B. L'ÉCHEC DE LA PROPOSITION DE DIRECTIVE DÉFINISSANT UN CADRE POUR LA PROTECTION DES SOLS

L'importance de la protection des sols à l'échelle de l'Union européenne a été reconnue par le 6 e programme d'action communautaire pour l'environnement « Environnement 2010 : notre avenir, notre choix » , présenté en 2001 par la Commission et adoptée par le Conseil et le Parlement le 22 juillet 2002. Ce programme fixe les objectifs de l'Union européenne dans le domaine de l'environnement pour la décennie 2002-2012, notamment la protection des ressources naturelles et la promotion de l'utilisation durable des sols. Il préconise ainsi l'élaboration de sept stratégies thématiques dont une en faveur de la protection des sols .

1. L'adoption d'une stratégie thématique pour la protection des sols

À partir de 2002, la Commission européenne s'engage dans une politique de protection des sols dans le cadre d'une communication intitulée « vers une stratégie thématique pour la protection des sols » qui constitue le point de départ de la reconnaissance de l'enjeu des sols en Europe . Après un processus d'élaboration impliquant de nombreuses parties prenantes, la stratégie thématique en faveur de la protection des sols est adoptée le 22 septembre 2006 . Elle comporte trois documents :

- une communication de la Commission au Conseil, au Parlement européen, au Comité économique et social européen et au Comité des régions ;

- une proposition de directive du Parlement européen et du Conseil définissant un cadre pour la protection des sols et modifiant la directive 2004/35/CE 9 ( * ) ;

- un résumé de l'étude d'impact.

Dépourvue de portée juridique, cette stratégie a pour ambition de placer la protection des sols au même rang que la protection de l'eau et de l'air . Elle traite des différentes menaces existantes et crée un cadre commun pour la protection des sols. Il s'agit de mettre fin au processus de dégradation des sols et de les remettre en l'état, d'en garantir une bonne qualité pour les générations à venir et de leur permettre d'assurer la viabilité des écosystèmes, indispensables aux activités économiques et à la qualité de vie.

La stratégie thématique est basée sur quatre piliers :

- une législation spécialisée sous la forme d'une directive-cadre sur les sols ;

- l'intégration des aspects de protection des sols dans d'autres politiques sectorielles ;

- le développement des connaissances par des études et des projets de recherche ;

- les actions de sensibilisation du public à la protection des sols.

Seuls les trois derniers piliers ont été mis en oeuvre par la Commission européenne . Ainsi, dans le cadre de l'examen de la directive relative à la prévention et à la réduction intégrées de la pollution, un renforcement des mesures pour empêcher la pollution des sols et des eaux souterraines par les installations industrielles a été proposé. Des rapports ont aussi été publiés sur les liens entre le sol et le changement climatique (rapport CLIMSOIL) et sur le rôle de la biodiversité du sol dans le recyclage de la matière organique et de la fertilité des sols. La Commission européenne a également publié des ouvrages de référence, destinés notamment au grand public, sur les sols et la diversité biologique (Atlas européen des sols ; Atlas européen sur la diversité des sols...)

Un bilan d'étape, réalisé en février 2012, a toutefois constaté l'échec de cette politique faute d'outils juridiques contraignants . Il relève que tous les Etats membres n'ont pas mis en oeuvre de façon efficace et cohérente des mesures de protection des sols.

2. Une minorité de blocage a conduit au retrait de la proposition de directive neuf ans après sa présentation

À la suite des différentes consultations qu'elle a conduites, la Commission européenne a proposé, en 2006, un projet de directive-cadre pour la protection des sols . Le choix d'un instrument juridique souple a été privilégié. Ce projet définissait un cadre pour la protection des sols et la préservation de leur capacité à remplir leurs fonctions écologiques, économiques, sociales et culturelles. Il se fondait sur les motivations suivantes : « Le sol est essentiellement une ressource non renouvelable, ainsi qu'un système très dynamique qui remplit de nombreuses fonctions et qui joue un rôle crucial pour les activités humaines et la survie des écosystèmes. Les informations disponibles font apparaître une recrudescence des processus de dégradation des sols au cours des dernières décennies, et certains éléments démontrent que le phénomène va se poursuivre si rien n'est fait.

