B. LA NÉCESSAIRE CONCRÉTISATION DES ENGAGEMENTS DE L'ÉTAT EN FAVEUR DES ACTEURS LOCAUX DE LA SÉCURITÉ CIVILE

Le financement de la sécurité civile repose essentiellement sur les dépenses locales. En effet, le budget consolidé des services départementaux d'incendie et de secours (SDIS) , financés par les collectivités territoriales, s'est élevé à 5,131 milliards d'euros pour l'année 2019 , soit près de dix fois les crédits du programme 161 « Sécurité civile ». Les contributions des départements versées au SDIS demeurent prépondérantes (58 %) dans ce budget.

1. Des allégements de charges revendiqués par les SDIS, qui font face à des dépenses supplémentaires

Malgré une baisse bienvenue de la pression opérationnelle qui pèse sur les SDIS (-3% par rapport à 2018), les dépenses de ces derniers augmentent en 2019 (+3,2 % par rapport à 2018). Ce mouvement croisé relativise ainsi le discours selon lequel la maîtrise de l'engagement opérationnel devait aboutir à une réduction des dépenses, comme le relève la conférence nationale des services d'incendie et de secours.

Évolution des dépenses des SDIS en 10 ans

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les comptes de gestion des SDIS

Bilan des interventions des SDIS en 10 ans

Source : recueil des statistiques des SDIS, édition 2020

Ainsi, malgré une diminution des interventions par rapport à 2018, la mobilisation des SDIS demeure très élevée, notamment en matière de secours d'urgence aux personnes (SUAP) qui représente aujourd'hui 79 % des 4,8 millions d'intervention effectuées en 2019.

Les revendications exprimées ces dernières années par les sapeurs-pompiers en contrepartie de cet engagement opérationnel ont été en partie satisfaites, à travers la revalorisation de l'indemnité de feu décrétée par le ministre de l'intérieur l'été dernier 6 ( * ) .

Cette revalorisation implique un relèvement du plafond de 19 % à 25 % du salaire de base des sapeurs-pompiers professionnels et engendre ipso facto des dépenses supplémentaires qui ne sont pas à la charge de l'État, mais des employeurs locaux . L'Assemblée des départements de France les estime ainsi à 80 millions d'euros sur l'ensemble des départements en année pleine . La direction générale des collectivités locales (DGCL) considère que les départements peuvent assumer cet accroissement de charges de +0,16 % de leur dépenses de fonctionnement (entre +0,04 % et +0,26 % selon les départements), et qu'ils devraient aussi profiter d'une dynamique positive de la quote-part de la taxe spéciale sur les conventions d'assurance versée par l'État aux conseils départementaux au titre du financement des services d'incendie et de secours (53 millions d'euros supplémentaires pour 2020).

Les SDIS, à travers la CNSIS et la Fédération des sapeurs-pompiers (FNSPF), demandent néanmoins une compensation à travers la suppression de la sur-cotisation employeur versée à la caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales (CNRACL), afin de dégager 40 à 45 millions d'euros d'économie.

Le ministre de l'intérieur s'y est engagé fin septembre. Le Gouvernement a ainsi introduit dans le projet de loi de finance de la sécurité sociale pour 2021 un article 13 quinquies qui prévoit la suppression de cette sur-cotisation, mais seulement pour la part « employeur » 7 ( * ) .

Le sujet du remboursement des frais d'intervention réalisée par les sapeurs-pompiers en cas de carence ambulancière mérite aussi d'être considéré, toujours dans la perspective d'alléger les charges pesant sur les SDIS. En effet, comme le rappelle la Cour des comptes, « selon plusieurs SDIS, le forfait de remboursement ne couvrirait pas les charges réellement supportées. » 8 ( * )

Or les indisponibilités des transporteurs sanitaires privés n'ont cessé d'augmenter pour représenter près de 10 % de l'activité des services d'incendie et de secours.

Nombre d'interventions pour carence du transport sanitaire

Source : réponses au questionnaire budgétaire, d'après Infosdis

Le montant du remboursement est revalorisé chaque année (123 euros en 2019, 124 euros en 2020). Fin mai 2020, 79 SIS ont déclaré avoir perçu 26 250 972 euros sur les 35 182 806 euros facturés aux centres hospitaliers au titre des carences faites en 2019.

