EXPOSÉ GÉNÉRAL

Mesdames, Messieurs,

La commande publique constitue une part significative de l'activité économique nationale. En 2014, elle représentait 200 milliards d'euros de montants cumulés, soit 10 % du produit intérieur brut. Paradoxalement, la part des PME y reste marginale, alors qu'elles étaient 3,8 millions en 2015, représentant 99,9 % des entreprises et 48,3 % de l'emploi salarié (en équivalent temps plein), et qu'elles réalisaient 42,7 % de la valeur ajoutée.

Cette dissymétrie s'explique par plusieurs antagonismes. D'une part, la fragilité de la trésorerie des PME s'accommode mal de la règle du paiement après service fait et des délais de paiement pratiqués par les acheteurs publics. D'autre part, les PME ne disposent pas des moyens humains adéquats en réponse à la complexité du droit applicable et des procédures.

Face à ce constat, des mesures ont été prises. À l'initiative de votre commission, la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dite « Sapin 2 », a fait de l'allotissement des marchés publics un principe et a interdit les offres variables afin que les PME puissent se battre à armes égales avec les entreprises de taille intermédiaire ou les grandes entreprises. Les avances qui leur sont versées dans le cadre des marchés passés par l'État ont été augmentées et les retenues de garanties diminuées pour préserver leur trésorerie. En outre, l'accès au droit a été favorisé avec la création du code de la commande publique et l'édition de nombreux guides pratiques. Les procédures de candidature ont aussi été facilitées par la dématérialisation généralisée des procédures depuis le 1 er octobre 2018.

La présente proposition de loi entend se placer dans la continuité de cette démarche de renforcement de la place des PME dans la commande publique. Si l'intention de ses auteurs ne peut qu'être approuvée, tant les PME peinent encore, malgré les dispositions susmentionnées, à trouver la place qui leur revient dans l'achat public, les choix retenus ne paraissent pas de nature à apporter les améliorations effectives. Ils tendent à introduire des dispositions dépourvues de portée normative, d'une part, et créent, d'autre part, des effets collatéraux défavorables pour les petits acheteurs publics, nombreux, comme pour les PME elles-mêmes.

Une partie des dispositions proposées tend, à l'instar de l'article 1 er relatif à l'obligation d'allotir les marchés, à introduire des dispositifs sans réelle portée normative .

L'article 2 tend à réduire encore les cas dans lesquels un acheteur peut déroger à l'obligation d'allotir les marchés qu'il passe. Mais cette mesure pénalise les petits acheteurs - majoritairement des collectivités territoriales - pouvant actuellement recourir à des marchés globaux dans les cas extrêmes où ils ne sont pas en mesure de coordonner des marchés allotis.

L'article 3 propose d'encadrer les cas dans lesquels une entreprise titulaire d'un marché peut changer de sous-traitant en cours d'exécution. Néanmoins, le mécanisme proposé ne semble pas opérant et facilement contournable.

Enfin, le dernier article de la proposition de loi tend à ce que l'on tienne compte de la couverture numérique pour la mise en oeuvre de la dématérialisation des échanges. Or, ce souhait semble satisfait par la possibilité déjà accordée aux entreprises de faire parvenir à l'acheteur une « copie de sauvegarde » de leurs candidatures afin, notamment, de se prémunir des défaillances ou des insuffisances de réseau internet.

Pour l'ensemble de ces raisons, et après avoir rappelé les mesures préexistantes pour favoriser l'accès des PME à la commande publique que les acheteurs publics comme les entreprises elles-mêmes doivent s'approprier résolument en pratique, votre commission n'a pas adopté la proposition de loi.

En conséquence, en application du premier alinéa de l'article 42 de la Constitution, la discussion en séance publique portera sur le texte initial de la proposition de loi.

I. UN DROIT DE LA COMMANDE PUBLIQUE D'ORES ET DÉJÀ ADAPTÉ AUX SPÉCIFICITÉS DES PETITES ET MOYENNES ENTREPRISES

A. LA SOUS-REPRÉSENTATION DES PETITES ET MOYENNES ENTREPRISES DANS LA COMMANDE PUBLIQUE

1. Le poids économique prépondérant de la commande publique dans l'économie nationale

La commande publique constitue une part significative de l'activité économique nationale. En 2014, elle représentait 200 milliards d'euros de montants cumulés, soit 10 % du produit intérieur brut 1 ( * ) .

En 2017, le montant cumulé des seuls marchés publics 2 ( * ) dont le montant dépasse 90 000 euros 3 ( * ) , soit 163 000 contrats initiaux 4 ( * ) , atteignait 89 milliards d'euros .

Évolution du nombre de marchés publics et de leurs montants cumulés de 2014 à 2017

Source : données de l'Observatoire économique de la commande publique (décembre 2018) 5 ( * ) retraitées par la commission des lois.

En 2017, la très grande majorité de ces marchés a été passée par des collectivités territoriales mais les marchés passés par l'État ont été les plus onéreux.

