N° 65

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2021-2022

Enregistré à la Présidence du Sénat le 20 octobre 2021

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des finances (1) sur le projet de loi autorisant la ratification de l' accord modifiant le traité instituant le Mécanisme européen de stabilité ,

Par M. Jean-Marie MIZZON,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. Claude Raynal , président ; M. Jean-François Husson , rapporteur général ; MM. Éric Bocquet, Emmanuel Capus, Bernard Delcros, Vincent Éblé, Charles Guené, Mme Christine Lavarde, MM. Dominique de Legge, Albéric de Montgolfier, Didier Rambaud, Jean-Claude Requier, Mmes Sophie Taillé-Polian, Sylvie Vermeillet , vice-présidents ; MM. Jérôme Bascher, Rémi Féraud, Marc Laménie, Stéphane Sautarel , secrétaires ; MM. Jean-Michel Arnaud, Arnaud Bazin, Christian Bilhac, Jean-Baptiste Blanc, Mme Isabelle Briquet, MM. Michel Canévet, Vincent Capo-Canellas, Thierry Cozic, Vincent Delahaye, Philippe Dominati, Mme Frédérique Espagnac, MM. Éric Jeansannetas, Patrice Joly, Roger Karoutchi, Christian Klinger, Antoine Lefèvre, Gérard Longuet, Victorin Lurel, Hervé Maurey, Thierry Meignen, Sébastien Meurant, Jean-Marie Mizzon, Claude Nougein, Mme Vanina Paoli-Gagin, MM. Paul Toussaint Parigi, Georges Patient, Jean-François Rapin, Teva Rohfritsch, Pascal Savoldelli, Vincent Segouin, Jean Pierre Vogel .

Voir les numéros :

Sénat :

806 (2020-2021) et 66 (2021-2022)

L'ESSENTIEL

Réunie le mercredi 20 octobre 2021 sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission des finances a examiné le rapport de M. Jean-Marie Mizzon sur le projet de loi n° 806 (2020-2021) autorisant la ratification de l'accord modifiant le traité instituant le Mécanisme européen de stabilité (MES), pour lequel le Sénat est la première assemblée saisie.

Mis en place en octobre 2012 par les États membres de la zone euro sous forme d'un traité intergouvernemental 1 ( * ) en dehors du cadre juridique européen, le MES a pour but de mobiliser des ressources financières et d'apporter un soutien à la stabilité économique et financière de la zone euro .

Le projet de loi comprend un article unique, qui autorise la ratification de l'accord modificatif. La commission l'a adopté sans modification.

I. UN ACCORD MODIFIANT LE TRAITÉ INITIAL SUR QUATRE POINTS PRINCIPAUX

L'accord modifiant le traité instituant le MES a été signé les 27 janvier et 8 février 2021 par la France et les dix-huit autres États membres de la zone euro.

Il comporte quatre évolutions principales par rapport au traité initial.

§ La création d'un filet de sécurité - aussi désigné sous l'anglicisme de « backstop » - apporté par le MES au Fonds de résolution unique (FRU). Ce dispositif vise à permettre au MES de prêter jusqu'à 68 milliards d'euros au Conseil de résolution unique (CRU), l'agence européenne chargée de la résolution des établissements de crédit. L'objectif est ainsi de compléter, à titre subsidiaire et en cas d'épuisement ou d'insuffisance de leur niveau, les ressources du FRU, composées des contributions du secteur bancaire et devant atteindre 1 % du total des dépôts couverts en 2024 - soit environ 75 milliards d'euros.

§ La réforme des instruments d'assistance financière de précaution aux États membres auxquels le MES peut recourir, en introduisant un nouvel outil, la ligne de crédit de précaution assortie de conditions . Contrairement à l'unique instrument actuellement prévu, l'octroi de cette nouvelle ligne de crédit ne serait pas conditionné à la signature d'un accord précisant les réformes structurelles à mettre en oeuvre, mais au respect ex ante de critères attestant d'une situation macroéconomique et financière saine de l'État bénéficiaire.

§ Le renforcement des compétences et de l'indépendance du MES , en particulier concernant l'évaluation de la soutenabilité des dettes en zone euro et la négociation des réformes en cas de programme d'assistance financière, ce qui devra conduire à une nouvelle allocation des tâches avec la Commission européenne.

§ L'inscription d'une nouvelle règle de vote pour les situations de restructuration de l'endettement public d'un État , afin que les créances émises à partir du 1 er janvier 2022 prévoient des clauses d'action collective avec clauses d'agrégation simple - dites « single-limb CACs ». Par rapport aux clauses actuelles, cette modification entraîne deux changements en cas de renégociation de l'endettement : d'une part, l'application de la majorité simple au lieu de la majorité qualifiée et, d'autre part, la négociation globale et non au niveau de chaque ligne d'émission. Concrètement, il s'agit ainsi de simplifier la restructuration de l'endettement public d'un État en réduisant le risque qu'un groupe minoritaire de créanciers s'y oppose dans l'espoir d'obtenir, par la suite, de meilleures conditions de remboursement.

II. L'INTRODUCTION DU « FILET DE SÉCURITÉ » : UNE AVANCÉE MAJEURE POUR L'UNION BANCAIRE, DES POINTS D'ATTENTION À SOULIGNER

A. UNE AVANCÉE MAJEURE POUR L'UNION BANCAIRE

Pour répondre à la fragilité résultant du lien entre la dette souveraine et les bilans bancaires que la crise de la zone euro a mis en évidence, l'union bancaire a été lancée en 2012 .

