EXAMEN DES ARTICLES

Article 1er
Pérennisation et adaptation
des dispositions de la loi « SILT »

Réécrit à l'initiative de la commission, cet article tend à pérenniser les quatre dispositions de la loi du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme ayant reçu un caractère temporaire, sous réserve de plusieurs ajustements visant à en assurer le caractère pleinement opérationnel.

Il traduit ainsi, sur le plan législatif, les recommandations de la mission pluraliste créée par la commission des lois pour assurer le contrôle et le suivi de la mise en oeuvre de cette loi, formulées dans le cadre d'un rapport adopté le 26 février 2020 8 ( * ) et reprises dans une proposition de loi déposée sur le bureau du Sénat le 4 mars 2020 9 ( * ) .

1. La loi « SILT » : un arsenal utile et efficace pour lutter contre le terrorisme

1.1. Les quatre dispositions d'application temporaire

Destinée à permettre une sortie maîtrisée du régime de l'état d'urgence sous lequel la France vivait depuis près de deux ans, la loi n° 2017-1510 du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme a introduit dans le droit commun diverses mesures inspirées des dispositions de la loi du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence , par nature d'application exceptionnelle.

À l'initiative du Sénat, les quatre mesures considérées comme les plus sensibles au regard du respect des droits et libertés constitutionnellement garantis ont revêtu un caractère temporaire et arriveront à échéance le 31 décembre 2020 .

Sont concernés les périmètres de protection, la fermeture des lieux de culte, les mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance (assignation sur le territoire de la commune ou du département) et les visites domiciliaires et saisies (perquisitions administratives).

Les quatre mesures à caractère temporaire
introduites par la loi du 30 octobre 2017

Les périmètres de protection

L 'article 1 er de la loi du 30 octobre 2017, codifié à l'article L. 226-1 du code de la sécurité intérieure, autorise le préfet à mettre en place, par arrêté, des périmètres de protection , afin d'assurer la sécurité d'un lieu ou d'un évènement exposé à un risque d'actes de terrorisme à raison de sa nature et de l'ampleur de sa fréquentation.

Mesure inspirée des zones de protection et de sécurité de la loi du 3 avril 1955 sur l'état d'urgence, mais limitée aux seules fins de prévention des actes de terrorisme, l'instauration de périmètres de protection permet de soumettre l'accès et la circulation des personnes à des palpations de sécurité, des fouilles de sacs et de bagages ainsi qu'à des fouilles de véhicules.

La loi autorise, pour la réalisation de ces contrôles, que les forces de sécurité de l'État soient assistées d'agents de police municipale ainsi que d'agents de sécurité privée.

La durée maximale d'un périmètre de protection est fixée à un mois, renouvelable, comme toute mesure de police administrative, dès lors que les conditions de sa mise en oeuvre sont toujours réunies.

La fermeture des lieux de culte

L 'article 2 de la loi du 30 octobre 2017, codifié aux articles L. 227-1 et L. 227-2 du code de la sécurité intérieure, permet au préfet d'ordonner, aux seules fins de prévention du terrorisme, la fermeture de tout lieu de culte dans lequel « les propos qui sont tenus, les idées ou théories qui sont diffusées ou les activités qui se déroulent provoquent à la violence, à la haine ou à la discrimination, provoquent à la commission d'actes de terrorisme ou font l'apologie de tels actes ».

Contrairement au dispositif de fermeture des lieux de réunion de la loi du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence, le législateur a apporté plusieurs garanties procédurales afin d'assurer un juste équilibre entre prévention des atteintes à l'ordre public et protection des droits et libertés constitutionnellement garantis. Ainsi, la décision de fermeture doit être motivée et faire l'objet d'une procédure contradictoire préalable.

Sa durée ne peut, par ailleurs, excéder six mois et doit, en tout état de cause, être proportionnée aux circonstances qui l'ont motivée.

La violation d'une mesure de fermeture est punie de six mois d'emprisonnement et de 7 500 euros d'amende.

