Rapport n° 744 (2020-2021) de Mmes Jacqueline EUSTACHE-BRINIO et Dominique VÉRIEN , fait au nom de la commission des lois, déposé le 7 juillet 2021

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N° 744

SÉNAT

SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2020-2021

Enregistré à la Présidence du Sénat le 7 juillet 2021

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture, confortant le respect des principes de la République ,

Par Mmes Jacqueline EUSTACHE-BRINIO et Dominique VÉRIEN,

Sénatrices

(1) Cette commission est composée de : M. François-Noël Buffet , président ; Mmes Catherine Di Folco, Marie-Pierre de La Gontrie, MM. Christophe-André Frassa, Jérôme Durain, Marc-Philippe Daubresse, Philippe Bonnecarrère, Mme Nathalie Goulet, M. Alain Richard, Mmes Cécile Cukierman, Maryse Carrère, MM. Alain Marc, Guy Benarroche , vice-présidents ; M. André Reichardt, Mmes Laurence Harribey, Jacky Deromedi, Agnès Canayer , secrétaires ; Mme Éliane Assassi, MM. Philippe Bas, Arnaud de Belenet, Mmes Catherine Belrhiti, Esther Benbassa, MM. François Bonhomme, Hussein Bourgi, Mme Valérie Boyer, M. Mathieu Darnaud, Mmes Françoise Dumont, Jacqueline Eustache-Brinio, M. Pierre Frogier, Mme Françoise Gatel, MM. Ludovic Haye, Loïc Hervé, Mme Muriel Jourda, MM. Patrick Kanner, Éric Kerrouche, Jean-Yves Leconte, Henri Leroy, Stéphane Le Rudulier, Mme Brigitte Lherbier, MM. Didier Marie, Hervé Marseille, Mme Marie Mercier, MM. Thani Mohamed Soilihi, Jean-Yves Roux, Jean-Pierre Sueur, Mmes Lana Tetuanui, Claudine Thomas, Dominique Vérien, M. Dany Wattebled .

Voir les numéros :

Assemblée nationale ( 15 ème législ.) :

Première lecture : 3649 rect., 3797 et T.A. 565

Commission mixte paritaire : 4156

Nouvelle lecture : 4078 , 4239 et T.A. 641

Sénat :

Première lecture : 369 , 448 , 450 , 454 , 455 rect. et T.A. 94 (2020-2021)

Commission mixte paritaire : 590 et 591 (2020-2021)

Nouvelle lecture : 734 et 735 (2020-2021)

L'ESSENTIEL

Réunie le 7 juillet 2021 sous la présidence de François-Noël Buffet (Les Républicains - Rhône), la commission des lois du Sénat a examiné le rapport de Jacqueline Eustache-Brinio (Les Républicains - Val d'Oise) et de Dominique Vérien (Union Centriste - Yonne) sur le projet de loi n° 734 (2020-2021) confortant le respect des principes de la République, adopté par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture .

I. DES DÉSACCORDS INSURMONTABLES

Après l'échec de la commission mixte paritaire le 12 mai 2021 , l'Assemblée nationale a achevé le 1 er juillet l'examen en nouvelle lecture des 129 articles du projet de loi restant en discussion confortant le respect des principes de la République. Elle en a adopté 23 sans modification et supprimé 39 des 56 articles ajoutés par le Sénat.

A. SUR LE SERVICE PUBLIC (ARTICLES 1ER A À 5 BIS)

L'Assemblée nationale a retenu peu des apports du Sénat et supprimé notamment :

- l'article 1 er A, introduit en séance publique par Nathalie Goulet, tendant à prévoir que la République garantit non seulement la liberté des cultes mais aussi leur libre pratique ;

- à l'article 1 er , l'obligation, introduite par les rapporteurs pour les personnes participant au service public de l'éducation, de respecter les valeurs de la République et celle applicable aux personnes participant aux sorties scolaires ;

- l'article 1 er bis AB, introduit à l'initiative de Nathalie Delattre en séance publique tendant à l'interdiction des signes religieux ostensibles dans l'espace public pour les mineurs ;

