CHAPITRE III

RECRUTEMENT DES PRATICIENS HOSPITALIERS
ET MESURES DIVERSES D'EMPLOI
DANS LES ÉTABLISSEMENTS PUBLICS DE SANTÉ

Article 3
Simplification du recrutement des praticiens hospitaliers

Cet article propose d'introduire dans la loi le principe d'une simplification du recrutement des praticiens hospitaliers. La commission s'est inquiétée d'un dispositif qui érige au rang législatif, en une formule expéditive, une matière qui fait actuellement l'objet d'une déclinaison réglementaire détaillée, à laquelle de nombreux acteurs restent attachés. Elle a donc adopté un amendement visant à préciser ses impacts.

I - Le recrutement des praticiens hospitaliers (PH) constitue l'un des éléments de la réforme de leur statut

A. Le statut de praticien hospitalier : un défaut d'attractivité

Les enjeux soulevés par le statut de praticien hospitalier (PH), bien que particulièrement mis en exergue au cours de la crise sanitaire du premier semestre 2020, font depuis longtemps l'objet de réflexions. La baisse importante du nombre des médecins candidats au concours national de praticiens hospitaliers observée depuis 2015, aggravée depuis 2017, a en effet conduit le Gouvernement à ouvrir un chantier spécifique.

Source : Centre national de gestion

La désaffection des jeunes médecins pour la carrière hospitalière publique a par ailleurs été confirmée par les chiffres communiqués à votre rapporteur par l'intersyndicale nationale des internes (ISNI), selon laquelle 23 % seulement des internes désirent rester à l'hôpital public à l'issue de leur internat , donnée d'autant plus significative que l'hôpital public leur a fourni le cadre de leur formation. Contrairement aux idées couramment répandues, l'ISNI a souligné que le niveau de la rémunération n'en était pas la seule cause, comme le montre l'attractivité qu'exerce le secteur privé non lucratif, où les rémunérations sont similaires.

Par ailleurs, le niveau du taux de vacance statutaire des praticiens hospitaliers - qui désigne l'écart entre les postes budgétés et les postes occupés - est estimé par le centre national de gestion (CNG) au 1 er janvier 2019 à 29,1 % pour les praticiens à temps plein et à 48,9 % pour les praticiens à temps partiel, soit une hausse par rapport à 2018 de respectivement 1,7 point et 1,9 point. D'après les auditions du rapporteur, ce taux de vacance statutaire se maintient aujourd'hui (pour les PH à temps plein) à près de 30 % .

L'article 13 de la loi du 24 juillet 2019 relative à l'organisation et à la transformation du système de santé (OTSS) 21 ( * ) , dite « loi Buzyn » avait en conséquence de ce constat identifié deux grands axes d'amélioration du statut de PH , en habilitant le Gouvernement à prendre par ordonnance toute mesure relevant du domaine de la loi pour :

- « faciliter la diversification des activités entre l'activité hospitalière publique, des activités partagées entre structures de santé ou médico-sociales et un exercice libéral, dans leur établissement ou non, pour décloisonner les parcours professionnels et renforcer l'attractivité des carrières hospitalières ;

- simplifier et adapter les conditions et les motifs de recrutement par contrat pour mieux répondre aux besoins des établissements, notamment dans les spécialités où ces derniers rencontrent le plus de difficultés à recruter, et pour faciliter l'intervention des professionnels libéraux à l'hôpital » 22 ( * ) .

Outre les difficultés soulevées, pour des sujets d'une telle ampleur, par le dessaisissement du Parlement - aggravé par le retard pris dans la publication de cette ordonnance - le Sénat s'était alors ému que l'étude d'impact du projet de loi OTSS ne mentionne explicitement que le premier de ces deux axes , en associant le défaut d'attractivité du statut de PH à sa rigidité et aux difficultés éprouvées par les PH à diversifier leur activité entre milieu hospitalier et soins de ville.

L'article 3 de la présente proposition de loi, par la disposition qu'il porte relative à la « procédure de recrutement en qualité de praticien hospitalier », semble viser le deuxième axe de l'habilitation, à la nuance près - qu'il conviendra de discuter - que cette dernière se limite strictement au recrutement contractuel .

B. La définition légale des praticiens hospitaliers couvre les praticiens statutaires et les praticiens contractuels

Il faut en effet souligner qu'aux termes de l'article L. 6152-1 du code de la santé publique, qui ouvre le chapitre consacré aux « praticiens hospitaliers », cette qualité revêt deux réalités :

- les médecins, odontologistes et pharmaciens qui exercent en établissement public de santé sous un statut de « praticien hospitalier à temps plein » ou de « praticien des hôpitaux à temps partiel », dont le bénéfice est réservé aux lauréats du concours national de praticien hospitalier (CNPH) ;

- les médecins, odontologistes et pharmaciens qui exercent en établissement public de santé après avoir été recrutés par contrat et qui, sous différents statuts présentant tous des distinctions de recrutement et de rémunération (« praticiens contractuels », « praticiens attachés », « assistants des hôpitaux », « cliniciens »), exercent des missions soit identiques à celles des praticiens statutaires, soit subalternes.

Votre rapporteur souhaite à cet égard souligner l' ambiguïté du champ de l'article 3, non dissipée à ce stade de l'examen. En cohérence avec l'article L. 6152-1 du CSP, l'usage du terme « praticien hospitalier » dans un texte de loi devrait logiquement s'interpréter lato sensu , comme englobant les deux réalités statutaire et contractuelle , alors que le rapport de notre collègue députée Stéphanie Rist restreint le champ d'application de l'article 3 aux seuls praticiens statutaires. Ainsi, au-delà des impacts concrets de cette disposition, sa traduction normative, si elle inclut les praticiens recrutés par contrat, pourrait poser un problème de compatibilité avec le champ d'habilitation de l'ordonnance mentionnée.

C. L'article 3 entend lutter contre les rigidités du recrutement qui favoriseraient l'éviction des praticiens statutaires par les praticiens contractuels

1. Des modalités de recrutement qui diffèrent selon le statut du praticien hospitalier

Selon la modalité de recrutement (statutaire ou contractuelle), les formalités connaissent d'importantes variations , à ce jour toutes renvoyées à la voie réglementaire (articles R. 6152-1 et suivants du CSP).

Pour les praticiens hospitaliers à temps plein et les praticiens des hôpitaux à temps partiel , outre la condition d'avoir été lauréat du CNPH et d'être inscrit sur une liste d'aptitude unique établie par discipline et par spécialité, la procédure de recrutement se caractérise par sa lourdeur et sa complexité .

