Rapport n° 363 (2018-2019) de Mme Catherine TROENDLÉ , fait au nom de la commission des lois, déposé le 6 mars 2019

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N° 363

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2018-2019

Enregistré à la Présidence du Sénat le 6 mars 2019

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur la proposition de loi , MODIFIÉE PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE , visant à renforcer et garantir le maintien de l' ordre public lors des manifestations ,

Par Mme Catherine TROENDLÉ,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. Philippe Bas , président ; MM. Jean-Pierre Sueur, François-Noël Buffet, Jacques Bigot, Mmes Catherine Di Folco, Sophie Joissains, M. Arnaud de Belenet, Mme Nathalie Delattre, MM. Pierre-Yves Collombat, Alain Marc , vice-présidents ; M. Christophe-André Frassa, Mme Laurence Harribey, MM. Loïc Hervé, André Reichardt , secrétaires ; Mme Esther Benbassa, MM. François Bonhomme, Philippe Bonnecarrère, Mmes Agnès Canayer, Maryse Carrère, Josiane Costes, MM. Mathieu Darnaud, Marc-Philippe Daubresse, Mme Jacky Deromedi, MM. Yves Détraigne, Jérôme Durain, Mme Jacqueline Eustache-Brinio, MM. Jean-Luc Fichet, Pierre Frogier, Mmes Françoise Gatel, Marie-Pierre de la Gontrie, M. François Grosdidier, Mme Muriel Jourda, MM. Patrick Kanner, Éric Kerrouche, Jean-Yves Leconte, Henri Leroy, Mme Brigitte Lherbier, MM. Didier Marie, Hervé Marseille, Jean Louis Masson, Mme Marie Mercier, MM. Thani Mohamed Soilihi, Alain Richard, Vincent Segouin, Simon Sutour, Mmes Lana Tetuanui, Catherine Troendlé, M. Dany Wattebled .

Voir les numéros :

Première lecture : 575 (2017-2018), 51 , 52 et T.A. 9 (2018-2019)

Deuxième lecture : 286 et 364 (2018-2019)

Assemblée nationale ( 15 ème législ.) :

Première lecture : 1352 , 1600 et T.A. 226

LES CONCLUSIONS DE LA COMMISSION DES LOIS

Réunie le mercredi 6 mars, sous la présidence de
M. Philippe Bas , président, la commission des lois a examiné, en deuxième lecture, le rapport de Mme Catherine Troendlé, rapporteur, et établi son texte sur la proposition de loi n° 286 (2018-2019), modifiée par l'Assemblée nationale, visant à renforcer et garantir le maintien de l'ordre public lors des manifestations .

La proposition de loi comporte un volet préventif , qui tend à doter l'autorité administrative de nouvelles prérogatives afin de mieux prévenir les débordements, et un volet répressif , qui vise à donner à l'autorité judiciaire les moyens de réprimer plus efficacement les violences et les actes de dégradation.

Sur le premier volet, l'Assemblée nationale a apporté des modifications substantielles aux dispositions que le Sénat avait approuvées en première lecture, mais sans remettre en cause les objectifs poursuivis.

L'Assemblée nationale a ainsi renoncé à la mise en place de périmètres de contrôles autour des manifestations, pour privilégier des mesures d'inspection des bagages et de fouilles des véhicules, mises en oeuvre sur réquisition du parquet ( article 1 er ). Elle a confirmé la possibilité donnée à l'autorité administrative, sous le contrôle du juge des référés, d'interdire par arrêté à un individu, constituant une menace d'une particulière gravité pour l'ordre public, de participer à une manifestation. Allant plus loin que ce que le Sénat avait prévu en première lecture, elle a autorisé l'autorité administrative à interdire à un individu de prendre part à toute manifestation sur le territoire national pour une durée pouvant aller jusqu'à un mois ( article 2 ). Dans un souci de simplification et d'opérationnalité, elle a également préféré à la création d'un nouveau fichier l'inscription de l'ensemble des mesures d'interdiction de manifester au sein d'un fichier existant, le fichier des personnes recherchées ( article 3 ).