- l'article 2 ter , relatif au dépôt des listes électorales « communautaires » introduit à l'initiative de Bruno Retailleau en séance publique ;

- l'article 2 quater , relatif à l'interdiction de faire figurer des emblèmes confessionnels ou nationaux sur les bulletins de vote, introduit à l'initiative de Didier Marie en séance publique ;

- l'article 2 quinquies , relatif à l'interdiction de faire figurer des emblèmes confessionnels ou nationaux sur les documents de propagande électorale, introduit à l'initiative de Didier Marie en séance publique ;

- l'article 5 bis , relatif au pouvoir de police du maire pour interdire les drapeaux étrangers dans les mairies lors d'une cérémonie de mariage et de pacs, introduit à l'initiative de Henri Leroy en séance publique.

Elle a cependant conservé :

- l'article 1 er ter, relatif à la formation des agents publics au principe de la laïcité et à la mise en place d'un référent « laïcité » au sein des administrations, en conservant l'ajout fait par le Sénat à l'initiative de Roger Karoutchi qui confie au référent laïcité la charge d'organiser la journée de la laïcité le 9 décembre ;

- l'article 1 er quater , sur le devoir d'alerte du référent « laïcité » intervenant dans le milieu hospitalier, dont les modalités de mise en oeuvre avaient été renvoyée à un décret par un amendement de Thani Mohamed Soilihi ;

- l'article 2 sexies , introduit à l'initiative de Philippe Dallier, prévoyant un avis du préfet sur les projets relatifs à des constructions destinées à l'exercice du culte.

B. SUR LES ASSOCIATIONS, LES FONDATIONS ET LES FONDS DE DOTATION (ARTICLES 6 À 12 QUINQUIES)

L'Assemblée nationale a largement rétabli son texte tout en conservant une partie des apports du Sénat sur l'article 6 relatif au contrat d'engagement républicain.

C. SUR LE RESPECT DES DROITS DES PERSONNES ET L'ÉGALITÉ ENTRE LES FEMMES ET LES HOMMES (ARTICLES 13 À 17)

L'Assemblée nationale a majoritairement rétabli son texte malgré les doutes du Sénat sur l'efficacité de certaines des dispositions envisagées, en particulier le droit de prélèvement compensatoire sur les biens situés en France au profit d'enfants qui ne bénéficieraient pas d'une réserve successorale (article 13).

Elle n'a pas retenu les apports sénatoriaux, à l'exception de l'ajout du rejet des principes républicains aux réserves de délivrance et au renouvellement des titres de séjour (article 14 bis AA), du quantum des peines encourues en cas d'incitation ou de contrainte exercée sur un mineur pour qu'il se soumette à des mutilations sexuelles (article 16 bis A), et du principe d'un délit spécifique incriminant le fait, pour toute personne, de pratiquer des examens visant à attester la virginité (article 16 ter ).

D. SUR LA LUTTE CONTRE LA HAINE EN LIGNE (ARTICLES 18 À 20 BIS)

Sous réserve de la suppression de l'article 19 bis AA, prévoyant la responsabilité civile et pénale des plateformes numériques du fait des contenus publiés, adopté à l'initiative de Claude Malhuret, contre l'avis de la commission et la persistance de quelques divergences sur la régulation des plateformes numériques, l'Assemblée nationale a dans l'ensemble conforté les apports du Sénat, particulièrement sur l'article 18 sanctionnant la divulgation d'informations permettant d'identifier ou de localiser une personne dans le but de l'exposer à un risque immédiat d'atteinte à la vie ou à l'intégrité physique ou psychique ou aux biens.

E. SUR L'ÉDUCATION ET LE SPORT (ARTICLE 21 À 25 TER)

L'Assemblée nationale a rétabli son dispositif d'interdiction générale de l'instruction à domicile malgré les importantes réserves sur la constitutionnalité d'une telle disposition émises par le Sénat et n'a retenu aucun des dispositifs alternatifs proposés par la commission de la culture pour préserver la liberté d'enseignement tout en empêchant toute dérive séparatiste. Il en a été de même pour l'essentiel des mesures adoptées par le Sénat relative à l'éducation physique, à l'enseignement supérieur et au sport.

