N° 630

SÉNAT

SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2019-2020

Enregistré à la Présidence du Sénat le 15 juillet 2020

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur la proposition de loi , adoptée par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, instaurant des mesures de sûreté à l' encontre des auteurs d' infractions terroristes
à l' issue de leur peine ,

Par Mme Jacqueline EUSTACHE-BRINIO,

Sénatrice

(1) Cette commission est composée de : M. Philippe Bas , président ; MM. François-Noël Buffet, Jean-Pierre Sueur, Mme Catherine Di Folco, MM. Jacques Bigot, André Reichardt, Mme Sophie Joissains, M. Arnaud de Belenet, Mme Nathalie Delattre, MM. Pierre-Yves Collombat, Alain Marc , vice-présidents ; M. Christophe-André Frassa, Mme Laurence Harribey, M. Loïc Hervé, Mme Marie Mercier , secrétaires ; Mmes Catherine André, Esther Benbassa, MM. François Bonhomme, Philippe Bonnecarrère, Mmes Agnès Canayer, Maryse Carrère, Josiane Costes, MM. Mathieu Darnaud, Marc-Philippe Daubresse, Mme Jacky Deromedi, MM. Yves Détraigne, Jérôme Durain, Mme Jacqueline Eustache-Brinio, MM. Jean-Luc Fichet, Pierre Frogier, Mmes Françoise Gatel, Marie-Pierre de la Gontrie, Muriel Jourda, MM. Patrick Kanner, Éric Kerrouche, Jean-Yves Leconte, Henri Leroy, Mme Brigitte Lherbier, MM. Didier Marie, Hervé Marseille, Jean Louis Masson, Thani Mohamed Soilihi, Alain Richard, Simon Sutour, Mmes Lana Tetuanui, Claudine Thomas, Catherine Troendlé, M. Dany Wattebled .

Voir les numéros :

Assemblée nationale ( 15 ème législ.) :

2754 , 3116 et T.A. 451

Sénat :

544 et 631 (2019-2020)

L'ESSENTIEL

Réunie le mercredi 15 juillet 2020, la commission des lois du Sénat a adopté, sur le rapport de Jacqueline Eustache-Brinio (Les Républicains - Val-d'Oise), la proposition de loi n° 544 (2019-2020) instaurant des mesures de sûreté à l'encontre des auteurs d'infractions terroristes à l'issue de leur peine , adoptée par l'Assemblée nationale le 23 juin 2020.

Déposée par Yaël Braun-Pivet et plusieurs de ses collègues députés, cette proposition de loi vise à renforcer la surveillance judiciaire des individus condamnés pour des faits de terrorisme à leur sortie de détention et instaure, pour ce faire, une nouvelle mesure de sûreté destinée à prévenir leur récidive.

Elle reprend, pour partie, le contenu d'une proposition formulée par la commission à l'initiative de Marc-Philippe Daubresse, dans le cadre du suivi de loi du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme, dite « loi SILT » 1 ( * ) .

Aussi la commission des lois a-t-elle naturellement approuvé la philosophie de la proposition de loi , qui vient combler un vide juridique dans un arsenal pénal antiterroriste pourtant considérablement renforcé au cours des dernières années.

Elle a toutefois apporté plusieurs modifications au texte adopté par l'Assemblée nationale afin tant de garantir la sécurité juridique du dispositif que d'assurer son efficacité opérationnelle.

Elle a adopté, en ce sens, 16 amendements sur la proposition de loi .

*

I. LE CONSTAT : UN CADRE JURIDIQUE INADAPTÉ AU SUIVI ET LA RÉINSERTION DES CONDAMNÉS TERRORISTES

A. LA SORTIE D'INDIVIDUS CONDAMNÉS POUR DES FAITS DE TERRORISME : UN ENJEU MAJEUR DE SÉCURITÉ INTÉRIEURE

Au 30 mars 2020, 534 personnes prévenues ou condamnés pour des actes de terrorisme en lien avec la mouvance islamiste (TIS) étaient détenues dans les prisons françaises.

Parmi elles, 154 devraient être élargies au cours des trois prochaines années , selon l'échéancier suivant : 42 en 2020, 62 en 2021 et 50 en 2022.

La plupart - 143 - a été condamnée pour le délit d'association de malfaiteurs terroristes, les 11 restantes ayant été condamnées pour des crimes terroristes.

