres objectifs environnementaux.

Un premier acte délégué a bien été pris, le 4 juin 2021, mais il est muet sur l'énergie nucléaire.

Un premier rapport, du groupe d'experts techniques (GET), publié en mars 2020, n'avait pas recommandé l'intégration de l'énergie nucléaire à la taxonomie. Il préconisait en effet qu'« un travail technique d'ampleur soit entrepris [sur] le cycle de vie des technologies nucléaires et les impacts environnementaux existants ou potentiels » .

Sur cette base, un second rapport, du Centre commun de recherche (CCR), publié en mars 2021 et soumis à l'avis de deux comités d'experts, a proposé l'intégration de l'énergie nucléaire à la taxonomie. Il concluait ainsi qu'« aucune preuve scientifique [ne vient affirmer] que l'énergie nucléaire est plus dommageable pour la santé humaine ou l'environnement que d'autres technologies de production d'électricité déjà incluses dans la taxonomie » .

Conformément au rapport du CCR, la Commission européenne s'est engagée, en avril et en octobre 2021, à présenter un acte délégué complémentaire couvrant l'énergie nucléaire. Elle a aussi évoqué le gaz naturel comme activité transitoire.

Par ailleurs, plusieurs autorités européennes se sont exprimées.

Le commissaire au commerce a souligné, en marge d'une réunion de l'Eurogroupe, début octobre, l'intérêt de l'énergie nucléaire comme source d'énergie bas carbone.

À l'issue du sommet européen, des 21 et 22 octobre derniers, la présidente de la Commission européenne a, quant à elle, évoqué le besoin de l'énergie nucléaire comme source stable, et du gaz naturel à titre transitoire.

Enfin, le commissaire au marché intérieur a fait part, devant la commission des affaires européennes, le 28 octobre dernier, d'un compromis possible consistant à intégrer l'énergie nucléaire et le gaz naturel comme des activités transitoires.

Pour autant, l'inclusion de l'énergie nucléaire oppose toujours deux groupes d'États membres.

Un premier groupe de dix pays, conduits par la France, la soutient, au regard des faibles émissions de gaz à effet de serre (GES) de cette source d'énergie. Un autre groupe de cinq pays, conduits par l'Allemagne, la refuse, compte tenu des enjeux liés à la sûreté et aux déchets nucléaires.

À ce stade, l'acte délégué complémentaire est en attente : il pourrait être pris très prochainement, dans la mesure où la taxonomie doit entrer en vigueur le 1 er janvier 2022.

En réalité, pour juger de l'opportunité d'intégrer toute activité économique à la taxonomie, il faut comparer ses avantages et ses inconvénients factuellement et rationnellement. Dans ses considérants, le règlement du 18 juin 2020 dispose en effet qu'« une activité économique ne devrait pas être considérée comme durable sur le plan environnemental si ses avantages ne l'emportent pas sur les dommages qu'elle cause à l'environnement » .

Or, les avantages de l'énergie nucléaire sont bien supérieurs à ses inconvénients ; plus précisément, il me semble que cinq arguments plaident en faveur de son intégration à la taxonomie.

En premier lieu, l'énergie nucléaire constitue un levier de décarbonation reconnu internationalement. Le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) l'a intégrée à ses hypothèses d'atténuation et de développement durable, dans un rapport de 2018. L'Agence internationale de l'énergie (AIE) l'a placée au coeur des efforts d'adaptation, dans un rapport de 2021.

En deuxième lieu, le choix de l'énergie nucléaire dans le mix énergétique relève de la seule compétence des États membres. C'est un point important ! L'article 194 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) reconnaît ce droit, auquel la taxonomie doit s'articuler. De surcroît, si la France a fait le choix de l'énergie nucléaire, elle n'est pas la seule en Europe : en effet, il existe 106 gigawatts (GW) de capacités installées dans treize pays, et 6,5 GW de capacités en construction, dans quatre pays, selon l'AIE.

