D. UN SECTEUR LARGEMENT AUTORÉGULÉ

1. Un organe d'autorégulation : le Conseil supérieur des messageries de presse

Historiquement, la régulation du secteur de la distribution de la presse et le respect des grands principes était confiée, par l'article 17 de la loi Bichet, au Conseil supérieur des messageries de presse (CSMP) . Initialement composé de 27 membres représentants toutes les parties prenantes, le CSMP n'était qu'un organe consultatif, doté de faibles prérogatives. Il a cependant acquis au fil du temps une réelle crédibilité comme interlocuteur principal du gouvernement et « interprète » de la loi Bichet.

2. Une régulation désormais bicéphale

L'absence de réels pouvoirs normatifs au-delà de sa faculté à porter la voix de la profession, sa faible expertise juridique, mais également ses liens jugés trop appuyés avec la profession, et singulièrement les NMPP, ont conduit, alors que la distribution de la presse en France commençait à subir de plein fouet les effets de la crise plus vaste de la presse, à une modification du rôle du CSMP par la loi du 20 juillet 2011 relative à la régulation du système de distribution de la presse et par la loi du 17 avril 2015 portant diverses dispositions tendant à la modernisation du secteur de la presse.

Le respect des principes établis par la loi Bichet est maintenant assuré par un mécanisme de régulation bicéphale. A été adjointe au CSMP, désormais composé de 20 membres , une Autorité de régulation de la distribution de la presse (ARDP) où siègent trois magistrats issu du conseil d'État, de la Cour des comptes et de la Cour de cassation et une personnalité qualifiée. La loi lui reconnait le statut d'autorité administrative indépendante (AAI), la plus limitée de toutes en taille puisqu'elle ne dispose que d'un collège qui siège à temps partiel et de l'aide d'un magistrat du Conseil d'État, également à temps partiel.

Cette dualité constitue un cas unique dans le droit français. Ainsi, l'article 17-2 de la loi Bichet, tel que modifié par la loi du 17 avril 2015 portant diverses dispositions tendant à la modernisation du secteur de la presse, dispose : « Ils [le CSMP et l'ARDP] veillent au respect de la concurrence et des principes de liberté et d'impartialité de la distribution et sont garants du respect du principe de solidarité coopérative et des équilibres économiques du système collectif de distribution de la presse ».

3. Le CSMP dispose de compétences nombreuses...

Comme l'a noté l'Autorité de la concurrence, l'activité normative des deux entités « doit être appréhendé de façon globale, c'est-à-dire en tant que produit de l'activité conjointe et combinée du CSMP et de l'ARDP ».

La répartition des rôles entre les deux entités est complexe, et réserve de facto la validation des décisions les plus importantes du CSMP à l'ARDP, qui leur donne force exécutoire .

L'article 18-6 de la loi Bichet définit les pouvoirs normatifs généraux du CSMP , qui en font le garant de l'organisation du système de distribution. Ses missions peuvent être synthétisées de la manière suivante :

• une fonction générale de régulation économique du secteur, définie au 1° : il « détermine les conditions et les moyens propres à garantir une distribution optimale de la presse d'information politique et générale » ;

• la fixation des conditions d'assortiment dans les points de vente (2°) ;

• le contrôle des exceptions prévues à l'obligation pour les éditeurs de recourir au système coopératif, par un recours direct aux dépositaires centraux (exception introduite par la loi du 20 juillet 2011) et par les réseaux locaux (introduite par la loi du 17 avril 2015).

• l'organisation générale du réseau des dépositaires centraux ;

• l'établissement du cahier des charges du système d'information « garantissant à tout éditeur, quelle que soit sa messagerie, l'accès aux informations relatives à l'historique des ventes et des fournitures pour chacun de ses titres, au niveau de chaque point de vente » (5°) ;

• l'agrément des dépositaires et les diffuseurs de presse octroyé par la Commission du Réseau (CDR) (6°) ;

• l'homologation des contrats types des agents de vente et de leurs conditions de rémunération ;

• le contrôle comptable sur les messageries de presse ;

• le contrôle sur les décisions des Messageries susceptibles « d'altérer le caractère coopératif ou de compromettre l'équilibre financier du système collectif de distribution de la presse ».

Selon la classification établie par Éléonore Cadou 3 ( * ) , les compétences du CSMP peuvent se diviser en un pouvoir normatif réglementaire , comme la rémunération des agents ou le cahier des charges des systèmes d'exploitation, un pouvoir de décision individuelle , par le biais de la Commission du Réseau, et un pouvoir de médiation obligatoire sur tous les litiges susceptibles d'altérer le fonctionnement du système de distribution de la presse.

4. .. strictement encadrées par l'ARDP

Les compétences du CSMP sont cependant strictement encadrées par l'ARDP.

L'Autorité a pour principale fonction, en application de l'article 18-13 de la loi du 2 avril 1947, de donner force exécutoire aux « décisions de portée générale prises par le Conseil supérieur des messageries de presse dans le cadre de sa mission générale visant à assurer le bon fonctionnement du système coopératif de distribution de la presse et de son réseau », soit l'ensemble des compétences générales du CSMP. La loi du 17 avril 2015 , qui avait pour objet de renforcer ses pouvoirs, lui a de plus permis, en cas de désaccord avec le CSMP, non seulement de s'opposer à ses décisions, mais en plus de les réformer (article 18-13).