F. SUR LE CONTRÔLE DES ASSOCIATIONS CULTUELLES (ARTICLES 26 À 36 QUATER)

L'Assemblée nationale n'a pas retenu les positions d'équilibre défendues par le Sénat, modifiant substantiellement plusieurs articles de ce titre, particulièrement, à l'initiative du Gouvernement, l'article 30 renforçant les obligations imposées aux associations mixtes, tout en tentant de clarifier les critères d'application du régime d'obligations renforcées aux associations loi de 1901 « d'inspiration confessionnelle ».

G. SUR LA POLICE DES CULTES (ARTICLES 38 À 44)

L'Assemblée nationale est largement revenue à son texte tout en préservant à l'article 39 la responsabilité accrue du ministre des cultes et le maintien de l'article 35 de la loi de 1905, souhaités par le Sénat.

Elle a retenu :

• l'article 43 bis A, portant interdiction pour les auteurs d'actes de terrorisme d'exercer certaines fonctions dans les établissements et services régis par le code de l'action sociale et des familles, issu de deux amendements identiques de Valérie Boyer et de Nadège Havet et des membres du groupe RDPI ;

• l'article 43 bis, qui prévoit la possibilité de révoquer le statut de réfugié en cas de condamnation pour apologie du terrorisme, issu d'un amendement de Jean-Pierre Grand.

H. SUR LES AUTRES DISPOSITIONS DU PROJET DE LOI (ARTICLES 45 À 56)

L'Assemblée nationale a retenu peu des apports du Sénat, à l'exception de l'article 46 bis relatif à l'extension des compétences des conseils locaux et intercommunaux de sécurité et de prévention de la délinquance, issu d'un amendement de Jean Sol. Elle a complété l'article 56 prévoyant la possibilité de s'opposer à l'ouverture d'un établissement scolaire privé pour des motifs tirés des relations internationales de la France et de la défense de ses intérêts fondamentaux.

II. LA POSITION DE LA COMMISSION : OPPOSER LA QUESTION PRÉALABLE À UN TEXTE NE PRENANT PAS EN COMPTE LES PREOCCUPATIONS DU SÉNAT

Alors même que le Sénat avait salué le dépôt et la discussion de ce texte et rejoint l'Assemblée nationale sur de nombreux points, comme la haine en ligne, aucun des mécanismes qu'il a adoptés en première lecture pour préserver le rôle des associations d'inspiration religieuse mais n'organisant pas l'exercice d'un culte, et pour simplifier les démarches des petites associations établies de longue date, n'a été retenu par les députés.

Par ailleurs, malgré les réserves du Sénat sur la portée, l'efficacité et les effets collatéraux des mesures présentées comme promouvant l'égalité entre les femmes et les hommes, l'Assemblée nationale a rétabli son texte de première lecture. A l'inverse, elle n'a retenu quasiment aucune mesure destinée à renforcer la police des cultes dans le prolongement de la loi de 1905.

Si l'on ne peut que regretter l'absence d'accord sur un texte relatif au respect des principes de la République, il apparaît manifestement impossible, au regard de la position de l'Assemblée nationale, de parvenir à un texte commun. À l'initiative des rapporteurs, la commission a donc adopté la motion tendant à opposer au texte la question préalable et déposera une motion identique pour la séance publique.

*

* *

La commission n'a pas adopté de texte et a décidé de déposer une motion tendant à opposer la question préalable.

Le projet de loi sera examiné en nouvelle lecture en séance publique
le mercredi 21 juillet 2021.

EXAMEN EN COMMISSION

__________

MERCREDI 7 JUILLET 2021

M. François-Noël Buffet , président. - Nous passons maintenant à l'examen du rapport et du texte de la commission sur le projet de loi confortant le respect des principes de la République et de lutte contre le séparatisme.

