B. LES DISPOSITIONS DE L'ACCORD DE COOPÉRATION SIGNÉ LE 21 DÉCEMBRE 2019 À ABIDJAN

1. Présentation générale

L'accord de coopération entre le Gouvernement de la République française et les Gouvernements des États membres de l'UMOA se compose de dix articles , les changements les plus importants étant présentés dans le tableau ci-après.

Les dispositions de l'accord de coopération entre la France et l'UMOA

Accord de coopération entre la République française et les République membres de l'Union monétaire ouest-africaine (1973)

Accord de coopération entre le Gouvernement de la République française et les Gouvernements des États membres de l'Union monétaire ouest-africaine (2019)

Article 1 er : garantie de convertibilité apportée par la France ( principe inchangé ), dont les modalités devront être précisées par une convention de compte d'opérations.

Article 2 : garantie de convertibilité apportée par la France ( principe inchangé ). Une convention de garantie devra en prévoir les modalités d'activation.

Article 2 : parité fixe à l'euro ( principe inchangé ).

Article 2 : parité fixe à l'euro, sur la base de la parité en vigueur (principe inchangé ).

Article 3 : centralisation des réserves de change de la BCEAO selon les conditions prévues dans la convention de compte d'opérations.

Suppression de cette disposition.

Article 10 : deux administrateurs sont désignés par la France pour participer au conseil d'administration de la BCEAO.

Article 4 : le comité de politique monétaire de la BCEAO comprend une personnalité indépendante et qualifiée nommée par le Conseil des ministres de l'UMOA en concertation avec la France.

Article 8 : la France pourra désigner à titre exceptionnel un représentant avec voix délibérative en cas de risque d'appel en garantie.

Aucune disposition correspondante.

Article 5 : la BCEAO devra transmettre régulièrement des informations techniques permettant à la France de suivre l'évolution du risque qu'elle couvre. Les parties à l'accord pourront par ailleurs se rencontrer, au niveau technique, en tant que de besoin.

Aucune disposition correspondante.

Article 6 : l'un des signataires peut demander une réunion à un niveau politique, lorsque les conditions le justifient, notamment pour prévenir ou gérer une crise.

Source : accord de coopération entre la République française et les Républiques membres de l'Union monétaire ouest-africaine (1973) et accord de coopération entre le Gouvernement de la République française et les Gouvernements des États membres de l'UMOA (2019)

Concernant les autres dispositions, l'article 1 er définit les parties à l'accord et les acronymes, tandis que l'article 7 précise les privilèges et immunités octroyés à la BCEAO pour ses établissements et ses opérations sur le territoire français 14 ( * ) . Les dispositions finales (dénonciation ou suspension de l'accord, date d'entrée en vigueur) sont prévues aux articles 9 et 10.

L'article 3 de l'accord dispose quant à lui que tout changement de la nature ou de la portée de la garantie nécessite une décision à l'unanimité des États parties à l'accord, de surcroît dans le respect des obligations européennes de la France . La France doit en effet, aux termes d'une décision du Conseil de l'Union européenne du 23 novembre 1998 15 ( * ) , informer régulièrement l'Union européenne de la mise en oeuvre des accords monétaires et des modifications envisagées. Le Conseil avait ajouté dans sa décision que « les organes communautaires compétents doivent se prononcer avant toute modification de la nature ou de la portée des accords ».

La décision du Conseil de l'Union européenne du 23 novembre 1998

Dans sa décision, le Conseil estime que les « accords ne sont pas susceptibles [...] dans l'état actuel de leur mise en oeuvre [...] de faire obstacle au bon fonctionnement de l'Union économique et monétaire » et, en particulier, que rien dans ces accords ne devra conduire la Banque centrale européenne à soutenir la convertibilité des francs CFA et comorien. C'est un engagement budgétaire que la France a pris seule. Il précise également que « les accords existants n'entraîneront aucune obligation pour la BCE ou les banques centrales nationales ».

Le Conseil avait sollicité, quelques mois auparavant, un avis de la Banque centrale européenne (BCE) concernant les questions de change relatives au franc CFA et au franc comorien 16 ( * ) . Dans cet avis, publié au Journal officiel européen du 15 juillet 1999, la BCE a confirmé la nature budgétaire de l'engagement français, qui ne constituait donc pas un engagement de la Banque de France. Elle avait également soutenu les dispositions visant à assurer la bonne information des institutions européennes en cas de modification des accords.

Source : Rapport d'information n° 729 (2019-2020) de Mme Nathalie GOULET et M. Victorin LUREL, fait au nom de la commission des finances, déposé le 30 septembre 2020

Le rapporteur se félicite que les obligations européennes de la France soient formellement inscrites dans le nouvel accord de coopération monétaire . D'après les informations fournies par la direction générale du Trésor, les modifications de l'accord de coopération avec l'UMOA ont d'ores et déjà été soumises au comité des représentants permanents de l'Union européenne et devraient prochainement être soumises au Conseil de l'Union européenne, sans que cela n'ait, sous toute réserve, soulevé de difficulté particulière 17 ( * ) . Les évolutions apportées ne semblent en effet modifier ni la nature ni la portée de l'engagement budgétaire de la France . Selon l'étude d'impact, la Commission européenne serait du même avis et considérerait qu'il s'agit simplement d'une modification des « modalités techniques opérationnelles de suivi de la garantie ». Comme ce fut le cas en 1998, la Banque centrale européenne devrait également rendre un avis.