Il appartient en premier lieu au directeur de l'établissement public de santé de constater une vacance de poste et, s'il ne privilégie pas de la pourvoir par mutation interne, de la notifier au directeur général de l'agence régionale de santé (ARS), seul habilité à ouvrir le recrutement aux candidats externes. S'il y consent, le directeur général du CNG établit le profil de poste, selon des critères de spécialité et de position fixés par arrêté du ministre de la santé, et procède à sa publication sur le site internet du CNG.

À compter de cette publication, les candidats disposent d'un délai de 15 jours pour le dépôt de leur dossier. Les candidats doivent remplir plusieurs conditions, notamment une durée de fonctions effectives dans un même établissement d'au moins trois ans. À l'issue de ce délai, le chef de pôle, en concertation avec les différents responsables de service, propose plusieurs candidatures au directeur de l'établissement, à qui appartient la décision de recrutement, après consultation de la commission médicale d'établissement (CME) . La nomination fait ensuite formellement l'objet d'un arrêté du directeur général du CNG.

Pour les praticiens hospitaliers recrutés par contrat , la procédure est considérablement allégée et complètement internalisée : le contrat d'embauche est signé par le directeur de l'établissement, sur proposition du chef de pôle à l'initiative du recrutement et après avis de la CME.

En conséquence des deux phénomènes précédemment décrits - perte d'attractivité du statut de praticien hospitalier et formalités de recrutement allégées pour les praticiens contractuels - plusieurs acteurs auditionnés par votre rapporteur ont pointé une tendance croissante d'attribution de postes statutaires à des praticiens recrutés par contrat, voire sous le régime de l'intérim médical .

Une enquête nationale réalisée par le CNG en janvier 2017, qui chiffre à 39 526 le nombre de praticiens contractuels, démontrait en effet que près d' un tiers des postes de PH à titre permanent étaient provisoirement occupés par des praticiens contractuels , autrement dit que les vacances statutaires évoquées précédemment étaient quasiment toutes couvertes par des recrutements contractuels. La direction générale de l'offre de soins (DGOS) estime pour sa part à 24 711 le nombre de praticiens contractuels en équivalents temps plein (ETP) pour 2019 .

Cette tendance est regrettable à trois égards :

- le lien contractuel qui unit le directeur d'établissement au praticien contractuel place ce dernier dans une position de subordination beaucoup plus sensible que celle du praticien statutaire, susceptible de diviser les équipes de soins au sein des services ;

- par ailleurs, la rémunération connaît d'importantes variations, alors que la mission à accomplir est substantiellement la même. Ainsi, un praticien hospitalier à temps plein perçoit, au premier échelon, des émoluments annuels (hors indemnités) de 52 933,33 euros, contre 49 568,10 euros (hors indemnités) pour un praticien contractuel de niveau 1 23 ( * ) ;

- enfin, une fois son principe approuvé quand une vacance de poste n'est pas pourvue par un praticien statutaire, le recrutement du praticien contractuel est à la discrétion totale du directeur d'établissement et échappe pour une large part au contrôle du CNG ou du ministère de la santé .

2. La simplification de la procédure de recrutement statutaire portée par le présent article 3

Ainsi, l'article 3 de la présente proposition de loi vise - du moins, dans son intention - à réduire les difficultés engendrées par la complexité du recrutement statutaire en introduisant deux simplifications :

- la vacance de poste ne requerrait plus la proposition du directeur général de l'ARS , et ne ferait plus intervenir que le directeur d'établissement, à l'origine de la demande, et le directeur général du CNG, qui organiserait le recrutement ;

- le délai de recrutement serait réduit grâce à « toutes voies de simplification définies par voie réglementaire » dont pourrait user le directeur général du CNG et dont l'article ne donne pas plus de précision.

L'Assemblée nationale a adopté cet article, après l'adoption de modifications rédactionnelles.

II - La perplexité de la commission quant aux impacts normatifs et à l'opportunité de cette mesure

A. Les dangers d'une consécration du recrutement des praticiens hospitaliers au niveau législatif

Actuellement, la loi se contente de consacrer, sans dénomination distincte, la différence entre praticiens hospitaliers statutaires et praticiens hospitaliers contractuels, renvoyant au décret en Conseil d'État l'ensemble des mesures détaillant les modalités de leur recrutement. C'est à ce titre que chaque catégorie de praticien hospitalier (statutaire à temps plein, statutaire à temps partiel, contractuel, assistant des hôpitaux, clinicien) fait l'objet, dans la partie réglementaire du code de la santé publique, de dispositions de recrutement spécifiques .

Aussi, en rehaussant au niveau législatif la question du recrutement sans évoquer de différences entre PH statutaires et PH contractuels, l'article 3 de la proposition de loi étend mécaniquement son champ d'application au-delà des seuls praticiens statutaires, auxquels semble pourtant se limiter l'intention de l'auteur .

Cette interprétation littérale de l'article 3 tel qu'actuellement rédigé pose plusieurs difficultés à votre rapporteur, notamment le chevauchement avec l'habilitation donnée par le Parlement au Gouvernement à prendre par ordonnance toute mesure relative au recrutement par contrat . Il ne paraît donc pas recevable, au titre de l'article 38 de la Constitution, que le présent article 3 vise une matière - le recrutement contractuel - pour laquelle le Parlement a déjà délégué le pouvoir de légiférer.

Votre rapporteur déduit par ailleurs de la rédaction de l'article 3 un double risque :

- en n'isolant pas spécifiquement les praticiens statutaires comme objet de la procédure de recrutement allégée, elle permettrait en droit aux directeurs d'établissement de recourir aux praticiens contractuels de façon encore moins régulée ;

- l'inscription du recrutement des PH dans la loi permettrait théoriquement le contournement des dispositions réglementaires régissant actuellement le recrutement des praticiens statutaires par concours , auquel toutes les organisations représentatives de praticiens hospitaliers ont rappelé leur attachement.

Par conséquent, la commission a adopté un amendement COM-82 de votre rapporteur qui réserve la simplification de la procédure de recrutement aux seuls praticiens statutaires, et qui rappelle que ce recrutement simplifié devra respecter les principes fondamentaux du statut . Par ailleurs, l'amendement simplifie la rédaction du dispositif.

B. La pertinence des modalités de recrutement comme critère d'attractivité en question

Au-delà de ces considérations, votre rapporteur souhaite tempérer les attentes que semble susciter cet article , dont il apparaît qu'il simplifiera surtout le travail administratif du directeur d'établissement et ne luttera que très marginalement contre la perte d'attractivité du statut de praticien hospitalier.

