E. ARTICLE 5 : OBLIGATIONS DES SOCIÉTÉS AGRÉÉES ET CONDITIONS D'ASSORTIMENT

L'article 5 établit les obligations des sociétés agréées et définit les modalités d'assortiment qu'elles devront assurer dans les points de vente.

1. Des obligations de distribution étendues

Le premier alinéa de l'article 5 établit une double obligation pour les sociétés agréées.

a) Le devoir d'accepter les nouveaux entrants

D'une part, ces sociétés doivent accepter les demandes de distribution des publications de toutes les entreprises de presse qui les solliciteraient . Les entreprises disposeraient donc d'un véritable « droit à être distribuées », cette idée étant au coeur du rapport Schwartz.

Il existe cependant une ambiguïté quant à l'obligation, définie à l'article 3, de regroupement des éditeurs au sein d'une coopérative, ambiguïté qui peut occasionner deux lectures opposées :

- première lecture , pris isolément, l'article 5 laisse à penser que n'importe quelle entreprise de presse peut, de sa propre initiative, demander à être distribuée par une société agréée, sans obligation aucune d'adhérer à une coopérative. Dès lors, l'obligation d'adhésion serait une simple incitation, liée par exemple à la capacité de la coopérative à obtenir des conditions tarifaires plus avantageuses qu'une entreprise seule ;

- seconde lecture , l'article 5 peut également se comprendre par combinaison avec les articles 3 et 8. Une entreprise de presse qui solliciterait une société agréée pour sa distribution entrerait naturellement dans un mécanisme de distribution groupée, et aurait donc l'obligation d'adhérer à une société coopérative (article 3 ), cette dernière n'ayant pas le droit de lui refuser cet accès (article 8). Le 4° de l'article 17, qui prévoit précisément des exceptions au principe coopératif plaide pour cette seconde interprétation.

Afin de lever les doutes exprimés durant les auditions, votre Rapporteur a fait adopter par la commission un amendement à l'article 3 qui lève cette ambiguïté .

b) L'absence de discrimination

Les sociétés agréées ne pourraient pas pratiquer de sélection des nouveaux entrants par les prix ou la qualité du service. Le premier alinéa précise en effet que l'accueil de l'entreprise de presse se fait « dans des conditions objectives, transparentes, efficaces et non discriminatoires ».

Le choix des termes fait référence au champ de la régulation économique . On retrouve ainsi un vocable quasiment identique dans le code des postes et des communications électroniques - on peut rappeler à cette occasion que l'idée d'une intégration de la loi Bichet dans ce code était évoquée par le rapport de Marc Schwartz.

Ainsi, l'article L. 42-1 indique que « L'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes attribue les autorisations d'utilisation des fréquences radioélectriques dans des conditions objectives, transparentes et non discriminatoires tenant compte des besoins d'aménagement du territoire ». L'article L. 34-8-1 utilise les mêmes termes : « La prestation d'itinérance locale est assurée dans des conditions objectives, transparentes et non discriminatoires ». Enfin, l'article L. 32-1 combine comme le présent article 5 les conditions objectives et transparentes avec l'efficacité : « Dans le cadre de ses attributions et, le cas échéant, conjointement avec le ministre chargé des communications électroniques, l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes prend, dans des conditions objectives et transparentes , [...] 5° L'utilisation et la gestion efficaces des fréquences radioélectriques et des ressources de numérotation ».

Le choix de ces mots rattache donc l'examen du traitement des entreprises de presse par l'Autorité de Régulation défini à l'article 15 proposé par le présent projet de loi au corpus du droit économique, du droit de la concurrence et de l'accès au réseau dans des marchés qui présentent le caractère d'un monopole ou d'un oligopole . L'idée sous-jacente est que les entreprises agréées pourraient disposer d'une forme d'exclusivité sur une partie du territoire, et seraient susceptibles, à ce titre, de priver une publication de l'accès au point de vente - soit les craintes exprimées en 1947 et qui ont conduit à l'adoption de la loi Bichet.

Dès lors, la garantie posée par le premier alinéa de l'article 5 se comprend comme constituée de deux parties indissociables . La première interdit à une société agréée de refuser formellement la distribution d'un titre , la seconde veut éviter une discrimination fondée sur des conditions tarifaires ou matérielles sans lien avec la réalité économique.

Concrètement, la coopérative passera donc un accord avec une ou plusieurs sociétés agréées, puis ses membres contracteront directement avec elles.