Sur le deuxième volet, l'Assemblée nationale a retenu une nouvelle définition du délit de dissimulation du visage au sein ou aux abords d'une manifestation, qu'elle a jugée plus opérationnelle que la rédaction adoptée au Sénat ( article 4 ). Elle a supprimé l' article 5 relatif aux délits de port d'arme et de jets de projectiles, considérant que ses dispositions étaient satisfaites par le droit en vigueur. Concernant la peine complémentaire d'interdiction de manifester ( article 6 ), elle a complété les mesures approuvées par le Sénat en prévoyant la possibilité de recourir aux procédures rapides pour les délits liés à un attroupement, ainsi que la possibilité d'interdire à un individu de manifester en des lieux déterminés dans le cadre d'un contrôle judiciaire ( article 6 bis ).

L'Assemblée nationale a enfin souhaité alléger le régime de déclaration des manifestations dans un nouvel article 1 er A et elle a confirmé, sous réserve de quelques ajustements, le dispositif proposé par le Sénat concernant la responsabilité civile des auteurs de dommages ( article 7 ).

Votre commission des lois a estimé que la plupart de ces modifications permettraient de faciliter la mise en oeuvre, par nos forces de sécurité et par l'autorité judiciaire, des dispositions nouvelles prévues par le texte. Attentive à garantir un équilibre entre la protection des libertés individuelles et les exigences du maintien de l'ordre public, elle s'est néanmoins interrogée sur le choix de certaines formulations qui lui paraissaient perfectibles au regard des exigences constitutionnelles.

Dans un contexte de violences récurrentes lors de manifestations, et compte tenu des assurances fournies, elle a cependant choisi de privilégier une mise en oeuvre rapide de ces mesures, attendues par nos forces sur le terrain, plutôt que de prolonger la navette parlementaire, et a donc décidé d'adopter le texte dans sa rédaction issue des travaux de l'Assemblée nationale.

La commission des lois a adopté la proposition de loi sans modification.

EXPOSÉ GÉNÉRAL

Mesdames, Messieurs,

Adoptée en première lecture au Sénat le 23 octobre 2018, la proposition de loi visant à renforcer et garantir le maintien de l'ordre public lors des manifestations, déposée par M. Bruno Retailleau et plusieurs de nos collègues membres du groupe Les Républicains, a été adoptée, avec modifications, par l'Assemblée nationale le 5 février 2019 1 ( * ) . L'ensemble des dispositions du texte reste en discussion en deuxième lecture, à l'exception de son article 8, adopté conforme par l'Assemblée nationale.

Alors qu'il avait exprimé, lors de l'examen du texte au Sénat, une réticence à l'égard des dispositions votées par notre assemblée, soulignant des faiblesses sur le plan opérationnel et des risques d'inconstitutionnalité, le Gouvernement a finalement demandé, en début d'année, l'inscription du texte à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale et choisi d'amender les dispositions en discussion.

Si l'on ne peut que se réjouir d'une telle évolution, il est regrettable que tant de temps ait été perdu.

Le Sénat avait voté ce texte pour apporter une réponse aux débordements importants constatés à l'occasion de plusieurs manifestations, en particulier celles du 1 er mai 2018. Le contexte des dernières semaines confirme, si besoin en était, que, loin de constituer un texte de circonstance, la proposition de loi défendue par notre assemblée comporte des dispositifs pertinents et utiles.

Les actes inédits de violence et de dégradations commis en marge des manifestations des « gilets jaunes » témoignent de l'urgence à doter nos forces de l'ordre d'outils leur permettant de mieux prévenir les violences dans les manifestations et l'autorité judiciaire de dispositions lui permettant de les sanctionner plus sévèrement.

Nous ne saurions tolérer plus longtemps que, chaque week-end, des groupes de « casseurs » sèment le trouble dans les grandes agglomérations comme dans les petites villes et s'en prennent, avec une violence d'une ampleur inédite, à nos forces de l'ordre. Le saccage du musée de l'Arc de Triomphe, l'incendie de la préfecture du Puy-en-Velay, les images de policiers frappés à terre, les commerces pillés, pour ne prendre que ces quelques exemples, ont marqué les esprits.

Loin d'entraver le droit de manifester, auquel le Sénat demeure profondément attaché, les dispositions de la présente proposition de loi visent à en assurer le libre exercice . Il ne s'agit pas de restreindre les droits et libertés des manifestants pacifiques, mais bien de cibler les quelques individus qui, par leurs actes violents, prennent en otage les manifestations et les rassemblements sur la voie publique. Ainsi, votre commission ne confond pas la grande majorité des manifestants, qui défendent des revendications souvent légitimes de justice sociale, avec une petite minorité de délinquants.

