II. ENTRE CLOCHES DES ÉGLISES ET CHANTS DU COQ : DES GÊNES ENCADRÉES PAR LE DROIT

Votre rapporteur constate qu'il existe déjà plusieurs dispositions de nature législatives et réglementaires, mais aussi des principes juridictionnels qui visent à pacifier les relations de voisinage.

A. LES SONS ET ODEURS DANS LES TERRITOIRES RURAUX : TROUBLES ANORMAUX DU VOISINAGE ?

C'est à travers la notion de trouble anormal du voisinage que les contentieux sur les sons et odeurs des territoires ruraux s'expriment.

1. La prise en compte des circonstances de temps et de lieu

Principe juridictionnel, le caractère normal, ou anormal, du trouble doit être apprécié « en fonction des circonstances de temps et de lieu » 4 ( * ) . Ainsi, le caractère rural est pris en compte : c'est notamment sur ce fondement que la cour d'appel de Bordeaux 5 ( * ) , dans un arrêt du 1 er juin 2006, a évalué l'intensité du trouble causé par le chant des sept coqs chez un habitant. Un récent arrêt de la cour d'appel de Paris de 2019 le rappelle : les mauvaises odeurs et les nuisances sonores émanant des volailles présentes sur une propriété voisine ne constituent pas un trouble anormal du voisinage, « dans la mesure où les inconvénients décrits constituent des inconvénients incontournables de la vie à la campagne » 6 ( * ) .

En revanche, même en milieu rural, l'intensité et la régularité du chant du coq doivent être prises en compte pour évaluer la normalité du trouble. En effet, le degré de dérangement n'est sans doute pas le même pour le voisin du coq « Maurice » sur l'île d'Oléron ne chantant que de 6h30 à 7 heures et de manière peu intense, et celui d'un coq bourguignon chantant toutes les dix à vingt secondes. D'ailleurs, dans cette affaire de 1987, la cour d'appel de Dijon avait estimé que les cris de l'animal dépassaient les inconvénients normaux de voisinage, alors même que l'on se situait en milieu rural 7 ( * ) .

Ruralité et troubles anormaux du voisinage : exemples de décisions

Cour d'appel de Montpellier, 12 mars 2002 : trouble anormal du voisinage, en raison d'odeurs nauséabondes d'un élevage de porcs, « alors même que l'on se trouve dans une zone à vocation d'élevage, et que celui qui en est victime est lui-même éleveur, en raison de leur particulière intensité ». Ces odeurs doivent être « ramenées à un niveau pouvant être considéré comme acceptable compte tenu de la destination agricole de la zone ».

Cour d'appel de Bordeaux, 2 juin 2016 : trouble anormal du voisinage en raison du coassement de grenouilles à 63 décibels « au regard de l'ampleur des troubles qui se produisent plusieurs mois durant la saison chaude avec une intensité certaine liée à la présence d'une colonie de batraciens et qui sont dus à la création illicite d'une mare dans la proximité immédiate d'une habitation, il échet de considérer que les dits troubles excèdent les inconvénients normaux du voisinage ».

Cour d'appel de Colmar, 18 mai 2012 : absence de trouble anormal du voisinage du fait de la prolifération de mouches et du développement d'odeurs : « attendu que de nombreuses attestations produites par l'appelante établissent la bonne prise en charge des animaux et l'évacuation régulière du fumier généré par les animaux [...] ; attendu, en tout état de cause, que la présence de mouches, en nombre limité selon les constatations objectives du constat d'huissier dressé en novembre 2005, [...] ainsi que d'odeurs de fumier, dans une zone qui, au vu de sa situation urbanistique et des photographies produites, sera qualifiable de zone rurale ou semi-rurale à la lisière d'un village, n'apparaît pas constituer un inconvénient d'une importance telle qu'il excède les inconvénients du voisinage normalement supportables par les habitants voisins ».

2. Les conséquences de l'antériorité de l'activité génératrice du trouble

L'article L. 112-16 du code de la construction et de l'habitation prévoit une exemption au trouble anormal du voisinage pour des activités agricoles, industrielles, artisanales, commerciales, touristiques, culturelles ou aéronautiques lorsque le permis de construire du bâtiment exposé aux nuisances est postérieur à l'existence des activités les occasionnant à deux conditions :

- les activités doivent s'exercer en conformité avec les dispositions législatives et réglementaires en vigueur ;

- elles doivent être poursuivies dans les mêmes conditions. Lorsque le changement d'activité agricole est source de nuisances de même nature que l'activité précédemment autorisée, sur le même site et dans les mêmes bâtiments, il n'existe aucun préjudice nouveau - en l'espèce un élevage de canards a succédé à un élevage de porcs 8 ( * ) . Toutefois, la transformation d'une exploitation agricole, en vue d'y ajouter une activité, par exemple un élevage, peut entraîner une modification de telle sorte que l'activité n'est plus poursuivie dans les mêmes conditions, et donc n'est plus protégée par le principe d'antériorité.

Le principe d'antériorité est également utilisé par le juge, dans le cadre de son appréciation souveraine du trouble anormal du voisinage, en dehors de l'exception prévue par l'article L. 112-16 du code de la construction et de l'habitation. Dans une affaire de coassements de grenouilles dans un point d'eau construit légalement et situé sur une propriété, la cour d'appel de Paris a ainsi pris en compte le fait que « les batraciens n'ont jamais été véritablement absents de cette lisière humide de forêt » 9 ( * ) pour débouter les plaignants.


* 4 Arrêt du 3 novembre 1977, cour de cassation 3 e civ. D. 1978.434).

* 5 Cour d'appel de Bordeaux (n° 05/00492).

* 6 Cour d'appel de Paris, 13 juin 2019, n° 16/13677.

* 7 « Attendu que les époux D. P. produisent plusieurs attestations et constats d'huissier de justice d'où il résulte qu'à des heures matinales, réservées d'ordinaire à un repos bien mérité, le volatile des époux G. coquerique toutes les dix ou vingt secondes avec une régularité, une vaillance et une persévérance qui seraient dignes d'admiration en toute circonstance ; [...] Attendu que, [...] , le trouble, dont les époux D.P. démontrent qu'il leur cause un préjudice, dépasse les inconvénients normaux du voisinage, même dans un bourg rural », cour d'appel de Dijon, 2 avril 1987.

* 8 Cour d'appel d'Agen, 1 er juillet 2009, n° 08/00648.

* 9 Cour d'appel de Paris, chambre 01 A, 8 août 2008, n° 08/14542.

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