Mme Jacqueline Eustache-Brinio , rapporteure . - Nous examinons aujourd'hui en nouvelle lecture un texte dont chacun s'accorde à penser qu'il est regrettable qu'il n'ait pas fait l'objet d'un accord entre les deux chambres. Pourtant, et sans surprise, le refus de compromis de l'Assemblée nationale qui avait conduit à l'échec de la commission mixte paritaire n'a fait que se confirmer à l'issue de la nouvelle lecture par les députés. À l'issue des travaux du Sénat, 129 articles restaient en discussion. L'Assemblée nationale en a adopté 23 sans modification et supprimé 39 des 56 articles ajoutés par notre assemblée.

Plusieurs points nous séparent. D'abord, et de manière, semble-t-il, insurmontable, l'Assemblée nationale a rétabli l'interdiction générale sauf exception de l'enseignement à domicile malgré les réserves émises sur la constitutionnalité du dispositif. Elle n'a retenu aucun des dispositifs d'encadrement présentés par la commission de la culture du Sénat pour éviter les dérives séparatistes tout en préservant la liberté d'enseignement. Elle n'a pas plus retenu les dispositions tendant au respect du principe de neutralité dans l'enseignement supérieur et l'essentiel des dispositions adoptées par le Sénat sur le sport.

S'agissant des travaux de notre commission des lois, l'Assemblée nationale a supprimé l'obligation de neutralité pour les accompagnateurs scolaires, l'interdiction des listes communautaires ou encore l'interdiction de faire figurer des emblèmes confessionnels ou nationaux sur les bulletins de vote et les documents de propagande électorale. Cela est d'autant plus regrettable qu'une partie au moins de la majorité présidentielle s'est montrée très critique face aux atteintes à la neutralité à l'occasion des élections régionales et départementales.

Notre souhait de marquer clairement le cadre de notre vivre ensemble et la nécessité d'exclure les pressions religieuses n'a donc pas été entendu.

Il en a été de même pour la police des cultes pour laquelle l'Assemblée nationale a largement rétabli son texte, tout en retenant notre volonté de maintenir la responsabilité accrue du ministre des cultes et l'article qui la fonde au sein de la loi de 1905.

À l'inverse, malgré les doutes sérieux que nous avons sur l'efficacité des mesures proposées, l'Assemblée nationale a rétabli les dispositions présentées comme étant de nature à protéger les femmes.

Certes, quelques avancées du Sénat ont été retenues - je pense notamment à l'obligation d'obtenir un avis du préfet sur les projets relatifs à des constructions destinées à l'exercice du culte, adoptée sur l'initiative de notre collège Philippe Dallier -, et à certains amendements de nos collègues Roger Karoutchi, Valérie Boyer, Jean-Pierre Grand ou Jean Sol. Néanmoins, ces apports sont faibles au regard de nos divergences réelles et profondes.

Telles sont les raisons - au-delà de mes regrets personnels - pour lesquelles nous vous présentons, avec Dominique Vérien, une motion tendant à opposer la question préalable à ce texte. Si cette motion est adoptée, elle sera redéposée en séance.

Mme Dominique Vérien , rapporteure . - Après l'échec de la commission mixte paritaire, qui ne manquerait pas de se produire une nouvelle fois si nous rediscutions de ce texte, cette motion a pour objet d'opposer la question préalable au projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture, confortant le respect des principes de la République.

En nouvelle lecture, l'Assemblée nationale a supprimé 39 des 56 articles ajoutés par le Sénat. Cette situation illustre le fait que la majorité des députés n'entend pas trouver avec le Sénat le moyen de progresser sur les sujets graves que sont la neutralité de l'État, la laïcité et le vivre ensemble sur lesquels le Sénat avait pourtant formulé des propositions concrètes en première lecture. Parallèlement, l'Assemblée nationale a rétabli son dispositif d'interdiction générale de l'instruction à domicile malgré les importantes réserves sur la constitutionnalité d'une telle disposition émises par notre assemblée, et n'a retenu aucun des dispositifs alternatifs proposés pour préserver la liberté d'enseignement tout en empêchant toute dérive séparatiste.