La mission IGA-IGAS relative à l'évaluation du coût des interventions dites « carences ambulancières » réalisés par les SIS a rendu un rapport en juin dernier, non publié. D'après les éléments communiqués au rapporteur spécial, ce rapport fait état de la difficulté dans la comptabilisation et la reconnaissance des carences ambulancières entre les SAMU-Centre 15 et les SIS. Un remboursement des frais réels mériterait d'être envisagé en lieu et place de l'actuel remboursement forfaitaire.

2. Un soutien budgétaire modeste en faveur des SDIS, qui s'incarne pour l'essentiel dans le projet NexSIS 18-112

Le soutien financier de l'État pour les SDIS demeure marginal en 2021, après la réduction importante la dotation de soutien aux investissements structurants (DSIS) des services d'incendie et de secours (SIS), depuis 2017.

Ainsi en 2020, les 7 millions d'euros de la DSIS iront exclusivement au bénéfice du système « NexSIS 18-112 ». Ce projet, lancé en avril 2017, consiste à déployer un système d'information et de commandement unifié par l'ensemble des SDIS.

L'installation de NexSIS dans les différents SDIS : un programme
qui doit aboutir en 2026

Le projet NexSIS est mis en oeuvre par l'Agence du numérique de la sécurité civile (ANSC) , créée fin 2018, qui regroupe à la fois des représentants des SDIS et du ministère de l'intérieur. Il représente un budget total de 217 millions d'euros . D'après les estimations de la FNSPF, ce projet permettrait d'aboutir à un coût de gestion des systèmes d'information de 193 millions d'euros sur 10 ans, contre 587 millions d'euros en l'absence d'une telle mutualisation. L'ANSC est quant à elle financée par la Dotation de soutien aux investissements structurants des SIS du programme 161 (7 millions d'euros chaque année).

NexSIS sera progressivement déployé dans les SDIS jusqu'en 2026, avec une première version qui entrera en production en Seine-et-Marne (SDIS préfigurateur) dès 2021.

Une première vague de migration concernera les SIS du Bas-Rhin (67), de la Loire-Atlantique (44), de l'Essonne (91), du Var (83), de l'Indre-et-Loire (37), de la Corse-du-Sud (2A), de l'Ardèche (07), de la Nièvre (58), de la Réunion (974), du Lot (46) et de la Manche (50) sur le second semestre 2021 et le premier semestre 2022. Le choix de ces SIS a été déterminé, en lien avec le ministère de l'intérieur, par délibération du conseil d'administration de l'ANSC en octobre 2019.

La DGSCGC précise qu'un nouvel indicateur de performance permettra de suivre le taux de déploiement sur le territoire du système NexSIS , en remplacement de l'indicateur mesurant le déploiement d'ANTARES, qui n'aura plus lieu d'être en 2021.

L'engagement financier de l'État dans le déploiement de ce nouveau système doit cependant être garanti. En effet, certains SDIS, qui ont investi dans des systèmes d'information très performants, craignent que les montants nécessaires pour égaler le niveau de service dont ils bénéficient aujourd'hui ne soit supérieur.

Le projet pourrait également être freiné à court terme depuis la décision du Conseil d'État du 14 octobre 2020 9 ( * ) . Le décret n° 2019-19 du 9 janvier 2019 relatif au système d'information et de commandement unifié des services d'incendie et de secours et de la sécurité civile « NexSIS 18-112 » a ainsi été annulé , sur le fondement de l'absence de consultation de l'Autorité de la concurrence préalable à sa publication.

NexSIS s'inscrit également dans le développement d'un nouveau cadre d'interopérabilité des services d'urgence (CISU) , piloté par le ministère de l'intérieur, qui intègre également le projet « SI SAMU », récemment lancé par le ministère de la santé.

3. Des avancées nécessaires dans l'interopérabilité entre les services secours et d'urgence, avec la mise en place très attendue d'un numéro unique pour les appels d'urgence

Si l'enjeu d'une meilleure coordination entre les différents intervenants de secours et d'urgence se pose depuis plusieurs années, il devient d'autant plus crucial que la gestion de la crise sanitaire a révélé des marges de progression de ce point de vue.

Les acteurs de la sécurité civile préconisent de façon unanime un développement de plateformes communes d'appels d'urgence, adossées à un numéro unique pour la réception de ces appels. Le président de la République s'y était engagé dès l'automne 2017.