Ce serait se méprendre gravement sur la crise des vocations de l'hôpital public que de réduire ses causes à la réticence qu'une procédure de recrutement exagérément complexe inspirerait aux candidats. Le rapport du professeur Olivier Claris 24 ( * ) , qui synthétise les causes de cette perte d'attractivité, identifie (recommandation n° 29) les vrais leviers de recrutement dans l' amélioration de la formation et les conditions de travail des étudiants et des internes , qui ne font l'objet dans le texte que d'une brève mention à l'article 11 bis .

La commission a adopté cet article ainsi modifié.

Article 4
Expérimentation d'un processus de création de postes
de praticien hospitalier au sein des groupements hospitaliers de territoire

Cet article propose d'attribuer au directeur de l'établissement support d'un groupement hospitalier de territoire (GHT) la possibilité de créer un nouveau poste de praticien hospitalier et d'affecter cette ressource à un des établissements parties du groupement. La commission, encore sceptique quant aux effets des GHT sur l'offre de soins, a estimé cet article prématuré et lui a substitué des mesures de précision des missions des GHT.

I - Une compétence exclusive accordée au directeur de l'établissement support d'un GHT pour la création de poste de praticien hospitalier

Le présent article 4 s'inscrit dans la même intention que l'article 3, en introduisant une nouvelle simplification de la procédure de recrutement des praticiens hospitaliers, inscrite cette fois dans le cadre des groupements hospitaliers de territoire (GHT) .

A. Les GHT poursuivent un objectif de rationalisation et de territorialisation de l'offre hospitalière publique

L'article L. 6132-1 du code de la santé publique (CSP) assigne au GHT la mission de permettre aux établissements qui le composent de mettre en oeuvre une stratégie de prise en charge commune et graduée du patient , dans le but d'assurer une égalité d'accès à des soins sécurisés et de qualité. Il doit par ailleurs assurer la rationalisation des modes de gestion par une mise en commun de fonctions ou par des transferts d'activités entre établissements.

Il se traduit par l'élaboration, par l'ensemble des établissements parties, d'un projet médical partagé (PMP) garantissant une « offre de proximité ainsi que l'accès à une offre de référence et de recours ». Le GHT étant explicitement dépourvu de la personnalité morale , son action se traduit matériellement par la désignation d'un « établissement support » chargé d'assurer, pour le compte des autres établissements parties du groupement, les fonctions et les activités déléguées .

En outre, l'adhésion de tout établissement public de santé à un GHT est obligatoire . Tout établissement privé peut, pour sa part, y être associé.

La création des GHT répond à une intention des pouvoirs publics clairement exprimée au sein de l' étude d'impact de la loi de modernisation de notre système de santé (MSS) de 2016 25 ( * ) « d'inciter les établissements d'un même territoire à se coordonner autour d'une stratégie de prise en charge partagée » et de « mettre en cohérence des projets médicaux des établissements d'un territoire dans le cadre d'une approche orientée patient et non plus structure ». L'étude d'impact de la loi portant organisation et transformation de notre système de santé (OTSS) de 2019 26 ( * ) estimait que 891 établissements publics étaient alors regroupés en 135 GHT , variables dans leur composition (de deux à vingt établissements), selon les territoires couverts (de 100 000 à 2,5 millions d'habitants) et par leur masse budgétaire (de moins de 100 millions à plus de 2 milliards d'euros).

Concrètement, la mise en place d'un GHT passe par la signature entre les établissements parties d'une convention constitutive , qui prévoit la réplication au niveau du groupement des instances légales de tout établissement public de santé :

- une commission médicale du groupement (CMG), qui rassemble au moins tous les présidents des commissions médicales d'établissements parties ;

- un comité stratégique , présidé par le directeur de l'établissement support ;

- un comité des usagers du groupement ;

- une commission des soins infirmiers, de rééducation et médico-techniques (CSIRMT) de groupement ;

- un comité territorial des élus locaux .

B. La création de poste de praticien hospitalier : une compétence implicitement attribuée au directeur d'établissement par le code de la santé publique

En cohérence avec le commentaire de l'article 3 de la présente proposition de loi, qui a rappelé que le recrutement d'un praticien hospitalier (PH) sur un poste vacant relevait en droit actuel de dispositions exclusivement réglementaires, la création de poste de PH suit une logique similaire, quoique moins explicite.

En effet, l'article R. 6145-19 du CSP prévoit qu'au moment de l' élaboration du budget pour l'exercice à venir , le directeur d'établissement fournisse en annexe un « tableau prévisionnel des effectifs rémunérés », dont le modèle 27 ( * ) prévoit explicitement de faire figurer l'écart en équivalents temps plein rémunéré (ETPR) entre l'exercice précédent et l'exercice à venir.

L'article L. 6143-1 du CSP, qui énumère des domaines sur lesquels le conseil de surveillance de l'établissement de santé exerce un contrôle permanent de la gestion, ne fait nulle mention de l'établissement du budget, au moins au stade de son élaboration. Le directeur d'établissement agit donc en la matière de façon relativement déliée. Il lui faut toutefois transmettre le projet de budget au directeur général de l'ARS pour approbation, afin que ce dernier fixe l'état prévisionnel des recettes et dépenses (EPRD) de l'établissement, seul acte par lequel les recettes et les dépenses seront autorisées.

C. L'article 4 dote l'établissement support du GHT d'une capacité d'intervention dans le recrutement du groupement

Dans sa version initiale, l' article 4 de la présente proposition de loi introduisait une expérimentation pour trois ans consistant pour le directeur de l'établissement support d'un GHT de décider seul de la création de postes de praticien hospitalier , sur la proposition conjointe du directeur d'établissement et du président de la CME de l'établissement partie concerné, et après avis de la CMG.

L'article 4 prévoyait également la possibilité pour le directeur général de l'ARS de s'opposer à cette décision de création de poste dans un délai d'un mois.

Le dispositif s'interprète donc comme transférant, pour une durée de trois ans, au seul directeur d'établissement support la capacité de création de nouveaux postes de PH au sein du périmètre défini par le GHT, la capacité de recrutement suite à une vacance de poste restant de la compétence de chaque établissement partie.

Par ailleurs, cet article, à l'instar de l'article 3, élève au rang législatif une matière qui n'est à ce jour régie que par des dispositions de nature réglementaire .

La commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale y a apporté deux modifications :

- elle a en premier lieu supprimé le terme « seul » de la rédaction initiale, non pour contester l'exclusivité de la compétence du directeur de l'établissement support, mais son unilatéralité ;

- elle a ensuite supprimé la possibilité ouverte au directeur général de l'ARS de s'opposer à la décision de création de poste , en invoquant concurremment des arguments de portée distincte. Elle a, d'une part, manifesté une forme de perplexité face à l'intervention du directeur général de l'ARS dans la procédure de création de poste, faisant siens les souhaits exprimés par plusieurs acteurs de terrain selon lesquels cette procédure devait relever de l'établissement uniquement. D'autre part, elle a implicitement indiqué qu' il demeurait préférable de ne pas menacer l'application des dispositions réglementaires en vigueur , qui prévoient l'approbation du directeur général de l'ARS sur les tableaux prévisionnels d'effectifs, par l'adoption d'une mesure législative potentiellement contraire.

Outre un amendement de coordination, l'Assemblée nationale a enfin adopté, en séance publique, un amendement prévoyant que l'avis rendu par la CMG devait tenir compte de la conformité de cette création de poste avec le PMP du GHT .

II - Des incertitudes persistantes sur les impacts des GHT, qui ont conduit la commission à préférer des dispositions de précision de leurs missions

A. Un dispositif largement prématuré

Votre rapporteur souhaite inscrire l'examen de cet article dans le contexte plus général d'une appréciation de l'impact des GHT, sur laquelle la commission des affaires sociales du Sénat a demandé une étude à la Cour des comptes, publiée en octobre 2020 .

L'étude de la Cour des comptes et le conflit d'interprétation
de la commission des affaires sociales du Sénat

La demande de la commission s'est fondée sur plusieurs avertissements émis par certains détracteurs des GHT, particulièrement au cours des débats relatifs à la loi du 24 juillet 2019 sur l'organisation et la transformation de notre système de santé (OTSS). La méfiance exprimée à l'égard des GHT tenait essentiellement aux effets délétères de la tarification à l'activité (T2A), qui inciterait les établissements support à concentrer en leur faveur les activités les plus cotées, entraînant la spécialisation des établissements parties dans des activités moins valorisées qui, à terme, menaceraient leur pérennité financière .

La réponse de la Cour s'était voulue rassurante. Selon elle, aucun phénomène de concentration excessive de l'activité des GHT au profit de l'établissement support n'était à déplorer . Tout au contraire, la Cour a même affirmé qu'un « effet centrifuge » - à savoir d'éloignement du centre - était à l'oeuvre au sein des GHT, favorisant un renforcement de l'offre de soins dans les établissements parties. Elle a toutefois pris soin de préciser cet « effet centrifuge » ne se déduisait que de l'examen des données du PMSI, au sein desquelles ne figurent pas les activités et consultations externes (ACE) des établissements, qui restent l'un des principaux recours de l'activité intra-GHT (ne peuvent ainsi être appréciés les déports d'activité d'examen d'un praticien de l'établissement partie vers l'établissement support, par exemple).

La commission des affaires sociales n'avait alors que très partiellement adhéré à ces conclusions, et en avait même soulevé les biais. En effet, déduire une absence de concentration de l'activité des seules données disponibles issues de la pratique des GHT néglige les possibles stratégies de contournement mises en oeuvre par les signataires de GHT , sur lesquelles la Cour ne paraît pas s'être penchée. En effet, si l'adhésion à un GHT pour tout établissement public de santé revêt un caractère obligatoire, les formes de cette adhésion restent à l'entière discrétion des parties.

Ainsi, la commission n'écarte pas l'hypothèse selon laquelle on pourrait déduire des conclusions de la Cour des comptes, davantage que l'innocuité du modèle pour les établissements parties, une précaution ex ante que ces derniers ont mise dans la conclusion des conventions constitutives à laquelle la loi les contraint .

En conséquence, il ressort de l'examen de l'étude de la Cour des comptes que le modèle des GHT est d' application beaucoup trop récente pour qu'on puisse conclure avec certitude au bénéfice de ses impacts sur l'offre de soins . À ce seul titre, les dispositions du présent article 4 paraissent prématurées.

En dehors de cette impression générale, plusieurs acteurs auditionnés par votre rapporteur, notamment les représentants des présidents de CME, n'ont pas caché leurs inquiétudes quant aux implications concrètes de cet article . Bien que le vecteur mis en avant soit bel et bien le GHT, son absence de personnalité morale attribue mécaniquement le pouvoir décisionnaire de création de poste au directeur de l'établissement support, agissant certes ès qualité , mais dont les actes demeurent ceux d'un directeur de l'un des établissements parties au groupement .

Ainsi, en l'absence d'attribution de personnalité morale au GHT, la décision de création de poste se présente matériellement comme une décision prise par un directeur d'établissement pour un autre établissement que celui qu'il dirige . L'intervention de l'établissement destinataire de la création de poste reste certes requise, puisqu'elle ne peut se faire que sur sa proposition, mais sans que la décision finale lui appartienne . Dans un contexte général de défiance vis-à-vis des GHT, dont votre rapporteur estime qu'il est trop tôt pour le considérer comme injustifié, ce schéma décisionnel ne peut jouer en faveur du rapprochement souhaité entre les établissements concernés.

Il convient en outre de signaler que la prérogative attribuée au directeur de l'établissement support contenue dans l'article 4 est susceptible d' entrer directement en conflit avec le contenu de la convention constitutive du GHT qui, aux termes de l'article L. 6132-2 du CSP, détermine les « délégations éventuelles d'activités » et, partant, les besoins en personnel afférents. L'article 4 aurait donc pour effet de rigidifier par la loi les modalités d'un partenariat que le législateur avait jusqu'ici sagement renvoyées à l'instrument contractuel fondateur du groupement.

B. Un dispositif incompatible avec une autorisation donnée par le Parlement au Gouvernement à légiférer par ordonnance

Aux termes de l'article 37 de la loi OTSS, dans le cadre d'une habilitation générale relative au renforcement de la gouvernance médicale des GHT 28 ( * ) , la Gouvernement a été autorisé par le Parlement à prendre par voie d'ordonnance toute mesure visant notamment à « définir l'articulation des compétences respectives en matière de gestion des ressources humaines médicales, odontologiques, pharmaceutiques et maïeutiques des directeurs d'établissements parties à un GHT et des directeurs d'établissements support de GHT ».

Ainsi, la matière visée par l'article 4 de la présente proposition de loi, permettant au directeur de l'établissement support d'engager une création de poste pour le compte de l'un des établissements parties, entre explicitement dans le champ de l'ordonnance précitée . En conséquence, l'article 4 se trouve être irrecevable au titre de l'article 38 de la Constitution .