Si 23 des articles du projet de loi ont été adoptés conformes, les apports du Sénat conservés par l'Assemblée sont peu nombreux - avis du préfet sur les projets relatifs à des constructions destinées à l'exercice du culte, responsabilité accrue du ministre des cultes et maintien de l'article 35 de la loi de 1905, possibilité de s'opposer à l'ouverture d'un établissement scolaire privé pour des motifs tirés des relations internationales de la France et de la défense de ses intérêts fondamentaux. Malgré ces adoptions et les quelques points d'accord qui ont pu être trouvés, comme sur l'article 18 sanctionnant la divulgation d'informations permettant d'identifier ou de localiser une personne, la volonté du Sénat de poser des distinctions claires permettant le respect par tous des principes de la République tout en préservant la liberté de culte n'ont pas été entendus.

Alors même que le Sénat avait salué le dépôt et la discussion de ce texte, et rejoint l'Assemblée nationale sur de nombreux points, comme la haine en ligne, aucun des mécanismes adoptés par notre assemblée en première lecture pour préserver le rôle des associations d'inspiration religieuse, mais n'organisant pas l'exercice d'un culte - notamment l'amendement « scouts » - et pour simplifier les démarches des petites associations établies de longue date n'a été retenu par les députés.

Par ailleurs, en dépit des réserves du Sénat sur la portée, l'efficacité et les effets collatéraux des mesures présentées comme promouvant l'égalité entre les femmes et les hommes, l'Assemblée nationale a rétabli son texte de première lecture. À l'inverse, elle n'a retenu quasiment aucune mesure destinée à renforcer la police des cultes dans le prolongement de la loi de 1905.

Si l'on ne peut que regretter que les assemblées ne parviennent pas à un accord sur un texte relatif au respect des principes de la République, il apparaît manifestement impossible, au regard de la position de l'Assemblée nationale, de parvenir à un texte commun. La présente motion tire les conséquences de cette impossibilité.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie . - Lors de l'examen en première lecture de ce texte, nous avions indiqué avoir entendu le discours des Mureaux du Président de la République et l'objectif de la promesse républicaine. Nous l'avions même pris au mot ! Au final, le compte n'y est pas : le projet de loi s'est révélé protéiforme et assez confus, tout en mettant de côté un certain nombre de sujets majeurs, tels que la mixité sociale, la lutte contre les discriminations ou les services publics. Autant de défauts qui nous avaient amenés à déposer une motion tendant à opposer la question préalable.

Mais je m'inquiète de cette forme de renoncement que marque le dépôt d'une question préalable en nouvelle lecture, assez récurrent de la part de la majorité sénatoriale, face aux difficultés que les sénateurs de l'opposition mesurent parfaitement. Même si nous ne sommes pas d'accord, le Sénat ne doit pas baisser les bras... Nous voulons poursuivre le débat, et nous déposerons quelques amendements sur des points clefs du texte. Vous avez rappelé vous-mêmes que certaines des modifications sénatoriales avaient été retenues par l'Assemblée. En conséquence, nous serons défavorables à cette motion tendant à opposer la question préalable.

M. Loïc Hervé . - Je suis très inquiet des conséquences que risque d'entraîner l'adoption du texte issu des travaux de l'Assemblée nationale, notamment concernant la liberté de culte. À l'instar du projet de loi relatif à la bioéthique, ce texte mériterait un vrai consensus national. Or l'Assemblée nationale décide de ne pas tenir compte de la position du Sénat. Et l'on ne fait qu'entériner ce processus en adoptant une motion dès le début de la nouvelle lecture. Du fait des contraintes très importantes liées à l'agenda législatif, on nous force à examiner de nombreux textes d'ici à la fin de la session extraordinaire de juillet. Cela étant, je vais me rallier à la position de nos rapporteures, même si je ne suis pas certain que l'on rende un grand service au bicaméralisme en agissant ainsi.

M. André Reichardt . - Je fais miens les propos de mon collègue Loïc Hervé. Sur un texte de cette importance, nous aurions dû essayer de trouver un consensus avec l'Assemblée nationale sur le respect des principes de la République. Nous avons raté une belle occasion qui se présentait à nous !

