B. LA POURSUITE DE LA HAUSSE DES DÉPENSES DE PERSONNEL EST CETTE ANNÉE MOINS RAPIDE QUE CELLE DES AUTRES DÉPENSES

Le présent projet de loi de finances poursuit la trajectoire de hausse des dépenses de personnel constatée sur les précédents budgets, de 1,6 % pour la police nationale et de 1,1 % pour la gendarmerie nationale.

Évolution des dépenses de personnel de la police
et de la gendarmerie nationales

(en AE/CP, CAS « Pensions » compris)

Source : commission des finances du Sénat (d'après les documents budgétaires)

Cette hausse s'explique cette année encore par le niveau toujours important des recrutements et l'ampleur des mesures indemnitaires .

1. La fin du plan présidentiel de recrutement de 10 000 policiers et gendarmes

L'année 2022 devrait, à nouveau, être marquée par une hausse importante des effectifs de la police et de la gendarmerie nationales, conformément à la tendance constatée depuis 2015.

Pour mémoire, le Président de la République s'est engagé à créer 10 000 emplois sur la période 2018/2022 pour renforcer les forces de sécurité intérieure. Dans ce cadre, la police nationale devait bénéficier de 7 500 ETP et la gendarmerie nationale de 2 500 ETP.

Le rapporteur a d'ores et déjà rappelé, à l'occasion de l'examen des précédents projets de loi de finances du quinquennat en cours, que ce plan n'était pas de nature à résoudre les difficultés des deux institutions, davantage marquées par un retard en matière d'investissement et de fonctionnement que de personnel.

Même si son bien-fondé est contestable, l'« esprit » de ce plan a été pleinement respecté, puisqu'entre 2017 et 2022, 8 446 emplois de policiers et 2 083 emplois de gendarmes auront été créés.

Le nombre de créations de postes est cette année inférieur à celui des années précédentes. Ce dernier s'élèvera à + 185 ETP pour la gendarmerie nationale (bénéficiant en priorité aux brigades territoriales) et à + 761 pour la police nationale.

Schémas d'emploi successifs des deux programmes

(en ETP)

Source : commission des finances du Sénat (d'après les documents budgétaires)

2. Des mesures catégorielles dont le poids diminue par rapport aux années précédentes

Les crédits hors CAS Pensions du programme 176 « Police nationale » inscrits au projet de loi de finances pour 2022 progressent de 147,9 millions d'euros par rapport à 2021 (soit une évolution de + 2,2 %). Cette hausse à compter de 2022 découle principalement de la mise en oeuvre du Beauvau de la sécurité (15 millions d'euros hors CAS « Pensions ») et de la protection sociale complémentaire (26,7 millions d'euros hors CAS « Pensions »).

Au titre de 2022, hors Beauvau de la sécurité, les mesures catégorielles nouvelles sont limitées à 1,75 million d'euros hors CAS « Pensions » dans le PLF 2022 (création d'un dispositif transitoire permettant le bénéfice du 7 ème échelon de commandant au 1 er juillet 2022 pour les officiers qui auraient pu y prétendre avant le report du protocole pour un montant de 0,9 million d'euros, création d'une indemnité temporaire de mobilité, etc.).

Par ailleurs, il est envisagé de créer en 2022 une prime de fidélisation pour les jeunes réservistes afin de les encourager à renouveler leur contrat. Cette prime pourrait être versée en deux fois, avec un premier effet budgétaire à partir de 2024 pour un coût estimé à 0,2 million.

Au total, le PLF 2022 prévoit des mesures catégorielles à hauteur de 37,52 millions d'euros hors CAS « Pensions » en 2022 pour la police nationale.

S'agisant de la gendarmerie nationale, une enveloppe de 32,6 millions d'euros (hors CAS « Pensions ») dont 14,64 millions d'euros de mesures nouvelles est prévue pour les mesures catégorielles statutaires et indemnitaires. Le Beauvau de la sécurité explique ces mesures indemnitaires à hauteur de 13 millions d'euros.

Détail des mesures indemnitairres résultant du Beauvau de la sécurité
pour la gendarmerie nationale

Les mesures au titre du Beauvau de la sécurité détaillées ainsi :

- part familiale des indemnités outre-mer et à l'étranger - fin du délai de carence PACS (0,16 M€) ;

- renforcement de l'encadrement opérationnel (2,43 M€) ;

- revalorisation de la rémunération des élèves-officiers (0,09 M€) ;

- indemnité de mission exclusive GIGN (antennes) (4,05 M€) ;

- extension du dispositif indemnitaire du MINARM pour les dépiégeurs d'assaut du GIGN (0,05 M€) ;

- PRE (2 M€) ;

- amélioration de la condition matérielle des GAV (1,43 M€) ;

- prime montagne (2 M€) ;

- indemnité d'expertise IRCGN (0,13 M€) ;

- Plan PATS (0,66 M€) :

- CIA collectif étendu (0,39 M€) ;

- repyramidage avec plan de requalification PATS (0,17 M€) ;

- abondement de l'enveloppe de points de NBI (0,07 M€) ;

- création d'emplois fonctionnels (plan PATS) (0,03 M€).

Source : réponse au questionnaire budgétaire

Les autres principaux éléments prévus par le présent projet de loi pour la gendarmerie nationale sont les suivants :

- 70,7 millions d'euros hors CAS « Pensions » sont prévus pour la réserve opérationnelle (Garde nationale) ;

- 64,9 millions d'euros sont prévus pour l'indemnité journalière d'absence temporaire (IJAT) ;

- 15 millions d'euros sont budgétés pour les primes de résultats exceptionnels (PRE) ;

- 7 millions d'euros sont inscrits pour la provision du surcoût de rémunérations liée aux opérations extérieures (OPEX).