Plateformes communes et numéro unique : un objectif du quinquennat d'Emmanuel Macron

« Ce quinquennat doit être aussi l'occasion de mettre en place des plates-formes uniques de réception des appels d'urgence. Aux États-Unis, il suffit de faire le 911 ; en Europe et tout particulièrement en France, c'est beaucoup plus compliqué. Au moment de la mise en place en l'an 2000 au niveau européen du numéro d'appel d'urgence unique 112, de nombreux États européens ont réorganisé leur numéro d'appel comme l'Espagne, le Portugal, le Luxembourg, la Finlande ou la Suède, souvent pour n'en conserver qu'un seul ; mais la France a conservé le 15, le 17, le 18 et elle a rajouté le 112 et le 115. Nous n'avions pas alors saisi tout le potentiel et l'opportunité offerte par cette réforme pour nos concitoyens mais nous avons besoin d'une plateforme commune, de simplifier les choses et d'avoir une plateforme commune de réception des appels beaucoup plus simple - des innovations ont été faites sur certains territoires, des centres commun ont émergé dans une quinzaine de départements, je souhaite que nous puissions aller plus loin, simplifier les choses pour qu'un meilleur service, une plus grande simplification, ces réflexes du quotidien soient pleinement adoptés. »

Source : discours en remerciements aux forces mobilisées sur les feux de forêts et ouragans, 6 octobre 2017, présidence de la République

Trois ans plus tard, ces annonces n'ont toujours pas été mises en oeuvre. Le choix d'un numéro unique a été maintes fois différé alors que plusieurs missions d'évaluations ont proposé plusieurs scenarii.

La plus récente en date, la mission de modernisation de l'accessibilité et de la réception des communications d'urgence pour la sécurité, la santé et les secours (MARCUS), avait remis ses conclusions en décembre 2019 au ministère des solidarités et de la santé et au ministère de l'intérieur.

La feuille de route établie par cette mission 10 ( * ) présente les travaux d'évaluation réalisés sur deux modèles considérés pour réformer l'organisation de la réception des appels d'urgences :

1) Un modèle organisationnel A reposant sur un numéro unique « Santé » (tant pour les soins urgents que non urgents), le 113 , et un numéro unique « Secours-Sécurité », le 112 ;

2) Un modèle organisationnel B relatif à la coexistence d'un numéro unique 112, fusion du 15, 18-112 et du 17, et d'un numéro 116-117 pour les soins non urgents (le 116-117 étant déjà en expérimentation).

Le modèle B est défendu par les acteurs de la sécurité civile , au motif qu'il :

- offre un système simplifié et lisible , avec une prise en charge plus rapide et homogène des appelants ;

- qualifie plus rapidement la nature des appels , et ce faisant, permet d'y apporter une réponse plus adaptée et favorise le recentrage des opérateurs de secours sur les cas d'urgence relevant de leurs missions ;

- améliore la coordination des interventions des services d'urgence , certaines situations (accidents de la circulation, fusillades...) pouvant mobiliser simultanément les forces de police, le SAMU (service d'aide médicale urgente) et les pompiers ;

- permettrait de contrer la sur-sollicitation croissante des services d'urgence et des SIS , avec l'existence conjointe du 116-117 pour la demande de soins non programmés.

Par ailleurs, le modèle d'un numéro unique pour les urgences médicales et les pompiers, voire les forces de police, est dominant dans l'Union européenne , 16 États membres l'ayant adopté, dont 12 ont retenu le 112.

Situation du 112 comme numéro unique dans l'Union européenne

Source : feuille de route de la mission MARCUS, décembre 2019

En conclusion, le rapport de la mission MARCUS s'en remet à l'arbitrage de l'exécutif pour le choix de modèle organisationnel. Le président de la République s'est ainsi prononcé devant la Fédération nationale des sapeurs-pompiers de France (FNSPF) pour l'expérimentation du 112 comme numéro unique au sein d'une région .

Dans l'attente, l'instauration du 112 comme numéro unique figure à l'article 31 de la proposition de loi relative à la sécurité civile et le volontariat des sapeurs-pompiers 11 ( * ) , déposée à l'Assemblée nationale en juin dernier. Portée par un député de la majorité (M. Fabien Matras) et cosignée par les représentants de tous les groupes politiques, elle devrait être inscrite à l'ordre du jour dans les prochains mois.

4. Une subvention plus élevée pour les associations agréées de sécurité civile, durement touchées par la crise sanitaire

Reconnues comme composante essentielle de l'organisation du secours en France, les associations agréées de sécurité civile (AASC) perçoivent des subventions de la DGSCGC chaque année.