Les mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance

L 'article 3 de la loi du 30 octobre 2017, codifié aux articles L. 228-1 à L. 228-7 du code de la sécurité intérieure, 10 ( * ) permet au ministre de l'intérieur, aux seules fins de prévention du terrorisme, d'ordonner des mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance à l'égard des personnes dont le « comportement constitue une menace d'une particulière gravité pour la sécurité et l'ordre publics » et qui soit entrent en relation avec des personnes ou organisations incitant à la commission d'actes de terrorisme, soit adhèrent à des thèses incitant à la commission d'actes de terrorisme.

Deux séries d'obligations alternatives et non cumulables entre elles peuvent être prononcées au titre de ces mesures :

- d'un côté, l'assignation géographique et l'obligation de « pointage » auprès des forces de sécurité ;

- de l'autre, l'interdiction de paraître dans certains lieux et le signalement des déplacements à l'extérieur d'un périmètre défini.

Dans les deux cas, peuvent s'y ajouter l'interdiction d'entrer en relation avec une ou plusieurs personnes ainsi que l'obligation de déclarer son domicile.

Les mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance peuvent être prononcées pour une durée de trois mois renouvelable (ou six mois renouvelable pour l'interdiction de paraître et l'obligation de signaler ses déplacements), dans la limite maximale de douze mois. Au-delà de six mois, elles ne peuvent être renouvelées que s'il existe des éléments nouveaux et complémentaires.

La violation des mesures est punie de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende.

Les visites domiciliaires et les saisies

L 'article 4 de la loi du 30 octobre 2017, codifié aux articles L. 229-1 à L. 229-6 du code de la sécurité intérieure, permet d'autoriser des visites domiciliaires et saisies « lorsqu'il existe des raisons de penser qu'un lieu est fréquenté par une personne dont le comportement constitue une menace d'une particulière gravité pour la sécurité et l'ordre publics », et :

- soit qui entre en relation de manière habituelle avec des personnes incitant, facilitant ou participant à des actes de terrorisme ;

- soit qui soutient, diffuse ou adhère à des thèses incitant à la commission d'actes de terrorisme ou faisant l'apologie de tels actes.

Les visites sont autorisées par le juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Paris, sur saisine du préfet.

Peuvent être saisis, à l'occasion d'une visite, les documents ou données « relatifs à la menace d'une particulière gravité pour la sécurité et l'ordre publics que constitue le comportement de la personne concernée ». L'exploitation de ces derniers est soumise à une nouvelle autorisation du juge des libertés et de la détention, qui est tenu de se prononcer dans un délai maximum de 48 heures.

1.2. Des dispositions sécurisées sur le plan juridique

Dans deux décisions rendues en février et mars 2018 11 ( * ) , le Conseil constitutionnel a déclaré conforme à la Constitution l'essentiel de ces quatre mesures.

Seules deux dispositions relatives, d'une part, au contrôle du juge administratif sur les mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance, d'autre part, aux saisies susceptibles d'être effectuées dans le cadre de visites domiciliaires, ont été jugées inconstitutionnelles.

Le législateur a rapidement tiré les conséquences de ces censures partielles et procédé aux correctifs nécessaires dans le cadre de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, sécurisant, de ce fait, le cadre juridique des mesures temporaires introduites par la loi « SILT ».

1.3. Une utilité largement reconnue, en dépit d'une mobilisation contrastée

Dans la pratique, les quatre mesures ont été mobilisées de manière contrastée .

Entre le 1 er novembre 2017, date de leur entrée en vigueur, et le 5 octobre 2020, ont ainsi été pris :

- 545 arrêtés préfectoraux instaurant des périmètres de protection ;

- 7 arrêtés ministériels de fermeture de lieux de culte ;

- 332 mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance, concernant 287 personnes ;

- 188 ordonnances du juge des libertés et de la détention autorisant une visite domiciliaire,

Ceci étant, près de trois ans après leur entrée en vigueur, les mesures ont toutes démontré leur utilité dans le cadre du dispositif de lutte antiterroriste.