Bien que le texte adopté par le Sénat ait été remanié et complété par l'Assemblée nationale, les objectifs poursuivis par votre commission et notre assemblée ont tous été maintenus par les députés.

La plupart des modifications adoptées, dans la mesure où elles garantissent une meilleure opérationnalité des dispositifs, sont apparues pertinentes à votre commission. Quelques-unes lui ont semblé soulever des interrogations quant à leur constitutionnalité mais ont finalement reçu son assentiment compte tenu des assurances fournies.

À l'initiative de son rapporteur, votre commission s'est attachée à ne pas examiner la proposition de loi de manière désincarnée. L'évolution des phénomènes de violence dans les manifestations impose d'innover dans les réponses à leur apporter, en recherchant de nouveaux instruments de prévention mis en oeuvre dans les meilleurs délais.

C'est pourquoi, soucieuse d'apporter une réponse rapide aux troubles que connaît depuis plusieurs semaines notre pays, elle a souhaité, en dépit de quelques réserves, proposer l'adoption conforme du texte issu de l'Assemblée nationale.

I. UN TEXTE REMANIÉ ET COMPLÉTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE, DANS LE RESPECT DES OBJECTIFS POURSUIVIS PAR LE SÉNAT

Adoptée par le Sénat dans le but de renforcer un arsenal juridique insuffisant pour appréhender efficacement les phénomènes de violences dans les manifestations, la proposition de loi comporte deux volets : le premier, préventif, tend à conférer de nouvelles prérogatives à l'autorité administrative en vue de mieux anticiper et éviter les débordements ; le second, répressif, vise à sanctionner plus sévèrement les auteurs de violences et de dégradations dans les manifestations.

Conservés par l'Assemblée nationale, ces deux volets ont été amendés et complétés.

A. LE VOLET PRÉVENTIF : DES OBJECTIFS COMMUNS, DES DISPOSITIFS REMANIÉS

Souscrivant à la position défendue par le Sénat lors de l'examen du texte en première lecture, l'Assemblée nationale, en dépit des interrogations soulevées par sa commission des lois tant sur l'utilité que la proportionnalité des mesures, a approuvé la création de nouveaux outils destinés à mieux prévenir la commission de violences dans le cadre des manifestations sur la voie publique.

Elle a toutefois apporté des modifications substantielles aux dispositions adoptées par le Sénat, notamment en vue d'assurer une meilleure opérationnalité des instruments créés.

1. Un transfert de l'initiative des contrôles aux abords des manifestations à l'autorité judiciaire

Alors que le Sénat avait proposé de confier à l'autorité administrative la possibilité d'instaurer des périmètres de contrôles aux abords des manifestations, l'Assemblée nationale a préféré , en dépit des garanties apportées par le Sénat, la création d'un dispositif judiciaire à celle d'une nouvelle mesure de police administrative .

À l'initiative du Gouvernement, elle a ainsi proposé une rédaction remaniée de l'article 1 er qui introduit dans le code de procédure pénale un nouveau régime de contrôles de police judiciaire , sur réquisitions du procureur de la République.

Ce faisant, les députés ont souhaité réserver à l'autorité judiciaire, garante des libertés individuelles, le soin de diligenter des contrôles dans le cadre des manifestations. La nouvelle rédaction proposée devrait permettre une plus grande souplesse dans la mise en oeuvre des dispositifs de contrôles.

2. Une adaptation de la mesure d'interdiction de participer à une manifestation pour répondre à des besoins opérationnels

En dépit des doutes émis lors de l'examen en commission, l'Assemblée nationale a également souscrit à la création d'une mesure d'interdiction administrative de participer à une manifestation sur la voie publique qui serait prononcée par le préfet à l'encontre de toute personne représentant une menace d'une particulière gravité pour l'ordre public ( article 2 de la proposition de loi ).

Elle a conservé la plupart des garanties apportées par le Sénat au texte initialement déposé en vue d'assurer la protection des droits et libertés constitutionnellement garantis. Sur ce point, l'Assemblée nationale a partagé le souci de votre commission d'assurer un droit au recours effectif, en présumant la condition d'urgence pour les recours en référé devant le juge administratif.

Guidés par le souci de répondre aux « besoins opérationnels constatés sur le terrain » 2 ( * ) , les députés ont néanmoins apporté plusieurs modifications qui tendent, en définitive, à élargir le périmètre de la mesure.

