C. LA PHASE SIMPLIFIÉE D'EXPROPRIATION FAISANT SUITE AU CONSTAT DE L'ÉTAT MANIFESTE D'ABANDON

Dans l'hypothèse où le conseil municipal a déclaré la parcelle en état manifeste d'abandon en vue de son expropriation, celle-ci est mise en oeuvre selon une procédure qui s'appuie à la fois sur des règles spécifiques prévues par le CGCT ainsi que sur des règles de droit commun prévues par le code de l'expropriation pour cause d'utilité publique.

Expropriation et protection de la propriété privée

L'expropriation définit « en un sens générique, toute opération tendant à priver contre son gré de sa propriété un propriétaire foncier, plus généralement à dépouiller le titulaire d'un droit réel immobilier de son droit » 15 ( * ) .

Le droit français conçoit l'expropriation comme une atteinte exceptionnelle au droit de propriété. L'article 17 de la Déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen (DDHC) de 1789 dispose, en ce sens, que « la propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n'est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l'exige évidemment, et sous la condition d'une juste et préalable indemnité » .

L'équilibre entre protection de la propriété privée et nécessité d'exproprier est également rappelé en droit international. L'article 1 er du protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 20 mars 1952 stipule ainsi que « toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international » .

Enfin, l'article 17 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne du 7 décembre 2000 dispose que « toute personne a le droit de jouir de la propriété des biens qu'elle a acquis légalement, de les utiliser, d'en disposer et de les léguer. Nul ne peut être privé de sa propriété, si ce n'est pour cause d'utilité publique, dans des cas et conditions prévus par une loi et moyennant en temps utile une juste indemnité pour sa perte. L'usage des biens peut être réglementé par la loi dans la mesure nécessaire à l'intérêt général ».

Si l'article 545 du code civil dispose, dans une rédaction inchangée depuis 1804, que « nul ne peut être contraint de céder sa propriété, si ce n'est pour cause d'utilité publique, et moyennant une juste et préalable indemnité » , c'est aujourd'hui le code de l'expropriation pour cause d'utilité publique qui fixe les règles applicables.

Le maire peut constituer un dossier présentant, d'une part, le « projet simplifié d'acquisition publique » et, d'autre part, « l'évaluation sommaire de son coût » 16 ( * ) . Celui-ci est tenu à la disposition du public pendant une durée minimum d'un mois afin qu'il puisse formuler d'éventuelles observations. Cette phase remplace, d'une certaine manière, l'enquête publique mise en oeuvre dans le cadre des procédures habituelles d'expropriation.

Si ce dossier n'est pas constitué dans les six mois suivant le procès-verbal définitif déclarant l'état manifeste d'abandon ou si le maire le demande, le président de l'établissement public de coopération intercommunale (EPCI) compétent en matière d'habitat ou du conseil départemental peut poursuivre la procédure en constituant le dossier selon des modalités proches de celles qui s'imposent au maire.

À la suite de cette procédure, le représentant de l'État dans le département prend un arrêté dans les formes prévues à l'article L. 2243-4 du CGCT. Cet arrêté déclare, notamment, l'utilité publique du projet, détermine les parcelles concernées, fixe le montant de l'indemnité provisionnelle et détermine la date de prise de possession du bien sous condition du paiement ou de la consignation de l'indemnité provisionnelle par l'autorité expropriante. Les modalités de transfert de propriété et l'indemnisation des propriétaires expropriés suivent le droit commun de l'expropriation via une cession amiable ou une ordonnance prononcée par le juge de l'expropriation.

Le régime de droit commun de l'expropriation

La procédure d'expropriation se déroule en deux temps. La première phase, préparatoire, est de nature administrative. Elle a pour but de démontrer l'utilité publique du projet à l'origine de l'expropriation, avec une possibilité de recours devant le juge administratif. La seconde phase est, elle, placée sous le contrôle du juge judiciaire puisque l'autorité judiciaire est la gardienne de la liberté individuelle 17 ( * ) . Elle a pour but de déterminer le montant de l'indemnité versée à la personne expropriée de son bien ainsi que de veiller aux conditions du paiement de cette indemnité ou, le cas échéant, de sa consignation.