Répartition des marchés publics passés en 2017,
par types d'acheteurs

Nombre de marchés

Montants cumulés
(en milliards d'euros)

État

32 204

(20 %)

37 550

(42 %)

Collectivités territoriales

114 440

(70 %)

27 770

(31 %)

Autres acheteurs

16 875

(10 %)

24 017

(27 %)

Source : données de l'Observatoire économique de la commande publique (décembre 2018) 6 ( * ) retraitées par la commission des lois.

2. Des petites et moyennes entreprises tendanciellement sous-représentées dans la commande publique
a) Le constat d'un retard général

Le tissu économique français a pour principale caractéristique d'être massivement composé de petites et moyennes entreprises (PME), telles que définies par l'article 51 de la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l'économie. Il s'agit des entreprises qui, d'une part, emploient moins de 250 personnes et, d'autre part, ont un chiffre d'affaires annuel n'excédant pas 50 millions d'euros ou un total de bilan n'excédant pas 43 millions d'euros 7 ( * ) .

Selon le Centre de documentation Économie-Finances, « en 2015, la France compte 3,8 millions de PME [...], soit 99,9 % des entreprises, 48,3 % de l'emploi salarié (en équivalent temps plein). Elles réalisent 42,7 % de la valeur ajoutée et 15,4 % du chiffre d'affaires à l'exportation » 8 ( * ) .

Pourtant, leur accès à la commande publique n'est pas à la hauteur de leur niveau de participation dans l'économie nationale, tant au niveau du nombre de marchés attribués qu'au niveau de leurs montants cumulés. Selon l'Observatoire économique de la commande publique (OECP), les PME ont été attributaires de 57,5 % des marchés conclus en 2017, mais ces contrats n'ont représenté que 29,4 % des montants cette même année. Or, sur la même période, les grandes entreprises ont passé presque trois fois moins de marchés, mais leurs montants cumulés étaient presque une fois et demie supérieure.

b) Les marchés des collectivités territoriales plus favorables aux PME que ceux passés par les autres acheteurs

Le retard constaté des PME semble très lié au type d'acheteur concerné. Les chiffres fournis par l'OECP démontrent que les marchés passés par les collectivités territoriales laissent leur plus grande chance aux PME : 69 % du nombre de leurs marchés leur revenaient en 2017, pour une part de montants cumulés de 48 %.

Niveau de participation des PME
en montant et par type d'acheteur

Montants en %

État

Collectivités

Autres acheteurs

PME

25,8

48,2

22,4

ETI

30,8

23,6

26,7

GE

43,4

28,2

50,9

Source : données de l'Observatoire économique de la commande publique
(décembre 2018)

Selon les données de l'OECP, l'évolution des parts de montants attribués aux PME pour les marchés des collectivités semble moins dynamique mais demeure nettement plus élevée que pour les marchés passés par d'autres acheteurs. À l'inverse, l'évolution du nombre de marchés attribués par les collectivités aux PME est, elle, plus dynamique que pour les autres marchés.

Évolution de la participation des PME en montant,
par type d'acheteur, en pourcentages

Évolution de la participation des PME en nombre,
par type d'acheteur, en pourcentages

Il semble donc que le montant individuel des marchés attribués à des PME par les collectivités ait tendance à diminuer par rapport aux marchés attribués aux entreprises plus importantes, mais que l'augmentation du nombre de marchés attribués par les collectivités aux PME permette la stabilité de la part globale de montants qui leur revient.

Les sources du droit de la commande publique

I - Le droit de l'Union européenne

Le droit de la commande publique est fortement soumis au droit de l'Union européenne tant il concerne les libertés économiques nécessaires à la construction et au parachèvement du marché unique européen. Ce principe est d'ailleurs rappelé par le premier considérant de la directive 2014/24/UE sur la passation des marchés publics 9 ( * ) : « La passation de marchés publics par les autorités des États membres ou en leur nom doit être conforme aux principes du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, notamment la libre circulation des marchandises, la liberté d'établissement et la libre prestation de services, ainsi qu'aux principes qui en découlent comme l'égalité de traitement, la non-discrimination, la reconnaissance mutuelle, la proportionnalité et la transparence » .

Le droit européen de la commande publique est actuellement structuré autour de quatre directives qui déterminent les procédures de passation des différents types de contrats de marchés et de concessions. La directive 2014/24/UE précitée fixe le « droit commun » applicable aux différents marchés publics. Elle est complétée par la directive 2014/25/UE relative à la passation de marchés par des entités opérant dans les secteurs de l'eau, de l'énergie, des transports et des services postaux 10 ( * ) et par la directive 2009/81/CE relative aux marchés de défense ou de sécurité 11 ( * ) . L'attribution des contrats de concessions est, quant à elle, régie par la directive 2014/23/UE 12 ( * ) .

