N° 537

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2018-2019

Enregistré à la Présidence du Sénat le 29 mai 2019

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des affaires économiques (1) sur la proposition de loi visant à instaurer un droit effectif à l' accès à l' énergie et à lutter contre la précarité énergétique ,

Par Mme Denise SAINT-PÉ,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : Mme Sophie Primas , présidente ; Mme Élisabeth Lamure, MM. Daniel Gremillet, Alain Chatillon, Martial Bourquin, Franck Montaugé, Mmes Anne-Catherine Loisier, Noëlle Rauscent, M. Alain Bertrand, Mme Cécile Cukierman, M. Jean-Pierre Decool , vice-présidents ; MM. François Calvet, Daniel Laurent, Mmes Catherine Procaccia, Viviane Artigalas, Valérie Létard , secrétaires ; M. Serge Babary, Mme Anne-Marie Bertrand, MM. Yves Bouloux, Bernard Buis, Henri Cabanel, Mmes Anne Chain-Larché, Marie-Christine Chauvin, Catherine Conconne, MM. Roland Courteau, Pierre Cuypers, Marc Daunis, Daniel Dubois, Laurent Duplomb, Alain Duran, Mmes Dominique Estrosi Sassone, Françoise Férat, M. Fabien Gay, Mme Annie Guillemot, MM. Xavier Iacovelli, Jean-Marie Janssens, Joël Labbé, Mme Marie-Noëlle Lienemann, MM. Pierre Louault, Michel Magras, Jean-François Mayet, Franck Menonville, Jean-Pierre Moga, Mme Patricia Morhet-Richaud, M. Robert Navarro, Mme Sylviane Noël, MM. Jackie Pierre, Michel Raison, Mmes Évelyne Renaud-Garabedian, Denise Saint-Pé, M. Jean-Claude Tissot .

Voir les numéros :

Sénat :

260 et 538 (2018-2019)

AVANT-PROPOS

Mesdames, Messieurs,

La proposition de loi déposée par les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste traite d'un sujet d'importance pour la vie quotidienne de nos concitoyens. L'énergie est en effet indispensable pour se chauffer, pour se déplacer, pour communiquer . Il s'agit d'une dépense contrainte , qui pèse d'autant plus lourd dans le budget des ménages qu'ils n'en maîtrisent pas tous les déterminants, qu'il s'agisse de l'évolution des prix mondiaux de l'énergie ou de l'isolation du logement, lorsque les moyens financiers manquent pour y réaliser des travaux.

Selon l'Observatoire national de la précarité énergétique (ONPE), 3,3 millions de ménages étaient en situation de précarité énergétique en 2017, soit 6,7 millions de personnes et 11,6 % de la population française 1 ( * ) , tandis que 15 % des ménages sondés déclaraient avoir souffert d'une sensation de froid chez eux au cours de l'hiver 2017-2018.

Pour réduire cette fracture énergétique, la proposition de loi prévoit d'abord d' élever l'accès à l'énergie au rang de « droit fondamental » (article 1 er ). Dans la mesure où cette disposition n'aurait pas d'effet juridique notable , votre commission juge préférable de réfléchir à l'amélioration de dispositifs existants et concrets , tels que le chèque énergie, plutôt qu'au statut, symbolique, du droit à l'énergie.

Le texte propose ensuite deux types de mesures. La première consisterait à étendre l'interdiction des coupures d'électricité, de chaleur et de gaz , qui ne vaut aujourd'hui que pendant la trêve hivernale, à l'ensemble de l'année , comme c'est déjà le cas pour l'eau. Cette protection nouvelle bénéficierait uniquement aux bénéficiaires du chèque énergie , soit 5,8 millions de ménages cette année (article 2).

Or, une telle mesure aurait pour effet, comme le retour d'expérience de l'eau l'a montré, de déresponsabiliser une partie des clients et d' augmenter les impayés , dont le coût se reporterait sur l'ensemble des consommateurs, y compris les plus modestes. Elle tendrait aussi à masquer le coût réel de l'énergie et désinciterait à la maîtrise des consommations , à rebours de nos objectifs climatiques. Elle pourrait aussi conduire à des effets d'aubaine importants si, du fait des difficultés d'identification des bénéficiaires par les fournisseurs, elle venait à protéger indifféremment les ménages précaires comme les plus riches, de la même façon qu'aucune coupure n'est aujourd'hui décidée durant la trêve hivernale pour les résidences secondaires comme pour les résidences principales, à défaut de connaître avec certitude l'usage du logement.

À l'inverse, certains publics précaires n'en bénéficieraient pas , car n'étant pas éligibles au chèque énergie. Enfin, l'annonce d'une possible coupure déclenche un processus d'évaluation de la situation du client, d'orientation vers les différentes aides disponibles et d'étalement des paiements, ce qui permet d'éviter dans certains cas l'accumulation de dettes par les ménages.

Pour alléger la fiscalité énergétique, il est proposé d' exonérer les bénéficiaires du chèque énergie de la contribution au service public de l'électricité (CSPE) et de la taxe intérieure de consommation sur le gaz naturel (TICGN) (article 3), et d'appliquer un taux réduit de TVA à 5,5 % sur une première tranche de consommation d'électricité, de chaleur ou de gaz, dont le niveau serait fonction, notamment, de la composition familiale du foyer, mais sans condition de ressources (article 4).

Or, ces deux mesures seraient à la fois complexes à mettre à oeuvre sur les plans juridique et pratique, et largement inefficaces sur le fond . Outre le fait que le droit européen n'autorise pas l'application de régimes d'exonération ou de taux différents entre les ménages, leur éventuelle mise en place complexifierait considérablement la facturation, induirait des risques d'erreurs et des surcoûts importants et supposerait que les fournisseurs aient accès aux données relatives à la composition du foyer, qui sont des données personnelles. Enfin, leur rapport coût-efficacité serait très peu favorable : la perte de recettes pour l'État serait d' au moins 2,5 milliards d'euros par an pour une mesure touchant, dans le cas de la TVA, l'ensemble des consommateurs, y compris les plus riches.

Dès lors, votre commission préconise d'améliorer et d'amplifier les dispositifs existants . S'agissant du chèque énergie, elle souhaite en particulier la mise en place rapide du système de notification automatique des fournisseurs par l'Agence de services et de paiement, ainsi que l'intensification et la simplification de la communication sur le dispositif ; surtout, votre rapporteur estime que ce sont les plus précaires qui devraient être ciblés en priorité , en augmentant les montants maximaux du chèque pour les tranches de revenus les plus basses.

Sous le bénéfice de ces observations, votre commission n'a pas adopté de texte sur la proposition de loi.


* 1 Soit les ménages consacrant plus de 8 % de leurs revenus au paiement de l'énergie du logement et qu'il appartient aux 30 % de ménages les plus modestes

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