Ils ont, en particulier, redéfini son champ d'application de manière à répondre aux besoins des forces de l'ordre. D'une part, ils ont souhaité dissocier la mesure de toute condamnation pénale préalable, de manière à pouvoir cibler les personnes ayant commis des actes violents avant même qu'elles ne soient condamnées. D'autre part, ils ont ouvert la possibilité de prononcer une mesure d'interdiction à l'encontre de personnes en raison de leurs « agissements » récurrents dans le cadre des manifestations.

Alors que le Sénat avait cherché à circonscrire l'interdiction de manifester dans le temps et dans l'espace, en en faisant une mesure ponctuelle, l'Assemblée nationale a prévu la possibilité de prononcer des mesures d'interdiction de manifester valables sur l'ensemble du territoire national, pour une durée pouvant aller jusqu'à un mois . Selon l'objet de l'amendement du Gouvernement adopté, cette « mesure concernerait les personnes dont il existe des raisons sérieuses de penser qu'une interdiction ponctuelle ne les dissuadera pas de se rendre dans un autre lieu de manifestation dans le but d'y causer des violences ou dégradations ».

Poursuivant le même objectif d'opérationnalité, l'Assemblée nationale a également réécrit l'article 3 de la proposition de loi relatif à l'inscription, dans un fichier unique, de l'ensemble des mesures d'interdiction de manifester, judiciaires et administratives.

Elle a approuvé l'objectif poursuivi par le Sénat de faciliter, pour les forces de sécurité intérieure, les contrôles nécessaires pour s'assurer du respect de ces mesures. Plutôt que de créer un nouveau fichier, elle a néanmoins estimé préférable de prévoir l'inscription de ces mesures au sein du fichier des personnes recherchées, déjà facilement accessible par les policiers et gendarmes.

3. Un assouplissement du régime de déclaration des manifestations

Partageant le souci du Sénat de prévenir, le plus en amont possible, les risques de débordements dans le cadre des manifestations sur la voie publique, l'Assemblée nationale a complété le chapitre I er de la proposition de loi d'un article 1 er A .

Celui-ci tend à assouplir les modalités de déclaration des manifestations auprès de l'autorité administrative. Il prévoit que cette formalité, qui doit aujourd'hui être accomplie par trois personnes résidant dans le département où se déroule la manifestation, puisse désormais l'être par une seule personne, sans condition de résidence.

Comme le relevait notre collègue Alice Thourot, rapporteure de la commission des lois de l'Assemblée nationale, cette disposition vise à « encourager les organisateurs de manifestation à procéder à la déclaration prévue par la loi afin de permettre à l'autorité administrative d'établir un dispositif d'accompagnement adapté aux besoins » 3 ( * ) .

4. L'instauration d'un contrôle parlementaire renforcé

Eu égard à l'atteinte susceptible d'être portée aux droits et libertés constitutionnellement garantis, l'Assemblée nationale a souhaité prévoir un contrôle parlementaire renforcé pour l'ensemble des mesures préventives de la proposition de loi.

Elle a, à cet effet, introduit un article 3 bis qui fixe le principe d'une évaluation annuelle desdites mesures par les assemblées parlementaires et prévoit la remise annuelle, par le Gouvernement, d'un rapport au Parlement sur leurs conditions d'application.

B. LE VOLET RÉPRESSIF : LA RECHERCHE DE MESURES PLEINEMENT OPÉRATIONNELLES

En complément du volet préventif qui vient d'être présenté, la proposition de loi comporte un volet répressif, qui vise à adapter la réponse pénale aux réalités des troubles à l'ordre public constatés lors de certaines manifestations.

L'Assemblée nationale a apporté à ce volet du texte des modifications qui ne remettent pas en cause les orientations défendues par le Sénat et qui ont été guidées, là encore, par le souci de donner à nos forces de sécurité et à nos magistrats des outils pleinement opérationnels.

1. Le délit de dissimulation du visage

Le texte tend à transformer la contravention qui sanctionne actuellement la dissimulation du visage, au sein ou aux abords d'une manifestation, en un délit, puni d'une peine d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende ( article 4 de la proposition de loi ).

L'Assemblée nationale a adopté une rédaction différente de celle que le Sénat avait approuvée en première lecture, avec l'objectif de rendre la mise en oeuvre de ce dispositif plus effective sur le terrain.