Plus encore, l'énergie nucléaire présente des bénéfices environnementaux et économiques avérés. Sur le plan environnemental, elle n'émet, en France, que six grammes de CO 2 par kilowattheure, selon l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME) et douze grammes dans le monde, selon l'AIE. Sur le plan économique, elle est un pilier de notre sécurité d'approvisionnement et de notre compétitivité économique : c'est la troisième filière industrielle française avec 2 600 entreprises, 200 000 emplois et 50 milliards d'euros de recettes, pour le ministère de la transition écologique (MTE).

De surcroît, les risques posés par l'énergie nucléaire, sur le plan de la sûreté des installations ou de la gestion des déchets nucléaires, sont encadrés. Deux directives, de 2009 et 2011, posent un socle européen à ces enjeux fondamentaux. En France, je ne reviendrai pas sur le rôle éminent joué par l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) et par l'Agence pour la gestion des déchets radioactifs (Andra). Nous le connaissons tous. Je rappellerai simplement qu'un effort de recherche existe en faveur de la « fermeture du cycle du combustible ». La presse évoque d'ailleurs un réel engouement pour de nouveaux réacteurs aux performances environnementales élevées, voire des réacteurs qui, demain, utiliseront ce que l'on qualifie aujourd'hui de déchets.

Enfin, les besoins de financement de l'énergie nucléaire sont élevés. En particulier, de lourds investissements sont à prévoir, en France, pour la construction des EPR - les réacteurs européens à eau pressurisée ou European Pressurized Reactors - ou le développement des SMR - les petits réacteurs modulaires ou Small Modular Reactors -, annoncés par le Président de la République en octobre-novembre. Le MTE a évalué le coût du « Grand carénage » à 45 milliards d'euros et le provisionnement pour démantèlement à 110 milliards d'euros, tandis que le groupe EDF a estimé la construction de trois paires d'EPR à 46 milliards d'euros.

Or si la majeure partie du financement de l'énergie nucléaire est publique, la portion privée sera conditionnée à la taxonomie. Faute d'être intégrée, l'énergie nucléaire pourrait ainsi être pénalisée via les produits financiers, les obligations d'entreprise ou les crédits export. À plus long terme, elle pourrait aussi l'être via les écolabels, voire les obligations vertes ou les aides d'État, selon l'importance que prendra la taxonomie. Nous avons pu confirmer, au cours des auditions que nous avons menées, que les conditions de financement des investissements futurs dans l'énergie nucléaire seront déterminantes quant au prix de l'électricité que nos concitoyens et nos entreprises auront à payer à long terme. C'est un sujet stratégique !

Dans ce contexte, la PPRE est opportune : elle propose d'inclure l'énergie nucléaire à la taxonomie, en veillant à reconnaître la production d'électricité induite comme une activité durable. Elle appelle également à maintenir une parfaite égalité de traitement entre l'hydrogène issu de l'énergie nucléaire et celui qui découle des énergies renouvelables.

Au nom de notre commission, je vous invite donc à l'adopter. L'intégration de l'énergie nucléaire à la taxonomie est justifiée au regard de l'objectif d'atténuation du changement climatique, car les émissions de GES issues de cette source d'énergie sont minimes. En outre, l'impact environnemental de l'énergie nucléaire a fait l'objet d'une analyse approfondie dans le rapport du CCR. Je retiens de cette analyse que les mesures prévues, aux échelles nationale comme européenne, en matière de sûreté des installations et de gestion des déchets permettent de maîtriser cet impact.

À l'heure où la France et d'autres pays européens ont fait part de leur intention d'investir dans l'énergie nucléaire, il est impératif de lui garantir une totale neutralité technologique. À cette fin, la production d'électricité nucléaire ne doit pas être assimilée à une activité transitoire, voire habilitante, comme pourrait l'être le gaz naturel, mais bien à une activité durable, comme toutes les autres sources d'énergie décarbonées. À cette condition, l'énergie nucléaire pourra être pleinement mobilisée au service de l'atteinte de la « neutralité carbone » d'ici à 2050, objectif issu de l'accord de Paris de 2015. C'est fondamental, car la décarbonation de notre économie est tout autant une obligation juridique qu'une exigence morale.

