III. UN TEXTE PROFONDÉMENT MODIFIÉ SUITE À L'AVIS RENDU PAR LE CONSEIL D'ÉTAT

Le texte de la proposition de loi a été en grande partie réécrit lors de son examen à l'Assemblée nationale afin de tenir compte de l'avis n° 399419 rendu par le Conseil d'État le 16 janvier 2020. Dans son avis, celui-ci a émis de nombreuses réserves relatives à :

- l'inscription initialement prévue du « patrimoine sensoriel des campagnes » au sein du code du patrimoine ;

- une définition sans borne de ce patrimoine qui « conduirait dans de nombreux cas à traiter différemment des situations similaires ou à déroger à l'égalité sans que des raisons d'intérêt général suffisantes permettent de le justifier » ;

- une exclusion générale et absolue des nuisances sonores et olfactives relevant « du patrimoine sensoriel des campagnes ». Le Conseil a estimé qu'une telle disposition risquait de « modifier profondément les équilibres existants » et de heurter le droit au recours effectif ;

- la création dans chaque département d'une commission ad hoc du patrimoine sensoriel des campagnes, en opposition avec la volonté de simplification de l'organisation administrative. Le Conseil a souligné dans son avis que l'organisation ainsi proposée serait de nature à entraîner des différences entre les départements dans la protection des bruits et odeurs de même nature, « difficilement compréhensible pour les citoyens et juridiquement douteux au regard du principe d'égalité devant la justice ».

Votre rapporteur salue la volonté de son collègue député, Pierre Morel-À-L'Huissier, auteur de la proposition de loi, d'avoir sollicité le président de l'Assemblée nationale pour que celui-ci soumette ce texte à l'avis du Conseil d'État ainsi que la reprise par la commission des affaires culturelles de l'Assemblée nationale des suggestions émises dans cet avis. Ces travaux ont permis l'élaboration d'un texte équilibré posant la première pierre d'une protection renforcée « du patrimoine sensoriel des campagnes françaises ».

IV. LA COMMISSION DE LA CULTURE DU SÉNAT SE FÉLICITE DE L'ADOPTION D'UN TEXTE POSANT LA PREMIÈRE PIERRE D'UNE PROTECTION DU « PATRIMOINE SENSORIEL DES CAMPAGNES FRANÇAISES »

A. MIEUX PROTÉGER ET VALORISER LES SPÉCIFICITÉS DES TERRITOIRES RURAUX (ARTICLES 1ER ET 1ER BIS)

La proposition de loi propose d'inscrire dans le code de l'environnement les sons et odeurs caractérisant les espaces naturels , qu'ils soient terrestres ou marins (article 1 er ). Votre rapporteur y voit l'affirmation d'une dimension sensorielle du patrimoine naturel. Cette reconnaissance explicite des sons et odeurs des territoires ruraux dans le patrimoine commun de la nation constitue pour les élus locaux une première base juridique pour les accompagner dans les démarches de pédagogie et de médiation qu'ils mènent sur les territoires.

En parallèle de cette reconnaissance dans le code de l'environnement, votre rapporteur salue la volonté d'une meilleure identification et qualification de l'identité culturelle des territoires ruraux, également prévue par la proposition de loi (article 1 er bis ). L'ensemble de ces éléments sont de nature à soutenir et conforter les élus locaux, en leur apportant des éléments factuels et scientifiques sur lesquels s'appuyer lorsqu'ils sont sollicités sur ce type de conflits de voisinage . L'élaboration d'une carte d'identité des territoires ruraux, incluant le patrimoine dans toutes ses composantes, y compris sonores et olfactives, doit permettre une meilleure compréhension et appréhension de ces espaces par l'ensemble de ses habitants.

Votre rapporteur souhaite que la reconnaissance de ces sons et odeurs, et leur identification comme composantes à part entière des territoires ruraux, permette de désamorcer en amont les contentieux de voisinage.

La proposition de loi issue des travaux de l'Assemblée nationale confie aux services régionaux de l'inventaire général du patrimoine culturel cette mission d'identification et de qualification de l'identité culturelle - incluant l'identité sensorielle - des territoires ruraux. Après avoir examiné plusieurs pistes, le rapporteur estime que ces services régionaux sont les mieux à même de réaliser cette mission : actuellement, à travers l'addition des recherches sur des objets situés sur un même territoire, ceux-ci contribuent à donner une approche et une image du territoire dans sa globalité. Ils dressent donc déjà, en partie, une carte d'identité culturelle des territoires. D'autres acteurs, comme les chambres d'agriculture, risqueraient d'avoir une approche trop parcellaire et technique.

Toutefois, votre rapporteur appelle à la vigilance sur deux points . L'élaboration de cette carte doit se faire en s'appuyant sur l'ensemble des acteurs locaux participant à la vie et à l'animation des territoires ruraux.

Mais surtout , des moyens financiers et humains importants seront nécessaires afin de :

- permettre aux services régionaux de l'inventaire d'entamer le recensement du patrimoine immatériel alors même que celui du patrimoine matériel est loin d'être achevé,

- définir une méthodologie, et des grilles d'analyse et de thésaurus, à l'image de ce qu'ont fait lesdits services pour le patrimoine matériel au moment de leur création dans les années 1960-1970. Pour cela, de nouvelles compétences en éthologie, en ethnologie ou encore en biodiversité seront nécessaires.

Si votre rapporteur constate avec satisfaction la levée du gage financier par le Gouvernement, traduisant la volonté de ce dernier d'accompagner les services régionaux de l'inventaire dans cette nouvelle mission, il espère que les moyens financiers et humains déployés seront à la hauteur de l'ambition de cette nouvelle cartographie .

La commission de la culture, de l'éducation et de la communication du Sénat estime que l'extension des missions de services régionaux de l'inventaire est le choix le plus pertinent pour mener ce travail d'identification, de classification et de valorisation de l'identité culturelle des territoires. Toutefois, elle partage l'appel à la vigilance de votre rapporteur sur les moyens supplémentaires qui y seront alloués. A cet égard, elle rappelle le constat dressé par l'inspection générale de l'administration et l'inspection générale des affaires culturelles en 2015 dans leur « bilan de la décentralisation de l'inventaire général du patrimoine », réalisé 10 ans après le transfert de la conduite des opérations d'inventaire du patrimoine culturel aux régions : entre 2007 et 2014, « les effectifs de plusieurs [services de l'inventaire] ont diminué à périmètre constant, voire à périmètre élargi. L'adéquation des moyens humains aux objectifs n'était alors pas assurée » 15 ( * ) .


* 15 Bilan de la décentralisation de l'inventaire général du patrimoine culturel, inspection générale de l'administration n° 14-123/14-065/01 et inspection générale des affaires culturelles n° 2014-34, janvier 2015.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page