SECONDE PARTIE
ANALYSE PAR PROGRAMME

I. LE PROGRAMME 303 « IMMIGRATION ET ASILE » : UNE POLITIQUE D'ÉLOIGNEMENT EN ÉCHEC ET DES DÉPENSES D'ASILE EN DÉRAPAGE PERMANENT

A. UN OBJECTIF PRÉSIDENTIEL D'ÉLOIGNEMENT SYSTÉMATIQUE DES ÉTRANGERS EN SITUATION IRRÉGULIÈRE DÉNUÉ DE TOUTE CRÉDIBILITÉ

L'action 03 du programme 303 relative à la lutte contre l'immigration irrégulière finance trois principaux postes :

- les dépenses de fonctionnement des centres et locaux de rétention administrative et zones d'attente ;

- les frais d'éloignement des migrants en situation irrégulière ;

- diverses subventions aux associations chargées du suivi sanitaire, social et juridique des étrangers retenus .

Elle voit ses crédits augmenter de 19 % en AE et de 12,5 % en CP. Comme en 2021, cette évolution s'explique particulièrement par une forte hausse de l'investissement dans le parc immobilier de centres de rétention administrative (CRA).

Les dépenses affectées à l'éloignement des étrangers en situation irrégulière connaissent elles une stagnation qui apparaît contradictoire avec les objectifs affichés du gouvernement.

1. Une stagnation des crédits affectés à l'éloignement des migrants en situation irrégulière, en contradiction frontale avec les objectifs annoncés par le président de la République

L'augmentation des frais d'éloignement des migrants en situation irrégulière demeure dérisoire. Les crédits proposés pour 2022 atteignent 34,7 millions d'euros en CP et en AE, soit une augmentation de 5,2 % par rapport aux crédits prévus pour 2021. Ce volet porte sur l'organisation des procédures d'éloignement par voie aérienne et maritime des étrangers qui font l'objet d'une mesure d'éloignement dont la mise en oeuvre revient à la police aux frontières (PAF).

Évolution du nombre et des crédits affectés aux reconduites à la frontière

(1) Pour 2012, le nombre de reconduites à frontière comprend également les retours volontaires, qui ne sont plus comptabilisés à compter de 2013.

Source : commission des finances, d'après les projets annuels de performances

En confirmant la stagnation des dépenses d'éloignement, le présent projet de loi de finances traduit l'absence de volonté réelle du gouvernement sur ce sujet. Ainsi, depuis 2015, les dépenses d'éloignement n'ont connu aucune augmentation significative et oscillent entre 30 et 35 millions d'euros.

Le volume de la dépense affectée aux reconduites à la frontière et sa dynamique apparaissent largement insuffisants dans un contexte de hausse de l'immigration irrégulière et d'une efficacité déclinante de la politique de renvoi.

Ainsi, le taux d'exécution des obligations de quitter le territoire français (OQTF), qui constituent la quasi-totalité des mesures d'éloignement prononcées 10 ( * ) , est en baisse constante depuis plusieurs années. Après avoir atteint 22 % en 2012, il a connu une forte baisse, ne dépassant plus les 15 % depuis 2016, et atteignant moins de 13 % en 2018 comme en 2019. Son niveau est inférieur à 10 % depuis le début de la crise sanitaire.

Cette stagnation des crédits est d'autant plus surprenante que le président de la République a réaffirmé dans le courant de l'été 2021 l'objectif d'augmenter significativement l'effectivité des mesures d'éloignement.

Évolution du nombre d'OQTF prononcées
et exécutées et de leur taux d'exécution

Source : commission des finances, d'après le ministère de l'intérieur

Le rapporteur spécial regrette la dichotomie entre le nombre croissant de personnes déboutées et la stagnation des crédits affectés à la lutte contre l'immigration irrégulière. Entre 2015 et 2020, la demande d'asile a augmenté de près de 120 %, passant de 50 000 à près de 110 000 demandes. Sur la même période le taux d'admission de ces demandes se maintient à un niveau proche de 35 %, alors que le nombre de déboutés quittant effectivement le territoire suite à leur non-admission est stable, autour de 10 %. Il y a donc un effet mécanique de croissance significative des besoins concernant l'éloignement des personnes déboutées, qui ne s'est pourtant pas traduit par une hausse comparable des crédits associés qui n'atteint qu'environ 50 % depuis 2015 et 6 % sur l'ensemble du quinquennat (2017-2022).

2. Une poursuite de l'augmentation du nombre de places en CRA

Le parc d'hébergement en CRA (centres de rétention administrative) fait face à une hausse constante des besoins. Ces structures logent les étrangers ayant fait l'objet d'une décision d'éloignement du territoire, dans l'attente de son exécution. Elles concourent à la bonne poursuite de la lutte contre l'immigration irrégulière, dans un contexte de hausse constante des flux migratoires vers la France. La loi du 18 septembre 2018, qui introduit un allongement de la durée de rétention administrative (de 45 à 90 jours) est venue également aggraver les tensions sur un parc immobilier déjà proche de la saturation.

En 2022, les crédits demandés au titre de l'investissement immobilier dans le parc d'hébergement des CRA augmentent de 51,1 % en CP et atteignent 39,4 millions d'euros en CP, et 31,9 millions d'euros en AE. Ils permettront le financement de la tranche 2022 du plan d'extension des CRA, notamment les opérations d'Olivet (90 places) et de Bordeaux (140 places).

Des travaux de maintenance et d'entretiens lourds sont également programmés et notamment des opérations de mise aux normes, de sécurisation et de vidéo-audiences. Les travaux menés pour améliorer le cadre de vie au sein des CRA, consistant en des aménagements d'espaces pour les activités occupationnelles, se poursuivent en 2021.

Au 30 juin 2021, le parc des CRA est constitué de 25 centres dont 21 en métropole et 4 outre-mer, pour une capacité immobilière de 1 719 places en métropole et 227 outre-mer. Parmi les 25 CRA, 9 sont spécialement aménagés pour accueillir des familles accompagnées de mineurs. Par ailleurs à fin 2023, l'ouverture de nouvelles capacités, notamment à Olivet (CRA de 90 places) et à Bordeaux (140 places) ainsi que l'extension du CRA de Perpignan (10 places) pourrait porter le nombre de places en métropole à 2 099.

La forte hausse de l'investissement immobilier portée dans le PLF 2022 pourrait soulager une partie de la tension sur le parc d'hébergement. Les taux d'occupation, qui ont connu une baisse pendant la crise sanitaire, commencent d'ores et déjà à retrouver des niveaux proches de ceux antérieurs au premier confinement. Sur le premier semestre 2021, dans un contexte durablement marqué par la crise sanitaire et la restriction induite des perspectives d'éloignement, 6 453 placements en rétention ont été réalisés en métropole (- 3 % par rapport à la même période de 2019) et 12 759 en outre-mer (+ 104 %). Le taux d'occupation des CRA de métropole a fortement augmenté depuis l'automne 2017, puisqu'il s'élève en moyenne à 86 % en 2019 contre 68 % en 2017. Il était même concernant les hommes isolés de 91 % à la veille du confinement. En 2020, avec la crise sanitaire qui s'est traduite par des restrictions en termes de places ouvertes en rétention, il s'élève à 61 % en métropole. Pour le premier semestre 2021, il s'élève à 79 %.


* 10 Les autres mesures sont les interdictions de territoire et les expulsions, qui connaissent des taux d'exécution bien supérieurs à celui des OQTF.

Page mise à jour le

Partager cette page