Le rapport remis par le Gouvernement au Parlement au début du mois de février 2020 sur la deuxième année d'application de la loi conclue ainsi « d'une part, [à] une appropriation et [à] une maîtrise de ces instruments de police par l'autorité administrative et, d'autre part, [à] une utilité opérationnelle avérée ayant permis de faire face à une menace terroriste demeurant à un niveau particulièrement élevé ».

Ces conclusions rejoignent celles de la mission de suivi mise en place par la commission des lois du Sénat pour évaluer l'efficacité et la pertinence des quatre mesures provisoires de la loi « SILT ».

Dans son rapport rendu le 26 février 2020, cette dernière a dressé un bilan positif des deux premières années de mise en oeuvre de la loi, constatant d'une part que la loi avait fait l'objet d'une mise en oeuvre équilibrée et conforme à l'esprit du législateur et, d'autre part, qu'il existait un consensus de l'ensemble des acteurs, judiciaires comme administratifs, sur l'efficacité et l'utilité des mesures introduites.

• Les périmètres de protection :

Bien qu'ils aient été mis en oeuvre de manière très hétérogène, tant sur le plan temporel que géographique, les périmètres de protection ont constitué, pour les autorités préfectorales, une mesure utile et efficace pour assurer la sécurisation d'évènements importants , en particulier car il s'agit du seul outil permettant d'associer, avec une grande souplesse, les forces de sécurité étatiques, les polices municipales et les personnels de sécurité privée.

Au demeurant, en donnant un fondement légal spécifique à cette mesure, le législateur a permis d' encadrer strictement la réalisation des contrôles , offrant, de ce fait, des garanties appropriées en termes de préservation de la vie familiale et professionnelle des personnes résidant dans ces périmètres.

• Les fermetures de lieux de culte :

Ainsi que l'a relevé la mission de suivi, le volume réduit de fermetures de lieux de culte prononcées sur le fondement de la loi « SILT » ne suffit pas à conclure à l'inefficacité de la mesure.

Sur les sept mesures prononcées depuis l'entrée en vigueur de la loi, cinq ont ainsi conduit à la fermeture définitive du lieu de culte concerné. Dans les deux autres cas, la mesure de fermeture a facilité le changement d'orientation du lieu de culte concerné ou sa reprise en main par de nouvelles associations cultuelles.

Ce recours modéré à la mesure de fermeture invite en revanche à réfléchir à une extension de son champ d'application . Il ressort en effet des travaux conduits par la mission de suivi l'émergence d'un phénomène de déport, certains prédicateurs tendant à privilégier des discours plus subliminaux ou à diffuser leurs théories en dehors des lieux de culte afin d'échapper à des mesures de police administrative.

C'est en ce sens qu'elle a proposé d'étendre les possibilités de fermeture aux lieux rattachés à un lieu de culte car gérés, exploités ou financés par la même personne physique ou morale.

• Les mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance :

Le recours aux mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance (MICAS) a été croissant depuis l'entrée en vigueur de la loi. Au cours des derniers mois, les MICAS ont été plus particulièrement mobilisées pour assurer une surveillance d'individus condamnés pour des faits de terrorisme ou présentant des signes forts de radicalisation, à leur sortie de détention.

Ces mesures présentent, pour les services de renseignement, une utilité à deux niveaux :

- elles permettent tout d'abord de limiter la liberté de mouvement des individus radicalisés mais insusceptibles de faire l'objet d'une mesure d'entrave de nature judiciaire ;

- elles facilitent par ailleurs les activités de surveillance conduites par les services, en limitant la liberté de mouvement des individus concernés.

• Les visites domiciliaires :

Depuis l'entrée en vigueur de la loi « SILT », le recours aux visites domiciliaires a été régulier, mais modéré. L'utilité de cette mesure est toutefois largement reconnue par les acteurs administratifs comme judiciaires, notamment car elle offre des possibilités d'intervention en amont d'une procédure judiciaire, lorsque les éléments constitutifs d'une infraction terroriste ne sont pas encore réunis.

