N° 265

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2020-2021

Enregistré à la Présidence du Sénat le 13 janvier 2021

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur la proposition de loi visant à consolider les outils des collectivités permettant d'assurer un meilleur accueil des gens du voyage ,

Par Mme Jacqueline EUSTACHE-BRINIO,

Sénatrice

(1) Cette commission est composée de : M. François-Noël Buffet , président ; Mmes Catherine Di Folco, Marie-Pierre de La Gontrie, MM. Christophe-André Frassa, Jérôme Durain, Marc-Philippe Daubresse, Philippe Bonnecarrère, Mme Nathalie Goulet, M. Alain Richard, Mmes Cécile Cukierman, Maryse Carrère, MM. Alain Marc, Guy Benarroche , vice-présidents ; M. André Reichardt, Mmes Laurence Harribey, Jacky Deromedi, Agnès Canayer , secrétaires ; Mme Éliane Assassi, MM. Philippe Bas, Arnaud de Belenet, Mmes Catherine Belrhiti, Esther Benbassa, MM. François Bonhomme, Hussein Bourgi, Mme Valérie Boyer, M. Mathieu Darnaud, Mmes Françoise Dumont, Jacqueline Eustache-Brinio, M. Pierre Frogier, Mme Françoise Gatel, M. Loïc Hervé, Mme Muriel Jourda, MM. Patrick Kanner, Éric Kerrouche, Mikaele Kulimoetoke, Jean-Yves Leconte, Henri Leroy, Stéphane Le Rudulier, Mme Brigitte Lherbier, MM. Didier Marie, Hervé Marseille, Mme Marie Mercier, MM. Thani Mohamed Soilihi, Jean-Yves Roux, Jean-Pierre Sueur, Mmes Lana Tetuanui, Claudine Thomas, Dominique Vérien, M. Dany Wattebled .

Voir les numéros :

Sénat :

585 (2019-2020) et 266 (2020-2021)

L'ESSENTIEL

Réunie le 13 janvier 2021 sous la présidence de François-Noël Buffet (Les Républicains - Rhône), la commission des lois du Sénat a examiné, sur le rapport de Jacqueline Eustache-Brinio (Les Républicains - Val d'Oise), la proposition de loi n° 585 (2020-2021) visant à consolider les outils des collectivités permettant d'assurer un meilleur accueil des gens du voyage .

Elle a adopté sept amendements tendant à recentrer les dispositions proposées sur les objectifs du texte tout en renforçant son opérationnalité et sa solidité juridique .

I. UN CADRE JURIDIQUE FONDÉ SUR L'ÉQUILIBRE ENTRE OBLIGATIONS D'ACCUEIL DES GENS DU VOYAGE ET LUTTE CONTRE LES OCCUPATIONS ILLICITES

A. UN CADRE JURIDIQUE SPÉCIFIQUE SOUFFRANT DE LONGUE DATE D'UN DÉFAUT D'APPLICATION

1. Une population au mode de vie spécifique

Comme le rappelait la Cour des comptes dans l'introduction de son rapport public thématique de 2012 1 ( * ) , « l'appellation " gens du voyage ", d'origine administrative, a été retenue par le législateur pour désigner une catégorie de la population caractérisée par son mode de vie spécifique » 2 ( * ) . Le terme renvoie plus précisément aux « personnes dont l'habitat en résidence mobile a un caractère traditionnel », à l'exclusion des personnes vivant contre leur gré dans un habitat mobile ou léger 3 ( * ) .

Ce mode de vie spécifique - qui n'est du reste pas partagé de manière homogène par tous les gens du voyage 4 ( * ) - expose à diverses difficultés. Indépendamment des discriminations dont ils peuvent faire l'objet de ce fait 5 ( * ) , il rend en particulier difficile l'accès à certains droits et l'accomplissement de certains devoirs qu'emporte en principe la domiciliation . Leur mode de vie spécifique a donc conduit le législateur à adopter un régime juridique ad hoc , destiné à s'assurer que les effets juridiques produits par la domiciliation s'appliquaient également, sous des modalités adaptées, aux gens du voyage.