C. La commission propose la réécriture de l'article

Compte tenu du caractère prématuré d'une part, irrecevable d'autre part du présent article 4, la commission a adopté, sur proposition de votre rapporteur, un amendement COM-83 de réécriture globale, qui reprend certaines propositions qu'elle avait formulées lors de l'examen de l'étude de la Cour des comptes précitée 29 ( * ) .

L'amendement s'efforce en premier lieu de répondre à l'une des demandes émises par l'ensemble des acteurs auditionnés, professionnels de santé et directeurs d'établissement, qui ont indiqué à votre rapporteur l'urgence de faire du projet territorial de santé (PTS) un instrument déterminant dans la structuration de l'offre de soins. Pour rappel, le PTS, fruit de la concertation de l'ensemble des acteurs de santé d'un territoire, fournit le reflet le plus fidèle des besoins de santé exprimés à l'échelle d'un bassin de vie. À l'heure actuelle, bien que fortement encouragée par les pouvoirs publics, son élaboration n'est pas obligatoire ; reprenant la recommandation n° 42 du rapport du professeur Olivier Claris, l'amendement inscrit dans la loi cette obligation .

Par ailleurs, la loi prévoit l'engagement explicite des professionnels de santé libéraux dans l'élaboration du PTS, mais se montre plus elliptique quant à celle des établissements de santé. Or, en tant qu'acteurs appelés à jouer un rôle de plus en plus structurant dans l'offre de soins territorialisée, l'implication des GHT dans la construction du PTS paraît incontournable. L'amendement prévoit donc le caractère obligatoire de cette implication .

Une fois transmis au directeur général de l'ARS, ce dernier est incité à s'inspirer du PTS lorsqu'il élabore le projet régional de santé (PRS) qui, pour sa part, est directement applicable à l'échelle de la région. Cette inspiration est censée garantir que la définition des orientations régionales en matière de couverture sanitaire tienne compte de l'expression des besoins exprimés par le terrain. L'amendement formalise ce lien en prévoyant explicitement que les besoins sanitaires ayant conduit au PRS s'appuient sur les éléments contenus dans le PTS .

Par ailleurs, l'amendement tire la conséquence d'un constat de la Cour relatif à la spécificité des soins psychiatriques. Ces derniers sont très majoritairement assurés par des établissements de santé privés à but non lucratif qui, par leur statut, ne sont pas concernés par l'adhésion obligatoire au GHT. Aussi, la coordination territoriale des soins psychiatriques peut se heurter à des difficultés d'articulations entre les projets médicaux partagés des GHT et les projets territoriaux de santé mentale (PTSM) mis en place par la filière psychiatrique. L'amendement vise à renforcer cette coordination en prévoyant la possibilité pour les premiers de mieux tenir compte des seconds.

Enfin, l'amendement se montre attentif aux craintes suscitées par les GHT de repli sur soi de l'hôpital public , peu ouvert aux structures privées et à la médecine de ville, empêchant la création de parcours de soins que tous les acteurs de la santé appellent aujourd'hui de leurs voeux. Il précise donc que le comité stratégique des GHT puisse s'ouvrir , avec voix consultative, aux représentants des établissements privés qui en sont membres volontaires ainsi qu'aux représentants des structures libérales qui maillent le territoire d'intervention.

Votre rapporteur souhaite préciser qu' aucune des dispositions de l'amendement n'empiète sur l'habilitation de l'article 37 de la loi OTSS . En effet, le champ de cette habilitation se limite à de stricts enjeux de gouvernance médicale et ne vise la composition du comité stratégique que dans les cas où les établissements parties consentiraient à la fusion ou à la substitution de leurs instances.

La commission a adopté cet article ainsi modifié.

Article 4 bis
Instauration d'un cadre légal pour l'intervention individuelle
de bénévoles dans les établissements de santé

Cet article, inséré par l'Assemblée nationale, prévoit l'intervention de bénévoles à titre individuel dans les établissements publics et privés de santé, en dehors de l'organisation par une association de bénévoles.

La commission a supprimé cet article en raison des dérives auxquelles ces dispositions seraient susceptibles d'ouvrir la voie.

I - Le dispositif adopté par l'Assemblée nationale : rendre possible l'intervention de bénévoles dans les établissements de santé en dehors du cadre associatif

Cet article a été inséré par la commission des affaires sociales par l'adoption, avec l'avis favorable de la rapporteure, de deux amendements identiques présentés par Sylvain Maillard et Annie Vidal ainsi que les membres du groupe La République en marche.

• Il modifie l'article L. 1112-5 du code de la santé publique dont la rédaction, issue de la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé 30 ( * ) , encadre l'intervention des associations de bénévoles dans les établissements de santé publics ou privés.

Ces dispositions prévoient que l'intervention des bénévoles peut avoir pour objectif d'apporter « un soutien à toute personne accueillie dans l'établissement, à sa demande ou avec son accord, ou développer des activités au sein de l'établissement, dans le respect des règles de fonctionnement de l'établissement et des activités médicales et paramédicales ». Cette intervention est organisée par des associations devant conclure une convention avec les établissements concernés qui en encadre les modalités.

S'agissant de l'accompagnement de la fin de vie, les dispositions spécifiques prévues à l'article L. 1110-11, créé par la même loi, ajoutent à ces conditions la formation à l'accompagnement de la fin de vie des bénévoles « sélectionnés » par les associations et l'établissement par ces dernières d'une charte d'action respectant des principes parmi lesquels le respect des opinions philosophiques et religieuses de la personne accompagnée, le respect de sa dignité et de son intimité.

• L'évolution proposée par cet article consiste à rendre possible l'intervention de bénévoles à titre individuel, en dehors du cadre d'une association .

Chaque bénévole serait tenu de conclure une convention avec l'établissement de santé concerné déterminant les modalités de son intervention. Ces évolutions ne concernent pas l'accompagnement des malades en fin de vie puisque l'article L. 1110-11 du code de la santé publique ne serait quant à lui pas modifié.

Comme le mettent en avant les auteurs de l'amendement 31 ( * ) , il s'agit de tirer les enseignements de la crise sanitaire pendant laquelle « les établissements de santé ont bénéficié de l'aide spontanée de nombreuses personnes volontaires qui ont contribué aux activités hospitalières et rendu de multiples services » ; pour eux, « il apparaît aujourd'hui essentiel de développer ces bénévolat individuel, qui est complémentaire des actions encadrées par des associations de bénévoles » .

