EXAMEN EN COMMISSION

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MERCREDI 29 MAI 2019

M. Philippe Bas, président . - Nous examinons la proposition de loi relative à l'accès effectif et direct des petites et moyennes entreprises à la commande publique déposée par Jean-Marc Gabouty, Jean-Claude Requier et plusieurs de leurs collègues du groupe du Rassemblement démocratique et social européen (RDSE).

M. André Reichardt, rapporteur . - La commande publique constitue une part significative de l'activité économique nationale. En 2014, elle représentait 200 milliards d'euros de montants cumulés, soit 10 % du produit intérieur brut. Paradoxalement, la part des petites et moyennes entreprises (PME) y reste marginale, alors que celles-ci étaient au nombre de 3,8 millions en 2015, soit 99,9 % des entreprises, représentaient 48 % de l'emploi salarié et réalisaient 43 % de la valeur ajoutée. Cette dissymétrie s'explique par plusieurs antagonismes. D'une part, la fragilité de la trésorerie des PME s'accommode mal de la règle du paiement après service fait et des délais de paiement pratiqués par les acheteurs publics. D'autre part, les PME ne disposent pas des moyens humains adéquats en réponse à la complexité du droit applicable et des procédures.

Face à ce constat, des mesures ont été prises. À l'initiative de notre commission, la loi du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dite « Sapin 2 », a fait de l'allotissement des marchés publics un principe - l'acheteur qui n'allotit pas doit le justifier en droit et en fait - et a interdit les offres variables, afin que les PME puissent se battre à armes égales avec les entreprises de taille intermédiaire ou les grandes entreprises. Les avances qui leur sont versées dans le cadre des marchés passés par l'État ont été augmentées, passant de 5 % à 20 %, et les retenues de garanties diminuées pour préserver leur trésorerie. En outre, l'accès au droit a été favorisé avec la création récente du code de la commande publique et l'édition de nombreux guides pratiques. Les procédures de candidature ont aussi été facilitées par la généralisation de la dématérialisation depuis le 1 er octobre 2018.

La présente proposition de loi entend se placer dans la continuité de la démarche de renforcement de la place des PME dans la commande publique. L'intention de ses auteurs ne peut qu'être approuvée, tant les PME peinent encore à trouver la place qui leur revient dans l'achat public, malgré les dispositions susmentionnées. Toutefois, les choix retenus ne paraissent pas de nature à apporter des améliorations effectives. Certaines des dispositions du texte créent des effets collatéraux défavorables pour les petits acheteurs publics sans toutefois améliorer réellement l'accès des PME aux marchés publics.

Ainsi, l'article 1 er et la seconde partie de l'article 2 de la proposition de loi, relatifs à l'obligation d'allotir, introduisent des dispositifs sans réelle portée normative. Les PME ne disposent pas de personnels exclusivement consacrés à suivre les évolutions du droit. Dans leur intérêt, le législateur doit donc s'efforcer de n'apporter que des modifications strictement et évidemment nécessaires, ce qui n'est manifestement pas le cas ici.

La première partie de l'article 2 de la proposition de loi précise que, pour ne pas être obligé d'allotir un marché, un acheteur doit non seulement ne pas pouvoir coordonner l'allotissement lui-même, mais également ne pas pouvoir le faire coordonner par un tiers. Le droit en vigueur atteint un point d'équilibre satisfaisant pour l'acheteur comme pour les PME qui souhaiteraient soumissionner. Depuis la modification opérée par la loi « Sapin 2 », l'allotissement a été érigé en principe, mais une soupape de sécurité a été conservée pour les acheteurs ne pouvant assurer eux-mêmes les missions d'organisation, de pilotage et de coordination (OPC). Les dispositions proposées auraient pour conséquence de supprimer cette soupape, alors qu'un acheteur peut toujours confier la coordination d'un marché à un tiers s'il n'est pas capable de l'opérer lui-même, dès lors qu'il le rémunère. Cette mesure n'est donc pas satisfaisante : elle pénaliserait les petits acheteurs qui peuvent actuellement recourir à des marchés globaux lorsqu'ils ne sont pas en mesure de coordonner des marchés allotis. Il s'agit majoritairement de collectivités territoriales dont les marchés bénéficient souvent aux PME.

