III. UN ENCADREMENT INDISPENSABLE À L'AVENIR POUR GARANTIR LE CARACTÈRE SCIENTIFIQUE ET AUTHENTIQUE DE LA DÉMARCHE

A. UN FORT ENJEU INTERNATIONAL

1. Un droit international qui ne pose aucune obligation de restitution de ces objets

Aucun texte international n'oblige aujourd'hui au retour des biens culturels visés par le présent projet de loi. La convention de l'UNESCO de 1970 concernant les mesures à prendre pour interdire et empêcher l'importation, l'exportation et le transfert de propriété illicites des biens culturels n'est applicable qu'aux pillages intervenus postérieurement à sa ratification par l'État qui en est partie. La Convention d'UNIDROIT de 1995 sur les biens culturels volés ou illicitement exportés ne s'applique elle aussi qu'aux biens qui seraient concernés par cette situation après son entrée en vigueur. La France ne l'a de toute façon jamais ratifiée.

À cela s'ajoute le fait que les prises de guerre restaient autorisées à l'époque où le Trésor de Béhanzin et le sabre ont été saisis par les armées coloniales françaises, puisque ces faits sont antérieurs, bien que de quelques années seulement, à la première convention concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre, qui date de 1899.

Seul le code de déontologie de l'ICOM comporte un chapitre consacré à la restitution des biens culturels. Mais, s'il enjoint les musées à prendre les mesures nécessaires pour favoriser le retour des biens culturels exportés ou transférés de manière illicite, il y pose deux conditions : d'une part, que la preuve soit apportée que les biens concernés font partie du patrimoine culturel de la nation ou de la communauté qui les réclame et, d'autre part, que la législation applicable dans le pays dans lequel est situé le musée auquel les biens réclamés sont conservés permettent ce retour. Il n'invite donc pas à lever l'inaliénabilité, dans le cas où le principe serait garanti par la législation nationale .

2. Une réponse au besoin d'éthique exprimé de manière croissante sur la scène internationale

En l'absence d'obligations juridiques, ce sont donc avant tout des considérations éthiques qui sont avancées pour justifier le retour des biens revendiqués par le Bénin et le Sénégal, dans un contexte marqué par une forte demande de moralisation des relations internationales et un mouvement croissant et de plus en plus rassembleur pour un retour des biens culturels aux pays d'origine. Le rapport Sarr-Savoy s'intitule d'ailleurs : « Vers une nouvelle éthique relationnelle ».

Sur beaucoup de sujets, le questionnement éthique occupe une place de plus en plus importante dans la réflexion conduite par le législateur. Il s'agit d'une démarche parfaitement fondée, dans la mesure où le législateur, en tant que représentant de la nation, a pour mission de faire concorder le droit avec la société. Il ne saurait donc faire abstraction des attentes, d'ordre moral, que celle-ci peut avoir.

Les arguments mémoriels et éthiques n'avaient pas été absents de la réflexion qu'avait conduite le législateur au moment de se prononcer sur les précédentes demandes de restitution dont il avait été saisi. Nicolas About avait ainsi présenté Saartjie Baartman comme le « symbole de l'exploitation et de l'humiliation vécues par les ethnies sud-africaines, pendant la douloureuse période de la colonisation ». Votre rapporteure, au moment de déposer la proposition de loi visant à autoriser la restitution par la France des têtes maories, avait jugé que le trafic de ces têtes faisait partie des « pires heures du colonialisme », pointant son caractère « barbare », « sordide » et « odieux ». Philippe Richert avait estimé que la restitution de ces restes humains s'inscrivait dans une « démarche éthique, fondée sur le principe de la dignité de l'homme et le respect des cultures et croyances d'un peuple vivant ».

Au-delà du simple intérêt diplomatique que revêt pour la France le fait de donner une issue favorable aux demandes présentées par le Bénin et le Sénégal, ce projet de loi pose la question de la relation que notre pays entend construire avec l'Afrique dans les années à venir .

Il serait regrettable que, faute d'avoir ouvert à temps une réflexion sur la question des restitutions, la surdité de la France aux demandes exprimées sur la scène internationale en matière culturelle n'ait pour effet de la décrédibiliser. Elle serait alors peu à peu privée de la possibilité de défendre sa position et les concepts qui lui sont chers, à commencer par celui de musée universel, désormais dénoncé par un nombre croissant de pays comme un objet néo-colonial, en l'absence de gages suffisants de réciprocité dans la mise en oeuvre de cette conception universelle.

C'était exactement le sens des propos tenus par Philippe Richert au moment de l'examen de la proposition de loi sur les têtes maories, lorsqu'il indiquait que « notre politique des musées aurait plus à perdre qu'à gagner à esquiver plus longtemps une réflexion qui apparaît aujourd'hui incontournable, et de nature à consolider, au final, la légitimité de nos collections et du principe d'inaliénabilité ». Il suivait en cela les recommandations de votre rapporteure qui, la première, avait souligné l'importance à engager une réflexion approfondie pour « préciser les conditions dans lesquelles le principe d'inaliénabilité pourrait ne pas s'appliquer aux biens [, en l'espèce,] issus de restes humains, tout en veillant à garantir l'intégrité des collections publiques des musées de France et sans porter d'atteinte injustifiée à notre patrimoine national ».

La commission de la culture, de l'éducation et de la communication s'est montrée très attachée, depuis plusieurs années, à défendre les droits culturels . Le retour d'un certain nombre de biens culturels, dès lors qu'il revêt un caractère hautement symbolique d'un point de vue historique ou artistique pour les pays d'origine et essentiels pour la construction de l'identité culturelle de la société civile des pays concernés, apparaît cohérent avec cette notion. Il convient d'observer que la revendication par le Bénin et le Sénégal des biens concernés par le présent projet de loi est motivée par la volonté pour ces pays de recouvrer la propriété de ces objets pour permettre à leur population de se réapproprier davantage leur histoire et leur culture. Des engagements ont été donnés concernant leur présentation au public. Dans le cas du Bénin en particulier, le retour s'inscrit dans une vraie démarche de valorisation culturelle et de développement économique et touristique, les oeuvres ayant vocation à retourner sur le site d'Abomey, où un projet de musée de l'épopée des amazones et des rois est en cours.

Le retour des biens culturels n'a cependant de sens que s'il se caractérise par une volonté réciproque, sincère et authentique, de réappropriation d'une histoire commune et de renouveau des rapports . C'est la raison pour laquelle il ne doit pas être interprété comme une démarche de repentance et doit être impérativement suivi d'une véritable coopération renforcée en matière culturelle et patrimoniale.

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