B. UN NOUVEAU CYCLE HORAIRE EN REMPLACEMENT DE LA VACATION FORTE DEVANT FAIRE SES PREUVES

1. Un abandon de la vacation forte prévisible mais tardif

Une réforme des cycles de travail dans la police nationale a été engagée en 2014, avec pour objectif de mieux répondre aux attentes des personnels et de favoriser la prévention des risques psychosociaux, tout en garantissant la capacité opérationnelle dans les services. La diminution du nombre de week-end travaillés apparaissait alors comme un objectif important. Parallèlement à cet objectif, cette réforme était rendue nécessaire par les exigences de la directive européenne relative au temps de travail 31 ( * ) . Il en est résulté l'adoption du décret du 30 janvier 2017 32 ( * ) , reprenant l'ensemble des prescriptions de la directive, qui prévoit notamment que chaque agent dispose de 11 heures minimum d'interruption entre deux prises de service et de 35 heures de repos consécutif au minimum par semaine.

La modification en septembre 2016 des instructions générales relatives à l'organisation du travail des personnels actifs et des personnels administratifs, techniques et scientifiques (IGOT) du 18 octobre 2002 a ainsi intégré le cycle dit de la « vacation forte », qui avait la préférence des organisations syndicales, car il permet au fonctionnaire d'être en congés un week-end sur deux plutôt qu'un week-end sur six pour les autres cycles alors proposés.

Le rapporteur spécial pointait depuis 2016 les défauts d'une telle orientation 33 ( * ) . En effet, le pourcentage moyen d'effectifs supplémentaires nécessaire pour la mise en place de la vacation forte avait été évalué à 8 %. Sur cette base de calcul, pour la généralisation de ce régime de travail à l'ensemble des unités travaillant en régime cyclique, il aurait fallu envisager 4 160 ETP en plus, soit plus que l'ensemble des recrutements de policiers prévus sur le quinquennat, pour un coût financier d'environ 205 millions d'euros annuels.

À l'automne 2017, les organisations représentatives du personnel ont opté pour l'extension de la vacation forte. Afin de limiter les risques de perte en effectif, et conformément aux recommandations répétées du rapporteur spécial, le directeur général a gelé les possibilités d'extension de la vacation forte et lancé une mission d'évaluation des différents cycles sur une année complète (2018) en décembre 2017, destinée à identifier objectivement leurs apports et leurs inconvénients et à sortir du dilemme opposant administration et personnels.

Ce rapport, rendu en mars 2019 par l'inspection générale de la police nationale (IGPN) à la suite de cette demande a confirmé les défauts précédemment exposés de la vacation forte , notamment :

- un coût en effectifs supplémentaires de 8,66%, moyenne entre les unités spécialisées faiblement renforcées (+3,72%) et les unités d'intervention et de police secours (UIPS) qui l'ont été à hauteur de +10 à +11 % selon leur taille ;

- une activité plutôt soutenue le jour fort, mais un potentiel en baisse hors jour fort, avec pour conséquence une diminution constatée partout où il n'y a pas eu de renforts, du nombre d'équipages consacrés à la police-secours ou aux patrouilles ;

- localement un transfert de charges vers d'autres unités (GSP, BAC...) pour suppléer les UIPS défaillantes ;

- une tension parfois très vive entre les unités en vacation forte et les unités en charge du judiciaire, en régime hebdomadaire, qui se disent saturées le lendemain du jour fort par les mises à disposition, d'autant plus mal acceptées lorsqu'elles se produisent sur leur week-end de permanence ;

- une augmentation du temps de pause au poste lors des chevauchements entre brigades, qui renvoie essentiellement à l'implication souvent faible et sûrement difficile de la hiérarchie intermédiaire, officiers et gradés 34 ( * ) .

2. Un nouveau régime cyclique équilibré qui doit recueillir l'adhésion des effectifs, notamment les policiers travaillant la nuit

Tenant compte, d'une part, du coût en effectifs de la vacation forte pour maintenir le potentiel opérationnel des services et des limites de ce cycle relevées dans les conclusions de l'IGPN, le ministère de l'intérieur a décidé d'expérimenter une autre voie ; le cycle 2/2/3/2/2/3, qui ne demande aucun effectif supplémentaire. Ce dernier a pour principale caractéristique de comporter des vacations longues, mais d'offrir un week-end de trois jours sur deux.