En outre, je regrette que l'Assemblée nationale n'ait pas pris en compte les spécifications du droit local alsacien mosellan. Ce qui avait été accepté au Sénat a été balayé par les députés, ce qui est inacceptable ! C'était peu que de vouloir attribuer aux établissements publics du culte, très nombreux à côté de ces associations cultuelles peu représentées chez nous, les mêmes prérogatives.

Sous le bénéfice de ces observations, je voterai cette motion.

M. Thani Mohamed Soilihi . - J'entends la position de nos rapporteures, mais à l'instar de ma collègue Marie-Pierre de La Gontrie, je déplore cette situation. En effet, les principales dispositions du projet de loi initial avaient fait l'objet d'un accord du Sénat, moyennant certains ajustements. C'est le cas des mesures de transparence des financements étrangers des associations, du mécanisme d'incitation des associations mixtes régies par la loi de 1901 afin qu'elles rejoignent le régime de l'association cultuelle, des articles relatifs au service public, etc. Nous aurions pu continuer le débat de fond en vue d'un diagnostic partagé sur des mesures très sensibles dont nous reconnaissons tous ici l'utilité.

Mme Jacqueline Eustache-Brinio , rapporteure . - Madame de La Gontrie, vous avez fondé beaucoup d'espoir sur le discours des Mureaux. Ce texte n'y répond pas, et c'est le sujet de fond. J'entends les inquiétudes de nos collègues Loïc Hervé et André Reichardt, mais ce projet de loi est plus orienté sur la façon d'obliger les cultes à entrer dans un cadre normatif que sur les moyens de résoudre des difficultés sociétales de fond.

Nous n'avons pas tous la même analyse concernant les possibilités de régler le « séparatisme », pour reprendre un terme du Président de la République. Mais les éléments concrets que nous avions essayé d'apporter avec la commission de la culture pour lutter contre ce phénomène ont tous été supprimés, y compris ceux de nos amendements qui ont reçu un avis favorable du Gouvernement.

En toute honnêteté, nous avons beaucoup échangé avec nos collègues députés et essayé de discuter avec eux préalablement à la commission mixte paritaire, mais des blocages sont apparus dès le départ sur le fond et la forme. Nous sommes les premiers à regretter ce résultat non conclusif.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie . - Faut-il renoncer pour autant ?

Mme Dominique Vérien , rapporteure . - Vu l'importance du texte, je regrette à mon tour que nous ne puissions avoir une deuxième lecture. Mais lors de l'examen du texte en nouvelle lecture à l'Assemblée nationale, même la majorité n'a pas réussi à faire passer quoi que ce soit, car aucune avancée n'est possible. Quelle espérance pouvions-nous avoir au Sénat ? Je veux bien que l'on se batte contre des moulins, mais en l'occurrence ce serait de l'énergie gâchée, car il ne servirait à rien d'essayer de discuter. Car pour ce faire, il faut être deux, et pour l'instant, nous sommes bien seuls !

M. Jean-Pierre Sueur . - Je partage entièrement les propos de mes collègues de divers groupes et en particulier de Marie-Pierre de La Gontrie, et la réponse de nos rapporteures ne saurait me satisfaire. On assiste à un véritable dévoiement du rôle du Parlement. Sur un texte comme celui-là, nous aurions dû avoir deux lectures avant la commission mixte paritaire. En effet, le jeu normal de la démocratie tel qu'il est prévu par la Constitution veut que l'on améliore le texte en le peaufinant et le précisant. L'exécutif a quasiment décidé de renoncer à ces deux lectures. Après la commission mixte paritaire et en vertu de la logique de nos institutions, le Sénat devrait de nouveau établir un texte, qui pourrait être amélioré par rapport à sa version initialement votée, avant que l'Assemblée nationale ne se penche sur ces travaux. Cette idée de blocage absolu est contraire à l'intelligence de l'amélioration des textes par le jeu des navettes entre les deux assemblées. Sur tous ces sujets, rien n'est figé, les discussions ne sont pas binaires et peuvent être enrichissantes.

Je m'oppose à l'adoption de cette motion, car il faut continuer à travailler envers et contre tout.

