B. UNE RÉPONSE PRAGMATIQUE À LA CRISE DE LA DISTRIBUTION

1. La préservation de l'obligation du statut coopératif

Entre la volonté de certains acteurs de ne faire évoluer la loi Bichet qu'à minima et les évolutions très radicales proposées par l'avant-projet de loi de Marc Schwartz et Fabien Terraillot, le projet de loi du gouvernement constitue une réponse moyenne. En particulier, il ne serait pas donné suite à la proposition la plus contestée du rapport, qui consistait à revenir sur l'obligation de statut coopératif pour les éditeurs. Le nouvel article 3 de la loi du 2 avril 1947 reprendrait en effet les dispositions de l'article 2 actuellement en vigueur, qui oblige les éditeurs qui souhaitent grouper la distribution à se constituer en coopérative.

2. La fin de la participation majoritaire au capital des sociétés de distribution

Il serait par contre mis fin à l'obligation de participation majoritaire des coopératives au capital des sociétés en charge des opérations matérielles de groupage. L'histoire de la loi Bichet montre que cette disposition a été initialement introduite sous forme « d'exception commerciale » afin de concilier efficacité de la distribution qui nécessitait l'intervention de sociétés privées, et méfiance vis-à-vis de l'entreprise Hachette.

Désormais, l'article 3 préciserait que la distribution pourrait être confiée à des sociétés « agréées », qui pourraient n'entretenir aucun lien capitalistique avec les coopératives, qui leur confieraient, par contrat, la distribution des publications de leurs membres. Ces sociétés seraient sélectionnées sur la base d'un cahier des charges et devront prendre des engagements en matière de distribution de nature à préserver l'universalité d'accès à la presse, notamment IPG.

Il n'y a donc pas de libéralisation absolue du marché, sur le modèle des autres pays européens, mais une libéralisation encadrée . L'idée sous-jacente est de permettre la mutualisation des flux logistiques. Ainsi, les sociétés agréées pourrraient emprunter leur propre réseau déjà existant pour distribuer la presse, de la même manière que Presstalis, les MLP et le niveau 2 seront incités à utiliser leurs infrastructures pour d'autres produits .

3. Une régulation totalement repensée

Le CSMP et l'ARDP seraient dissous, et leurs pouvoirs transférés en grande partie à une Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse , soit une Autorité de régulation des communications électroniques et des Postes (ARCEP) aux compétences élargies à ce nouveau secteur. Son rôle est précisé aux articles 15 à 25 de la loi du 2 avril 1947 dans sa nouvelle version.

La nouvelle Autorité serait chargée de faire respecter « les principes énoncés par la loi », et de veiller à « la continuité, la neutralité, l'efficacité économique de la distribution de la presse ainsi qu'à une couverture large et équilibrée du réseau des points de vente » (article 15 de la loi du 2 avril 1947 dans sa version envisagée par le projet de loi).

La nouvelle Autorité exercerait trois types de fonctions, certaines reprises du CSMP et de l'ARDP, listées à l'article 17 :

- en amont, elle proposerait au gouvernement le cahier des charges auxquels les sociétés agréées devraient se soumettre et accorderait l'agrément aux sociétés candidates, suivant une procédure définie à l'article 18 ;

- elle établirait un schéma directeur de la distribution de la presse cohérent avec les objectifs du projet de loi ;

- elle exercerait une régulation en continu de l'ensemble du secteur, se substituant très largement au CSMP.

La fin de l'autorégulation du secteur et l'absence d'un comité consultatif de la presse placé auprès de l'ARCEP « nouvelle version » tel qu'imaginé dans le rapport Schwartz marquent la perte d'influence, pour ne pas dire la défiance, vis-à-vis des éditeurs . Le choix de l'ARCEP, autorité administrative indépendante reconnue pour son expertise des réseaux et des marchés, souligne également la volonté clairement établie de refonder le secteur de la distribution sur un principe général d'efficacité économique .

Il convient cependant de noter que l'article 25 proposé par l'article premier du présent projet de loi pour la loi du 2 avril 1947 transfère l'essentiel des attributions de la Commission du Réseau du CSMP à une nouvelle « commission du réseau de la diffusion de la presse », composée d'éditeurs et de personnalités qualifiées .

