II. LES DIFFICULTÉS RENCONTRÉES POUR FAIRE ÉMERGER UN VÉRITABLE DROIT DES SOLS AU NIVEAU EUROPÉEN

A. DES DISPOSITIONS LÉGISLATIVES ÉPARSES QUI TÉMOIGNENT D'UNE APPROCHE PARCELLAIRE DE LA POLITIQUE EUROPÉENNE DE PROTECTION DES SOLS

C'est à partir du début des années 2000 que les sols commencent à être considérés par le droit européen. Leur protection et leur réhabilitation sont progressivement mieux prises en compte, souvent à la suite de catastrophes industrielles. On privilégie alors une approche sectorielle fondée sur des enjeux industriels, environnementaux ou de santé. Des dispositions éparses figurent ainsi dans différentes directives européennes .

1. Malgré le rôle pionnier du Conseil de l'Europe...

L'adoption par le Conseil de l'Europe, en 1972, d'une charte européenne des sols , révisée en 2003, joue un rôle pionnier dans la politique de conservation des sols à l'échelle européenne. Cette charte intergouvernementale qui comprend un préambule et douze principes n'a cependant pas de valeur normative. Elle affirme que le sol est un des biens les plus précieux de l'humanité et une ressource limitée qui se détruit facilement. Le sol y est aussi qualifié de « milieu vivant et dynamique qui permet l'existence de la vie végétale et animale ». Un de ses paragraphes traite ainsi de la nécessité de protéger les sols de la menace que constitue la pollution : « La gravité des problèmes liés aux anciens ou actuels sites contaminés (dépôts de déchets, anciennes mines, anciennes usines, sites d'anciens accidents, etc.) impose une politique adéquate de protection des sols au niveau de la prévention des dégradations et de la restauration ou réhabilitation des sols » .

La Charte révisée éclaire ainsi sur les préoccupations en matière d'état des lieux des sols et les différencie de l'eau et de l'air. Enfin, elle adresse des recommandations aux États membres pour faire évoluer leur droit national afin de garantir de manière appropriée la protection des sols.

2. ...L'enjeu de la protection des sols a émergé tardivement et de façon fragmentaire dans le droit de l'Union européenne
a) La « multidimensionnalité » des sols dans les traités européens

La difficulté à faire émerger une législation européenne sur les sols résulte en partie des traités. Les sols ne sont pas identifiés comme relevant d'une compétence partagée ou exclusive de la Commission européenne. Force est de noter qu'ils recouvrent des réalités diverses qui ne sont pas nécessairement prises en compte par les traités européens. Comme l'a relevé le professeur Philippe Billet, directeur de l'Institut du droit de l'environnement de Lyon, lors de son audition par les rapporteurs, le sol est essentiellement envisagé en tant que support d'activités ou prestataire de services.

La définition d'un cadre réglementaire européen se heurte au « régime de propriété » qui relève de la compétence propre des États membres . L'article 345 du TFUE dispose que « les traités ne préjugent en rien le régime de la propriété dans les États membres » . Cette réserve de compétence nationale restreint donc le champ d'intervention de l'Union en matière de gestion des sols.

En revanche, la protection des sols et la prévention de leur dégradation relèvent des articles 191 à 193 du TFUE, qui fixent les objectifs de la politique environnementale de l'Union européenne , et plus particulièrement un « niveau de protection élevé » dans le domaine de l'environnement. L'action de l'Union européenne doit donc se concentrer sur ce qui se passe à proximité des sols ou dans le sous-sol. Toutefois, et par dérogation à la procédure législative ordinaire applicable à la protection de l'environnement qui requiert un vote à la majorité qualifiée au Conseil et une décision conjointe du Parlement européen, l'article 192 du TFUE soumet à la règle de l'unanimité au Conseil, et à une simple consultation du Parlement européen, les mesures relatives à l'aménagement du territoire et à l'affectation des sols , à l'exception de la gestion des déchets.

Ainsi les États membres sont-ils particulièrement vigilants sur le respect des principes de subsidiarité et de proportionnalité . La protection des sols est essentiellement un enjeu national. Le sol est, en effet, perçu comme un élément de la souveraineté des États. Lors de nos auditions, il nous a été indiqué que des pays comme l'Allemagne ou les Pays-Bas qui disposent déjà d'une législation spécifique pour la protection des sols sont peu enclins à l'adoption de dispositions contraignantes dans un cadre européen.

b) Une dizaine de directives environnementales prennent en considération la protection des sols et la prévention de leur dégradation

Des dispositions éparses relatives à la protection des sols figurent dans plusieurs directives européennes en l'absence d'un cadre juridique européen spécifique à ce sujet . Les sols sont aussi pris en compte dans différentes politiques sectorielles de l'Union européenne, notamment en raison du caractère transversal de la politique environnementale.

Les dispositions en faveur de la protection des sols concernent ainsi de nombreux secteurs et leur élaboration a surtout eu pour objectif de sauvegarder d'autres milieux naturels tels que l'air et l'eau. Malgré les efforts réalisés, il n'existe pas de cadre juridique garantissant la protection des sols et la prévention de leur dégradation qui s'imposerait à l'ensemble des États membres. L'approche est encore aujourd'hui fragmentaire.

La Commission européenne a identifié trente-sept instruments réglementaires et non réglementaires au niveau de l'Union européenne qui ont un impact sur la protection des sols .

La législation européenne comprend ainsi un certain nombre de directives qui traitent de la qualité des sols en fonction d'enjeux environnementaux et de santé publique - c'était également le cas pour l'eau ou l'air avant l'adoption de directives spécifiques à ces milieux :

- directive 82/501/CEE du Conseil du 24 juin 1982, dite « Seveso 1 », concernant les risques d'accidents majeurs de certaines activités industrielles ;

- directive 86/278/CEE du Conseil du 12 juin 1986 relative à la protection de l'environnement et notamment des sols, lors de l'utilisation des boues d'épuration en agriculture ;

- directive 91/676/CEE du Conseil du 12 décembre 1991 concernant la protection des eaux contre la pollution par les nitrates à partir de sources agricoles ;

- directive 92/43/CEE du 21 mai 1992 concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages ;

- directive 96/82/CE du Conseil du 9 décembre 1996, dite « Seveso 2 », concernant la maîtrise des dangers liés aux accidents majeurs impliquant des substances dangereuses ;

- directive 2000/60/CE établissant un cadre pour l'action communautaire dans le domaine de la politique de l'eau ;

- directive 2001/42/CE relative aux études d'impact pour l'évaluation des incidences de certains plans et programmes sur l'environnement ;

- directive 2004/35/CE du 21 avril 2004 sur la responsabilité environnementale en ce qui concerne la prévention et la réparation des dommages environnementaux ;

- directive 2006/21/CE du Parlement européen et du Conseil du 15 mars 2006 concernant la gestion des déchets de l'industrie extractive et modifiant la directive 2004/35/CE ;

- directive 2010/75/UE du 24 novembre 2010 relative aux émissions industrielles ;

- directive 2011/92/UE du 13 décembre 2011 concernant l'évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l'environnement ;

- directive 2012/18/UE du 4 juillet 2012 dite directive « Seveso 3 », relative aux accidents majeurs impliquant des substances dangereuses.

Cette absence d'une législation européenne spécifique résulte principalement de l'échec du processus d'adoption d'une directive définissant un cadre pour la protection des sols, présentée en septembre 2006 par la Commission européenne.

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