B. LE CHOIX DE FIXER LE SEUIL D'ÂGE À TREIZE ANS NE FAIT PAS L'UNANIMITÉ

Les auteurs de la proposition de loi ont retenu le seuil d'âge de treize ans à la fois pour mieux garantir la constitutionnalité du dispositif et pour tenir compte de certaines situations de fait. Ce choix tire les conséquences des objections formulées en 2018 quand le seuil d'âge de quinze ans avait été envisagé.

Pourtant, les auditions auxquelles le rapporteur a procédé ont révélé une absence persistante d'accord autour de ce seuil d'âge. En particulier, les associations de protection de l'enfance, qui auraient pu considérer ce seuil comme un pas dans la bonne direction, ont exprimé de vives critiques et affirmé l'impératif de protéger tous les collégiens en fixant le seuil à quinze ans.

Elles ont admis qu'il pouvait exister des jeunes couples constitués d'un mineur d'un peu moins de quinze ans et d'un jeune majeur mais ont estimé qu'il s'agissait là d'un inconvénient difficilement évitable, lié à « l'effet-couperet » inhérent à la fixation d'un seuil. La création d'une clause « Roméo et Juliette » 6 ( * ) a été évoquée comme une possible solution à cette difficulté : si les deux partenaires ont commencé leur relation alors qu'ils étaient tous les deux mineurs et que la relation s'est poursuivie après la majorité de l'un des deux partenaires, alors les poursuites seraient impossibles 7 ( * ) .

La députée Alexandra Louis, auteur d'un récent rapport d'évaluation de la loi Schiappa, défend elle aussi l'âge de quinze ans, jugeant le seuil de treize ans insuffisamment ambitieux. Entendue par le rapporteur, elle a fait valoir que le seuil de treize ans ne protègerait pas Julie, du nom de cette jeune fille qui a eu, entre 2008 et 2010, des relations sexuelles avec une vingtaine de sapeurs-pompiers alors qu'elle était âgée de seulement treize ans 8 ( * ) au commencement des faits ; les hommes mis en cause sont poursuivis pour atteinte sexuelle et non pour viol 9 ( * ) .

Au Sénat, le seuil d'âge de quinze ans est également retenu par notre collègue Laurence Rossignol qui a déposé une proposition de loi en ce sens avec plusieurs de ses collègues 10 ( * ) .

C. LA CRÉATION D'UNE PRÉSOMPTION GARDE DES PARTISANS

Dans son rapport d'évaluation, Alexandra Louis confirme que la création d'une présomption de non-consentement paraît difficilement réalisable au regard de nos principes constitutionnels, ce qui la conduit à préconiser une infraction autonome.

Le juge Édouard Durand, qui a longuement travaillé sur cette question au sein du Haut Conseil pour l'égalité entre les femmes et les hommes, a cependant plaidé avec conviction devant le rapporteur en faveur de la création d'une présomption de contrainte , qui viendrait compléter la définition du viol. Il reproche à la solution de l'infraction autonome d'évacuer des débats la dimension violente du passage à l'acte, qui est en revanche bien prise en compte avec la qualification de viol ou d'agression sexuelle. Il convient de ne pas donner l'impression que la victime a pu, d'une manière ou d'une autre, donner son consentement et d'affirmer sans ambiguïté qu'elle a été contrainte à l'acte sexuel.

Il a estimé que la création d'une présomption de contrainte n'était pas synonyme de présomption de culpabilité : une enquête devra toujours avoir lieu pour établir la matérialité des faits et apprécier si l'auteur avait conscience de l'âge de la victime. Elle serait donc conforme au principe constitutionnel de la présomption d'innocence.

Naturellement, le clivage sur l'âge et celui sur l'infraction autonome se superposent : si Édouard Durand soutient l'âge de treize ans, notre collègue Valérie Boyer, par exemple, a présenté des amendements qui retiennent la présomption de contrainte mais avec un seuil d'âge fixé de préférence à quinze ans, le seuil de treize ans étant envisagé comme une solution de repli.


* 6 Dans la pièce de Shakespeare, des indications montrent que Juliette est âgée de treize ans quand elle rencontre Roméo ; l'âge de ce dernier n'est pas précisé mais les exégètes le situent autour de seize ou dix-sept ans.

* 7 On peut toutefois s'interroger sur la compatibilité d'un tel dispositif avec le principe d'égalité devant la loi pénale et avec le principe de nécessité des délits et des peines, puisque le même comportement serait licite ou criminel selon qu'une relation a débuté ou non quelques temps avant la majorité de l'un des partenaires.

* 8 Curieusement, l'exposé des motifs de la proposition de loi s'ouvre sur une évocation de cette affaire, alors que cette jeune fille, âgée de plus de treize à l'époque des faits, n'aurait pas été concernée par le dispositif envisagé qui vise les seuls mineurs de moins de treize ans.

* 9 Saisie par la victime, la cour d'appel de Versailles a refusé en novembre 2020 de retenir la qualification de viol.

* 10 Proposition de loi n° 201 (2020-2021) visant à créer le crime de violence sexuelle sur enfant et à lutter contre les violences sexuelles, présentée par Laurence Rossignol et plusieurs de ses collègues, déposée au Sénat le 8 décembre 2020.

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