Au total, le rapporteur spécial remarque que le coût des mesures indemnitaires non maîtrisées baisse fortement par rapport aux années précédentes, ce qui constitue indéniablement une évolution positive au regard de la soutenabilité de la mission « Sécurités ».

En effet, les policiers et les gendarmes ont obtenu, en avril 2016, la signature de deux protocoles leur accordant d'importantes mesures de revalorisation des carrières et des rémunérations 2 ( * ) . Ce dernier a été suivi d'un autre protocole, conclu le 19 décembre 2018 avec les syndicats de police nationale dans le contexte de la forte activité générée par le mouvement des « gilets jaunes ». Les coûts supplémentaires liés à ces protocoles étaient alors estimés par le ministère de l'intérieur à 475,3 millions d'euros en 2022, hors contribution au CAS « Pensions ». En outre, ainsi que le relevait la Cour des comptes 3 ( * ) , l'ensemble de ces mesures catégorielles a un coût annuel élevé et mal maîtrisé, puisqu'elles prévoient également des avancements massifs par repyramidage des corps, augmentant mécaniquement la part des gradés les plus élevés, et les dépenses de personnel associées.

Le coût supplémentaire de ces protocoles est en forte baisse en 2021 et 2022, puisqu'il devrait être d'environ 10 millions d'euros en 2022, alors qu'il a atteint plus de 100 millions d'euros en 2019 et 2020.

Coût supplémentaire du protocole de 2018

(en millions d'euros, en AE/CP)

2016

2017

2018

2019

2020

2021

2022

Coût cumulé

Gendarmerie nationale

3,5

64,1

27,2

51,3

54,9

3,6

1,4

206

Dont coûts hors PPCR

3,5

46,1

27,2

20,3

10,9

2,5

1,4

111,9

Dont coûts PPCR

/

18

/

31

44

1,1

/

94,1

Police nationale

2,8

70,9

28,1

60,3

79,9

18,6

8,7

269,3

Dont coûts hors PPCR

1,4

12,5

28,1

24

24,3

13,6

8,7

112,6

Dont coûts PPCR

1,4

58,4

/

36,3

55,6

5,1

/

156,7

Total

6,3

135

55,3

111,6

133,4

22,1

10,1

475,3

Source : commission des finances du Sénat (d'après la Cour des comptes)

Le rapporteur estime que cette évolution doit être consolidée, car la dérive des dépenses de personnel constitue un obstacle important à l'amélioration des capacités opérationnelles des forces de l'ordre, puisqu'elle limite mécaniquement les marges de manoeuvre en matière d'investissement et de fonctionnement. Cette situation avait prévalu jusqu'à la mise en oeuvre du plan de relance en 2021.

Cette relative modération de la demande des crédits de personnel en 2022 constitue donc une évolution favorable, qui doit être accueillie avec une grande vigilance . Le climat de tension important (menace terroriste, activité intense en matière de maintien de l'ordre) pourrait inciter le gouvernement (actuel ou futur) à prendre à nouveau des mesures indemnitaires au détriment de la soutenabilité de la mission. Le climat social et psychologique et social de l'institution reste en effet sensible, comme le témoigne la permanence de la question des suicides au sein de la police nationale.

La permanence de la question des suicides au sein de la police nationale

La question du suicide reste prégnante au sein de la police nationale. Le nombre de cas, qui avait culminé à 59 en 2019, s'élève, à fin octobre 2021 à 27 (soit un niveau comparable à l'année 2020, au cours de laquelle sont survenus 32 suicides de policiers).

Si ce phénomène est multifactoriel et difficilement rattachable à la seule situation professionnelle de l'intéressé, le rapporteur spécial rappelle que les travaux menés par la commission sénatoriale d'enquête sur l'état des forces de sécurité intérieure ont montré se forte prévalence au sein des deux forces 4 ( * ) par rapport au reste de la population. Il constitue donc un révélateur, parmi d'autres, du climat de l'institution, même s'il ne peut servir de seul moyen d'analyse.

Le DGPN et le directeur des ressources et des compétences de la police nationale (DRCPN) ont indiqué en audition que l'administration était particulièrement mobilisée sur ce sujet. Les actions suivantes peuvent être citées :

- le nouveau plan de mobilisation contre le suicide fait l'objet d'une expertise par un organisme extérieur ;

- le dispositif « Sentinelle » composé d'environ 2 000 policiers volontaires vers lesquels les personnes en état de mal-être peuvent se tourner, sans avoir à en référer à leur hiérarchie, a été lancé en 2021 ;

- des conventions avec des associations de policiers tournés vers le suicide dans la police ont été signées afin de les associer à l'ensemble du dispositif.

Source : audition du DGPN


* 2 Il s'agit, notamment, de la transposition pour la police et la gendarmerie nationale du protocole de modernisation des parcours professionnels, des carrières et des rémunérations (PPCR).

* 3 Cour des comptes, référé au Premier ministre du 13 mars 2018 sur les rémunérations et le temps de travail dans la police et la gendarmerie nationales.

* 4 Rapport de M. François Grosdidier, fait au nom de la commission d'enquête n° 612 tome I (2017-2018) - 27 juin 2018.

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