L'accord de coopération est complété par une convention de garantie , négociée et signée le 10 décembre 2020 par le ministre de l'économie et des finances de la République française et le Gouverneur de la BCEAO. Elle définit les modalités d'activation de la garantie octroyée par la France et devait entrer en vigueur le 1 er janvier 2021. Un avenant à la convention de compte d'opérations a également été signé le 16 octobre 2020 , mettant formellement fin à l'obligation de centralisation des réserves de change de la BCEAO sur un compte du Trésor français., Des échanges de lettres entre la France et la BCEAO devaient enfin fixer les modalités de la transmission des informations techniques prévue à l'article 5 de l'accord et permettant à la France de suivre le risque qu'elle couvre.

Aux termes de l'article 10, le nouvel accord de coopération entre la France et l'UMOA doit se substituer à celui de 1973 à la date d'entrée en vigueur de la convention de garantie, soit au 1 er janvier 2021 . Toutefois, formellement, l'accord entrera en vigueur une fois les procédures internes de ratification de chacun des pays signataires achevées et la décision du Conseil de l'Union européenne autorisant cette substitution adoptée, avec un effet rétroactif. En pratique, certaines dispositions sont déjà appliquées, grâce à un avenant : les représentants français ne siègent plus dans les instances techniques de la BCEAO et de l'UMOA, la BCEAO transmet depuis le mois d'avril 2020 les informations techniques prévues dans le cadre de l'article 5 de l'accord et l'avenant à la convention de compte d'opérations a déjà été signé. La BCEAO peut donc d'ores et déjà demander le transfert des montants sur d'autres comptes.

2. Des impacts concrets sur le fonctionnement de la zone monétaire
a) Concernant la centralisation des réserves

L'obligation pour la BCEAO de déposer au moins 50 % de ses réserves de change sur un compte d'opérations auprès du Trésor prend fin à compter de l'entrée en vigueur de la convention de garantie et de la signature de l'avenant à la convention de comptes d'opérations.

Les montants peuvent donc être transférés sur un ou plusieurs comptes désignés à cet effet par la BCEAO. La fin de l'obligation de centralisation ne signifie pas pour autant que la BCEAO ne placera plus une partie de ses réserves auprès du Trésor français . La Banque centrale ayant en effet le libre choix de ses placements , elle pourrait continuer à déposer une partie de ses avoirs auprès de la France, placement sécurisé et, désormais, non rémunéré . Il est également probable, d'après les informations transmises au rapporteur lors de ses auditions, que la BCEAO conserve une très grande majorité de ses réserves en euros, afin de se prémunir de tout risque sur son bilan et pour défendre la crédibilité de sa monnaie.

Pour la France, la fin de l'obligation de centralisation entraine avec elle la fin des conditions spécifiques de rémunération des dépôts obligatoires de la BCEAO . En 2019, cette rémunération s'était élevée
à 40,4 millions d'euros, contre 40,6 millions d'euros en 2018. La fin de la centralisation représentera donc une économie budgétaire, certes limitée, pour la France. La garantie de change (cf. supra ) disparaitra également : la comptabilité annexe qui retrace les pertes et les gains de change devra donc être soldée.

b) Concernant la présence de représentants français

Les mandats des représentants français au conseil monétaire et au conseil d'administration de la BCEAO ainsi qu'à la commission bancaire de l'UMOA ont cessé dès l'entrée en vigueur de l'accord. Concrètement, ils ne siègent plus aujourd'hui au sein de ces institutions .

La fin de la présence française au sein de ces trois instances techniques ne signifie pas la fin de tout dialogue de niveau technique ou politique. L'accord de coopération du 21 décembre 2019 prévoit que de telles réunions puissent se tenir, au niveau technique en tant que de besoin (article 4), au niveau politique sur demande de l'un des États signataires , y compris la France donc (article 6). En dehors de ces dispositions, inscrites dans l'accord, le dialogue et les échanges entre les institutions de l'UMOA, le Trésor français et la Banque de France devraient rester fréquents et denses.

Surtout, en cas de risque de crise majeure et, éventuellement, d'appel en garantie de la France, un mécanisme « d'urgence » est prévu à
l'article 8 de l'accord
. Il permet à la France d'engager un dialogue avec les autorités de l'UMOA. La France pourra donc nommer, en situation de crise, un représentant au sein du comité de politique monétaire , représentant qui disposera d'une voix délibérative. Les modalités d'association du garant aux mesures permettant de prévenir ou de gérer la crise sont détaillées dans la convention de garantie .