Par ailleurs, l'Autorité intervient en règlement des différends n'ayant pu faire l'objet d'une conciliation devant le CSMP, a la possibilité de saisir le juge afin de faire respecter les décisions du CSMP qu'elle a rendues exécutoires.

5. La validation des barèmes des messageries

Le CSMP et l'ARDP valident conjointement les barèmes proposés par les messageries, ce qui constitue une compétence fondamentale dans ce type d'économie régulée . L'article 12 précise ainsi que les barèmes, arrêtés par les messageries « sont transmis au président du Conseil supérieur des messageries de presse et à l'Autorité de régulation de la distribution de la presse dans un délai de quinze jours suivant leur approbation . Le président du Conseil supérieur des messageries de presse transmet, dans un délai de quatre semaines à compter de la réception des barèmes, un avis motivé à l'Autorité de régulation de la distribution de la presse, qui se prononce sur ces barèmes dans un délai de six semaines à compter de leur réception. L'autorité peut refuser d'homologuer les barèmes si elle estime qu'ils ne respectent pas les principes mentionnés au premier alinéa. De nouveaux barèmes, tenant compte de ses observations, lui sont alors transmis en vue de leur homologation, dans le délai prévu au deuxième alinéa . »

L'analyse des décisions prises conjointement par les deux instances illustre cependant la difficulté d'un exercice qui nécessite la définition d'une doctrine claire, mais également une expertise économique très spécifique et qui leur fait défaut .

La réforme des barèmes des messageries a constitué la priorité des autorités de régulation en 2016. Elle représente un sujet de tension et d'inquiétude pour des éditeurs majoritairement en difficulté financière. Ainsi, l'ARDP, sur la base d'un avis défavorable du CSMP, n'a pas été en mesure, le 1 er juillet 2016, d'homologuer les premiers barèmes présentés par Presstalis pour les quotidiens, qui, au-delà d'un vice de forme constaté, ne permettaient nullement de couvrir les coûts de la messagerie.

S'agissant des MLP, la demande d'homologation des nouveaux barèmes a été transmise aux régulateurs le 21 octobre 2016. A l'occasion de l'examen de cette proposition, l'ARDP et le CSMP ont pris connaissance de l'existence, au sein de cette messagerie comme de Presstalis, d'accords privilégiés permettant à certains éditeurs d'obtenir des tarifs plus favorables que ceux votés par l'assemblée générale de la coopérative. Les pratiques ont été déclarées illicites et, pour la première fois, le Conseil supérieur a fait usage de son droit d'opposition. Au 30 juin 2017, les deux messageries ont confirmé au Conseil supérieur, qu'il n'était plus fait application de conditions tarifaires non prévues au tarif public des prestations de groupage et de distribution.

Un second projet de barèmes, à la baisse, a été transmis le 16 février 2017. Dans son avis au président de l'ARDP, celui du CSMP a émis les plus grandes réserves sur les montants envisagés , notamment parce qu'extrêmement agressifs au profit des magazines les plus diffusés , ils faisaient craindre une fuite des éditeurs de cette catégorie vers les MLP, ce qui aurait contribué à déstabiliser un peu plus Presstalis. Malgré cela, l'ARDP a homologué, le 24 mars 2017, les nouveaux tarifs de MLP, qui ont immédiatement conduit certains éditeurs à annoncer leur volonté de rejoindre la messagerie.

Au cours de sa séance du 17 juillet 2017, l'ARDP a, en revanche, rendu exécutoires deux décisions du CSMP en date du 1 er juin 2017 visant à encadrer les pratiques tarifaires des messageries de presse. La première (n° 2017-01) prévoit que le Conseil supérieur fasse obligation aux coopératives et aux entreprises commerciales de messageries de presse de confier à leurs commissaires aux comptes une mission de contrôle de l'application effective des barèmes coopératifs, dont tout éditeur pourra demander communication des conclusions. Il s'agit de s'assurer que les barèmes prévus par la loi Bichet sont effectivement appliqués et qu'ils ne font plus l'objet, comme par le passé, de dérogations occultes. La seconde (n° 2017-02) modifie, pour les assouplir, les critères d'accès des hors-séries aux conditions de distribution des produits « presse ».

À cette occasion, l'ARDP a indiqué, s'agissant de l'évolution des conditions tarifaires des sociétés coopératives de messagerie de presse, qu'« il serait illusoire de considérer que les évolutions des barèmes permettront, à elles seules, de résoudre les difficultés actuelles de la distribution de la presse, qui, compte tenu de la baisse constante de la diffusion, sont durables et structurelles . L'Autorité est convaincue que la construction d'un nouvel équilibre économique de la filière ne peut résulter que d'une mobilisation de l'ensemble des acteurs, et notamment des actionnaires des coopératives ».


* 3 « Le système français de régulation de la distribution de la presse », Actes du colloque « La loi Bichet sur la distribution de la presse 70 ans après ».

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