D. LE CONSTAT ET LES PROPOSITIONS DE RÉFORME DU « RAPPORT SCHWARTZ »

1. Trop de titres de presse ?

Le ministre de l'économie et des finances et la ministre de la culture ont confié à Marc Schwartz, conseiller maître à la Cour des comptes, une mission visant à coordonner les services de l'État sur le protocole de redressement de Presstalis, mais également « proposer des évolutions souhaitables de la loi « Bichet » du 2 avril 1947 dans le sens d'une modernisation et d'une amélioration de l'efficacité économique de la distribution de la presse ».

Le « rapport Schwartz », réalisé avec le concours de Fabien Terraillot, a été remis aux ministres en mai 2018 . Il devait servir de base à l'élaboration du présent projet de loi.

Au-delà d'un diagnostic complet de la situation, le rapport a proposé une réforme extrêmement ambitieuse de la distribution de la presse, réforme qui revenait en fait à abroger la loi du 2 avril 1947 tout en conservant ses grands principes.

L'un des grands apports du travail de Marc Schwartz consiste à replacer la loi Bichet dans le contexte historique qui l'a vue naitre , et à suivre son évolution sur près de 70 ans. Ainsi, le système coopératif mis en place par la loi a contribué à la richesse de l'offre éditoriale française, avec 4 400 titres de presse magazine, soit trois fois plus qu'en Allemagne et deux fois plus qu'au Royaume-Uni. Cette offre abondante ne se traduit cependant pas par des niveaux de vente significativement supérieurs par habitant, la France se situant juste dans la moyenne européenne .

Indicateurs comparés de diffusion de la presse magazine

Source : dix propositions pour moderniser la distribution de la presse, rapport présenté par Marc Schwartz et Fabien Terraillot, juin 2018

Si on ne peut que se féliciter de la richesse de l'offre française, elle se traduit cependant par des niveaux de vente au numéro parfois faibles, les rapporteurs de la mission notent cependant : « Mais le nombre absolu de titres diffusés ne peut être considéré, en tant que tel, comme un garant de la diversité rédactionnelle. Dans un marché financé par la publicité, la recherche de budgets d'annonceurs peut, au contraire, inciter à un mimétisme des contenus ». Si cela n'est pas explicitement formulé, le rapport pointe donc la question du « trop plein » de la production de presse, jugée de qualité inégale, et qui entraine la saturation des points de vente.

Il s'agit là d'un sujet très complexe qui divise les différents acteurs.

D'un côté, on peut faire état du taux d'invendus , de l'ordre de 51 % , en progression de neuf points depuis 2007 et qui touche toutes les familles de presse. La justification serait que des éditeurs « inonderaient » le réseau avec des publications de faible qualité , dans une optique essentiellement publicitaire, profitant indument d'un système performant pensé pour la distribution de la presse quotidienne nationale dont ils n'assument qu'une fraction des coûts.

De l'autre, on met en avant le poids économique que ces invendus représentent également pour les éditeurs, comme le caractère éphémère des journaux par rapport aux livres, caractère qui rend inévitable la présence d'invendus dans le circuit pour permettre à chacun d'acquérir un exemplaire.

Votre Rapporteur a pu entendre des arguments convaincants de part et d'autre. Aucune étude n'a pas jusqu'à présent pu établir un constat objectif de la situation. La source du problème semble résider dans l'évaluation de l'avantage économique réel retiré d'une participation au système de distribution par les Messageries, qui pourrait rendre rentable par la publicité l'impression à perte de nombreux numéros. En conséquence, la solution réside finalement dans une forme de « vérité des coûts » de distribution et de traitement par les diffuseurs de presse.

2. Des propositions d'évolution maximalistes

Le rapport de Marc Schwartz proposait dix pistes , pour une réforme radicale .

Les principes fondateurs de la loi Bichet, soit la liberté de diffusion, l'impartialité, la distribution générale de la presse dite IPG et le droit à distribution seraient maintenus, mais selon un schéma sensiblement différent.

- Tout d'abord, la distribution ne s'opérerait plus par l'intermédiaire de messageries sous statut coopératif, mais par celui de « sociétés agréées » . Ces sociétés, dont la forme juridique n'est pas fixée a priori , seraient soumises à un cahier des charges dont le respect serait contrôlé par une autorité de régulation indépendante.

- Le statut coopératif , accusé d'être à l'origine d'un conflit d'intérêt entre éditeurs-actionnaires et éditeurs-clients, ne serait donc plus une obligation , mettant ainsi un terme à la grande singularité de la distribution de la presse en France.

- La régulation ne serait plus laissée à l'appréciation de la profession, par le biais du Conseil supérieur des messageries de presse (CSMP), mais par l'Autorité de régulation des communications électroniques et des Postes ( ARCEP ) - dont la dénomination serait alors appelée à évoluer, tout comme les moyens pour assurer cette nouvelle mission. Un comité consultatif de la distribution de la presse serait placé auprès de l'ARCEP pour faire entendre la voix de la profession. Il serait donc mis un terme à l'autorégulation du secteur .

- L'obligation pour les sociétés coopératives d'accepter de nouveaux membres, qui emporte dans le système actuel l'accès au réseau, serait remplacée par un « droit à être distribué » au profit des éditeurs . Les sociétés agréées, dans les conditions fixées par le cahier des charges, et sous le contrôle du régulateur, seraient tenues de distribuer les produits presse des éditeurs.

- Cependant, le champ de cette obligation pourrait être plus limité qu'actuellement . La définition de ces « produits presse », large, peu claire et dispersée dans plusieurs textes, serait précisée afin d'éviter ce que les auteurs du rapport considèrent comme un « abus » qui sature le réseau, contribue à la multiplication des invendus et encombre les étals des kiosques, à savoir le recours à un système pensé pour la presse par un ensemble de productions parfois fort éloignées de l'image que l'on peut s'en faire (encyclopédies, cadeaux divers et variés, jouets etc..). Les auteurs du rapport préconisent donc de resserrer la définition à la presse disposant d'un numéro de commission paritaire des publications et des agences de presse (CPPAP) .

- L'assortiment des points de vente ferait l'objet d'une concertation plus approfondie avec les vendeurs , qui ne seraient plus contraints d'accepter les produits livrés. La presse d'information politique et générale (IPG) serait par principe distribuée dans tous les points de vente, mais le reste ferait l'objet d'accords négociés avec les kiosques.

- La mission proposait d'alléger les contraintes qui pèsent sur l'ouverture des points de vente , sans toutefois trancher entre la liberté totale d'installation et le respect de certaines conditions.

- L'organisation générale du réseau , actuellement divisé en trois niveaux (messageries, grossistes régionaux, diffuseurs) pourrait être amenée à évoluer , dans la logique d'une distribution libéralisée. Ainsi, la possibilité de mutualiser les flux avec d'autres flux logistiques ne serait pas écartée.

Si toutes les propositions du rapport Schwartz n'ont finalement pas été retenues par le gouvernement dans son projet de loi, le schéma envisagé a servi de pivot à l'élaboration du présent projet de loi , en sollicitant les réactions des acteurs sur une base de travail radicale. Les réactions recueillies à cette occasion ont donc été utilisées pour positionner la réforme dans une zone acceptable, soit un point « moyen ».

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page