Dans plus d'une dizaine de cas, les visites domiciliaires ont débouché sur des poursuites judiciaires, pour des faits liés au terrorisme, témoignant de l'utilité de la mesure dans l'arsenal de lutte contre le terrorisme.

Au vu de l'ensemble de ces éléments, la mission de suivi de la commission s'est prononcée en faveur de la pérennisation, au-delà du 1 er janvier 2021, de ces quatre dispositions temporaires.

2. Le projet de loi : proroger pour quelques mois les dispositions de la loi « SILT », dans l'attente d'un projet de loi de pérennisation

Tout en affirmant son intention de pérenniser, à terme, les dispositions de la loi « SILT », le Gouvernement propose dans un premier temps de procéder à leur prorogation simple, sans y apporter de modification.

C'est l'objet de l' article 1 er du projet de loi , qui modifie la durée de validité des quatre mesures transitoires fixée au II de l'article 5 de la loi du 30 octobre 2017.

Cette prorogation « sèche » est justifiée par l'impact sur le calendrier parlementaire de l'épidémie de covid-19. Selon l'étude d'impact du projet de loi, « la possibilité d'un examen par le Parlement, avant la fin de l'année, d'un projet de loi spécifique permettant de débattre des conditions de la prorogation, de la pérennisation ou de la suppression de ces mesures, non plus que des modifications pouvant compléter utilement ces dispositifs, ne peut être garantie ».

Dans sa version initiale, le projet de loi prévoyait une prorogation d'une année, soit jusqu'au 31 décembre 2021.

À l'initiative de son rapporteur, l'Assemblée nationale a raccourci la durée de cette prorogation à 7 mois , estimant que les travaux de contrôle conduit par les deux assemblées rendaient possibles un examen au fond des articles 1 er à 4 de la loi « SILT » dans un délai plus bref. Une nouvelle intervention du législateur serait ainsi rendue nécessaire d'ici le 31 juillet 2021 .

3. La position de la commission des lois : pérenniser et adapter sans délai les dispositions de la loi « SILT »

a) Pérenniser plutôt que proroger

Pour le rapporteur, l'argument avancé par le Gouvernement pour justifier une prorogation « sèche » et reporter le débat de fond sur les dispositions de la loi « SILT » apparaît fragile.

Si le calendrier parlementaire a effectivement été bousculé pendant les huit semaines de confinement, il n'en demeure pas moins que le Parlement a su assurer la continuité de l'activité législative, permettant l'examen, depuis le 11 mai, de nombreux projets et propositions de loi.

Dans ce contexte, il aurait été largement envisageable pour le Gouvernement d'inscrire à l'ordre du jour des deux assemblées parlementaires et de faire adopter, d'ici le 31 décembre prochain, un projet de loi de pérennisation des dispositions de la loi « SILT ». Un tel exercice aurait d'ailleurs été facilité par le travail d'évaluation conduit par l'Assemblée nationale et le Sénat au cours des trois dernières années.

Au regard tant du bilan positif précédemment évoqué que de la sécurisation du cadre juridique des quatre dispositions concernées, la commission, plutôt que de renvoyer à un texte ultérieur cette pérennisation, a quant à elle estimé non seulement possible, mais également souhaitable, d'y procéder dans le cadre du projet de loi soumis à son examen.

Elle a adopté en ce sens un amendement de rédaction globale COM-4 de son rapporteur, qui confirme les quatre mesures qui n'avaient été introduites par le législateur qu'à titre temporaire et met fin, par voie de conséquence, au dispositif ad hoc d'évaluation parlementaire de ces mesures, lié à leur caractère expérimental.

b) Des dispositions à ajuster pour assurer leur pleine efficacité

À la lumière des deux premières années de pratique, la mission de contrôle et de suivi de la commission, tout en confirmant l'utilité des mesures introduites en 2017, a formulé un certain nombre de recommandations tendant à assurer la pleine efficacité du dispositif antiterroriste .