Elle comprend les trois piliers suivants :

- un mécanisme de surveillance unique (MSU), entré en vigueur le 4 novembre 2014, sous l'égide de la Banque centrale européenne ;

- un mécanisme de résolution unique (MRU), placé sous l'égide du Conseil de résolution unique (CRU), opérationnel depuis le 1 er janvier 2015, et doté de ressources du Fonds de résolution unique (FRU) composées des contributions des banques européennes, avec une cible de 1 % des dépôts couverts devant être atteinte en 2024 ;

- une garantie européenne des dépôts , qui reste à concrétiser afin de remplacer l'harmonisation des systèmes nationaux de garantie des dépôts par un système européen.

L'objectif principal du MRU est d'éviter que le contribuable soit, comme en 2008-2009, contraint de venir au secours des banques en difficulté.

Pour autant, le cadre actuel n'atteint pas pleinement cet objectif . En cas de besoins supérieurs aux disponibilités du FRU, l'État membre dont l'établissement de crédit est mis en résolution pourrait être mis à contribution, éventuellement aidé par un prêt du MES.

Le « filet de sécurité » prévu par l'accord modificatif vise précisément à corriger ce risque , en permettant au MES de prêter jusqu'à 68 milliards d'euros au CRU , par le biais d'une ligne de crédit renouvelable.

Cette intervention est strictement encadrée , puisqu'elle est :

- subsidiaire , n'étant ouverte qu'en cas d'épuisement des ressources du FRU ;

- temporaire , étant subordonnée à une étude préalable de la capacité du CRU à rembourser le MES au moyen de contributions ex post du système bancaire, conformément au principe de neutralité budgétaire à moyen terme qui guide son action.

Le schéma ci-après illustre les conséquences de l'introduction du filet de sécurité sur l'utilisation des ressources publiques en cas de résolution d'une banque de la zone euro. L'entrée en vigueur de ce dispositif est prévue dès le début de l'année 2022.

Conséquences de l'introduction du filet de sécurité sur l'utilisation
de ressources publiques en cas de résolution d'une banque de la zone euro

Source : commission des finances du Sénat

B. TROIS POINTS D'ATTENTION À SOULIGNER

Le rapporteur souhaite insister sur trois éléments .

§ Le premier concerne l'entrée en vigueur du filet de sécurité . Les États parties ont convenu d'une mise en oeuvre anticipée du filet de sécurité dès le 1 er janvier 2022 , ce qui explique l'inscription rapide du présent projet de loi à l'ordre du jour. À ce stade, seulement six États ont déposé leur instrument de ratification, tandis qu'aucun texte en ce sens n'a encore été présenté par le Gouvernement dans quatre États membres. Surtout, la loi autorisant la ratification de l'accord par l'Allemagne fait actuellement l'objet d'un recours devant la cour constitutionnelle de Karlsruhe . Si les représentants de la direction générale du Trésor entendus par le rapporteur ont témoigné d'une certaine confiance de la part de leurs homologues allemands sur le fond du recours, un recours analogue ayant déjà été formé et rejeté lors de la ratification du traité initial, il s'agit à tout le moins d'un facteur d'incertitude sur le calendrier d'entrée en vigueur .

§ Le deuxième concerne la procédure d'urgence de mise en oeuvre du filet de sécurité . L e traité retient comme principe une décision du conseil d'administration du MES à l'unanimité, sous réserve d'une décision à la majorité qualifiée de 85 % en cas de menace pour la viabilité économique et financière de la zone euro. Il s'agit donc, dans des circonstances extrêmes, de simplifier le recours au filet de sécurité du MES, qu'un club d'États pourrait bloquer - Allemagne, France et Italie, ayant chacun plus de 15 % des droits de vote. Toutefois, il ne peut être fait usage que deux fois de cette procédure : son application est ensuite suspendue, jusqu'à ce que les ministres de l'économie et des finances de la zone euro décident à l'unanimité de la réactiver, le cas échéant en renforçant le seuil de vote applicable. Cette procédure baroque, qui traduit un compromis de négociation, appelle deux observations :

- formellement, elle réduit la portée juridique, en faisant de ce mécanisme d'urgence un fusil à deux coups ;

- sur le fond, elle permet néanmoins d'atteindre l'objectif poursuivi , à savoir asseoir la crédibilité de l'activation du filet de sécurité en cas de circonstances exceptionnelles.

§ Le troisième porte sur les conditions dans lesquelles, en cas de recours au filet de sécurité, les contributions ex post des banques seraient appelées pour permettre au CRU de rembourser le MES. Les banques françaises considèrent que cette faculté ne doit être mobilisée que dans le cas où il est établi que l'établissement de crédit mis en résolution ne peut rembourser le soutien en liquidité obtenu. Pour cela, la souplesse prévue par l'accord politique des États parties , autorisant un échelonnement du remboursement du CRU au MES sur une période maximale de cinq ans, devra être pleinement mobilisée pour calibrer le plus précisément possible les contributions ex post requises de la part des banques .

Sous le bénéfice de ces observations, la commission des finances a adopté le projet de loi sans modification.


* 1 Traité instituant le mécanisme européen de stabilité, signé à Bruxelles le 2 février 2012.

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