DEUXIÈME PARTIE
UN BUDGET TOURNÉ VERS LA RÉPONSE À LA CRISE SANITAIRE

I. LE PROGRAMME 131 « CRÉATION » : DES CRÉDITS MAJORÉS POUR ACCÉLÉRER LA SORTIE DE LA CRISE SANITAIRE

Le programme 131 « Création » est structuré autour de trois actions :

- l'action 01 dédiée au spectacle vivant, qui regroupe, au sein du projet de loi de finances, 727,29 millions d'euros de crédits de paiement ;

- l'action 02 qui vise à soutenir les arts visuels, dotée de 89,98 millions d'euros des crédits de paiement au sein du présent projet de loi de finances ;

- l'action 06, créée en loi de finances pour 2020 et appelée à financer le soutien à l'emploi et la structuration des professions. Les crédits de paiement affectés au programme s'élèvent à 45,02 millions d'euros au sein du présent projet de loi de finances.

Répartition des crédits de paiement
au sein du programme 131 « Création »

Source : commission des finances du Sénat

Le présent projet de loi de finances se traduit par une majoration des crédits de 3,88 % en AE et 4,46 % en CP par rapport à la loi de finances pour 2020. Cette majoration profite pour l'essentiel aux actions dédiées au soutien aux arts visuels (+ 18,26 %) et au soutien à l'emploi (+ 18,41 %). Le montant des crédits de paiement devrait ainsi atteindre 862,3 millions d'euros, soit une progression de 36,8 millions d'euros par rapport à la loi de finances pour 2020.

Il convient de rappeler à ce stade que les marges de manoeuvre du programme restent étroites au regard des charges fixes qui structurent son budget. Celles-ci représentent 78,1 % du montant des crédits de paiement dédiés au programme 131 :

- les crédits de paiement prévus pour les dépenses d'intervention déconcentrées représentent 371,3 millions d'euros, soit 43,1 % des crédits de paiement prévus ;

- les versements aux opérateurs (subventions pour charges de service public et dotations en fonds propres) devraient ainsi atteindre 282,7 millions d'euros, soit 32,8 % des crédits du programme ;

- les dépenses dédiées à l'entretien et aux travaux devraient représenter, quant à elles, 23,96 millions d'euros, soit 2,8 % des crédits.

Les rapporteurs spéciaux relèvent cependant que les gestionnaires du programme devraient bénéficier de plus de marges de manoeuvres en 2021 qu'en 2020, la loi de finances pour 2020 prévoyait en effet que les charges fixes représentent 82,1 % des crédits de paiement du programme. Cette plus grande souplesse doit être saluée, le ministère de la culture devant pouvoir agir pour soutenir des filières fragilisées par la crise.

Le ministère de la culture estimait à 72 % le niveau de la chute du chiffre d'affaires du secteur du spectacle vivant par rapport à 2019, soit une perte de 4,2 milliards d'euros 2 ( * ) . Cette estimation sera nécessairement réévaluée à la hausse compte-tenu des mesures de couvre-feu mises en place en France depuis le 16 octobre dernier et du nouveau confinement mis en oeuvre le 30 octobre suivant. Le ministère tablait en effet, dans son estimation initiale, sur une reprise de l'activité sur les trois derniers mois de l'année, le chiffre d'affaires attendu étant estimé à 330 millions d'euros (- 79 % par rapport à 2019). Le secteur emploie 217 860 personnes dont 93 110 personnes à titre principal.

La baisse d'activité dans le secteur des arts visuels était, quant à elle, évaluée, à 31 % par le ministère de la culture à la même date, la perte de chiffre d'affaires atteignant 3 milliards d'euros 3 ( * ) . Là encore, le ministère envisageait une nette reprise en fin d'année 2020, hypothèse mise à mal par les nouvelles contraintes sanitaires.

A. UNE AIDE AUX FILIÈRES QUI DÉPASSE LE PROGRAMME 131

1. Des dispositifs de soutien mis en oeuvre dès 2020
a) Un accès possible aux dispositifs transversaux

Afin de faire face à l'interruption de leur activité au printemps puis en fin d'année, les entreprises du secteur ont pu, à des degrés divers, accéder aux dispositifs généraux mis en oeuvre par le Gouvernement : activité partielle, exonération de cotisations sociales, reports de charges, accès au Fonds de solidarité et aux prêts garantis par l'État. Les intermittents du spectacle ont vu, par ailleurs, leur indemnisation prolongée jusqu'en août 2021 (« année blanche ») 4 ( * ) . Cette prolongation concerne les intermittents arrivant en fin de droit en août 2021.