Le même amendement COM-4 de son rapporteur transcrit ces propositions de modifications de la loi « SILT » au sein de l'article 1 er du projet de loi qui, toutes, préservent l'équilibre entre efficacité de la lutte antiterroriste et protection des droits et libertés constitutionnellement garantis.

Il s'agit, en premier lieu, de sécuriser le cadre légal des périmètres de protection en inscrivant dans la loi, par souci de lisibilité, la réserve d'interprétation du Conseil constitutionnel relative aux conditions de mobilisation d'agents de sécurité privée 12 ( * ) .

Afin de limiter les possibilités de contournement des mesures de fermeture des lieux de culte, la commission a également souhaité étendre le champ de la mesure de fermeture administrative à tous les lieux ouverts au public rattachés à un lieu de culte car gérés, exploités ou financés, de manière directe ou indirecte, par la même personne physique ou morale. Cette mesure vise à éviter, autant que faire se peut, le déport des activités de prosélytisme vers d'autres lieux connexes aux lieux de cultes, comme des écoles coraniques ou encore des centres culturels.

L' amendement COM-4 tend, par ailleurs, à renforcer l'information des autorités judiciaires sur les mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance . En l'état du droit, la loi n'exige qu'une consultation, en amont du prononcé d'une MICAS, du parquet national antiterroriste (PNAT) et du parquet territorialement compétent.

De manière à assurer une bonne articulation des MICAS avec les mesures judiciaires (contrôle judiciaire par exemple), qui parfois sont prononcées de manière concomitante, il est apparu souhaitable à la commission de prévoir dans la loi une transmission systématique au PNAT et aux parquets territorialement compétents des arrêtés ministériels de prononcé, des arrêtés modificatifs ou de renouvellement des MICAS, y compris leur motivation . Il s'agit, ce faisant, de garantir une parfaite information de l'autorité judiciaire sur les motivations de la mesure administrative, sur son contenu effectif et sur ses éventuels ajustements, afin d'éviter tout conflit entre des mesures de nature différente et de permettre à l'autorité judiciaire d'adapter, le cas échéant, les mesures qu'elle prononce.

Enfin, l' amendement COM-4 élargit les possibilités de saisies informatiques dans le cadre d'une visite domiciliaire lorsqu'il est fait obstacle, par l'occupant des lieux, à l'accès aux données présentes sur un support ou un terminal informatiques.

La commission a adopté l'article 1 er ainsi modifié.

Article 2
Prolongation de la technique de renseignement dite de l' algorithme

L'article 2 du projet de loi tend à prolonger la technique de renseignement dite de l'algorithme, dont la validité arrive à échéance le 31 décembre 2020.

La commission a adopté cet article sans modification.

1. L'algorithme : une technique de renseignement autorisée par le législateur à titre expérimental

1.1. Une technique innovante, strictement encadrée par la loi

Créé par la loi n° 2015-912 du 24 juillet 2015 relative au renseignement, l'article L. 851-3 du code de la sécurité intérieure autorise les services de renseignement à imposer aux opérateurs et aux fournisseurs de communications électroniques la mise en oeuvre, sur leurs réseaux, de « traitements automatisés destinés, en fonction de paramètres précisés dans l'autorisation, à détecter des connexions susceptibles de révéler une menace terroriste ».

Plus communément appelée algorithme, cette technique consiste à mettre en oeuvre un programme informatique qui analyse, en fonction d'un paramétrage défini en amont, les flux de données transitant par les équipements des opérateurs de communications électroniques en vue de déceler des signaux faibles révélateurs de comportements dangereux en lien avec une menace terroriste.

Compte tenu de sa sensibilité en termes de respect de la vie privée et du secret des correspondances, cette technique a été strictement encadrée par le législateur.

Elle ne peut être tout d'abord mise en oeuvre que pour l'une des sept finalités de la politique publique de renseignement prévues à l'article L. 811-3 du code de la sécurité intérieure, à savoir la prévention du terrorisme.

