II. LA PROPOSITION DE LOI : LA CRÉATION NÉCESSAIRE D'UNE MESURE DE SÛRETÉ DÉDIÉE

Au regard des difficultés précédemment évoquées, la proposition de loi adoptée par l'Assemblée nationale et soumise à l'examen de la commission entend apporter une réponse durable au défi sécuritaire induit par la libération de détenus terroristes .

La commission des lois a approuvé la philosophie générale de ce texte . Elle a toutefois jugé indispensable d'y apporter plusieurs ajustements afin de garantir tant la sécurité juridique du dispositif que son opérationnalité.

A. UN DISPOSITIF APPROUVÉ DANS SON PRINCIPE

1. Une mesure nécessaire, déjà proposée par la commission

L'article 1 er de la proposition de loi tend à introduire une nouvelle mesure de sûreté, de nature judiciaire, adaptée à la prise en charge des personnes condamnées pour des actes de terrorisme, à leur sortie de détention . Il introduit, à cette fin, une nouvelle section au sein du code de procédure pénale (articles 706-25-15 à 706-25-19).

Conçu pour pallier les insuffisances des dispositifs de suivi judiciaire existants, le dispositif proposé consisterait à imposer aux individus présentant, à l'issue de l'exécution de leur peine, une particulière dangerosité, des obligations de surveillance et de suivi à leur sortie de détention.

La commission des lois s'est d'ores et déjà prononcée en faveur d'un renforcement des dispositifs de suivi judiciaire des condamnés terroristes . Dans le cadre de l'examen du bilan de la mission de suivi de la loi « SILT », elle a ainsi préconisé de « revoir les dispositifs post-sentenciels de suivi des détenus terroristes, en introduisant dans notre droit une mesure judiciaire de suivi et de surveillance spécifique ».

Cette recommandation a trouvé une traduction dans une proposition de loi déposée le 4 mars 2020 par Philippe Bas, Marc-Philippe Daubresse et plusieurs de leurs collègues sénateurs, non examinée à ce jour par le Sénat.

Aussi ne peut-elle qu'être favorable, dans son principe, au dispositif de la proposition de loi , et ce d'autant qu'il reprend les trois caractéristiques qui avaient fait l'objet de sa recommandation, à savoir :

- un prononcé non par la juridiction de jugement, mais en post-sentenciel ;

- une durée décorrélée des crédits de réduction de peine ;

- un prononcé conditionné non pas à un examen de nature médicale, mais à une évaluation pluridisciplinaire de dangerosité en fin de peine.

2. Une attention nécessaire à la constitutionnalité du dispositif

Certaines personnes entendues par la rapporteure ont émis des doutes quant à la conformité à la Constitution du dispositif créé. Dès lors qu'il consiste à imposer des mesures de surveillance à des personnes qui ont purgé leur peine, certains y voient en effet une « peine après une peine », qui imposerait une rigueur non nécessaire et non proportionnée.

Ces craintes appellent, de la part de la commission, un raisonnement en deux temps.

Elle observe, tout d'abord, que le Conseil constitutionnel n'exclut pas, par principe, la possibilité pour le législateur d'imposer des mesures de sûreté à l'issue de l'exécution d'une peine , dès lors qu'elles visent à protéger la société contre la commission de nouveaux crimes ou délits graves. C'est ainsi qu'il a admis la création de la mesure de rétention de sûreté ou encore du placement sous surveillance électronique mobile à titre de mesure de sûreté.

L'appréciation de la nature du dispositif créé

Les caractéristiques du dispositif créé par l'article 1 er de la proposition de loi ne laissent pas de doute quant à son caractère de mesure de sûreté.

Le Conseil constitutionnel s'appuie habituellement sur un faisceau d'indices pour reconnaître à une mesure un caractère de peine ou de mesures de sûreté. Dans ses décisions sur le placement sous surveillance électronique mobile 9 ( * ) et sur la rétention de sûreté 10 ( * ) , il a ainsi retenu quatre principaux critères pour leur dénier tout caractère de sanction :

- le fait que la mesure ne soit pas prononcée par la juridiction de jugement ;

- le fait « qu'elle repose non sur la culpabilité de la personne condamnée (...), mais sur sa particulière dangerosité » ;

- le fait « qu'elle n'est mise en oeuvre qu'après l'accomplissement de la peine par le condamné » ;

- le fait « qu'elle a pour but d'empêcher et de prévenir la récidive par des personnes souffrant d'un trouble grave de la personnalité ».

L'ensemble de ces critères sont réunis s'agissant du dispositif qu'il est proposé d'introduire dans l'arsenal pénal, ce qui conforte l'idée qu'il constitue bien une mesure de sûreté, et non une peine. C'est d'ailleurs la position tenue par le Conseil d'État qui, dans son avis sur la proposition de loi, a estimé que les mesures prévues « ont exclusivement la nature de mesures de sûreté ».

Ceci étant, les mesures de sûreté n'en sont pas moins soumises à des exigences fortes dans la mesure où elles impliquent des restrictions importantes aux libertés .

Les principes constitutionnels de droit pénal, qui résultent de l'article 8 de la Déclaration de 1789, ne leur sont pas applicables, dès lors qu'elles n'ont pas valeur de sanction. Elles ne sont donc pas soumises, en particulier, au principe de non-rétroactivité.

En revanche, le Conseil constitutionnel apprécie la conformité des mesures de sûreté à l'article 9 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, qui prohibe les atteintes à la liberté qui ne constitueraient pas une « rigueur nécessaire » . Il appartient, pour ce faire, au législateur d'assurer une conciliation équilibrée entre, d'une part, l'objectif constitutionnel de prévention des atteintes à l'ordre public et, d'autre part, la protection des droits et libertés garantis par la Constitution.

Sur ce point, il ne fait aucun doute, pour la commission, que la gravité du risque terroriste, pour lequel le Conseil constitutionnel a admis des restrictions importantes aux libertés, justifie l'introduction d'une mesure de sûreté après la peine.

Consciente de la sensibilité du dispositif créé, elle a toutefois porté une attention particulière, dans le cadre de son examen de la proposition de loi, à ce qu'un équilibre soit trouvé entre opérationnalité de la mesure, efficacité de la lutte contre le terrorisme et garantie des droits et libertés constitutionnels.


* 9 Décision n° 2005-527 DC du 8 décembre 2005

* 10 Décision n° 2008-562 DC du 21 février 2008, Loi relative à la rétention de sûreté et à la déclaration d'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental.

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