L'accès des opérateurs de l'État à certains de ces dispositifs a, cependant, été contrarié en raison de leur structure de financement. Les établissements disposant d'un subventionnement public représentant plus de la moitié de leurs ressources ont ainsi été écartés du mécanisme de prise en charge de l'activité partielle. Les établissements publics de coopération culturelle (EPCC) n'ont pu également y accéder.

b) La mise en place de mécanismes par redéploiement de crédits

5 millions d'euros ont été dégagés afin de financer le fonds d'urgence pour le spectacle vivant non musical (FUSV), mis en place par l'association pour le soutien du théâtre privé (ASTP). Ce mécanisme vise à soutenir les théâtres, producteurs privés et compagnies, privés de recettes en raison de l'interruption des activités. Le FUSV doit permettre de couvrir les charges fixes (hors masse salariale) de ces entreprises.

3,27 millions d'euros ont, en outre, été mis en oeuvre pour financer un plan d'urgence des arts visuels :

- le centre national des arts plastiques (CNAP) a ainsi bénéficié d'une dotation de 2,47 millions d'euros afin, notamment, de mettre en place une commission d'acquisition exceptionnelle destinée à soutenir le marché de l'art. 83 oeuvres ont ainsi pu être acquises. Le CNAP a également versé une aide à 822 artistes via un fonds d'urgence créé spécialement pour compenser les pertes de rémunération subies par les artistes. 445 aides de secours exceptionnelles ont été versées à des artistes plasticiens rencontrant des difficultés financières et sociales momentanées. Ces aides ont été reconduites au deuxième semestre 2020 ;

- 0,8 million d'euros ont été affectés au financement d'un dispositif de soutien à la trésorerie pour 145 structures non labellisées.

La totalité des subventions accordées par le ministère de la culture a, par ailleurs, été versée par anticipation dès les premiers jours du premier confinement, quelle que soit l'activité du bénéficiaire

c) Des crédits majorés en loi de finances rectificative

Les lois de finances rectificatives pour 2020 ont par ailleurs majoré la dotation budgétaire affectée au programme 131.

La troisième loi de finances rectificative pour 2020 a permis une ouverture de crédits à hauteur de 23 millions d'euros (AE = CP) sur le programme 131 « Création ».

13 millions d'euros (AE = CP) ont été versés en soutien des opérateurs et établissements confrontés à des pertes de ressources propres importantes en raison des mesures de confinement. Cette aide s'est concentrée sur trois opérateurs : Philharmonie de Paris, Opéra-comique et Palais de Tokyo, avec pour objectif d'éviter une cessation de paiements. Les caisses de retraites de la Comédie Française et de l'Opéra national de Paris ont également été abondées à cette occasion.

10 millions d'euros (AE = CP) sont venus financer un fonds en faveur des festivals annulés. Les régions étaient également invitées à abonder ce dispositif.

La réserve de précaution du programme 131 a, dans le même temps, été intégralement dégelée. 27 millions d'euros (AE = CP) ont pu ainsi être fléchés vers le soutien aux labels et réseaux du spectacle vivant, non concernés par le FUSV. Les établissements publics de coopération culturelle ont ainsi bénéficié d'une compensation de l'activité partielle. Le dégel a également permis de renforcer la dotation du fonds national pour l'emploi pérenne dans le spectacle (FONPEPS) de 5 millions d'euros, afin d'accompagner les professionnels non concernés par l'année blanche. Un fonds d'urgence spécifique de solidarité pour les artistes et les techniciens du spectacle (FUSSAT) a pu ainsi être mis en place.

Le projet de loi de finances rectificative n°4 prévoit, par ailleurs, une ouverture de crédits à hauteur de 25 millions d'euros (AE=CP) aux fins de financement de mesures d'urgence en faveur du spectacle vivant.

2. Une dotation complétée en 2021 par le Plan de relance

L'action 05 « Culture » du programme 363 « Compétitivité » de la mission « Plan de relance » prévoit deux enveloppes appelées à compléter le programme 131. 259 millions d'euros en AE et 177,9 millions d'euros sont ainsi prévus en faveur de la création. Cette dotation complémentaire est particulièrement bienvenue au regard de l'absence de grandes marges de manoeuvres budgétaires du programme 131.