Par ailleurs, son champ d'analyse a été limité aux seules données de connexion , c'est-à-dire au contenant et non au contenu des communications.

Enfin, sa mise en oeuvre et son exploitation par les services ont été soumis à des conditions très strictes .

À l'instar des autres techniques de renseignement, la mise en oeuvre d'un algorithme doit être autorisée par le Premier ministre, après avis de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR) 13 ( * ) sur le dispositif technique envisagé et les paramètres retenus. La durée d'autorisation a été fixée à deux mois, contre quatre mois pour d'autres techniques moins intrusives, et son renouvellement a été conditionné à la fourniture d'éléments techniques et d'analyse permettant de confirmer la pertinence et l'utilité de l'algorithme.

L'algorithme doit par ailleurs être paramétré de manière à ce que les personnes auxquelles les données de connexion analysées se rapportent ne soient pas identifiables . Ce n'est que dans un second temps, en cas d'alerte et lorsque la menace est avérée, que l'anonymat sur les données peut être levé, sur autorisation expresse du Premier ministre et après avis de la Commission nationale des techniques de renseignement (CNCTR).

Saisi a priori des dispositions de la loi relative au renseignement, le Conseil constitutionnel a confirmé dans sa décision n° 2015-713 DC du 23 juillet 2015 que le législateur était parvenu, s'agissant de la technique de l'algorithme, à une conciliation équilibrée entre prévention des atteintes à l'ordre public et protection des libertés individuelles, compte tenu des nombreuses garanties entourant la mise en oeuvre de la technique.

1.2. Un dispositif expérimental déjà prorogé par le législateur

Au regard des craintes qu'elle a suscité lors du débat parlementaire de 2015, le législateur a prévu une application temporaire de la technique de l'algorithme, dont l'échéance a été initialement fixée au 31 décembre 2018.

Les retards pris dans le déploiement effectif des premiers algorithmes, notamment en raison de difficultés de paramétrage, l'ont toutefois conduit, à l'initiative du Gouvernement, à prolonger l'expérimentation de deux ans, soit jusqu'au 31 décembre 2020 14 ( * ) .

Depuis l'entrée en vigueur de la loi relative au renseignement, trois algorithmes ont été mis en place , le premier en 2017, les deux autres à l'automne 2018. Deux sont gérés par la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) et un par la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE).

Tous ont fait l'objet de demandes de renouvellement et sont, à ce jour, actifs.

La mise en oeuvre relativement tardive de la technique s'explique, d'une part, par les demandes d'ajustement formulées par la CNCTR sur les premiers dispositifs qui avaient été envisagés et, d'autre part, par les difficultés techniques rencontrées par les services dans le paramétrage des algorithmes. Tout l'enjeu des travaux préparatoires engagés dès 2015 a en effet consisté à définir une architecture technique protectrice du droit au respect de la vie privée et garantissant un paramétrage suffisamment précis pour limiter le nombre d'alertes.

Conformément à l'article 25 de la loi du 24 juillet 2015, le Gouvernement a remis au Parlement, le 30 juin dernier, un rapport dressant un bilan de ces expérimentations.

Celui-ci fait état de premiers résultats encourageants .

Les algorithmes déployés auraient ainsi permis :

- d'identifier des individus représentant une menace à caractère terroriste et de détecter des contacts entre des individus porteurs d'une menace ;

- d'approfondir la connaissance de certains individus déjà connus des services, par exemple en permettant d'obtenir des informations sur leur localisation, de mettre à jour certains de leurs comportements ou d'améliorer la connaissance des services sur les méthodes opératoires des individus rattachés aux mouvances terroristes.

Ainsi que l'indique l'étude d'impact du projet de loi, la technique algorithmique, en permettant de « repérer et discriminer sur les réseaux des données caractéristiques de comportements typiques d'organisations et de cellules terroristes », présente aujourd'hui un intérêt opérationnel accru compte tenu de l'évolution de la menace terroriste, qui est de plus en plus le fait « d'individus qui s'inspirent de messages de propagande [...] mais qui ne sont pas entrés en contact direct ou visible avec des organisations ».