M. Claude Kern . - Je remercie le rapporteur, dont je partage le constat. La Commission européenne doit garantir la souveraineté de ses États membres en matière de bouquet énergétique et soutenir toutes les énergies décarbonées, y compris le nucléaire. Je vous rappelle, par ailleurs, que cette proposition de résolution a été adoptée par la commission des affaires européennes.

Mme Marie Evrard . - Cette PPRE vise à permettre des coûts de financement avantageux pour l'énergie nucléaire. La taxonomie européenne sert à financer des énergies vertueuses et à lutter contre le greenwashing . Pour atteindre nos objectifs, nous soutenons l'ambition du Gouvernement de relancer la création de réacteurs nucléaires. Pour autant, deux fronts s'opposent au sein de l'Union européenne : certains pays - la France, la Bulgarie, la Croatie, la Finlande, la Hongrie, la Pologne, la Roumanie, la Slovaquie, la Slovénie et la République tchèque - soutiennent l'inclusion du nucléaire dans la taxonomie, d'autres - l'Allemagne, l'Autriche, le Luxembourg, le Danemark, l'Espagne et le Portugal - ont exprimé leur désaccord quant à une telle évolution, dont il leur semble qu'elle affecterait durablement l'intégrité, la crédibilité et donc l'utilité, de cette taxonomie.

M. Thierry Breton, commissaire européen au marché intérieur soutient, quant à lui, cette inclusion. L'Europe devra doubler sa capacité électrique pour répondre aux enjeux économiques dans les trente prochaines années et réduire ses émissions de carbone ; il lui semble impossible d'atteindre un tel objectif sans le nucléaire.

À titre personnel, je soutiens cette PPRE, mais le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants (RDPI) est divisé à son sujet. Nous pourrions trouver un compromis en incluant le nucléaire et le gaz comme activités transitoires dans la taxonomie. Il aurait, en outre, été pertinent d'ajouter que la transition énergétique passe aussi par le déploiement des énergies renouvelables, eu égard au délai nécessaire pour le démarrage des futurs EPR.

Mme Marie-Noëlle Lienemann . - Ce dossier me semble particulièrement important. On peut débattre de la nécessité de poursuivre la croissance du nucléaire en France, les Français arbitreront. Sur la question énergétique, l'Allemagne a engagé une stratégie d'affaiblissement de la France. L'École de guerre économique a ainsi produit un rapport sur l'accumulation de décisions visant à affaiblir nos capacités à disposer d'énergie à un prix abordable, dernier secteur dans lequel nous étions plutôt en avance. L'Allemagne n'entend toutefois pas se laisser concurrencer dans ce domaine. Ne soyons pas naïfs : nous devons résister pour rester souverains dans nos choix. L'hypocrisie allemande conduit au démarchage d'entreprises en faveur de leur délocalisation vers l'Allemagne, parce que le prix de l'électricité nucléaire est indexé sur le prix du gaz, alors que les hauts fourneaux au charbon, pourtant extrêmement polluants, ne le sont pas. Nous ne devons pas laisser faire de tels hypocrites !

J'ai été durant des années vice-présidente du Parlement européen et j'ai très souvent entendu des Français dire « on ne peut pas, parce que les Allemands ne veulent pas », mais jamais le contraire. Si l'on continue ainsi, le rapport de force sera négatif. J'entends bien les discours de compromis, mais sans rapport de force, sans que nous tapions sur la table, sans que nous attaquions l'Allemagne sur d'autres secteurs, dans lesquels elle est faible, nous nous contenterions d'être naïfs. La présidence française doit permettre de rééquilibrer cette relation, parce que nous divergeons économiquement. Si nous ne faisons pas preuve de suffisamment de résistance pour cela, nous allons vers de mauvais jours !

M. Franck Montaugé . - Je veux être sûr de bien comprendre, notamment le caractère transitoire de l'inclusion du nucléaire dans cette taxonomie. Dans le cadre de la future programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE), qui déterminera le futur mix électrique, la France va investir dans de nouveaux réacteurs. C'est un projet à long terme. Comment cet effort va-t-il intégrer cette taxonomie dans la durée ? On connaît les enjeux : il s'agit d'accéder à des financements préférentiels dits « verts », mais ce point très important doit être clarifié. Nous n'y voyons pas clair.