L'article 3 encadre les cas dans lesquels une entreprise titulaire d'un marché peut changer de sous-traitant en cours d'exécution. L'objectif est louable, mais la mesure inopérante. En premier lieu, la rédaction proposée ferait obstacle à un changement de sous-traitant en l'absence de toute défaillance, malgré l'éventuel accord de l'acheteur, de l'entreprise titulaire et du sous-traitant. En second lieu, ce mécanisme serait facilement contournable par l'entreprise titulaire, puisqu'il lui suffirait de ne pas présenter ses sous-traitants au stade de la candidature. Cette disposition pourrait s'avérer défavorable aux PME en décourageant les grandes entreprises de leur confier des contrats de sous-traitance.

Enfin, le dernier article de la proposition de loi prévoit qu'il soit tenu compte de la couverture numérique pour la mise en oeuvre de la dématérialisation des échanges. Ce souhait semble satisfait par la possibilité déjà accordée aux entreprises de faire parvenir une copie de sauvegarde de leur candidature à l'acheteur afin, notamment, de se prémunir des défaillances ou des insuffisances de réseau Internet. De plus, le plan du Gouvernement en matière de couverture numérique des territoires lancé à Cahors en décembre 2017 devrait conduire à la généralisation d'une couverture mobile de qualité dès l'année prochaine et du très haut débit pour tous en 2022.

Pour l'ensemble de ces raisons, et malgré mon intérêt pour le thème qu'elle aborde, je suis contraint de donner un avis défavorable à l'adoption de cette proposition de loi. Il me semblerait, en revanche, opportun qu'au sein de notre commission un groupe de travail réfléchisse aux moyens d'améliorer l'accès effectif des PME à la commande publique. Leurs représentants ont rappelé, lors des auditions, combien les délais de soumissionnement et de paiement par les acheteurs publics, ainsi que le montant des avances, méritaient d'être améliorés malgré les efforts déjà réalisés.

M. Philippe Bas, président . - L'ambition des auteurs de la proposition de loi est éminemment légitime et je la salue. Ceux parmi nous qui ont exercé des responsabilités locales savent combien il est désolant de ne pouvoir soutenir nos PME. Le coût d'accès à la commande publique est effectivement élevé : la réalisation des dossiers demande une expertise certaine et la concurrence des grandes entreprises s'agissant des prix pratiqués est souvent insoutenable. Ces dernières, pourtant, n'hésitent pas, une fois le marché attribué, à réclamer des augmentations tarifaires. Je soutiens la proposition de notre rapporteur ; elle répond à une attente profonde de nos PME.

Mme Nathalie Delattre . - Je salue la qualité du rapport et l'investissement de notre rapporteur, qui a procédé à de nombreuses auditions. Il est vrai que notre proposition de loi, dont l'ambition était d'améliorer la situation des PME, ne va pas assez loin. Notre groupe demandera probablement son retrait de l'ordre du jour et participera au groupe de travail proposé par le rapporteur.

M. Jean Louis Masson . - Il me semble trop rigide de ne pouvoir changer de sous-traitant en cours d'exécution du marché si de bonnes raisons l'exigent. Lorsqu'une entreprise propose de travailler avec un sous-traitant, un contrat devrait les lier en amont sans conséquence sur la procédure d'attribution du marché.

Mme Agnès Canayer . - Les difficultés évoquées par notre rapporteur sont fréquemment rencontrées par les communes. Les délais de paiement, notamment, représentent un frein pour les PME qui souhaiteraient répondre à des appels d'offres.

Mme Françoise Gatel . - Je félicite à mon tour le rapporteur pour la qualité de son travail, ainsi que pour sa proposition de poursuivre la réflexion. La délégation sénatoriale aux entreprises s'est également penchée sur le sujet. La complexité des procédures oblige les entreprises à y consacrer un temps salarié dont elles ne disposent pas toujours. Les chambres de commerce et d'industrie, comme les chambres de métiers et de l'artisanat, devraient davantage accompagner les PME et les former aux marchés publics. Par ailleurs, les délais de paiement représentent un obstacle pour la trésorerie des PME susceptibles de candidater.