2. Un cadre juridique particulier

Le cadre juridique applicable aux gens du voyage a été constitué, jusqu'en 2017, essentiellement de deux volets : l'un régissant leur statut aux yeux des pouvoirs publics , dont la présente proposition de loi ne traite qu'incidemment ; l'autre prévoyant les modalités de leur accueil .

a) Un statut dérogatoire, récemment abrogé

Le statut des gens du voyage a longtemps été largement dérogatoire . Il a été constitué, à titre principal, par la loi n° 69-3 du 3 janvier 1969 relative à l'exercice des activités ambulantes et au régime applicable aux personnes circulant en France sans domicile ni résidence fixe . Celle-ci prévoyait en particulier que les gens du voyage :

- étaient astreints à la détention d'un livret de circulation (articles 2 à 4 de ladite loi) ;

- étaient tenus, lorsqu'ils sollicitaient la délivrance de leur livret de circulation, de déclarer une commune à laquelle ils souhaitaient être rattachés, ce rattachement administratif étant prononcé par le préfet (articles 7 à 10).

Ce rattachement produisait « tout ou partie des effets attachés au domicile, à la résidence ou au lieu de travail » en matières civile (célébration du mariage), sociale (accès aux droits sociaux), fiscale , électorale (inscription sur les listes électorales) et militaire (obligation du service national).

Le statut administratif dérogatoire des gens du voyage a néanmoins été censuré, dans certaines de ses implications électorales, par le Conseil constitutionnel en 2012 avant d'être aboli par la loi n° 2017-86 du 27 janvier 2017 relative à l'égalité et à la citoyenneté , qui a abrogé la loi n° 69-3 du 3 janvier 1969 précitée 6 ( * ) .

b) Le renforcement progressif de la politique d'accueil

Les premières obligations relatives à l'accueil des gens du voyage ont été créées par la loi n° 90-449 du 31 mai 1990 visant à la mise en oeuvre du droit au logement . Son article 28 prévoyait la création de schémas départementaux organisant « les conditions d'accueil spécifiques des gens du voyage, en ce qui concerne le passage et le séjour, en y incluant les conditions de scolarisation des enfants et celles d'exercice d'activités économiques ». Par ailleurs, toute commune de plus de 5 000 habitants était désormais tenue de prévoir « les conditions de passage et de séjour des gens du voyage sur son territoire, par la réservation de terrains aménagés à cet effet ».

Dès cette date, la création d'obligations d'offrir des aires d'accueil s'accompagnait d'un corollaire permettant l'équilibre juridique du dispositif . Ainsi, une fois l'aire d'accueil sur le territoire de la commune réalisée, « le maire ou les maires des communes qui se sont groupées pour la réaliser [pouvaient], par arrêté, interdire le stationnement des gens du voyage sur le reste du territoire communal. ». Cet équilibre entre devoir d'accueil et droit de lutter contre les stationnements illicites constitue, pour les communes et établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) concernés, le fondement du cadre juridique de la politique d'accueil des gens du voyage.

Après plusieurs années d'application, ce cadre juridique n'avait néanmoins pas fait la preuve de son efficacité : comme le relevait la Cour des comptes dans son rapport de 2012 précité, « seuls 32 schémas départementaux d'accueil des gens du voyage avaient été adoptés conjointement par les préfets et les présidents de conseil général et 4 085 emplacements aménagés ».

La loi n° 2000-614 du 5 juillet 2000 relative à l'accueil et à l'habitat des gens du voyage , dite « Besson II » a donc prévu un renforcement du cadre juridique existant , sans altérer l'équilibre défini par le législateur en 1990. Elle a ainsi renforcé les schémas départementaux d'accueil des gens du voyage , en détaillant les objectifs et le contenu, et prévu que les communes de 5 000 habitants y figuraient obligatoirement. Des aides financières de l'État furent prévues pour faciliter la réalisation par les communes de leurs objectifs d'aménagement et d'équipement en matière d'accueil et le préfet fut doté d'un pouvoir de substitution lorsque les collectivités concernées échouaient à se mettre en conformité avec leurs obligations.

Conformément à l'équilibre caractéristique de ce cadre juridique, ce premier volet s'est accompagné d'un second volet attribuant aux communes des prérogatives nouvelles . L'article 9 de la loi a ainsi prévu que, dès lors que sa commune « [remplit] les obligations qui lui incombent » en vertu du schéma départemental, son maire peut interdire par arrêté municipal le stationnement sur la commune de résidences mobiles de gens du voyage en dehors des aires aménagées à cet effet . Dans le cas où cet arrêté fait l'objet d'une violation et que le maire constate sur le territoire de sa commune des stationnements illicites, une procédure relativement simplifiée d'évacuation forcée sous le contrôle du juge fut également prévue .