M. François-Noël Buffet , président . - Je partage l'idée selon laquelle il aurait mieux valu aborder ce texte aussi important selon une procédure normale et non accélérée. Nous aurions ainsi pu avoir plus d'échanges avec nos collègues de l'Assemblée nationale et accroître nos chances de parvenir à un accord - nous n'avons pas eu le choix. En revanche, il ne me paraît pas souhaitable, après une commission mixte paritaire non conclusive, de remettre le travail sur la table dès lors que nous avons la certitude absolue qu'il n'aboutirait pas. On peut se faire plaisir, mais à quoi bon ?

La motion COM-3 est adoptée. En conséquence, la commission décide de soumettre au Sénat une motion tendant à opposer la question préalable au projet de loi.

L'ensemble des amendements devient sans objet.

M. François-Noël Buffet , président . - Il résulte de la décision de déposer une motion que nous n'adopterons pas de texte en commission.

Le projet de loi n'est pas adopté

Conformément au premier alinéa de l'article 42 de la Constitution, la discussion en séance portera en conséquence sur le texte adopté par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture.

Le sort des amendements examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :

Auteur

Objet

Sort de l'amendement

Article 1 er

Mme Valérie BOYER

4

Interdiction dans l'espace public des comportements, propos, signes ou tenues par lesquels les usagers manifestent ostensiblement une appartenance religieuse

Satisfait ou sans objet

Mme Valérie BOYER

5

Obligation de discrétion religieuse dans les espaces de service public

Satisfait ou sans objet

Mme Valérie BOYER

6

Neutralité religieuse et politique des personnes prenant part au service public de l'éducation

Satisfait ou sans objet

Mme Valérie BOYER

7

Interdiction des signes religieux ostensibles dans les espaces d'enseignement formel des établissements publics d'enseignement supérieur

Satisfait ou sans objet

Article 1 er bis AA (Supprimé)

Mme Valérie BOYER

8

Garantie du respect des principes de neutralité des services publics et de laïcité dans le règlement d'utilisation d'une piscine ou baignade artificielle publique à usage collectif

Satisfait ou sans objet

Article 1 er bis AB (Supprimé)

Mme Valérie BOYER

9

Interdiction du port de signes ou tenues par lesquels les usagers du service public de l'enseignement supérieur manifestent ostensiblement une appartenance religieuse dans les salles de cours, lieux et situations d'enseignement et de recherche des établissements publics d'enseignement supérieure

Satisfait ou sans objet

Mme Valérie BOYER

10

Interdiction du port de signes ou tenues par lesquels des mineurs manifestent ostensiblement une appartenance religieuse

Satisfait ou sans objet

Mme Valérie BOYER

11

Interdiction du port signe religieux ostentatoire par les mineurs dans l'espace public mais aussi de vêtement qui signifierait pour eux l'infériorisation de l'homme sur la femme.

Satisfait ou sans objet

Article 2 bis

Mme Valérie BOYER

12

Neutralité religieuse des assesseurs

Satisfait ou sans objet

Article 2 ter (Supprimé)

Mme Valérie BOYER

13

Interdiction des listes communautaires

Satisfait ou sans objet

Article 4

Mme Valérie BOYER

15

Répression des pressions et aux insultes que pourraient subir les personnes chargées de l'exécution d'un service public, afin d'obtenir une exemption totale, partielle ou une application différenciée des règles qui régissent ce service

Satisfait ou sans objet

Mme Valérie BOYER

16

Rétablissement du texte du Sénat

Satisfait ou sans objet

Mme Valérie BOYER

17

Rétablissement du texte du Sénat

Satisfait ou sans objet

Mme Valérie BOYER

18

Obligation de prononcé d'une interdiction du territoire français en cas de condamnation

Satisfait ou sans objet

Mme Valérie BOYER

14

Renforcement des sanctions

Satisfait ou sans objet

Article 4 bis

Mme Valérie BOYER

19

Respect de la fonction d'enseignant

Satisfait ou sans objet

Article 5 bis (Supprimé)

Mme Valérie BOYER

20

Rétablissement du texte du Sénat

Satisfait ou sans objet

Article 8

Mme Valérie BOYER

21

Interdiction des réunions non-mixtes

Satisfait ou sans objet

Article 14

Mme Valérie BOYER

22

Interdiction des titres de séjour pour les personnes coupables de mutilation sexuelle sur une personne mineure

Satisfait ou sans objet

Article 14 bis A (Supprimé)

Mme Valérie BOYER

23

Renforcement des sanctions

Satisfait ou sans objet

Article 15 bis (Supprimé)

Mme Valérie BOYER

24

Compétence des Caisses d'allocations familiales po signaler pour Procureur de la République les situations de polygamie.