Dans son rapport d'activité sur la session parlementaire 2019-2020 15 ( * ) , la délégation parlementaire au renseignement, tout en faisant état de résultats prometteurs, a toutefois constaté que le dispositif n'avait toutefois pas encore donné tous les résultats escomptés .

Ce constat rejoint celui du Gouvernement qui, dans son rapport au Parlement, estime souhaitable de maintenir la technique de l'algorithme, mais d'étendre, pour plus d'efficacité, le champ des données analysées :

- d'une part, aux données IP, c'est-à-dire aux données générées par des applications qui utilisent Internet pour communiquer. Sont notamment visées les données transitant par les applications de messagerie chiffrées, telles que WhatsApp ou Telegram ;

- d'autre part, aux données d'URL, c'est-à-dire aux adresses web . Selon le Gouvernement, une telle extension pourrait « permettre la détection de consultations ou de téléchargements de fichiers caractérisant une menace ».

2. Une prolongation bienvenue, dans l'attente d'une réforme plus large de la loi relative au renseignement

2.1. Le projet de loi : une prorogation de quelques mois justifiée par les conséquences de l'épidémie de covid-19

L'article 2 du projet de loi vise à repousser une nouvelle fois la date d'expiration de la technique de l'algorithme.

Les raisons invoquées par le Gouvernement sont identiques à celles qui justifient la prorogation des dispositions de la loi « SILT » et liées à l'impact de l'épidémie de covid-19 sur le calendrier parlementaire.

À l'initiative de son rapporteur et du rapporteur pour avis de la commission de la défense, la commission des lois de l'Assemblée nationale a raccourci la durée de la prorogation de 12 à 7 mois, portant le terme de l'expérimentation au 31 juillet 2020.

Un rapport au Parlement dressant un nouveau bilan du dispositif devrait être remis par le Gouvernement avant le 31 décembre 2020.

2.2. La position de la commission : accepter la prolongation proposée sans modification

La commission a souscrit à cette prolongation , pour des raisons qui diffèrent toutefois de celles invoquées par le Gouvernement dans l'étude d'impact.

Il lui est en effet apparu que le débat de fond sur l'avenir de l'algorithme ne pouvait être dissocié d'une réflexion plus large sur la loi relative au renseignement .

Or, si une réforme de cette dernière est bien engagée, les travaux préparatoires n'ont à ce jour pas pu être achevés, rendant prématuré l'engagement d'un débat parlementaire.

Au demeurant, cette réforme pourrait également être impactée par une décision à venir de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) sur l'obligation généralisée de conservation des données de communication par les opérateurs, qui pourrait remettre en cause l'existence de plusieurs techniques de renseignement et nécessiter d'importants ajustements législatifs.

Le principe de conservation généralisée des données de connexion remis en cause par la jurisprudence de la CJUE

Les techniques d'accès aux données de connexion en temps différé (Fadets) reposent, en matière pénale comme en renseignement, sur l'obligation légale imposée aux opérateurs de communications électroniques ainsi qu'aux fournisseurs d'accès à internet de conserver, pendant une durée d'une année, l'ensemble des données de connexion transitant par leurs réseaux .

Cette obligation, qui existe en droit français comme dans d'autres pays européens, est toutefois remise en cause par la CJUE . Dans un arrêt Tele2 Sverige du 21 décembre 2016, celle-ci, appelée à se prononcer sur le cas suédois, a jugé contraire au droit de l'Union européenne l'obligation faite aux opérateurs de communications électroniques et aux fournisseurs de services publics en ligne de conserver, de manière généralisée et indifférenciée, les données de connexion.

Saisi de plusieurs contentieux portant sur les activités de renseignement, le Conseil d'État a renvoyé à la CJUE, le 26 juillet 2018 , trois questions préjudicielles relatives à la conformité au droit de l'Union des dispositions du droit français relatives à la conservation des données de connexion.