M. Alain Marc . - Le sujet est majeur et mérite qu'un groupe de travail s'en empare. Comme président de la commission des routes de l'Aveyron, je puis témoigner que lorsque le conseil départemental a financé, avec la région Occitanie, 25 % des travaux réalisés sur une portion de la RN 88, la maîtrise d'ouvrage nous a été refusée. Les grandes entreprises choisies par l'État n'ont, hélas, guère fait travailler les PME locales. Je trouve cela dommage : l'argent du contribuable aveyronnais aurait pu être employé à soutenir notre économie. A contrario , sur un autre aménagement, le conseil départemental a pris les travaux à sa charge afin d'éviter que la déclaration d'utilité publique soit prescrite. Il a alors pu confier le marché à une entreprise locale.

M. François Grosdidier . - Je remercie les auteurs de la proposition de loi pour leur initiative. La complexité des procédures représente une entrave à la concurrence au détriment des PME comme des collectivités territoriales. J'ai, pendant dix-sept ans, été maire d'une ville moyenne : malgré tous mes efforts, j'ai toujours payé plus cher qu'un promoteur privé pour le même type d'opération. Nombre de PME ne sont pas en capacité administrative de répondre aux appels d'offres. Il convient de simplifier les procédures pour ouvrir davantage les marchés : les PME, les collectivités territoriales et les contribuables y gagneront. Le législateur est déjà intervenu sur les délais de paiement, notamment avec des dispositions relatives aux intérêts moratoires. Hélas, les fonctionnaires font encore preuve, trop souvent, d'un zèle excessif pour freiner les paiements. Les collectivités territoriales portent une part de responsabilité...

M. Jacques Bigot . - En matière de commande publique, les excès de jadis ont conduit à la rigueur actuelle. Il convient désormais de trouver un juste équilibre. La création d'un groupe de travail au sein de la commission constitue, à cet égard, une idée intéressante. Le récent code de la commande publique insiste sur l'allotissement, mais la complexité juridique des procédures continue à freiner les PME, lesquelles, trop souvent, présentent des dossiers incomplets. En Alsace, les collectivités territoriales ont créé un site Internet commun pour faciliter l'accès des PME aux marchés publics, ainsi que l'allotissement par les collectivités territoriales. Par ailleurs, lorsque les PME entrent sur un marché par la voie de la sous-traitance, les entreprises titulaires leur proposent souvent des tarifs peu élevés. Pour débuter nos travaux, nous pourrions envoyer un questionnaire aux communes s'agissant de la part d'allotissement de leurs marchés et l'accès aux PME. Je rappelle que la présente proposition de loi reprend certains amendements présentés à l'occasion du projet de loi relatif à la croissance et à la transformation des entreprises à la suite de discussions avec les représentants des PME. Peut-être ne constitue-t-elle pas une solution efficace, mais nous devons nous saisir du sujet.

M. André Reichardt, rapporteur . - Je vous remercie pour vos interventions. Il s'en dégage un consensus sur la nécessité de continuer à travailler sur ce thème. Monsieur Bigot, l'Observatoire économique de la commande publique dispose déjà de nombreuses données, dont les dernières datent du mois de décembre 2018. Il publiera prochainement un rapport sur ce thème à l'aune du nouveau code. Les organismes professionnels représentant les PME ont travaillé à sa rédaction. Vous avez été nombreux à témoigner de difficultés qui nous ont été signalées lors des auditions : la complexité des procédures, l'accompagnement insuffisant des PME, les contraintes de trésorerie, les freins à une démarche contractuelle en matière de sous-traitance, etc. Nous devons y travailler.

M. Philippe Bas, président . - Le dossier est passionnant. L'accès aux marchés est rigide, mais son exécution souvent trop souple : la multiplication des contentieux perturbe l'activité des collectivités territoriales.

La proposition de loi n'est pas adoptée.

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