2. Un assortiment divisé en trois catégories

Les conditions posées par le premier alinéa ne visent cependant pas à recréer, sous une autre forme et avec d'autres acteurs économiques, un accès sans conditions au réseau . Comme l'exposé général a pu le souligner, il a été jugé que l'abondance de titres comme le taux d'invendus de près de 50 % avaient contribué à fragiliser le réseau de distribution et à nuire à l'attractivité commerciale des points de vente.

Les titres seraient divisés en trois catégories , dont les conditions de livraison seraient différenciées.

• La première catégorie comprend les titres d'information politique et générale .

L'article 4 a élevé au rang législatif la définition qu'en donnait l'article D. 19-2 du code des postes et des communications électroniques. Cette presse bénéficierait de quatre garanties :

- l'entreprise de presse détermine les points de vente ;

- elle détermine les quantités servies ;

- la continuité de la distribution est garantie ;

- le point de vente ne peut pas refuser de diffuser les titres de presse IPG qui lui sont adressés.

- Extrêmement fortes et protectrices, ces garanties ne font cependant que perpétrer une pratique en vigueur depuis 1947 , juridiquement confortée par la décision de 1984 du Conseil constitutionnel et qui fonde en grande partie la singularité du système de diffusion en France.

• La deuxième catégorie comporte les titres de presse « CPPAP ».

Cette catégorie fait référence à l'application des tarifs de presse prévus à l'article L. 4 du code des postes et des communications électroniques, en dehors de la presse IPG qui fait l'objet d'un traitement distinct et avantageux. Il s'agit en l'occurrence de la presse dite « CPPAP ». Sa liste est élaborée par la Commission paritaire des publications et agences de presse (CPPAP).

Comme cela a été indiqué dans l'exposé général, la presse « CPPAP » se réfère à l'article D.18 du code des postes et communications électroniques, qui la définit de la manière suivante : « les journaux et écrits périodiques présentant un lien direct avec l'actualité, apprécié au regard de l'objet de la publication et présentant un apport éditorial significatif (...) , s'ils remplissent les conditions suivantes : avoir un caractère d'intérêt général quant à la diffusion de la pensée : instruction, éducation, information, récréation du public ; satisfaire aux obligations de la loi du 29 juillet 1881 ; paraître régulièrement au moins une fois par trimestre ; faire l'objet d'une vente effective au public ; avoir au plus les deux tiers de leur surface consacrée à la publicité et aux annonces classées ; ne pas être assimilable à des publications commerciales ; n'être pas susceptible de choquer le lecteur par une présentation dégradante de la personne humaine ».

La presse CPPAP

Au 1 er mars 2018, 7 244 publications de presse bénéficient de cette qualification, dont 2 178 empruntent le circuit des messageries- le reste est composé de presse régionale. Elles se divisent en 20 % de presse ciblée et d'information générale, 36 % de presse technique et professionnelle, 32 % de presse magazines, divertissement et loisirs et 12 % de presse culturelle, scientifique et de jeunesse.

Le rapport d'activité 12 ( * ) 2017 de la CPPAP précise que le refus d'inscription est attribué essentiellement sous les motifs de défaut de lien avec l'actualité , qui renvoie à l'obligation de comporter un contenu renouvelé d'un numéro à l'autre en fonction de l'actualité, et le défaut d'intérêt général , qui fait référence au manque d'apport éditorial hors publicité et modèle.

Cette catégorie de presse ne serait pas distribuée à la volonté de l'entreprise de presse, comme pour l'IPG, mais à l'issue d'un accord interprofessionnel entre les organisations représentatives des sociétés des éditeurs, les sociétés agréées de distribution et des diffuseurs de presse, suivant des règles d'assortiment .

A l'initiative de votre Rapporteur, la commission a adopté un amendement de précision COM-9 qui prévoit que les sociétés agréées, et non pas leurs organisations professionnelles, en leur absence, participent à la négociation.

L'accord passé doit tenir compte « des caractéristiques physiques et commerciales des points de vente ».

Ces dispositions ont pour objet d'élever au niveau législatif la question, récurrente et cruciale, de l'assortiment de presse . Votre Rapporteur a été, comme chacun, saisi par la quantité de titres de presse présentée dans l'espace réduit des kiosques, ou bien par l'encombrement des rayonnages des maisons de la presse. Comme cela a été dit, cette « sur présentation » est en grande partie la conséquence de la liberté presque totale d'accès au réseau qui, pour certains, a permis la diversité de la presse en France, avec un nombre de titres record par habitant, pour d'autres, a perverti un système conçu à l'origine pour la diffusion de la presse IPG.

Pour autant, ce constat n'est pas nouveau , et l'assortiment est supposé exister depuis 2011. En effet, le 2° de l'article 18-6 de la loi Bichet, qui précise les compétences du CSMP, indique que ce dernier « fixe pour les autres catégories de presse, selon des critères objectifs et non discriminatoires définis dans un cahier des charges, les conditions d'assortiment des titres et de plafonnement des quantités servis aux points de vente ».