L'acquis communautaire comprend certaines dispositions en matière de protection des sols, mais il n'existe pas de législation communautaire spécifique dans ce domaine. La présente proposition vise à combler cette lacune. »

Les principales mesures prévues par la proposition de directive étaient les suivantes :

- un recensement des zones à risques de dégradation du sol, dans un délai de cinq ans, à compter de la date de transposition de la directive par les États membres, qui doivent alors déterminer les programmes de réduction des risques au regard d'objectifs qu'ils se fixent eux-mêmes ;

- l'établissement par les États membres d'un programme de mesures pour ces zones à risques afin de préserver les différentes fonctionnalités des sols, au plus tard dans un délai de sept ans à compter de la transposition de la directive ;

- un inventaire des sites contaminés par la présence de substances dangereuses résultant de l'activité humaine, actuelle ou passée, et présentant un risque important pour la santé ou l'environnement, dans un délai de cinq ans à compter de la transposition de la directive ;

- la mise en oeuvre de mesures d'assainissement, sur la base de stratégies nationales exigeantes et de mécanismes de financement pour assurer la dépollution des sites « orphelins ».

Malgré le vote favorable du Parlement européen ainsi que les avis favorables du Comité des régions et du Conseil européen économique et social, la proposition de directive-cadre a été bloquée par le Conseil environnement du 20 décembre 2007 . L'opposition de quatre pays, l'Autriche, le Royaume-Uni, les Pays-Bas, l'Allemagne et l'abstention de la France , inquiets « des enjeux importants tant en matière de politique industrielle qu'au regard de l'activité agricole » mais aussi du coût induit par la mise en oeuvre des mesures envisagées, plus particulièrement pour répondre à la contamination des sols, n'a pas permis alors à ce projet d'aboutir.

Cette minorité de blocage a ainsi empêché l'adoption du texte malgré le vote favorable de vingt-deux États membres et les efforts de la présidence portugaise pour parvenir à un compromis. Déçu, le commissaire à l'environnement, M. Stavros Dimas, a alors déclaré : « C'est une occasion ratée d'améliorer la protection de l'environnement et de renforcer la lutte contre le changement climatique. J'attends avec impatience de pouvoir travailler avec le Conseil afin de parvenir à un compromis politique dès que possible » .

La délégation aux affaires européennes du Sénat qui a examiné la proposition de directive-cadre, le 9 novembre 2006, puis le 13 février 2007 10 ( * ) , dans le cadre de la procédure expérimentale de contrôle des principes de subsidiarité et proportionnalité par les parlements nationaux, avait alors elle aussi émis des réserves « sur le coût des mesures envisagées au regard des avantages attendus » . Le Gouvernement français, tout en étant favorable à une stratégie européenne en la matière, était opposé au volet relatif à la contamination des sols au motif qu'il privait les États membres de leur choix en matière de modalités de gestion et portait ainsi atteinte au principe de subsidiarité. Ainsi la France s'est abstenue en raison du coût financier que représentait l'obligation d'inventaire des sites pollués, de diagnostic et de dépollution, susceptible de concerner 300 000 sites mais aussi en raison de la nécessité d'adopter des mesures de remise en état des sols pollués ou dégradés.

Les discussions se sont poursuivies jusqu'au début des années 2010, sous les présidences française, tchèque et espagnole notamment. Le texte rencontre toujours l'opposition ou l'hésitation de plusieurs États membres, qui ne sont pas convaincus de la nécessité d'adopter une directive en la matière même s'ils acceptent la définition d'une stratégie commune. Ces États (Allemagne, Autriche, Pays-Bas) insistent sur le respect du principe de subsidiarité et de proportionnalité et la pour prise en compte des spécificités nationales et locales .

Neuf ans après sa présentation, la proposition de directive-cadre pour la protection des sols est définitivement abandonnée du fait de son inscription dans la décision du 21 mai 2014 portant « retrait de propositions de la Commission qui ne revêtent plus un caractère d'actualité » .

Par la suite, des éléments relatifs aux sols ont été insérés dans plusieurs textes connexes dont :

- la « Feuille de route pour une Europe efficace dans l'utilisation des ressources », adoptée le 20 septembre 2009 ;

- le 7 e programme d'Action pour l'Environnement 2013-2020.

Une initiative citoyenne européenne a été engagée en septembre 2016, en application de l'article 11.4 du traité sur l'Union européenne, afin de faire pression sur les institutions européennes pour que soit adoptée une législation spécifique en matière de protection du sol. Toutefois la pétition n'a pas recueilli le nombre de signatures nécessaires pour que la Commission européenne s'en saisisse.

Cet échec montre la difficulté de concrétiser une politique de protection des sols à l'échelle de l'Union européenne. Or l'adoption d'une proposition de directive-cadre sur les sols devait être la pierre angulaire dans la mise en oeuvre d'une véritable politique de protection des sols au niveau de l'Union européenne.


* 9 Directive du 21 avril 2004 sur la responsabilité environnementale en ce qui concerne la prévention et la réparation des dommages environnementaux

* 10 Proposition de résolution n° 284 (2006-2007), déposée par M. Paul Raoult, sur la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil définissant un cadre pour la protection des sols - Procédure écrite du 13 février 2007.

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