II - La position de la commission : la suppression d'une disposition répondant à des intentions louables mais susceptible d'ouvrir la voie à des dérives

Le rapporteur salue l'engagement des bénévoles venant apporter un soutien aux patients hospitalisés ainsi que des associations encadrant leurs interventions et s'assurant de la qualité de ces activités dans le contexte sensible des lieux de soins.

Si la volonté d'aider son prochain est louable et que la crise sanitaire a pu susciter un large élan solidaire en direction des établissements de santé, l'évolution portée par cet article, qui crée un dispositif pérenne ne se limitant pas à ces situations exceptionnelles, soulève néanmoins des interrogations.

De nombreuses associations ont vivement réagi face à une mesure qui paraît nier leur investissement dans l'accompagnement et la formation des bénévoles, notamment en matière de relations humaines ou de respect du secret médical. France Assos Santé a relayé, dans un communiqué et lors de l'audition de ses représentants, des inquiétudes que ce bénévolat « free-lance » ouvre la voie à des dérives graves pour la qualité et la sécurité des soins, en particulier des risques de dérive sectaire.

Le rapporteur partage pleinement le constat selon lequel « l'hôpital n'est pas un lieu public comme un autre : les personnes qui y interviennent en tant que bénévoles doivent être formées, suivies, accompagnées » 32 ( * ) . L'adhésion à une association, sans être en soi la seule garantie, peut constituer à cet égard « un mécanisme d'auto-régulation » face à ces risques de dérives.

La directrice générale de l'offre de soins a convenu, lors de son audition par le rapporteur, que le dispositif devait être mieux encadré, évoquant notamment l'élaboration d'une convention.

Cet encadrement ne dissiperait pas, cependant, toutes les craintes quant aux modalités de contrôle des interventions, ce contrôle reposant alors sur la responsabilité des seules équipes des établissements de santé.

Pour ces raisons, la commission a adopté les amendements COM-84 du rapporteur et COM-53 présenté par Annie Le Houerou et les membres du groupe socialiste, écologiste et républicain, de suppression de l'article .

La commission a supprimé cet article.

Article 4 ter
Instauration d'un cadre légal pour l'intervention de praticiens bénévoles dans les établissements publics de santé

Cet article, inséré par l'Assemblée nationale, vise à étendre l'intervention de médecins, sages-femmes et odontologistes à titre bénévole dans les établissements publics de santé à la participation à l'exercice des missions attachées au service public hospitalier.

La commission a adopté cet article sans modification.

I - Le dispositif adopté par l'Assemblée nationale : un cadre légal pour l'intervention de praticiens bénévoles dans les établissements de santé

Cet article a été inséré lors de l'examen de la proposition de loi par la commission, par l'adoption, avec l'avis favorable de la rapporteure, de deux amendements présentés par Sylvain Maillard et Marc Delatte ainsi que les membres du groupe La République en marche. Il a été complété en séance par un amendement de la rapporteure.

Il modifie l'article L. 6146-2 du code de la santé publique afin de prévoir l'intervention dans les établissements publics de santé, à titre bénévole, de médecins, sages-femmes et odontologistes afin de participer à l'exercice des missions générales de ces établissements et de celles attachées au service public hospitalier :

- d'une part, en mentionnant explicitement cette intervention à l'instar de celle, déjà possible, de médecins, sages-femmes et odontologistes exerçant à titre libéral (1°) ;

- d'autre part, pour prévoir que cette intervention à titre bénévole s'exerce dans le cadre d'un contrat conclu avec l'établissement, ce contrat n'étant pas soumis à l'approbation par le directeur général de l'ARS contrairement à celui passé avec des professionnels de santé libéraux (2°) 33 ( * ) .

Pour les auteurs des amendements, il s'agit « dans le contexte actuel de la démographie médicale (...) de pouvoir bénéficier des compétences spécifiques de praticiens disposés à participer hors le cadre statutaire et sans rémunération à des activités médicales hospitalières » , contribuant au « renforcement des ressources médicales des établissements publics de santé, dans l'intérêt du service public hospitalier. »

II - La position de la commission : une adoption conforme

Cet article permet de sécuriser l'intervention de praticiens bénévoles dans les établissements de santé, y compris sur des missions relevant du service public hospitalier et non seulement dans le cadre des activités dévolues aux associations de bénévoles.

Le rapporteur ne voit pas de raison de s'y opposer, même si cette pratique, probablement marginale, ne constitue en rien une réponse adéquate ou même un simple palliatif au problème de la démographie médicale à l'hôpital. Il serait d'ailleurs souhaitable que ces interventions soient ciblées sur des missions complémentaires et non en lieu et place de ce qui est effectué habituellement par ces praticiens.

La commission a adopté cet article sans modification.

Article 4 quater
Lutte contre le cumul irrégulier d'activités
par les agents des établissements publics de santé

Cet article propose d'attribuer aux établissements publics de santé la possibilité de consulter un fichier national de déclarations d'embauche, afin de mieux contrôler les cumuls irréguliers d'activités, notamment des praticiens hospitaliers. La commission a estimé que ce dispositif, en plus de présenter une atteinte disproportionnée à la protection de la vie privée des agents concernés, n'était pas propice à remplir l'objectif qu'il se fixait, lequel était lui-même incompatible avec les conclusions du Ségur de la santé. Elle a en conséquence supprimé cet article.

I - La consultation d'un fichier national de déclaration d'embauche pour lutter contre le cumul irrégulier d'activités à l'hôpital public

Cet article additionnel, adopté par la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale sur proposition de M. Sylvain Maillard et de plusieurs députés du groupe La République en marche, vise à renforcer le contrôle du cumul irrégulier d'activités au sein des établissements publics de santé .

A. Le régime du cumul d'activités pour les praticiens hospitaliers

Les conditions d'exercice d'une activité parallèle pour les fonctionnaires des trois fonctions publiques ont été particulièrement durcies par la loi du 20 avril 2016 34 ( * ) , qui a enrichi la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires 35 ( * ) d'un article 25 septies , lequel explicite un principe d' interdiction de cumul d'activités au profit d'une activité privée lucrative , avec exceptions.

Par une extension opérée par l'article L. 6152-4 du code de la santé publique (CSP) , l'article 25 septies, que vise le présent article 4 quater , est applicable non seulement aux fonctionnaires hospitaliers, mais aussi à tout agent contractuel de droit public ou de droit privé employé par l'établissement public de santé ainsi qu'à l'ensemble des praticiens hospitaliers (PH), statutaires ou contractuels.