S'agissant des délits de port d'arme et de jets de projectiles, l'Assemblée nationale a en revanche décidé de ne pas retenir la nouvelle rédaction proposée par le Sénat, considérant que ses objectifs pouvaient être atteints en l'état du droit en vigueur ; elle a, en conséquence, supprimé l'article 5 de la proposition de loi.

2. Les interdictions de manifester décidées par l'autorité judiciaire

Les tribunaux peuvent décider, à titre de peine complémentaire , d'interdire à un individu de participer à des manifestations dans certains lieux déterminés .

En première lecture, le Sénat avait souhaité étendre le champ d'application de cette peine complémentaire ( article 6 ). L'Assemblée nationale a confirmé ce choix, sous réserve d'ajustements destinés à garantir la proportionnalité de la mesure.

Surtout, l'Assemblée nationale a utilement complété le dispositif en donnant la possibilité à un juge d'instruction ou à un juge des libertés et de la détention (JLD) d'interdire à un individu de manifester dans certains lieux dans le cadre d'une mesure de contrôle judiciaire , ce qui pourrait avoir pour effet de réduire rapidement le risque de récidive ( article 6 bis ).

3. La mise en cause de la responsabilité civile des auteurs de dégradations

En première lecture, le Sénat avait souhaité que l'État puisse engager une action récursoire contre les personnes condamnées définitivement sur le plan pénal , afin d'obtenir le remboursement des dégâts qu'elles ont pu causer ( article 7 ).

L'Assemblée nationale a retenu ce principe, tout en élargissant son champ d'application puisqu'elle a écarté la condition tenant au prononcé d'une condamnation pénale définitive.

II. LA POSITION DE VOTRE COMMISSION : ADOPTER SANS DÉLAI LA PROPOSITION DE LOI POUR APPORTER UNE RÉPONSE AUX PHÉNOMÈNES DE VIOLENCE

Alors que, depuis plusieurs semaines, les manifestations sur la voie publique sont émaillées de phénomènes de violence inédits, votre commission a rappelé, comme elle l'avait fait en première lecture, la pertinence des dispositions de la proposition de loi.

Bien qu'elle ait formulé des réserves sur certaines rédactions, elle a choisi, au regard du contexte actuel, d'approuver sans modification le texte issu des travaux de l'Assemblée nationale.

A. DES MESURES NÉCESSAIRES POUR RÉPONDRE À DES TROUBLES RÉCURRENTS À L'ORDRE PUBLIC

Votre commission est consciente des critiques dont la proposition de loi fait l'objet de la part d'un certain nombre de professionnels du droit, ainsi que de la part de défenseurs des droits de l'homme. L'interdiction administrative de manifester et le délit de dissimulation du visage concentrent l'essentiel des critiques.

1. Des préoccupations légitimes se sont exprimées

Ainsi, la commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe, Mme Dunja Mijatovic, voit dans l'introduction d'une interdiction administrative de manifester « une grave ingérence dans l'exercice du droit à la liberté de réunion ». Concernant le délit de dissimulation du visage, elle redoute des abus qui aboutiraient à empêcher des personnes d'exercer leur droit de manifester en les privant de liberté sans même qu'elles aient commis le moindre acte de violence 4 ( * ) .

L'organisation non gouvernementale (ONG) Amnesty International France a adressé à votre rapporteur un document qui fait état de son opposition à la plupart des mesures contenues dans la proposition de loi. D'une manière générale, elle conteste toute mesure préventive de restriction des libertés émanant d'une autorité administrative sans contrôle préalable d'une autorité judiciaire. Elle estime également que l'élément intentionnel du délit de dissimulation du visage est insuffisamment caractérisé, ce qui risque d'ouvrir la voie à des dérives et de dissuader un nombre important de manifestants pacifiques de se réunir sur la voie publique pour exprimer leur opinion. Amnesty International France s'oppose enfin à la peine complémentaire d'interdiction de manifester et à l'inscription des personnes concernées par cette interdiction au fichier des personnes recherchées.

Votre rapporteur a par ailleurs reçu des représentants de l'Union syndicale des magistrats (USM) et du Syndicat de la magistrature (SM), ainsi que du Conseil national des barreaux (CNB) et du Barreau de Paris.