L'expérimentation du cycle 2/2/3/2/2/3

Ce cycle, appelé binaire lorsqu'il fonctionne sur 24h (une vacation de 12h08 des unités de jour suivie d'une vacation de 12h08 des unités de nuit, comportant deux pauses de 20 minutes), ne nécessiterait aucun apport supplémentaire en effectifs et permettrait aux policiers travaillant sous ce régime de bénéficier d'un week-end de trois jours sur deux et d'un mercredi sur deux, pour un total de 140 vacations travaillées sur l'année.

Dès juin 2019, des discussions ont eu lieu avec la parité syndicale, permettant d'acter le principe d'une expérimentation dans certaines unités de la direction centrale de sécurité publique et de la direction centrale de la police aux frontières, sur la base du volontariat des personnels. Ces dernières se poursuivront en 2021.

Source : commission des finances d'après les informations transmises par la DGPN

Ce cycle, qui existait avant le début de l'expérimentation pour les unités n'étant pas sur la voie publique (dans les salles de commandement, par exemple), avait été écarté en raison de sa durée particulièrement longue. Le rapporteur spécial relève toutefois que malgré sa longueur, d'ailleurs comparable à certains cycles en vigueur dans le milieu hospitalier, ce cycle permet un meilleur équilibre avec la vie personnelle, et professionnelle répondant ainsi aux principales revendications des syndicats en la matière.

Il concerne en 2020 environ 11 % des agents de la direction centrale de la sécurité publique. Avant d'être généralisée, cette nouvelle organisation du travail doit recueillir une large adhésion des agents concernés. Celle-ci s'effectue progressivement, notamment pour les travailleurs de nuit.

Lors de son audition, le DGPN a ainsi indiqué que cette acceptation par les 22 000 policiers travaillant la nuit était favorisée par la prime « nuiteux » de 15 millions d'euros (voir supra), dont le montant pourra s'élever de 15 à 100 euros par agents, et un ensemble de mesures d'accompagnement , reposant notamment sur un meilleur aménagement des commissariats, un accompagnement médico-social (une visite médicale par an, alors que la réglementation ne l'impose que tous les quatre ans) et des équipements renouvelés (chasubles, lampes individuelles, projecteurs).

Contrairement à la vacation forte, il ne comporte pas de jour « faible » au lendemain du jour « fort », qui entraine une baisse importante de la capacité opérationnelle.

S'il estime que ce nouveau régime cyclique pourrait constituer une voie de sortie de crise, le rapporteur spécial regrette à nouveau que les difficultés prévisibles liées à la vacation forte aient fait perdre trois années à l'institution policière , cristallisant de nombreuses crispations et générant des tensions entre les unités bénéficiant de cette dernière et les autres. Cette perte de temps apparaît d'autant plus regrettable que son caractère insoutenable, sur le plan opérationnel, condamnait la vacation forte avant même son expérimentation.

Il rappelle en outre que la « bombe à retardement » 35 ( * ) que constituait la vacation forte n'a toujours pas été pleinement désamorcée, puisque cette dernière est toujours en vigueur pour près de 10 % des effectifs travaillant en régime cyclique 36 ( * ) . Son abandon définitif apparaît comme une nécessité , tant pour restaurer la capacité opérationnelle des services concernés, que pour éviter la subsistance de tensions avec les services ne bénéficiant pas de ce régime.


* 31 Directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail.

* 32 Décret n° 2017-109 du 30 janvier 2017 modifiant le décret n° 2002-1279 du 23 octobre 2002 portant dérogations aux garanties minimales de durée du travail et de repos applicables aux personnels de la police nationale.

* 33 Rapport général n° 140 (2016-2017) de M. Philippe Dominati, fait au nom de la commission des finances, déposé le 24 novembre 2016.

* 34 Évaluation des cycles horaires de travail, inspection générale de la police nationale, mars 2019.

* 35 Rapport général n° 140 (2016-2017) de M. Philippe Dominati, fait au nom de la commission des finances, déposé le 24 novembre 2016.

* 36 Chiffre transmis en octobre 2018 par la DGPN, soit après le « gel » du nombre d'unités pouvant recourir à ce cycle.

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