M. Daniel Salmon . - Nous ne nourrissons aucun bellicisme envers l'Allemagne, nous considérons que l'Union européenne est une belle construction qu'il faut tenter de maintenir. Six ministres de l'environnement ont déclaré que l'énergie nucléaire était incompatible avec le principe de non-préjudice significatif inscrit dans la taxonomie, et je partage cette vision. Le nucléaire n'est pas une source d'énergie comme une autre. C'est une épée de Damoclès ; le nucléaire est non durable et non renouvelable ; son prix a été jugé abordable parce que le parc nucléaire français a été financé par les contribuables.

Pourtant, dans ce monde instable, le nucléaire nous place dans une position vulnérable en temps de paix et indéfendable en temps de guerre. Il a, en outre, de nombreux défauts, comme en termes d'accidentologie. Des accidents se sont produits dans des pays à haut niveau de culture scientifique ; statistiquement, ils se produiront aussi en France. Personne n'est d'ailleurs capable d'assurer le nucléaire. Il présente également des défauts en termes de coûts, ainsi qu'on le constate avec les nouveaux EPR, qui coûteront 100 ou 110 euros par mégawattheure.

Il n'a donc rien à faire dans cette taxonomie. Nous sommes favorables à une sortie progressive - c'est le seul moyen -, du nucléaire et nous ne soutenons pas cette proposition de résolution.

Mme Valérie Létard . - Je tiens à remercier nos collègues Daniel Gremillet, Claude Kern et Pierre Laurent. Le groupe Union centriste (UC) soutient, quant à lui, cette PPRE.

Je m'associe toutefois aux interrogations de notre collègue Franck Montaugé s'agissant d'une éventuelle l'inscription dans les énergies transitoires : quelles en seront les conséquences ? Une chose est certaine, la présidence de l'Union européenne est un exercice délicat, qui exige de la neutralité, mais qui nous donne la possibilité de choisir les sujets abordés en priorité. C'est donc une opportunité pour la France d'éclairer cette question ; nous devons, certes, être prudents - la question de la sécurité étant essentielle, comme l'a indiqué notre collègue Daniel Salmon -, mais nous pouvons progresser et travailler pour l'avenir. Cette question concerne la consommation individuelle comme celle des entreprises, il est paradoxal que celles-ci trouvent avantage à se délocaliser vers des pays qui utilisent des centrales à charbon. Si nous devons nous assurer de garantir la sécurité du nucléaire, nous le ferons, en y consacrant les moyens nécessaires, mais on ne saurait nier qu'il s'agit d'une source d'énergie très faiblement émettrice de CO 2 . Nous sommes bons dans ce domaine, nous ne pouvons pas nous laisser dicter nos choix par d'autres États membres. Nous devons travailler en bonne intelligence mais nous faire respecter.

M. Fabien Gay . - Je partage le rapport de notre collègue Daniel Gremillet et l'avis presque général : nous avons, grâce au nucléaire, l'énergie la plus décarbonée et la moins chère qui soit. J'entends notre collègue Daniel Salmon : il est vrai que la question des déchets se pose, ainsi que celles de la sécurité et de la sûreté. C'est pourquoi nous devons mener un grand combat pour que EDF reste une entreprise publique et qu'il soit mis un terme à la sous-traitance. On voit ce qu'il advient de l'EPR de Flamanville : ses surcoûts sont dus au fait que les métiers ont été cassés dans EDF au profit de prestataires extérieurs ; c'est le cas des soudeurs, par exemple. Nous avons cassé le métier dans l'entreprise, puis nous sommes allés en chercher en Europe, puis ailleurs, avant de mobiliser des Français qui avaient été contraints à partir en Inde parce que leur métier avait disparu en France.