Satisfait ou sans objet

Article 16 ter

Mme Valérie BOYER

25

Renforcement des sanctions

Satisfait ou sans objet

Article 17

Mme Valérie BOYER

26

Rétablissement du texte du Sénat

Satisfait ou sans objet

Mme Valérie BOYER

52

Prolongation du délai de sursis à célébration d'un mariage prononcé par le Procureur de la République

Satisfait ou sans objet

Article 21

Mme Valérie BOYER

27

Suppression de l'article

Satisfait ou sans objet

Article 24

Mme Valérie BOYER

28

Rétablissement du texte du Sénat

Satisfait ou sans objet

Article 24 quinquies (Supprimé)

Mme Valérie BOYER

30

Rétablissement du texte du Sénat

Satisfait ou sans objet

Article 24 sexies (Supprimé)

Mme Valérie BOYER

32

Rétablissement du texte du Sénat

Satisfait ou sans objet

Article 24 septies (Supprimé)

Mme Valérie BOYER

33

Rétablissement du texte du Sénat

Satisfait ou sans objet

Article 24 octies A (Supprimé)

Mme Valérie BOYER

35

Rétablissement du texte du Sénat

Satisfait ou sans objet

Article 24 nonies (Supprimé)

Mme Valérie BOYER

36

Rétablissement du texte du Sénat

Satisfait ou sans objet

Article 24 quindecies (Supprimé)

Mme Valérie BOYER

38

Possibilité de suspendre les allocations familiales et de rentrée scolaire en cas de manquements persistants aux obligations scolaires.

Satisfait ou sans objet

Article 25

Mme Valérie BOYER

40

Respect de la laïcité et de la neutralité pour les éducateurs sportifs

Satisfait ou sans objet

Mme Valérie BOYER

41

Obligation des fédérations délégataires et agrées en matière de respect des principes d'égalité et de neutralité

Satisfait ou sans objet

Article 25 bis E (Supprimé)

Mme Valérie BOYER

42

Rétablissement du texte du Sénat

Satisfait ou sans objet

Article 31

M. REICHARDT

2

Faculté pour les établissements publics du culte de posséder et d'administrer tous immeubles acquis à titre gratuit

Satisfait ou sans objet

M. REICHARDT

1

Suppression de l'interdiction de tenir des réunions politiques dans les dépendances qui constituent un accessoire indissociable d'un lieu de culte

Satisfait ou sans objet

Article 35

Mme Valérie BOYER

43

Principe d'interdiction de financement direct des organisations, établissements et lieux cultuels par des États étrangers,

Satisfait ou sans objet

Mme Valérie BOYER

45

Réduction du délai dans lequel l'association bénéficiaire est tenue de restituer des avantages et ressources

Satisfait ou sans objet

Mme Valérie BOYER

46

Rétablissement du texte du Sénat

Satisfait ou sans objet

Article 38

Mme Valérie BOYER

48

Rétablissement du texte du Sénat

Satisfait ou sans objet

Mme Valérie BOYER

49

Sanction du fait d'imposer à autrui des pratiques religieuses

Satisfait ou sans objet

Article 39

Mme Valérie BOYER

51

Rétablissement du texte du Sénat

Satisfait ou sans objet

Intitulé du projet de loi

Mme Valérie BOYER

54

Mention de la lutte contre le séparatisme dans l'intitulé du projet de loi

Satisfait ou sans objet

LA LOI EN CONSTRUCTION

Pour naviguer dans les rédactions successives du texte, le tableau synoptique de la loi en construction est disponible sur le site du Sénat à l'adresse suivante :

http://www.senat.fr/dossier-legislatif/pjl20-369.html

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