Les organisations syndicales de magistrats ont contesté la possibilité de confier à l'autorité administrative le pouvoir de décider des interdictions de manifester, considérant que seul un juge indépendant devrait être autorisé à prendre de telles décisions. Concernant le délit de dissimulation du visage, elles ont estimé que l'objectif principal était de pouvoir placer des manifestants en garde à vue, et non d'aboutir à une condamnation pour des faits qui risquent d'être difficiles à établir. L'USM a fait valoir que le code pénal comprend déjà la définition de 8 000 délits et de 6 000 contraventions, ce qui lui apparaît suffisant pour réprimer les actes commis en marge des manifestations 5 ( * ) . Le SM a déploré un texte dangereux, examiné sous la pression des événements, et a plaidé pour que des enquêtes judiciaires plus approfondies soient réalisées afin de neutraliser véritablement les « casseurs ».

Le Conseil national des barreaux s'inquiète également d'un pouvoir discrétionnaire donné aux préfets, susceptible de porter atteinte aux libertés individuelles. Il estime, dès lors que les libertés individuelles sont en cause, que le juge judiciaire devrait pouvoir être saisi et exercer son contrôle. Il juge que la création du délit de dissimulation du visage est inutile et que les peines encourues sont disproportionnées.

Se situant sur un terrain plus technique, le Barreau de Paris a considéré que les délais prévus pour contester une interdiction de manifester devant le juge administratif étaient trop courts pour garantir un droit au recours effectif. Il a également critiqué le délit de dissimulation du visage, au motif que l'existence du délit dépendrait de circonstances sur lesquelles la personne mise en cause n'a pas de prise - soit un contexte de troubles à l'ordre public ou un risque de troubles - et en raison du risque que les personnes interpellées se trouvent, en pratique, dans la situation de devoir établir qu'elles avaient un motif légitime de se couvrir le visage, alors que ce n'est pas sur elles que doit peser la charge de la preuve.

2. Des mesures utiles entourées de sérieuses garanties

Soucieuse de la protection des libertés individuelles, votre commission est attentive aux critiques qui viennent d'être rappelées. Elle considère cependant que le travail réalisé au Sénat en première lecture, conforté par les modifications introduites par l'Assemblée nationale, a permis d'entourer ces dispositions, utiles au maintien de l'ordre, d'importantes garanties.

Elle rappelle tout d'abord que la proposition de loi ne constitue en rien un texte de circonstance, improvisé pour répondre à certaines manifestations violentes observées dans le contexte du mouvement des « gilets jaunes ». Comme votre rapporteur l'a rappelé dans son avant-propos, l'élaboration de ce texte est bien antérieure à l'émergence de ce mouvement le 17 novembre 2018.

Ensuite, votre rapporteur est convaincu, à la lumière des auditions qu'elle a réalisées, de l'utilité concrète des mesures nouvelles introduites par le texte.

En premier lieu, l'interdiction administrative de manifester permettra de tenir à l'écart de la manifestation certains individus susceptibles de commettre des dégradations ou des violences, dans une optique de prévention. Elle ne concernera que des individus particulièrement dangereux, repérés par les services de renseignement, soit tout au plus quelques centaines de personnes. Elle s'inscrit dans une logique d'intervention « chirurgicale », ayant pour seul objet d'écarter de la foule les individus perturbateurs ou les « casseurs » et de les sanctionner. Ce faisant, elle ne saurait être comparée à une « gestion de masse » des manifestations consistant à prendre des mesures d'interdiction générales.

Elle s'inscrit également dans le prolongement d'une évolution historique qui a conduit à renforcer les prérogatives de l'autorité administrative en vue de mieux prévenir, en amont et au cours de la manifestation, les débordements. La loi n° 95-73 du 21 janvier 1995 d'orientation et de programmation relative à la sécurité lui a ainsi conféré la possibilité de mettre en place un dispositif temporaire de vidéoprotection en cas de tenue d'une manifestation présentant des risques particuliers d'atteinte à la sécurité des personnes et des biens, ou d'interdire le port et le transport, sans motif légitime, en certains lieux déterminés, d'objets pouvant constituer une arme.

Ces décisions administratives d'interdiction seront évidemment soumises au contrôle du juge administratif, qui, conformément à sa traditionnelle jurisprudence Benjamin 6 ( * ) , s'assurera que la mesure de police administrative est justifiée, proportionnée et adaptée à la menace pesant effectivement sur l'ordre public. Le juge administratif pourra être saisi en référé, ce qui garantit une décision dans un délai de 48 heures. La décision d'interdiction devant être notifiée à l'intéressé au minimum 48 heures avant la manifestation, le droit à un recours effectif est pleinement garanti.