La CJUE ne s'est, pour l'heure, pas prononcé sur ces affaires, la décision ayant été annoncée pour la fin de l'année. Si elle venait à être confirmée dans le cas français, cette jurisprudence r emettrait en cause l'existence même des techniques d'accès aux données de connexion en temps différé et pourrait avoir des conséquences importantes sur l'activité des services de renseignement.

La commission a en outre observé que cette période supplémentaire permettra au législateur d'avoir un recul supplémentaire sur l'efficacité du dispositif de l'algorithme.

La commission a adopté l'article 2 sans modification.

Article 3
Application en outre-mer

Cet article a pour objet de rendre applicables les dispositions du projet de loi en Polynésie française, en Nouvelle-Calédonie, à Wallis-et-Futuna et dans les Terres australes et antarctiques françaises, collectivités ultramarines sur le territoire desquelles une mention expresse d'application est nécessaire 16 ( * ) .

La commission a adopté un amendement de réécriture globale COM-5 de son rapporteur, qui tire les conséquences des modifications apportées à l'article 1 er du projet de loi. Il s'agit de procéder aux coordinations nécessaires des dispositions relatives à l'application outre-mer au sein du code de la sécurité intérieure, en actualisant le « compteur outre-mer » 17 ( * ) .

La commission a adopté l'article 3 ainsi rédigé.


* 8 Rapport d'information n° 348 (2019-2020) du 26 février 2020 sur le contrôle et le suivi de la loi n° 2017-1510 du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme, fait par M. Marc-Philippe Daubresse au nom de la commission des lois. Ce rapport est disponible à l'adresse suivante : https://www.senat.fr/rap/r19-348/r19-3481.pdf .

* 9 Proposition de loi renforçant la lutte contre le terrorisme et le suivi des condamnés terroristes à leur sortie de détention, présentée par MM. Philippe Bas, Marc-Philippe Daubresse, Philippe Bonnecarrère, Mme Josiane Costes, MM. François Grosdidier et Dany Wattebled.

* 10 Ces dispositions ont été codifiées au sein d'un nouveau chapitre VIII du titre II du livre II du code de la sécurité intérieure, comprenant sept articles L. 228-1 à L. 228-7.

* 11 Décisions n° 2017-691 QPC du 16 février 2018 et n° 2017-695 QPC du 29 mars 2018.

* 12 Dans sa décision n° 2017-695 QPC du 29 mars 2018, le Conseil constitutionnel a confirmé la conformité à la Constitution de l'article 1 er de la loi du 30 octobre 2017 autorisant l'autorité préfectorale à instaurer des périmètres de protection. Il a toutefois formulé une réserve d'interprétation s'agissant de la participation d'agents de sécurité privée à la mise en oeuvre des contrôles, exigeant des autorités publiques qu'elles garantissent « l'effectivité du contrôle exercé sur ces personnes par les officiers de police judiciaire ».

* 13 Créée en 2015, la CNCTR est une autorité administrative indépendante, qui a remplacé la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité (CNCIS). Elle a pour mission de veiller à ce que les techniques de renseignement soient mises en oeuvre, sur le territoire national, conformément au cadre légal.

* 14 Article 17 de la loi n° 2017-1510 du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme.

* 15 Rapport n° 506 (2019-2020) de M. Christian Cambon fait au nom de la délégation parlementaire au renseignement, déposé le 11 juin 2020. Ce rapport est disponible à l'adresse suivante : http://www.senat.fr/rap/r19-506/r19-506.html.

* 16 Loi n° 61-814 du 29 juillet 1961 pour les îles Wallis et Futuna, loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 pour la Polynésie française, loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999 pour la Nouvelle-Calédonie, loi n° 55-1052 du 6 août 1955 portant statut des Terres australes et antarctiques françaises et de l'île de Clipperton.

* 17 La technique du « compteur » consiste à indiquer qu'une disposition est applicable dans une collectivité régie par le principe de spécialité législative dans sa rédaction résultant d'une loi déterminée, ce qui permet de savoir si les modifications ultérieures de cette disposition ont été ou non étendues.

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