Si l'on en croit les travaux de la rapporteure de l'Assemblée nationale, les praticiens hospitaliers , dont le cumul irrégulier d'activités est « particulièrement préjudiciable à la qualité des soins prodigués aux patients », sont plus spécifiquement visés par le dispositif . Leur régime de cumul d'activités diffère selon la quotité présentielle à l'hôpital : si le cumul d'activité et la création ou reprise d'un cabinet libéral ne sont ouvertes qu'aux praticiens des hôpitaux à temps partiel, l' exercice d'une activité accessoire est également possible pour les praticiens hospitaliers à temps plein.

Régime des cumuls d'activités des PH

Praticien hospitalier à temps plein

Praticien des hôpitaux à temps partiel

Cumul d'activité au profit d'une activité privée lucrative

Interdit

Possible, à condition d'assurer un service hebdomadaire hospitalier de 4 à 6 demi-journées

Activité accessoire

Expertise et consultation, au seul bénéfice d'un organisme public

Enseignement et formation

Activité d'intérêt général

Toute activité accessoire, dans la limite du service hebdomadaire hospitalier de 4 à 6 demi-journées

Création ou reprise d'une entreprise privée (cabinet libéral)

Interdite

Possible, à condition d'assurer un service hebdomadaire hospitalier de 4 à 6 demi-journées

Source : décret du 27 janvier 2017 36 ( * )

Le contrôle du cumul d'activités des fonctionnaires hospitaliers, des agents contractuels employés par l'établissement public de santé et des praticiens hospitaliers a été précisé par un décret du 30 janvier 2020 37 ( * ) . Il est dans tous les cas exercé par le directeur d'établissement 38 ( * ) , auquel l'intéressé est tenu de présenter une déclaration écrite par laquelle il mentionne la nature de l'activité envisagée, mais diffère selon le régime de cumul demandé .

S'il s'agit d'un cumul d'activités , l'autorisation du directeur d'établissement est présumée acquise, sauf opposition expresse s'il estime le cumul incompatible avec l'intérêt du service. S'il s'agit de l'exercice d'une activité accessoire , le formalisme est légèrement augmenté : le directeur doit notifier sa décision à l'intéressé dans un délai d'un mois et son silence vaut rejet de la demande. Enfin, s'il s'agit d'une demande de création ou de reprise d'activité libérale , le directeur peut, en cas de doute sur la compatibilité de la demande avec les intérêts du service, saisir pour avis le référent déontologue de l'établissement, sans que cette saisine suspende le délai de deux mois au-delà duquel le silence vaudra rejet. Si l'avis du référent ne permet pas de lever le doute, le directeur d'établissement est tenu de saisir sans délai la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), dont la saisine suspend le délai de deux mois.

Ainsi, le contrôle du cumul d'activités des agents des établissements publics de santé repose sur un double pilier censé en garantir l'effectivité : régime de déclaration obligatoire et contrôle discrétionnaire assuré par le directeur d'établissement .

B. Le fichier national de déclaration à l'embauche

Le fichier national de déclaration à l'embauche visé par le présent article 4 quater désigne un traitement automatisé de données mis en place en 2012 par le conseil d'administration de Pôle emploi, qui centralise et exploite l'ensemble des données personnelles provenant des déclarations préalables à l'embauche (DPAE) que les employeurs privés sont tenus d'adresser pour chaque embauche aux organismes de sécurité sociale compétents .

Aux termes de l'article R. 1221-1 du code du travail, les données figurant aux DPAE sont le nom de l'employeur, le nom du salarié, la date et l'heure de l'embauche, la nature et la durée du contrat.

La demande de création de ce fichier national par Pôle emploi adressée à la commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) 39 ( * ) spécifiait ses finalités , à savoir la constitution d'une « base de données à caractère personnel à finalité statistique permettant à Pôle emploi de mesurer l'impact de son offre de service sur le chômage et l'emploi ainsi qu'à mieux caractériser le retour à l'emploi des demandeurs d'emploi », l'amélioration du « suivi et de l'accompagnement des demandeurs d'emploi » et la prévention des indus et des fraudes.

Ses seuls utilisateurs sont à ce jour les agents de Pôle emploi dûment habilités chargés des études statistiques et des missions d'indemnisation, de suivi et de prévention des fraudes.

C. Le présent article 4 quater propose de mettre le fichier national des DPAE au service du contrôle du cumul irrégulier d'activités à l'hôpital

Le présent article insère un nouvel article au code de la santé publique, au sein du chapitre dédié aux liens d'intérêt et à la transparence, qui habilite les établissements publics de santé, sans désigner explicitement les personnes physiques concernées, à consulter le fichier national des DPAE en vue de contrôler le cumul irrégulier d'activités tel que défini par l'article 25 septies de la loi du 13 juillet 1983.

Conformément à la loi du 6 janvier 1978 40 ( * ) , la consultation de ce fichier se ferait dans des conditions fixées par décret en Conseil d'État, pris après avis de la CNIL. Interrogée par votre rapporteur, cette dernière a confirmé « que la possibilité pour les établissements publics de santé de consulter ce fichier en vue de contrôler le cumul irrégulier d'activité n'était pas prévue par la décision du conseil d'administration de Pôle emploi et qu'elle répond à des finalités nouvelles » et qu'elle « se prononcera sur cet élargissement des finalités et de la liste des destinataires du fichier national des déclarations préalables à l'emploi ».

II - Un article dangereux et inopportun, en conséquence supprimé par la commission

Aux yeux de votre rapporteur, le présent article 4 quater pose trois grands types de problèmes , à raison de sa constitutionnalité, de son effectivité et de son opportunité.

A. Un dispositif manifestement inconstitutionnel

Le régime actuel du contrôle du cumul irrégulier d'activités, issu de dispositions législatives et réglementaires récentes particulièrement attentives à ce que les obligations de service soient respectées, dote le directeur d'établissements de pouvoirs substantiels mais enchâssés dans une procédure l'obligeant au dialogue avec l'intéressé. Le présent article 4 quater lui attribuerait, en surplomb, un pouvoir quasi-inquisitorial et unilatéral de consultation d'un fichier nominatif , que la loi, soucieuse de protéger la vie privée des personnes vis-à-vis de leur employeur, n'attribue normalement pas à l'autorité hiérarchique (ou, dans le cas des praticiens hospitaliers, à l'autorité de nomination).