4. La prise en compte de la distribution numérique

L'article 14 intègre les fournisseurs de contenu de presse en ligne dans le système de la loi Bichet.

Votre Rapporteur avait consacré aux kiosques numériques un chapitre de son rapport pour avis précité sur le projet de loi de finances pour 2019. S'il n'avait relevé ni de la part des éditeurs, ni des kiosques, de volonté de limiter l'accès de la presse IPG aux kiosques, il ne peut que se réjouir de l'inscription formelle dans la loi de l'obligation de ces sites d'accueillir sur demande la presse IPG.

Le cas des agrégateurs de contenus est plus complexe. Le II de l'article 14 complète leurs obligations d'information des internautes par des précisions sur l'utilisation qui est faite de leurs données personnelles dans le cadre du traitement algorithmique des contenus proposés à chacun . Cette démarche va largement dans le sens des travaux de votre commission de la culture, en particulier de sa Présidente qui a déposé une proposition de résolution européenne, adoptée par le Sénat le 30 novembre 2018, sur la responsabilisation partielle des hébergeurs 10 ( * ) , et de notre collègue David Assouline, qui a déposé une proposition de loi tendant à créer un droit voisin au profit des agences de presse et des éditeurs de presse 11 ( * ) , adoptée par le Sénat le 24 janvier 2019.

Les dispositions proposées s'inscrivent donc dans un contexte plus général qui tend faire peser plus de responsabilités sur les grands acteurs de l'Internet.

5. La réforme du statut des vendeurs-colporteurs de presse

Le gouvernement profite du dépôt de ce projet de loi pour proposer une évolution du statut des vendeurs-colporteurs de presse (VCP), suggérée par deux rapports d'inspection de 2014 et 2017 et réclamées par la profession.

Cette réforme est destinée, d'une part, à simplifier leur statut devenu très complexe, d'autre part, à soutenir le portage de presse , doublement fragilisé dans la dernière loi de finances, en dépit des mises en garde de votre Rapporteur, par la baisse des dotations et la non compensation de la fin du CICE .

6. Une entrée en application progressive

Les articles 7 et 8 du présent projet de loi proposent une entrée en vigueur échelonnée jusqu'au 1 er janvier 2023. La transition serait relativement rapide pour la régulation, le CSMP étant dissous dans les six mois suivant la promulgation, plus lente pour les messageries. Les MLP et Presstalis pourront en effet continuer à exercer pendant trois ans sans agrément. Ce dernier ne pourra être délivrée que tardivement, le texte prévoyant simplement que le cahier des charges doit être publié « au plus tard le 1 er janvier 2023 ».

Ce délai, qui peut sembler long, obéit à trois impératifs.

D'une part, il correspond à la durée théorique de sortie de Presstalis de son plan de redressement . Il permettrait donc à l'opérateur historique de parvenir à l'équilibre pour pouvoir affronter la concurrence.

D'autre part, le délai offre également aux futures sociétés candidates le temps nécessaire à la préparation de leurs offres . Le marché de la distribution de la presse est en effet très spécifique et lourd de contraintes, la connaissance des territoires et la structure logistique doivent donc être conçus en conséquence.

Enfin, il devrait également permettre à l'Autorité de régulation d'acquérir les compétences nécessaires à assurer ses activités dans un secteur nouveau pour elle.

Pour autant, à ce stade, les trois années pendant lesquels l'ancien système devrait continuer à perdurer ne sont pas sans risques pour Presstalis, qui doit convaincre ses clients de sa pérennité et de la pertinence de son offre commerciale, alors qu'ils pourraient être incités à quitter la société ou à ne s'engager que sur peu de temps. Ce serait alors un échec pour le plan de redressement, dans lequel l'Etat s'est beaucoup engagé et qui commence à porter ses fruits.


* 10 https://www.senat.fr/dossier-legislatif/ppr17-739.html

* 11 http://www.senat.fr/dossier-legislatif/ppl17-705.html

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