Fonds prévus pour la création par le plan de relance

(en millions d'euros)

AE

CP

Renouveau et reconquête de notre modèle de création et de diffusion artistique

Soutien aux opérateurs nationaux

126

81,9

Relance de la programmation des institutions de spectacle vivant en région (musique)

30

23

Relance de la programmation des institutions de spectacle vivant en région (théâtre, arts de la rue, danse, cirque)

30

20

Fonds de transition écologique pour les institutions de la création en région sur deux ans

20

10

Soutien au théâtre privé

10

10

Total

216

144,9

Effort spécifique pour soutenir l'emploi artistique, redynamiser la jeune création et la modernisation des réseaux d'enseignement supérieur de la culture

Programme de commande publique dans les domaines de la littérature, des arts visuels et du spectacle vivant

30

20

Soutien aux artistes fragilisés par la crise et non pris en charge par les dispositifs transversaux

Total

13

43

13

33

Total général

259

177,9

Source : commission des finances d'après les documents budgétaires

a) Le renouveau du modèle de création et de diffusion artistique

La première « Favoriser le renouveau du modèle de création et de diffusion artistique » est dotée de 426 millions d'euros en AE et 319,9 millions d'euros en CP. Une partie des financements qu'elle comprend (210 millions d'euros en AE et 175 millions d'euros en CP) vient compléter ceux prévus par le programme 334 « Livre et industries culturelles » de la mission « Médias, Livre et industries culturelles ». 216 millions d'euros en AE et 144,9 millions d'euros en CP sont ainsi dédiés à des mesures portées par le programme 131.

(1) Des dispositifs en faveur de la création en région

Il en va ainsi de la relance de la programmation des institutions musicales classiques installées en région. 30 millions d'euros en AE et 20 millions d'euros en CP sont ainsi destinés, sous l'égide des DRAC, à accompagner la reprise d'activité des artistes, ensembles et orchestres. Ce plan doit permettre de relancer la mise en oeuvre de programmations ambitieuses, de financer de nouvelles créations, de relancer l'emploi artistique, notamment par le recrutement des équipes artistiques fragilisées par la crise sanitaire. Un dispositif équivalent dédié aux institutions de spectacle vivant (théâtre, arts de la rue, danse, cirque) installées en région, doté de 30 millions d'euros en AE et 20 millions en CP , est également prévu. Il intègrera un soutien en faveur des festivals et prend ainsi le relais du fonds mis en place en 2020.

L'enveloppe prévoit également la mise en place d'un fonds de transition écologique pour les institutions de la création installées en région, doté de 20 millions d'euros en AE et 10 millions d'euros en CP. Le dispositif vise à favoriser la remise aux normes et la transition écologique des bâtiments, dans une logique de cofinancement avec les collectivités territoriales propriétaires de ces équipements. Ces crédits doivent permettre la mise en oeuvre de travaux de remise aux normes et de performance énergétiques, de rénovations thermiques ou de favoriser des investissements dans la transition numérique des salles de spectacle et des lieux d'exposition d'arts visuels.

Enfin, la même enveloppe prévoit la mise en place d'un fonds de soutien au théâtre, appelé à relayer le FSUV. L'ASTP bénéficiera ainsi de 10 millions d'euros en AE et 5 millions d'euros en CP afin de soutenir le secteur.

(2) Un plan de renflouement des opérateurs

49 % des AE et 46 % des CP dédiés à la création au sein du Plan de relance sont orientés vers le soutien aux opérateurs. 126 millions d'euros en AE en CP et 81,9 millions d'euros sont ainsi fléchés dans deux directions :

- le renforcement de la capacité d'exploitation et de production des établissements (62 millions d'euros en AE) ;

- l' accélération des chantiers d'investissement , à l'image du projet de Cité du théâtre sur le site parisien des anciens ateliers Berthier (64 millions d'euros en AE).

Cette somme vient compléter les subventions versées aux opérateurs de la création dans le cadre du programme 131. Les subventions pour charges de service public et les dotations en fonds propre versées aux opérateurs s'élèvent, dans le présent projet de loi de finances, à 282,7 millions d'euros (AE = CP) et les dépenses d'investissement affectées aux chantiers menées par ces opérateurs atteignent 39,2 millions en AE et 27,9 millions d'euros en CP. La dotation prévue par le Plan de relance représente donc 26,21 % de crédits de paiement en plus pour ces établissements en 2021.

Reste à déterminer si ce soutien sera suffisant. Une première estimation, réalisée en mai 2020 à la demande des rapporteurs spéciaux, faisait état d'une perte cumulée pour ces établissements de 32,8 millions d'euros 5 ( * ) . Ce chiffre est aujourd'hui à réévaluer compte tenu des incidences des mesures réduction des jauges mises en oeuvre lors du déconfinement, de l'instauration d'un couvre-feu à partir du 16 octobre puis de la mise en place, le 30 octobre dernier, d'un deuxième confinement. Interrogé par les rapporteurs spéciaux, le directeur général de l'Opéra de Paris a ainsi réévalué les pertes nettes de son établissement, passant de 26 millions d'euros en mai dernier à 46 millions d'euros au 1 er décembre. Or le plan de relance ne prévoit pour cet établissement qu'une compensation de 15 millions d'euros. Le déficit prévisionnel de la Philharmonie de Paris a, quant à lui, été porté de 1,8 million d'euros en mai 2020 à 3,3 millions d'euros au 1 er décembre 2020.