La sécurité et la sûreté doivent être des préoccupations, mais aujourd'hui, les usages électriques vont augmenter, quoi qu'il arrive. Si l'on veut remplacer les moteurs thermiques, par exemple, il faudra fournir plus d'électricité. Je suis favorable à un mix électrique avec une part importante de nucléaire et d'énergies renouvelables, mais à mon sens, tout cela doit rester dans le domaine public. Nous avons ainsi beaucoup financé l'éolien, qui relève du marché privé, pour un rendement plutôt médiocre.

Enfin, s'agissant de notre souveraineté énergétique, nous devons lutter au niveau européen, parce que les usagers en France ne paient pas le coût de la production énergétique. Le marché européen de l'électricité pèse dans la facture électrique dans notre pays. Si demain nous n'incluions pas le nucléaire dans les énergies favorisées, nous nous tirerions une deuxième balle dans le pied ! Nous avons, devant nous, un combat à mener.

Par ailleurs, on parle beaucoup en ce moment des Antilles et des territoires ultramarins. Il s'y pose une question essentielle : certains d'entre eux manquent déjà de souveraineté énergétique et électrique ; en Guyane, par exemple, si l'on ne fait rien, la centrale à fioul va fermer en 2023, il restera seulement un barrage, et l'on envisage déjà de pratiquer le délestage toute l'année dans certaines zones. Il ne faut pas abandonner ces territoires !

Je soutiens donc ce projet de résolution transpartisan.

M. Laurent Somon . - Ernst et Young (E&Y) a publié un rapport sur l'attractivité du territoire français pour la réindustrialisation et les investissements étrangers. Nos infrastructures, notre marché et notre situation européenne sont importants, certes, mais le coût de l'énergie aussi. Nous sommes obligés d'accepter du dumping social, mais nous ne devons pas céder sur l'avantage que représente le coût de l'énergie et nous devons nous défendre sur ce point. Pour en revenir à l'intervention de notre collègue Daniel Salmon, certes, l'énergie nucléaire est subventionnée, mais c'est aussi le cas de l'éolien ; il n'y a aucune honte à développer une énergie souveraine.

Nous devons aussi encourager la recherche sur le retraitement des déchets, en particulier des déchets ultimes, pour compléter les propos du rapporteur Daniel Gremillet. La recherche est essentielle et la souveraineté énergétique est la première des souverainetés. Je rejoins notre collègue Marie-Noëlle Lienemann : nos amis allemands ne sont pas tout à fait sur la même ligne que nous, comme dans le domaine de la sécurité militaire.

M. Claude Malhuret . - Le groupe Les Indépendants - République et Territoires soutiendra cette PPRE. Personne ne peut penser atteindre le zéro carbone en 2050 - objectif retenu par l'Union européenne - sans le nucléaire, tout le monde le sait, y compris les plus réticents. J'entends les craintes, en termes de santé ou d'accidentologie, mais je suis étonné qu'on les évoque s'agissant du nucléaire sans comparer avec les autres sources d'énergie, lesquelles sont infiniment plus nocives, et que l'on focalise ainsi sur les fantasmes attachés à la radioactivité.

En ce qui concerne cette dissension entre une dizaine de pays qui soutiennent la position de la France, cinq la position inverse et d'autres qui sont hésitants, plusieurs de nos collègues insistent sur le fait que nous en sommes là à cause d'une erreur stratégique fondamentale commise par les Allemands il y a quelques années.

Il y a, à mon sens, deux sujets sur lesquels l'idéologie verte a donné lieu à d'énormes reculs intellectuels et pratiques. De ce point de vue, la taxonomie verte rejoint la directive Farm to Fork , qui est issue des mêmes réflexions idéologiques systématiquement fausses. Les Verts historiquement n'ont eu qu'un avantage : ils ont attiré les premiers l'attention sur l'importance du développement durable. Toutefois, les réponses qu'ils mettent en avant sont toujours les solutions antagonistes au véritable développement durable, en matière énergétique comme agroalimentaire. En soutenant cette PPRE, nous avançons vers de véritables solutions de développement durable, qui ne sont pas celles que proposent les idéologues de ce courant. Le Sénat devra le dire fortement un jour.