II - Le droit national

a) Le nouveau code de la commande publique

La majeure partie des règles applicables aux marchés publics et contrat de concession 13 ( * ) est aujourd'hui regroupée au sein du code de la commande publique, entré en vigueur au 1 er avril 2019 14 ( * ) . Il est désormais le principal vecteur de transposition des directives européennes précitées. Auparavant, les règles nationales de niveau législatif étaient majoritairement regroupées au sein de l'ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics et de l'ordonnance n° 2016-65 du 29 janvier 2016 relative aux contrats de concession.

b) Les principes constitutionnels relatifs à la commande publique

Outre les dispositions relevant du droit de l'Union européenne et les dispositions de rang législatif, la jurisprudence du Conseil constitutionnel a élevé au rang constitutionnel certains principes généraux inscrits dans l'ancien code des marchés publics 15 ( * ) , tels que les principes de libre accès à la commande publique, d'égalité de traitement ou de transparence de la procédure, en les faisant découler d'une lecture croisée des articles 6 et 14 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 16 ( * ) .

c) Les dispositions pénales

Afin de renforcer la portée des règles applicables à la commande publique, le « délit de favoritisme » inscrit à l'article 432-14 du code pénal vient spécialement en incriminer les manquements. En ce sens, il sanctionne de deux ans d'emprisonnement et de 200 000 euros d'amende le fait, pour certaines personnes, « de procurer ou de tenter de procurer à autrui un avantage injustifié par un acte contraire aux dispositions législatives ou réglementaires ayant pour objet de garantir la liberté d'accès et l'égalité des candidats dans les marchés publics et les contrats de concession » 17 ( * ) . L'article L. 2141-1 du code de la commande publique exclut également des procédures de passation les personnes condamnées au titre de certaines infractions prévues par le code pénal ou le code général des impôts.


* 1 Données issues du Portail de l'Économie, des Finances, de l'Action et des Comptes publics - La commande publique en quelques chiffres.

* 2 Une typologie exhaustive des différents contrats de la commande publique est fournie par la fiche de la Direction des affaires juridiques de Bercy « Marchés publics et autres contrats » disponible à l'adresse suivante :

https://www.economie.gouv.fr/files/files/directions_services/daj/marches_publics/conseil_acheteurs/fiches-techniques/champs-application/MP-et-autres-contrats-2019.pdf

* 3 Seuil qui est celui de la publicité au Bulletin officiel des annonces des marchés publics (BOAMP).

* 4 Hors avenants et actes de sous-traitance.

* 5 Document consultable à l'adresse suivante :
https://www.economie.gouv.fr/files/files/directions_services/daj/marches_publics/oecp/concertation/comite-orientation-numero-4-presentation.pdf

* 6 Ibidem .

* 7 Définition donnée à l'article 3 du décret n° 2008-1354 du 18 décembre 2008 relatif aux critères permettant de déterminer la catégorie d'appartenance d'une entreprise pour les besoins de l'analyse statistique et économique.

* 8 CEDEF, Où trouver les chiffres des PME ? Disponible à l'adresse suivante : https://www.economie.gouv.fr/cedef/chiffres-cles-des-pme

* 9 Directive 2014/24/UE du Parlement européen et du conseil du 26 février 2014 sur la passation des marchés publics et abrogeant la directive 2004/18/CE.

* 10 Directive 2014/25/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 février 2014 relative à la passation de marchés par des entités opérant dans les secteurs de l'eau, de l'énergie, des transports et des services postaux et abrogeant la directive 2004/17/CE.

* 11 Directive 2009/81/CE du Parlement européen et du conseil du 13 juillet 2009 relative à la coordination des procédures de passation de certains marchés de travaux, de fournitures et de services par des pouvoirs adjudicateurs ou entités adjudicatrices dans les domaines de la défense et de la sécurité, et modifiant les directives 2004/17/CE et 2004/18/CE.

* 12 Directive 2014/23/UE du 26 février 2014 sur l'attribution de contrats de concession.

* 13 Des règles spécifiques à certains contrats entrant dans le champ des directives précitées sont prescrites en dehors du code de la commande publique. C'est par exemple le cas des règles applicables aux concessions autoroutières qui figurent dans le code de la voirie routière.

* 14 L'article 38 de la loi ° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique dite « Sapin 2 » a habilité le Gouvernement à « procéder par voie d'ordonnance, dans un délai de vingt-quatre mois à compter de la promulgation de la présente loi, à l'adoption de la partie législative du code de la commande publique. Ce code regroupe et organise les règles relatives aux différents contrats de la commande publique ».

* 15 Code abrogé par l'ordonnance n° 2015 899 du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics.

* 16 Conseil constitutionnel, décision n° 2003-473 DC du 26 juin 2003.

* 17 L'incrimination vise les contrats de concession et non plus les seules délégations de service public depuis la loi n° 2013-1117 du 6 décembre 2013 relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière.

Page mise à jour le

Partager cette page