De fait, si l'initiative du Gouvernement doit être appuyée tant elle peut éloigner le spectre d'une cessation de paiement pour ces établissements et favoriser leur renflouement, elle pourrait s'avérer insuffisante, compte tenu de l'aléa sanitaire, pour permettre aux opérateurs de recouvrer leurs marges financières d'avant crise. L'Opéra de Paris, la Philharmonie de Paris ou la Comédie française ne tablent pas sur un retour à la normale avant le mois de juin 2021. L'effet du critère de la jauge est particulièrement net sur les pertes de ces établissements, invités à maintenir des spectacles dont les recettes ne couvrent pas les charges qu'ils entraînent. Les incidences de la crise économique et sanitaire sur le mécénat restent par ailleurs à quantifier , certains opérateurs tablant sur une possible réorientation de la générosité privée, pour partie amoindrie, vers des causes médico-sociales. Il convient de rappeler à ce stade que le mécénat représentait par exemple 16,5 % des ressources propres de l'Opéra de Paris en 2019 ou 22,6 % des ressources propres du théâtre national de Chaillot 6 ( * ) .

Par ailleurs, cette logique de compensation sur crédits 2021 de pertes datant de 2020 peut apparaître trop tardive au regard du processus de création. La Comédie française ne devrait pas ainsi pouvoir mener à bien les actions envisagées dans le cadre du quadricentenaire de la naissance de Molière en 2022, faute d'avoir pu mobiliser, dès l'exercice 2020, les crédits envisagés.

b) Le soutien à l'emploi et à la jeune création

La deuxième enveloppe « Soutenir l'emploi artistique, redynamiser la jeune création et moderniser le réseau des établissements d'enseignement supérieur de la culture » est dotée de 113 millions d'euros en AE et 83 millions d'euros en CP mais couvre également des structures relevant du programme 361 (cf infra ). 43 millions d'euros en AE et 33 millions en CP viendront financer deux mesures destinées à relayer le programme 131.

Un programme de commande publique dans les domaines de la littérature, des arts visuels et du spectacle vivant devrait ainsi être doté de 30 millions d'euros en AE et 20 millions d'euros en CP.

Le plan de relance prévoit également un mécanisme de soutien aux artistes fragilisés par la crise et non pris en charge par les dispositifs transversaux (13 millions d'euros AE = CP). Celui-ci prévoit :

- la prolongation en 2021 du fonds d'urgence spécifique de solidarité pour les artistes et les techniciens du spectacle (FUSSAT) dont les crédits seront portés à 7 millions d'euros afin de couvrir la durée totale de l'année blanche ;

- un soutien complémentaire de 6 millions d'euros à destination des créateurs et lieux d'exposition dans le domaine des arts visuels. Ces crédits seront affectés au Centre national des arts plastiques (CNAP) afin d'attribuer des aides plus importantes en faveur des artistes-auteurs et d'accompagner la présence des galeries d'art contemporain françaises, et aux fonds régionaux d'art contemporain (FRAC) qui seront également mobilisés pour contribuer au soutien des galeries par des acquisitions complémentaires. Une partie de cette enveloppe sera également réservée aux jeunes créateurs de mode.

Crédits prévus pour la création en 2020 et 2021

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires


* 2 Analyse de l'impact de la crise du Covid-19 sur les secteurs culturels - Secteur du spectacle vivant, Département des études, des prospectives et des statistiques (DEPS) du ministère de la Culture.

* 3 Analyse de l'impact de la crise du Covid-19 sur les secteurs culturels - Secteur des arts visuels, Département des études, des prospectives et des statistiques (DEPS) du ministère de la Culture.

* 4 Arrêté du 22 juillet 2020 portant mesures d'urgence en matière de revenus de remplacement mentionnés à l'article L. 5421-2 du code du travail et décret n° 2020-928 du 29 juillet 2020 portant mesures d'urgence en matière de revenus de remplacement des artistes et techniciens intermittents du spectacle.

* 5 Estimation sur la base des 9 réponses retournées au questionnaire adressé aux 10 opérateurs de spectacle vivant.

* 6 Réponse au questionnaire adressé par les rapporteurs spéciaux en mai 2020.

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