Ces dispositions ont connu de légères modifications postérieures, tendant à renforcer et faciliter l'exercice des pouvoirs de police en matière de stationnement illicite du préfet et du maire ou du président de l'établissement public de coopération intercommunale concerné :

- la loi n° 2003-239 du 18 mars 2003 pour la sécurité intérieure 7 ( * ) a étendu la procédure d'évacuation forcée aux communes appartenant à un groupement de communes s'étant vu attribuer la compétence de gestion des aires d'accueil ;

- la loi n° 2007-297 du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance a créé 8 ( * ) une procédure administrative d'évacuation forcée 9 ( * ) . En cas de stationnement illicite 10 ( * ) , le maire peut désormais demander au préfet de mettre en demeure les occupants de quitter les lieux. Lorsque la mise en demeure est restée sans effet, le préfet peut alors procéder à l'évacuation forcée ;

- enfin, l'article 63 de la loi n° 2010-1563 du 16 décembre 2010 de réforme des collectivités territoriales prévoyait, « lorsqu'un établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre est compétent en matière de réalisation d'aires d'accueil ou de terrains de passage des gens du voyage », le transfert à son président des pouvoirs de police spéciale des maires en la matière.


* 1 « L'accueil et l'accompagnement des gens du voyage », rapport public thématique de la Cour des comptes, octobre 2012, p. 9.

* 2 D'autres appellations, généralement fondées sur les origines ethniques indo-européennes et la culture des populations ainsi désignées, peuvent également être rencontrées, sans qu'elles rendent parfaitement compte de la diversité des populations concernées. Il en va ainsi du terme de « Tsiganes » ou encore du terme de « Roms », retenu par le Conseil de l'Europe. Ce dernier terme peut néanmoins être source de confusion dans le contexte français puisqu'il peut être employé par les pouvoirs publics pour désigner des migrants de nationalité étrangère issus de pays d'Europe orientale et centrale, qui ne se reconnaissent pas nécessairement dans le mode de vie itinérant des gens du voyage. L'appellation de « gens du voyage » renvoie au contraire à des citoyens disposant, pour leur très grande majorité, de la nationalité française.

* 3 Le rapport n° 44 (2017-2018) de Catherine Di Folco sur la proposition de loi tendant à soutenir les collectivités territoriales et leurs groupements dans leur mission d'accueil des gens du voyage, déposé le 25 octobre 2017, proposait (p. 9) des développements sur la situation des gens du voyage en France qui restent pertinents. Le rapport est accessible à l'adresse suivante :

https://www.senat.fr/rap/l17-044/l17-044.html .

* 4 Il est généralement retenu que sur les 350 000 à 400 000 personnes relevant de la catégorie administrative des « gens du voyage », un tiers est sédentaire, un tiers est semi-sédentaire
- effectuant des déplacements, à un rythme parfois annuel, vers des territoires d'attachement - et un tiers est itinérant.

* 5 Dans une fiche en date du 1 er décembre 2012, le Défenseur des droits relevait ainsi que « selon le rapport 2011 de la Commission nationale consultative des droits de l'homme, 10 % des victimes de racisme en France sont tsiganes, Roms ou gens du voyage » et que « les populations les plus perçues comme des groupes à part dans la société française [étaient] les Roms (77 %) et les gens du voyage (72 %) ».

* 6 Voir les articles 193 à 195 de la loi n° 2017-86 du 27 janvier 2017.

* 7 Voir l'article 55 de la loi. L'article 56 a également prévu un renforcement des pouvoirs du juge : lorsque le maire démontrait l'impossibilité d'identifier chacun des occupants du terrain concerné, le juge pouvait étendre les effets de l'ordonnance d'évacuation prononcée en référé à l'ensemble des occupants.

* 8 Article 27 de la loi.

* 9 Sans préjudice des procédures juridictionnelles, civile, pénale, ou devant le juge administratif (expulsion d'occupants sans titre d'un terrain appartenant au domaine public).

* 10 L'article 28 de la même loi insérait au sein de la loi « Besson II » un article 9-1 étendant la procédure de mise en demeure et d'évacuation forcée par le préfet aux communes n'étant pas inscrites au schéma départemental.

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