En 2019, le montant total de ces subventions s'élevait à 104 000 euros. La dotation prévue pour 2020 a été révisée à la hausse, par redéploiement de crédits au sein du programme. Elle s'élève ainsi à 562 000 euros, dans le but d'aider les AASC mobilisées lors de la crise sanitaire.

Ces dernières ont réalisé plusieurs missions de transport de malades, d'aide aux centres hospitaliers et aux personnes les plus vulnérables. Selon les estimations recueillies par la DGSCGC, elles ont accompli environ 3 millions d'heures de bénévolat et 18 000 interventions en véhicules de secours entre mars et mai 2020. La première semaine de mai, plus de 30 000 bénévoles étaient encore mobilisés .

Dans le même temps, les AASC ont été confrontées à un surcoût net lié à ces interventions d'une part, et d'autre part, à d'importantes pertes de revenus , n'ayant pu mener les opérations habituelles qu'elles facturent (manifestations sportives, formations de secourisme ...). Plus de 120 associations membres des fédérations d'AASC (Protection civile, Croix Blanche, FFSS, ANPS, CFS, UNASS) menacent ainsi de disparaître, faute de trésorerie suffisante ces prochains mois.

Le ministère de l'intérieur a sollicité le ministère des solidarités et de la santé, qui devrait également procéder à un règlement rapide des sommes restant dues par les agences régionales de santé, ainsi que le ministère de l'économie, des finances et de la relance pour le sensibiliser sur cette préoccupation.

Des redéploiements de crédits sur le programme 161 ont également permis d'augmenter les subventions du ministère de l'intérieur. Ainsi, leur montant total est 8 fois plus élevé qu'en 2019. Cependant, ce montant s'avère très insuffisant pour compenser l'intégralité des pertes subies par les AASC . Les subventions ont néanmoins été affectées en priorité aux fédérations d'associations.

Évolution des subventions accordées aux AASC

(en euros)

Associations agréées de sécurité civile engagées dans la lutte contre l'épidémie

Type d'agrément

Type de missions

Subvention 2019

Subvention 2020

Association nationale des premiers secours (ANPS)

National

A, B, D

-

20 000

Centre français de secourisme (CFS)

National

A, B, C, D

-

40 000

Fédération française de sauvetage et de secourisme (FFSS)

National

A, B, C, D

1 500

90 000

Fédération nationale de protection civile (FNPC)

National

A, B, C, D

24 600

220 000

Fédération des secouristes français - Croix Blanche

National

A, B, C, D

1 500

60 000

Union nationale des associations des secouristes et sauveteurs des groupes de la Poste et de France Télécom (UNASS)

National

A, B, C, D

-

22 000

Croix-Rouge Française

National

A, B, C, D

41 000

70 000

OEuvres hospitalières françaises de l'ordre de Malte (OEHFOM) dit Ordre de Malte-France

National

A, B, C, D

-

20 000

Secours catholique

National

B, C

(action sociale habituelle, coordonnée par les directions départementales de la cohésion sociale)

Société nationale de sauvetage en mer (SNSM)

National

A, D

(subventionnée dans un autre cadre)

20 000

Total

68 600

562 000

Source : commission des finances, d'après les réponses aux questionnaires budgétaires pour 2020 et 2021

Ces montants devraient cependant être abondés par les crédits supplémentaires de fin de gestion sur le programme 161. Le quatrième projet de loi de finances rectificative pour 2020 prévoit une ouverture exceptionnelle de 21,2 millions d'euros, exclusivement destinés à soutenir les AASC .


* 6 Décret n° 2020-903 du 24 juillet 2020 portant revalorisation de l'indemnité de feu allouée aux sapeurs-pompiers professionnels.

* 7 http://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/amendements/3397/AN/2718

* 8 Cour des comptes, rapport public thématique, « Les personnels des services départementaux d'incendie et de secours (Sdis) et de la sécurité civile », mars 2019

* 9 Conseil d'État, Décision n° 428691, 14 octobre 2020 https://www.conseil-etat.fr/fr/arianeweb/CE/decision/2020-10-14/428691

* 10 Feuille de route de la mission MARCUS, « Des défis à relever, des perspectives à concrétiser », décembre 2019.

* 11 Proposition de loi n° 3162 visant à consolider notre modèle de sécurité civile et valoriser le volontariat des sapeurs-pompiers, déposée par M. Fabien Matras (LaREM) et plusieurs de ses collègues, et proposition de loi n° 3212 identique déposée par M. Pierre Morel-À-L'Huissier et plusieurs représentants de groupes politiques.

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