Le seuil de déclenchement a été fixé à un taux de couverture de la monnaie 18 ( * ) inférieur à 20 % , soit un niveau volontairement bas. Actuellement, d'après les données inscrites dans l'étude d'impact du présent projet de loi, le taux de couverture de la monnaie dans l'UMOA est plutôt de l'ordre
de 70 %
, un niveau élevé depuis plusieurs années. À la fin du premier trimestre 2020, le niveau des réserves permettait de couvrir 6,3 mois d'importations de biens et de services et correspondait à un taux de couverture de l'émission monétaire de 79,3 % 19 ( * ) . Au surplus, l'article 6 permet à tout État partie de demander une réunion de haut niveau « lorsque les conditions le justifient, notamment en vue de prévenir ou de gérer une crise » .

Le rapporteur considère que ce dispositif est plutôt équilibré : en période de risque accru, le seuil ayant par ailleurs été fixé à un niveau de gravité aigu, il semble raisonnable que le garant dispose d'un droit de présence et de vote au sein des instances techniques chargées de proposer des solutions et de concourir à la prévention ou à la résolution de la crise.

c) Concernant la garantie de convertibilité et les mécanismes de remontée d'informations

Le nouvel accord maintient l'un des piliers de la coopération monétaire entre la France et l'UMOA : la garantie de convertibilité, illimitée et inconditionnelle . Celle-ci s'opérera dans les mêmes conditions que précédemment. Le maintien de cette garantie vise à préserver un système de change qui a fait ses preuves (stabilité de la monnaie en dépit des crises économiques et politiques, stabilité macroéconomique, pas de surévaluation outre-mesure du taux de change), sans prendre le risque de déstabiliser la zone monétaire, voire même de fragiliser son unité 20 ( * ) . La crédibilité de la monnaie et de son ancrage à l'euro est donc préservée.

Toutefois, la France ne dispose plus, comme c'était le cas auparavant avec l'obligation de dépôt de 50 %, d'une visibilité sur le niveau des réserves de change dont dispose la BCEAO . Il était donc nécessaire d' instaurer de nouveaux mécanismes permettant au garant - la France - d'évaluer et de suivre le risque encouru . C'est un point sur lequel le rapporteur a insisté durant l'audition avec la Banque de France et la direction générale du Trésor : si la modernisation du fonctionnement de la coopération monétaire avec l'UMOA doit être soutenue, elle ne doit pas entrainer un risque accru pour la France.

L'article 5 de l'accord remédie à ces difficultés en posant le principe d'un envoi régulier et planifié d'informations techniques par la BCEAO à la France, sur un rythme quotidien, hebdomadaire, mensuel ou trimestriel , ce qu'on appelle le reporting . D'après les informations dont dispose le rapporteur, ce système présente l'avantage d'être plus précis que celui consistant simplement pour la France à suivre le niveau des dépôts sur le compte d'opérations : il permet en effet d'avoir des données actualisées à intervalle régulier, tandis qu'une éventuelle sur- ou sous-centralisation des réserves sur le compte d'opérations ne pouvait se constater qu' a posteriori .

Ces mécanismes de reporting , dont les premiers retours d'expérience sont satisfaisants, constituent en quelque sorte le « premier niveau » d'assurance pour la France , un niveau basé sur des remontées d'informations régulières, pour évaluer les risques et prémunir le plus possible les situations de crise . Le second niveau est un niveau de « réaction », appuyé sur le mécanisme d'urgence précédemment décrit, soit le déclenchement des procédures prévues à l'article 8 de l'accord , avec la nomination d'un représentant par la France.

Dans le cadre de ce nouvel accord de coopération, la France devient donc un strict garant financier pour la zone monétaire UMOA. Comme le précise le préambule de l'accord de coopération du 21 décembre 2019, il s'agit de « transformer le rôle de la République française en celui d'un garant financier ».


* 14 Sur la base de la convention sur les privilèges et immunités des institutions spécialisées des Nations Unies de 1947, une disposition traditionnelle dans les accords internationaux.

* 15 98/683/CE : Décision du Conseil du 23 novembre 1998 concernant les questions de change relatives au franc CFA et au franc comorien. https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=CELEX%3A31998D0683

* 16 Avis de la Banque centrale européenne sollicité par le Conseil de l'Union européenne et portant sur une recommandation de décision du Conseil concernant les questions de change relatives au franc CFA et au franc comorien (CON/98/37). https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=CELEX:31999Y0715(03)

* 17 L'étude d'impact du présent projet de loi précise que la réforme a été présentée lors de la réunion du Comité économique et financier du 9 janvier 2020.

* 18 Le taux de couverture de la monnaie correspond au rapport entre le montant moyen des avoirs extérieurs d'une banque centrale (ici, la BCEAO) et le montant moyen de ses engagements à vue. Il mesure donc concrètement la capacité d'un pays ou d'une zone monétaire à couvrir ses importations par ses revenus d'exportations.

* 19 Banque centrale des États d'Afrique de l'Ouest, « Rapport sur la politique monétaire dans l'UMOA », juin 2020.

* 20 C'est ce que rappellent également Patrick Guillaumont et Sylviane Guillaumont Jeanneney, « Fin du franc CFA en Afrique de l'Ouest, quel avenir pour l'eco ? », février 2020. Fondation pour les études et recherches sur le développement international (Ferdi).

Page mise à jour le

Partager cette page