AVANT-PROPOS DU RAPPORTEUR

Ce rapport est d'abord inspiré par l'exigence de la responsabilité.

Au cours du mois d'octobre 2020, le nombre quotidien de personnes testées positives au virus du covid-19 est passé de 10 000 à un pic d'un peu plus de 50 000. Le 26 octobre, le président du conseil scientifique a même estimé à 100 000 le nombre quotidien de contaminations, ce qui correspond, selon les estimations, au point le plus élevé de l'épidémie en mars dernier.

Il ne peut être question de laisser le Gouvernement et les autorités sanitaires sans moyens d'action appropriés pour faire face à une situation épidémique aussi grave et qui se dégrade aussi rapidement. De nouveaux risques de saturation des services de réanimation des hôpitaux sont d'ores et déjà apparus. L'épidémie est en passe de franchir un seuil critique qui la laisserait hors de contrôle. C'est pourquoi le rapporteur n'hésite pas à demander au Sénat d'approuver la prorogation de l'état d'urgence sanitaire au-delà du 16 novembre prochain.

L'exigence de responsabilité a cependant pour corollaire l'impératif de vigilance. Plus les mesures que le Gouvernement sera autorisé à prendre seront susceptibles de restreindre les libertés des Français, plus le contrôle du Parlement devra être renforcé, dans son degré d'exigence comme dans sa périodicité. C'est ce qui distingue une grande démocratie respectueuse de l'état de droit d'une république autoritaire dans laquelle la noblesse des fins justifierait la rudesse des moyens, indépendamment même de l'évaluation de la nécessité et de l'efficacité de ceux-ci.

Face à une crise sanitaire d'une telle ampleur, le pouvoir exécutif ne saurait en effet s'isoler en agissant à l'écart de la représentation nationale. À cet égard, sa décision de ne pas attendre la dernière minute pour faire approuver par le Parlement la reconduction de l'état d'urgence sanitaire déclaré le 14 octobre dernier a paru pertinente au rapporteur. En revanche, c'est avec une vive préoccupation qu'il a pris connaissance de certaines dispositions du projet de loi autorisant la prorogation de l'état d'urgence sanitaire.

Les premières visent à autoriser l'autorité administrative à prendre jusqu'au 1 er avril 2021 des mesures restreignant les libertés sans solliciter le moindre vote intermédiaire du Parlement. Elles permettent au Gouvernement de passer de sa propre initiative, à compter du 17 février 2021, du régime de l'état d'urgence sanitaire au régime de sortie de l'état d'urgence sanitaire, qui ne s'en distingue que par l'impossibilité d'imposer un couvre-feu ou un confinement mais comporte la possibilité de prendre de nombreuses mesures portant des atteintes fortes aux libertés.

Faute de pouvoir prévoir aujourd'hui ce que sera la situation en février prochain ni ce que sera l'efficacité des mesures prises dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire, il paraît tout à fait excessif de laisser par avance au Gouvernement une entière liberté de décision sur les mesures de contrainte qui lui paraîtront appropriées à cette date.

D'autres dispositions ont paru au rapporteur d'une singulière désinvolture vis-à-vis de la représentation nationale dans la mesure où elles visent à permettre au Gouvernement de légiférer par ordonnances dans de multiples domaines de l'action publique par pas moins de 70 habilitations, et cela sans même avoir fait l'effort de procéder à un inventaire précis des règles et procédures qui devraient être modifiées ou des dérogations qui devraient être prolongées. En matière d'habilitations législatives, la confiance du Parlement doit se mériter par l'énoncé des justifications qui imposent de retenir cette option. Hélas, rien de tel dans le projet de loi du Gouvernement !

En outre, au moment où ce rapport est présenté à la commission des lois du Sénat, le Président de la République semble sur le point d'annoncer qu'un nouveau palier va être franchi dans les restrictions imposées aux libertés des Français pour juguler l'épidémie.

Il est donc demandé à la commission des lois du Sénat de se prononcer en grande partie « à l'aveugle », en autorisant par avance le Gouvernement à recourir à toute restriction aux libertés fondamentales qui lui paraîtrait nécessaire au nom de l'efficacité de la lutte contre le covid-19, y compris les mesures les plus contraignantes, telles que le retour à un confinement généralisé. Une fois cette autorisation générale acquise, le Parlement n'aurait en principe plus à se prononcer avant le 31 mars prochain, le Gouvernement ayant toute latitude pour prendre les mesures exigées par les circonstances, quelles qu'elles soient, sans les soumettre à l'approbation de la représentation nationale.

Le rapporteur estime que ce processus serait gravement contraire aux exigences démocratiques les plus fondamentales. Il n'a pu se résigner à proposer au Sénat de l'accepter. Ce serait, de la part du Sénat, renoncer aux devoirs que lui fait la Constitution.

De profondes modifications sont donc proposées par la commission des lois. Les voici :

Le régime de l'état d'urgence sanitaire prendrait fin le 31 janvier prochain, trois mois et demi après son entrée en vigueur, deux mois et demi après sa prorogation. Ce délai serait comparable à la durée des pouvoirs spéciaux consentis déjà à trois reprises par le Parlement depuis le début de la crise sanitaire. Il permettrait au Parlement d'exercer normalement son contrôle.

Au-delà du 31 janvier 2021, le régime de sortie de l'état d'urgence ne serait pas rétabli. Il appartiendrait au Gouvernement de demander au Parlement la reconduction de l'état d'urgence sanitaire s'il était nécessaire de maintenir des restrictions aux libertés pendant une nouvelle période, même sans recourir au couvre-feu ou au confinement. Toutes les mesures prises sous le régime de sortie de l'état d'urgence sanitaire peuvent en effet l'être sous le régime de l'état d'urgence.

Quant aux habilitations du Gouvernement à légiférer par ordonnances, la commission propose d'en diminuer le nombre de 70 à 30, d'en circonscrire la portée pour celles qui subsisteraient, d'inscrire directement dans la loi les mesures utiles et de supprimer purement et simplement les autres habilitations. Il convient par ailleurs que le Gouvernement s'engage à soumettre l'ensemble des textes édictés dans le cadre d'habilitations à la sanction de la représentation nationale, par l'intermédiaire des procédures de ratification.

Enfin, le rapporteur a tenu à introduire dans ce texte des dispositions relatives aux élections départementales et régionales de 2021. Il estime, en effet, qu'il est encore temps de sécuriser la tenue de ces élections, notamment par un assouplissement limité du régime des procurations et par la réintroduction du vote par correspondance, assortie des garanties nécessaires à la sincérité du scrutin.

Toute réflexion sur un report éventuel de ces élections territoriales lui semble devoir être subordonnée à l'examen préalable de ces moyens de sécurisation du vote. Il lui paraît, en outre, qu'en l'absence de certitude sur la durée de l'épidémie actuelle, il importe de faire en sorte que l'expression du suffrage universel demeure toujours possible, quelles que soient les circonstances sanitaires, en particulier dans la perspective des scrutins présidentiel et législatif de 2022.

La démocratie ne peut être optionnelle. Elle appelle la mobilisation des moyens nécessaires à son bon fonctionnement.

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