En considérant son articulation avec les dispositions existantes en matière de contrôle, votre rapporteur déduit que ce pouvoir de consultation, dont le directeur userait en cas de doute sur le respect de l'obligation de service, interviendrait en complément de celui dont il dispose déjà en matière d'autorisation de cumul et qui comprend, dans le seul cas de la création ou reprise de cabinet libéral, l'obligation de saisir pour avis le déontologue puis la HATVP. La disposition ne paraît donc pas revêtir de caractère essentiel.

Par ailleurs, depuis la consécration constitutionnelle du respect de la vie privée, il appartient au Conseil constitutionnel d'apprécier la proportionnalité des atteintes que le législateur consent à y porter par rapport aux objectifs définis. Le dispositif du présent article 4 quater , qui prévoit la consultation de données nominatives à l'insu de l'agent employé par l'établissement, semble pouvoir être qualifié comme tel, et ne paraît manifestement pas justifié en ce que :

- la procédure actuelle de contrôle du cumul irrégulier d'activités est déjà assurée par un nombre important d'acteurs, laisse un pouvoir d'appréciation important à l'autorité décisionnaire et protège, grâce au régime déclaratoire, la vie privée de l'intéressé ;

- la recherche et le constat d'infractions constitutives de cumul irrégulier d'emploi, ne pouvant être attribués à l'autorité hiérarchique de l'agent, sont des missions déjà spécifiquement exercées par des corps d'agents dédiés , que par ailleurs l'article 4 quater mentionne.

B. Un dispositif largement inopérant

De prime abord, votre rapporteur s'interroge sur la capacité qu'auraient les services de Pôle emploi, à l'heure actuelle seuls destinataires et utilisateurs du fichier national des DPAE, à assurer l'interopérabilité nécessaire à ce que l'ensemble des établissements publics de santé - n'usant pas tous du même système d'informations - puissent avoir accès, pour les seuls agents les concernant, aux données nominatives de ce fichier. À ce simple égard, le dispositif porté par l'article 4 quater pose des problèmes difficilement surmontables de réalisation.

Néanmoins, c'est surtout son intérêt que l'on peut questionner. La consultation du fichier national fournirait à l'établissement public de santé l'identité des employeurs éventuels de ses agents publics, mais ne serait d' aucune utilité pour la recherche des activités libérales des praticiens hospitaliers qui, par nature, ne donnent pas lieu à la signature d'un contrat de travail et ne font donc pas l'objet de DPAE.

Les travaux de l'Assemblée nationale n'ont pas encore permis de lever cette ambiguïté : soit l'intention est bel et bien de lutter contre le cumul irrégulier d'activités des PH, auquel cas le dispositif est inopérant, soit l'article vise en réalité le cumul irrégulier d'activités des fonctionnaires hospitaliers et des agents contractuels, auquel cas l'autorité hiérarchique n'est de toute façon pas habilitée à rechercher et contrôler le travail irrégulier de ses agents.

C. L'opportunité de la mesure en question

Au-delà des arguments préalablement exposés, l' opportunité de l'article 4 quater se révèle, aux dires mêmes de la rapporteure de l'Assemblée nationale, plus que discutable . Son rapport, contraint au paradoxe, déplore d'une part les « situations de cumul irrégulier [qui] révèlent la nécessité d'assouplir [le] statut » de praticien hospitalier mais assure d'autre part que, « dans l'immédiat , il convient de garantir que les dispositions relatives au cumul d'activités sont contrôlées et respectées ».

La présence de cet article au sein d'une proposition de loi prétendant transcrire les engagements du Ségur de la santé est d'autant plus incompréhensible que ses conclusions formulent la recommandation exactement inverse, à savoir d' augmenter l'attractivité de l'exercice en hôpital public et de « faciliter les passerelles entre public et privé par une refonte statutaire allant jusqu'à la reconnaissance du statut de praticien hospitalier à quotité réduite de temps afin de permettre les exercices mixtes » (mesure 11).

En conséquence, la commission a adopté un amendement COM-85 de suppression de cet article.


* 21 Loi n° 2019-774 du 24 juillet 2019 relative à l'organisation et à la transformation du système de santé.

* 22 L'habilitation du Gouvernement, prolongée de huit mois par rapport à son délai initial, arrive à son terme le 24 mars 2021.

* 23 Arrêté du 15 juin 2016 relatif aux émoluments, rémunérations ou indemnités des personnels médicaux, pharmaceutiques et odontologiques exerçant leurs fonctions à temps plein ou à temps partiel dans les établissements publics de santé.

* 24 Mission sur la gouvernance et la simplification hospitalières, juin 2020.

* 25 Loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé.

* 26 Loi n° 2019-774 du 24 juillet 2019 relative à l'organisation et à la transformation du système de santé.

* 27 Arrêté du 24 novembre 2016 fixant le modèle de présentation du tableau prévisionnel des effectifs rémunérés des établissements publics de santé et des établissements de santé privés mentionnés aux b et c de l'article L. 162-22-6 du code de la sécurité sociale.

* 28 Dont le délai expire le 24 mars 2021.

* 29 Rapport d'information n° 22 (2020-2021) fait par M. Alain Milon au nom de la commission des affaires sociales sur l'enquête de la Cour des comptes relative aux groupements hospitaliers de territoire.

* 30 Loi n° 2002-303 du 4 mars 2002.

* 31 Exposé des motifs de l'amendement présenté par Mme Vidal et les membres du groupe LREM.

* 32 Communiqué de France Assos Santé du 10 décembre 2020.

* 33 Si ces modalités étaient mentionnées dans l'objet des amendements adoptés en commission, le 2° a été inséré en séance publique par un amendement de la rapporteure visant à réparer cet oubli.

* 34 Loi n° 2016-483 du 20 avril 2016 relative à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires.

* 35 Loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, dite « loi Le Pors ».

* 36 Décret n° 2017-105 du 27 janvier 2017 relatif à l'exercice d'activités privées par des agents publics et certains agents contractuels de droit privé ayant cessé leurs fonctions, aux cumuls d'activités et à la commission de déontologie de la fonction publique.

* 37 Décret n° 2020-69 du 30 janvier 2020 relatif aux contrôles déontologiques dans la fonction publique.

* 38 Le contrôle s'exerce à l'égard de ce dernier par le directeur général du centre national de gestion (CNG).

* 39 Dont le contenu est repris par la délibération de la CNIL n° 2012-179 du 31 mai 2012 portant avis sur un projet de décision du conseil d'administration de Pôle emploi relative à la mise en oeuvre d'un traitement automatisé portant acquisition et exploitation de données à caractère personnel provenant des déclarations préalables à l'embauche et constitution d'une base de données à caractère personnel à finalité statistique.

* 40 Loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés.

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