Le CSMP a cherché à donner une consistance à cette mission, par sa décision du 22 décembre 2011. Elle définit « l'offre de presse » et précise que l'assortiment servi à chaque vendeur est le fruit d'un « dialogue commercial instauré avec le diffuseur de presse et sur des critères objectifs qui tiennent compte des caractéristiques du point de vente, en particulier de son linéaire développé, et des attentes de la clientèle ». La décision rappelle que le diffuseur est tenu d'accepter, en plus de la presse IPG, les quotidiens et les publications nouvelles, le dialogue commercial ne s'exerçant en réalité que sur ce qui ne rentre dans aucune de ces catégories.

En réalité, cette décision n'a été appliquée que de manière très imparfaite , principalement en raison des réticences des éditeurs et de problèmes informatiques qui ont rendu la « mise à zéro » et la remontée d'informations presque impossibles.

Dès lors, l'assortiment tel que défini par le présent article reposera sur la double condition d'un accord entre les différentes parties prenantes et sur la capacité des acteurs de la chaîne de distribution à adapter leurs infrastructures informatiques et logistiques . Il n'en constitue pas moins pour votre Rapporteur une nécessité et la clé du succès commercial de la réforme proposée par le présent projet de loi. On peut imaginer un accord permettant de distinguer les marchands de presse suivant leurs linéaires disponibles, leur emplacement, les ventes des mois précédents, la saisonnalité etc...

Par rapport à la décision de 2011 du CSMP, les premiers numéros ne seraient plus considérés comme devant être diffusés au même titre que la presse IPG. Les accords interprofessionnels devront cependant veiller, selon votre Rapporteur, à permettre une bonne exposition des nouveautés qui participent à la diversité de la presse en France, en évitant l'écueil, maints fois soulignés, des « faux numéros un », jamais suivis de numéros deux.

A l'initiative de votre Rapporteur, la commission a adopté un amendement COM-10 qui précise que les diffuseurs de presse sont tenus de proposer à leurs clientèles les titres de presse « CPPAP » qui leur auront été fournis en application de l'accord interprofessionnel.

• La troisième catégorie : les « autres journaux et publications périodiques ».

Les publications de presse « hors CPPAP » ne seraient distribuées que sous réserve de l'adoption d'une convention entre les parties intéressées. L'objectif est de transférer ce pouvoir de décision aux diffuseurs de presse, en mesure de mieux anticiper le succès et donc le niveau des ventes de telle ou telle publication .

Cette presse, qui comprend notamment les jeux, représente 1 842 titres environ, et demeure très populaire.

La logique de segmentation des publications aboutit à une gradation, avec en son sommet la presse IPG, qui bénéficierait d'un accès illimité au réseau, puis la presse « CPPAP », dont la distribution serait actée par un accord interprofessionnel, enfin la presse « hors CPPAP » qui devrait pour sa part passer par des conventions .

Votre Rapporteur a été sensible à l'inquiétude exprimée à la fois par la presse « CPPAP » - qui craint de perdre de la visibilité au profit de la presse « hors CPPAP » - et cette même presse « hors CPPAP », qui craint de disparaitre des linéaires. La symétrie de ces inquiétudes souligne a contrario l'importance de la place qui sera laissée aux organisations professionnelles au moment de la négociation de l'assortiment , et des diffuseurs de presse, dont la capacité de choix et le côté entrepreneurial est ainsi mis en avant, ce à quoi la profession est légitimement sensible.

À l'initiative de notre collègue Jean-Pierre Leleux, votre commission a adopté un amendement COM-3 qui prévoit un droit de « présentation » pour deux catégories de titre : la presse « CPPAP » non retenue dans l'assortiment, et la presse « non CPPAP ». Les intermédiaires (sociétés agréées par exemple) pourront présenter les titres des éditeurs aux diffuseurs de presse, qui choisiront alors les titres qu'ils souhaitent recevoir en plus de la presse IPG et de l'assortiment. Cette disposition est essentielle aux yeux de votre Rapporteur : elle permet, d'une part, de ne pas rompre trop brutalement avec la facilité d'accès au réseau dont bénéficient actuellement les éditeurs, d'autre part, elle donne une place centrale aux diffuseurs, enfin, elle est de nature à encourager une offre éditoriale riche et renouvelée, qui constitue l'une des forces du système français .


* 12 http://www.cppap.fr/wp-content/uploads/sites/7/2018/09/CPPAP-Rap-pub-2017-V-PUBLIC.pdf

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