Ainsi que l'indiquait le procureur national antiterroriste lors de son audition, ces personnes ont généralement bénéficié d'une politique pénale plus souple que celle mise en oeuvre après 2016 . Elles ont, pour une majorité d'entre elles, été jugées en correctionnelle et condamnées à des peines moyennes d'emprisonnement de 5 à 6 ans.

Le renforcement récent de l'arsenal pénal antiterroriste

Au cours des dernières années, l'arsenal pénal antiterroriste a été considérablement renforcé. Au total, ce ne sont pas moins de 9 lois qui sont intervenues depuis 2012.

Le champ infractionnel a tout d'abord été adapté , afin d'anticiper la répression et de permettre une action judiciaire le plus en amont possible de la commission d'un acte de terrorisme. Pour ce faire, de nouveaux délits ont été créés, parallèlement à l'infraction d'association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste. Sont ainsi désormais constitutifs de délits l'entrave au blocage de sites internet terroristes, ou encore l'entreprise individuelle terroriste.

Parallèlement, les peines encourues pour des actes de terrorisme ont été renforcées . Tel est notamment le cas de l'infraction criminelle d'association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste.

Enfin, les réformes engagées ont permis de développer un régime procédural adapté, très largement dérogatoire aux règles de droit commun . Il a, en particulier, été procédé à un élargissement des possibilités de recours aux techniques spéciales d'enquête (sonorisation de lieux privés, captation à distance de données informatiques, etc .) dans le cadre des enquêtes judiciaires. Ont également été autorisées les perquisitions nocturnes pour les enquêtes conduites par le parquet national antiterroriste.

Ces libérations nombreuses d'individus condamnés pour des faits de terrorisme constituent un enjeu majeur de sécurité publique .

Il est en effet aujourd'hui largement admis qu'en dépit des réformes engagées au cours des dernières années, la prison peine encore à prendre en charge les individus radicalisés et ne permet pas d'aboutir, sur le temps de la détention, à un désengagement de l'idéologie salafo-djihadiste.

Dans un rapport thématique publié en janvier 2020 consacré à la prise en charge pénitentiaire des personnes radicalisées, le Contrôleur général des lieux de privation de libertés (CGLPL) relève ainsi l'inefficacité des dispositifs de prise en charge des détenus terroristes en détention, indiquant : « la préparation à la sortie n'est pas pensée et les mesures d'aménagements de peine sont inaccessibles. Dépourvue de projet d'aménagement de peine et de perspectives sociales ou professionnelles, la prise en charge de la “radicalisation” proposée apparaît sans effet ».

Les recherches récentes menées sur les individus incarcérés pour des faits de terrorisme confortent l'idée selon laquelle la prison, loin d'être un espace de désengagement et de préparation à la réinsertion, serait au contraire un incubateur de radicalisation.

Dans son ouvrage Le jihadisme français, quartiers, Syrie, prisons , le chercheur Hugo Micheron documente, sur la base de ses entretiens avec des djihadistes incarcérés en France, la persistance de l'adhésion de ces individus à l'idéologie djihadiste. Il relève, à cet égard, que « l'univers carcéral a constitué, depuis le 11 septembre 2001, à la fois la caisse de résonnances des mutations internes au militantisme jihadiste et son espace d'expression privilégié » et que « l'incarcération par définition temporaire constitue une étape de la formation du “soi” jihadiste ».

Les auditions menées par la rapporteure ont confirmé ces observations . Pour les services de renseignement intérieur, les sortants de détention constituent aujourd'hui l'une des principales menaces auxquelles notre pays est exposé en matière de terrorisme. Le directeur général de la sécurité intérieure, Nicolas Lerner, indiquait lors de son audition que figuraient parmi les personnes dont la libération était prévue en 2021 et 2022 des « profils lourds », souvent des personnes condamnées pour des projets terroristes ou parties sur zone.

Il s'agit également d'une préoccupation majeure du procureur de la République antiterroriste qui, devant la commission des lois de l'Assemblée nationale, déclarait : « Nous avons plus qu'une inquiétude, une vraie peur, s'agissant des dizaines de personnes qui vont sortir de prison, qui sont très dangereuses et dont les convictions sont absolues. Elles constituent la menace prioritaire aujourd'hui. »


* 1 Proposition de loi n° 360 (2019-2020) renforçant la lutte contre le terrorisme et le suivi des condamnés terroristes à leur sortie de détention de MM. Philippe Bas, Marc-Philippe Daubresse et plusieurs de leurs collègues, déposée au Sénat le 4 mars 2020.

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