M. Daniel Gremillet , rapporteur . - Je voudrais rassurer notre collègue Marie Evrard : il est hors de question de défavoriser les énergies renouvelables, qui sont mentionnées dans la PPRE, nous souhaitons seulement que le nucléaire soit reconnu au même niveau, et nous croyons à la complémentarité.

Je remercie notre collègue Marie-Noëlle Lienemann. En effet, nous constatons la stratégie de compétitivité qui est mise en oeuvre ; la France a un peu perdu dans ce domaine et nous intervenons avant l'acte délégué. C'est incroyable : l'Allemagne a réussi à mettre au même niveau, transitoire, le gaz et le nucléaire. Nous sommes dans une bataille de compétitivité et en effet, le classement comme transitoire ou comme durable dans la taxonomie verte va conditionner les taux et les conditions de financement de ces investissements. Nos auditions ont été très vastes et tout le monde est unanime sur ce point : les conséquences financières de ce sujet sont considérables pour nos citoyens et pour nos entreprises, y compris pour les plus petites d'entre elles. Nous soutenons donc cette reconnaissance au niveau européen.

Notre PPRE distingue bien le durable et le transitoire, qui ne renvoient pas au même niveau de classement. Cela emportera des conséquences et nous soutenons une position européenne en faveur de cette reconnaissance.

Pour répondre à notre collègue Daniel Salmon, nos auditions ont montré que le nucléaire garantissait une sécurité d'approvisionnement pérenne, depuis des pays et des zones dont la stabilité est rassurante. Je fais confiance à l'homme et j'ai de bonnes raisons de vous dire que nous aurons plus rapidement que vous ne le pensez la capacité de réutiliser des déchets, qu'il ne faudra plus alors qualifier ainsi. Nous organiserons des auditions dans le cadre du groupe d'études « Énergie » avec des start-up en pointe sur ce sujet. Par ailleurs, en matière d'approvisionnement, je rappelle que les énergies renouvelables consomment des métaux rares.

Je remercie notre collègue Valérie Létard. Nous avons maintenu une sécurité maximale, il faut continuer, mais aujourd'hui, la France dispose d'un savoir-faire important dans ce domaine.

Je remercie également notre collègue Fabien Gay. En effet, nous devrons prendre en charge la question des outre-mer, c'est un vrai sujet, pour les populations comme pour les activités économiques, qui relève de notre responsabilité. Par ailleurs, nos auditions ont démontré que EDF a bien compris qu'il était nécessaire de former de nouveau des soudeurs. Je veux enfin remercier notre collègue Laurent Somon et le président Claude Malhuret. En effet, ne nous racontons pas d'histoires : la neutralité carbone en 2050 nous oblige ; la France est en avance et les choix historiques et futurs concernant le nucléaire seront un élément déterminant en la matière.

M. Claude Kern . - Qu'on le veuille ou non, le nucléaire sera indispensable, nous devons en être conscients.

Mme Sophie Primas , présidente . - Lundi, avec MM. les présidents Gérard Larcher et Jean-François Rapin, nous avons rencontré le commissaire Thierry Breton et la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen. La question de la taxonomie verte a été abordée, et il semble que le changement de gouvernance en Allemagne permette une ouverture possible vers un accord dans le cadre d'un acte délégué. Cela reste à confirmer, mais la présidente et le commissaire semblaient un peu rassurés quant à une telle possibilité.

Toutes les coalitions européennes savent que, pour atteindre l'objectif européen Fit for 55 , de réduction de 55 % des émissions en 2030, l'énergie nucléaire est indispensable. Cette prise de conscience est plus large qu'elle ne l'était précédemment. Nos deux interlocuteurs nous ont affirmé que cette PPRE leur semblait très importante à ce titre.

Dans le cadre de la compétition amicale avec l'Allemagne, le futur chancelier Olaf Scholz a indiqué ne pas souhaiter être désagréable sur ce sujet envers la France, mais il envisage également de diviser par deux le poids des dispositifs relatifs à l'installation d'entreprises en Allemagne ; nous devons à notre tour simplifier l'installation d'entreprises, car c'est peut-être sur ce point que se feront désormais les écarts.

La commission adopte la proposition de résolution européenne sans modification.

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