B. QUELS MOYENS POUR LA RESTAURATION DES CENTRES-VILLES ?

1. Une action faiblement dotée

L'utilisation de la politique patrimoniale pour la revitalisation des centres anciens est au coeur de l'action 02 « Architecture et espaces protégés ». Les crédits prévus dans le cadre du présent projet de loi de finances ne devraient pas évoluer par rapport à 2019. Représentant 3,3 % de ceux prévus pour l'ensemble du programme 175, ils devraient ainsi atteindre 32,23 millions d'euros en 2020. Plus de la moitié des crédits budgétaires sont cependant fléchés vers la Cité de l'architecture et du patrimoine (17,35 millions d'euros en AE et en CP). Les dépenses d'intervention se limitent donc à 13,82 millions d'euros en AE et en CP dont 12,92 millions d'euros de crédits déconcentrés.

Ceux-ci prévoient une enveloppe de 8,90 millions d'euros dédiée aux 880 « sites patrimoniaux remarquables » 12 ( * ) et aux villes patrimoniales couvertes par le plan gouvernemental « Action coeur de ville » lancé en mars 2018. Le projet annuel de performances rappelle que ce financement est complété par le dispositif fiscal dit « Malraux ».

2. La nécessaire consolidation du dispositif « Malraux »

Aux termes de l'article 199 tercivies du code général des impôts, les contribuables domiciliés en France bénéficient d'une réduction d'impôt sur le revenu pour les dépenses qu'ils assument en vue de la restauration complète d'un immeuble bâti dès lors que celui-ci est situé:

- dans un site patrimonial remarquable classé : le périmètre dans lequel est situé l'immeuble doit être couvert par un plan de sauvegarde et de mise en valeur approuvé ou par un plan de valorisation de l'architecture et du patrimoine approuvé. Le dispositif peut également s'appliquer si la restauration de l'immeuble a été déclarée d'utilité publique ;

- dans un quartier ancien dégradé (QAD) délimité en application de loi de mobilisation pour le logement et la lutte contre l'exclusion de 2009 13 ( * ) , dès lors que la restauration a été déclarée d'utilité publique. Dans le cas présent, la réduction d'impôt devrait prendre fin le 31 décembre 2019 ;

- dans un quartier présentant une concentration élevée d'habitat ancien dégradé et faisant l'objet d'une convention pluriannuelle prévue par la loi d'orientation et de programmation pour la ville et la rénovation urbaine de 2003 14 ( * ) , dès lors que la restauration a été déclarée d'utilité publique. La liste des quartiers concernés est arrêtée sur proposition de l'Agence nationale pour la rénovation urbaine quartiers (quartiers NPNRU). Dans le cas présent, la réduction d'impôt devrait également prendre fin le 31 décembre 2019.

Le propriétaire prend l'engagement de louer le bien nu, à usage de résidence principale du locataire, pendant une durée de neuf ans.

La réduction d'impôt s'applique aux dépenses effectuées pour les locaux d'habitation ou pour des locaux destinés après travaux à l'habitation. Ils peuvent concerner également des locaux affectés à un usage autre que l'habitation à l'image de locaux affectés à usage de commerce situés au rez-de-chaussée des immeubles de centre-ville qui sont donnés en location à cet usage après la réalisation des travaux. Les travaux de restauration réalisés sur ces locaux doivent permettre de rétablir l'accès aux étages supérieurs antérieurement condamné et ainsi de mettre en location les locaux rendus accessibles à usage d'habitation.

Le bénéfice de la réduction d'impôt est réservé aux titulaires de la pleine propriété de l'immeuble ou des titres, ce qui exclue le démembrement du droit de propriété. Les personnes physiques, les associés de sociétés non soumises à l'impôt sur les sociétés (société immobilière de copropriété par exemple) et les associés de sociétés civiles de placement immobilier (SCPI) peuvent bénéficier de la réduction d'impôt.

Le taux de réduction d'impôt est fixé à 22 %. Il peut être porté à 30 % pour les immeubles situés dans les quartiers QAD ou NPNRU ainsi que pour ceux localisés dans un SPR; s'ils sont couverts par un plan de sauvegarde et de mise en valeur approuvé (PSMV).

La réduction d'impôt est accordée aux contribuables ayant souscrit au capital initial ou aux augmentations de capital d'une SCPI à la double condition :

- qu'au moins 65 % du montant de cette souscription servent exclusivement à financer des dépenses éligibles à la réduction d'impôt ;

- qu'au moins 30 % du montant de cette souscription servent à financer l'acquisition d'un ou plusieurs immeubles éligibles à la réduction d'impôt.

a) Un dispositif en voie d'extinction

4 764 foyers fiscaux ont bénéficié de ce dispositif en 2018, la dépense fiscale s'élevant à 31 millions d'euros. Elle atteignait 34 millions d'euros en 2017. Cette somme serait ramenée à 26 millions d'euros en 2019 et 2020.

L'Inspection générale des finances, l'inspection générale des affaires culturelles et le Conseil général de l'environnement et du développement durable ont remis, en décembre 2018, un rapport évaluant le dispositif. Les auteurs concluent à une perte d'efficacité et de lisibilité du mécanisme, dans un contexte marqué par une multiplicité de crédits d'impôts destinés à soutenir l'investissement locatif (Pinel réhabilitation et classique, Cosse, Denormandie ancien).

Les inspecteurs relèvent que le recours au dispositif « Malraux » est principalement le fait d'investisseurs indirects. En 2016, 8 093 foyers fiscaux avaient eu recours au dispositif « Malraux », 91 % d'entre eux utilisant le biais d'une SCPI. Le coût total des travaux couverts par la réduction fiscale en 2017 s'est élevé à 130 millions d'euros. Le coût moyen est établi à environ 2 900 euros par mètre carré. Les contraintes architecturales peuvent expliquer un tel écart par rapport au coût observé sur des chantiers standards.