La phase administrative se décompose elle-même en deux étapes : une enquête publique puis une enquête parcellaire.

L'enquête publique a pour finalité d'assurer l'information du public. Elle est ouverte par arrêté préfectoral à la suite de la transmission d'un dossier à la préfecture par la personne publique concernée. Ce dossier comprend, notamment, une description du projet, un plan de sa situation ainsi qu'un périmètre délimitant les biens à exproprier et l'estimation des acquisitions à réaliser.

À la suite de l'arrêté préfectoral, l'enquête est menée sur le terrain par un commissaire enquêteur et bénéficie d'une large publicité dans le département concerné. Dans l'hypothèse où elle se montre concluante, l'enquête débouche sur le prononcé d'une déclaration d'utilité publique du projet (DUP) qui est susceptible de recours devant le juge administratif.

L'enquête parcellaire est également ouverte par arrêté préfectoral et menée par un commissaire enquêteur. Elle se base sur le descriptif précis des parcelles devant faire l'objet d'une expropriation. Elle a pour but de déterminer précisément les biens situés dans l'emprise du projet et d'identifier leurs propriétaires. Cette enquête aboutit, le cas échéant, à un arrêté préfectoral actant la cessibilité des parcelles, publié au recueil départemental des actes administratifs et notifié aux propriétaires concernés.

Le transfert de propriété est la conséquence de la DUP et de l'arrêté de cessibilité. À défaut d'accord amiable entre le propriétaire concerné et l'autorité expropriante, le juge de l'expropriation près le tribunal judiciaire est saisi afin qu'il prononce une ordonnance d'expropriation.

Cette ordonnance a pour effet de transférer les droits réels et la propriété du bien à la personne publique, sous réserve que l'expropriant ait « procédé au paiement de l'indemnité ou, en cas d'obstacle au paiement ou de refus de le recevoir, à la consignation de l'indemnité ou qu'il ait obtenu l'acceptation ou la validation de l'offre d'un local de remplacement » 18 ( * ) . L'ancien propriétaire conserve seulement la jouissance du bien jusqu'au paiement ou à la consignation de l'indemnité.

Le montant de l'indemnité est fixé amiablement lorsque le propriétaire accepte l'offre de l'autorité expropriante ou, à défaut, par le juge de l'expropriation. Elle est composée d'une indemnité principale correspondant à la valeur vénale du bien exproprié ainsi que d'éventuelles indemnités accessoires réparant les préjudices causés par l'expropriation.

Le code de l'expropriation pour cause d'utilité publique précise, en outre, que « dans le délai d'un mois, soit du paiement de l'indemnité ou, en cas d'obstacle au paiement, de sa consignation, soit de l'acceptation ou de la validation de l'offre d'un local de remplacement, les détenteurs sont tenus de quitter les lieux. Passé ce délai qui ne peut, en aucun cas, être modifié, même par autorité de justice, il peut être procédé à l'expulsion des occupants » 19 ( * ) .

En cas d'urgence, le juge peut, s'il ne s'estime pas suffisamment éclairé, « fixer le montant d'indemnités provisionnelles et autoriser l'expropriant à prendre possession moyennant le paiement ou, en cas d'obstacle au paiement, la consignation des indemnités fixées » 20 ( * ) .


* 15 Vocabulaire juridique, Gérard Cornu, association Henri Capitant, puf.

* 16 Article L. 2243-4 du CGCT.

* 17 Article 66 de la Constitution du 4 octobre 1958.

* 18 Article L. 222-1 du code l'expropriation pour cause d'utilité publique.

* 19 Article L. 231-1 du code l'expropriation pour cause d'utilité publique.

* 20 Article L. 232-1 du code l'expropriation pour cause d'utilité publique.

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