Une analyse plus approfondie du dispositif fait état d'une zone d'efficacité :

- s'agissant des investisseurs directs, la surface du bien doit être comprise entre 130 et 140 mètres carré, le prix de l'immeuble devant être de 30 à 75 % moins cher que les prix du marché ;

- pour les porteurs de parts SCPI, le prix au mètre carré doit être évalué à 2 000 euros avec achat du foncier à rénover et au moins 50 % de moins que le prix du marché.

Le taux de rendement interne (TRI) dépend donc en large partie du prix d'achat du foncier. Par ailleurs, le coût des travaux, conjugué aux contraintes architecturales et à la modération des loyers en quartier dégradé, semblent aujourd'hui décourager les acteurs institutionnels, qui privilégient la construction neuve.

b) Une absence de corrélation avec le plan Action coeur de ville

Par rapport aux autres mécanismes, le dispositif « Malraux » présente l'originalité d'associer objectifs de soutien au logement, de valorisation du patrimoine et de revitalisation des centres urbains.

Reste que si le dispositif peut concerner 800 communes sur l'ensemble du territoire français, les projets de restauration se concentrent sur 30 communes, soit 4 % des villes éligibles.

Il n'existe pas, par ailleurs, de corrélation entre secteurs de rénovation urbaine et zones éligibles au dispositif Malraux. Ainsi, si le plan Action coeur de ville, lancé en mars 2018, désigne 222 collectivités bénéficiaires d'une aide destinée à redynamiser le centre, tous les quartiers de celles-ci ne sont pas concernés. Ainsi sur 871 sites patrimoniaux remarquables (SPR), seuls 105 sont approuvés. 53 quartiers sur 480 quartiers NPNRU sont également éligibles. Les 25 QAD sont, quant à eux tous concernés.

c) Une révision nécessaire du dispositif

Le montant des dépenses éligibles - 128 millions d'euros en 2018 - fait du dispositif « Malraux », en dépit de sa sous-utilisation, un auxiliaire indispensable de l'action du ministère de la culture en vue de la préservation des monuments historiques et de la restauration des centres villes. Le dispositif « Malraux » génère, par ailleurs, deux fois plus de dépenses de réhabilitation que les travaux disposant du label Fondation du patrimoine.

Le rapport IGAC-IGF-CGEDD cible plusieurs pistes pour réviser le dispositif, combinant mesures fiscales et mobilisation des instruments existants de la politique de la ville.

Au plan fiscal, cinq modifications pourraient être apportées à l'article 199 tercivies du CGI.

Afin de renforcer l'attractivité du dispositif et éviter une extinction à terme, il pourrait être proposé, dans un premier temps, d'unifier la réduction d'impôt à 30 %.

Afin de générer une augmentation du TRI, il pourrait également être envisagé une diversification des usages du bâti, afin de faciliter le retour des commerces et des services. Ainsi la condition d'usage en résidence principale imposée au locataire pourrait être supprimée et la possibilité serait alors ouverte à la transformation de locaux d'habitation en locaux commerciaux, de services ou d'activité. L'élargissement du bénéfice du Malraux aux locations à des ascendants et des descendants ferait également sens.

Il convient également de réviser les conditions imposées aux SCPI. La décomposition 30 % foncier / 65 % travaux apparaît en effet dirimante tant elle peut induire un coût d'acquisition important. Or un prix d'achat élevé est désincitatif. Il pourrait donc être envisagé de remplacer cette formule par un seuil minimum de 95 % de travaux et foncier dont 65 % minimum de travaux.

La date limite d'éligibilité pour les immeubles situés dans les quartiers QAD et NPNRU, fixée au 31 décembre 2019, pourrait également être supprimée.

La condition de déclaration d'utilité publique pour certains SPR peut par ailleurs, apparaître superfétatoire. Sa suppression n'exclura pas le contrôle par un architecte des bâtiments de France.

La possibilité d'ouvrir sous conditions le dispositif aux propriétaires occupants a reçu un avis défavorable de l'IGF. Il peut apparaître inopportun, dans ces conditions, de modifier en ce sens l'article 199 tercivies et de susciter des réserves quant à un détournement du but de dispositif.

Une évaluation de l'ensemble de ces propositions par l'IGAC, l'IGF et le CGEDD a permis de conclure au maintien du niveau de la dépense fiscale actuel et à l'arrêt de son déclin. La révision du dispositif est, par ailleurs, soutenue par le ministère de la culture. Elle pourrait constituer une première étape en vue d'une meilleure combinaison avec le plan Action coeur de ville. Vos rapporteurs spéciaux ne peuvent que saluer cette ambition et s'associer aux recommandations de la mission IGAC-IGF-CGEDD.

Observation n° 8 : La faiblesse des crédits budgétaires (8,90 millions d'euros) dédiés à la restauration des centres-villes rend indispensable une rénovation du dispositif fiscal Malraux, qui présente l'avantage d'associer objectifs de soutien au logement, de valorisation du patrimoine et de revitalisation des centres urbains et génère environ 130 millions d'euros de dépense de travaux chaque année. Vos rapporteurs spéciaux appuient les conclusions allant en ce sens de l'inspection générale des affaires culturelles et de l'inspection générale des finances et invitent à proroger le mécanisme et à simplifier ses conditions d'utilisation.


* 12 Titre III du livre VI du code du patrimoine

* 13 Loi n° 2009-323 du 25 mars 2009 de mobilisation pour le logement et la lutte contre l'exclusion

* 14 Loi n° 2003-710 du 1 août 2003 d'orientation et de programmation pour la ville et la rénovation urbaine

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