En ce qui concerne la dissimulation du visage, les représentants des directions de la police nationale et de la gendarmerie nationale entendus par votre rapporteur ont insisté sur l'intérêt de la création de ce nouveau délit, qui leur permettra d'interpeller et de placer en garde à vue des individus susceptibles de commettre des actes de violence ou des dégradations dans une manifestation ou à ses abords.

Les craintes exprimées concernant le risque que des manifestants soient arrêtés simplement parce qu'ils portent une écharpe en hiver ou un foulard pour se protéger de la propagation de gaz lacrymogènes paraissent peu fondées à votre commission. Les contraintes opérationnelles de nos forces de l'ordre ne permettent d'envisager, en réalité, que l'interpellation d'un petit nombre d'individus, cagoulés ou casqués, qui pourront être extraits de groupes violents et agressifs, ce qui fera baisser le niveau de tension dans la manifestation.

D'une manière générale, votre commission ne pense pas que ces mesures ciblées sur un petit nombre d'individus soient de nature à remettre en cause le droit de manifester. Bien au contraire, en sécurisant les manifestations, elles encourageront nos concitoyens, qui peuvent aujourd'hui hésiter à participer à une manifestation, au vu du caractère régulier des débordements, à défendre dans la rue leurs revendications.

B. UN CONTEXTE QUI JUSTIFIE UNE ADOPTION RAPIDE DE LA PROPOSITION DE LOI

1. Un texte équilibré, en dépit de quelques interrogations juridiques

Votre commission s'est félicitée que l'Assemblée nationale, partageant les objectifs poursuivis par le Sénat, ait conservé l'ensemble des dispositions qu'il avait adoptées en première lecture.

Soucieuse d' assurer le caractère opérationnel des mesures et outils créés, elle a pleinement souscrit à plusieurs des modifications apportées par les députés.

Bien que le dispositif autorisant la réalisation de contrôles des personnes dans les manifestations ait été profondément remanié, elle a estimé que la nouvelle rédaction de l'article 1 er de la proposition de loi assurait un juste équilibre entre protection des libertés et efficacité opérationnelle pour les forces de l'ordre.

Pour les mêmes raisons, elle a jugé cohérent de privilégier, à l' article 3 de la proposition de loi, l'inscription des mesures d'interdiction de manifester dans le fichier des personnes recherchées.

La suppression de l'article 5 , qui prévoyait d'élargir les incriminations de port d'arme dans le cadre de manifestations sur la voie publique, lui est également apparue acceptable dès lors que cet article n'apportait aucune valeur ajoutée par rapport au droit existant.

Attentive à assurer la protection des droits et libertés, votre commission a, dans l'ensemble, jugé que les garanties ajoutées par le Sénat, confortées, voire renforcées à certains égards par l'Assemblée nationale, permettaient d'aboutir à un équilibre entre la protection des droits et libertés et les exigences de sauvegarde de l'ordre public .

Sans remettre en cause le bien-fondé des mesures concernées, elle s'est néanmoins interrogée sur la constitutionnalité de certaines rédactions adoptées par l'Assemblée nationale, qui lui paraissent perfectibles.

S'agissant en premier lieu de l' article 2 , votre commission s'est demandée si l'élargissement de la mesure d'interdiction administrative de manifester, tant en raison de la redéfinition de son champ d'application que de l'allongement, jusqu'à un mois, de sa durée, conservait un caractère suffisamment proportionné au regard de ses effets potentiels sur l'exercice du droit de manifester et de la liberté d'aller et venir.

Votre commission estime également que l'élément intentionnel aurait sans doute gagné à être davantage précisé, afin de se prémunir contre tout risque d'inconstitutionnalité, dans la définition, à l' article 4 , du nouveau délit de dissimulation du visage dans le cadre d'une manifestation. Cette préoccupation l'avait conduite à mieux caractériser cet élément intentionnel lors de l'examen du texte en première lecture.

2. Des besoins opérationnels qui justifient une entrée en vigueur rapide du texte

En dépit de ces réserves, votre commission a décidé d' adopter sans modification la proposition de loi dans sa version issue de l'Assemblée nationale.

Face aux violences et aux dégradations qui accompagnent, chaque semaine, depuis près de quatre mois, les manifestations des « gilets jaunes » , elle a en effet estimé qu'il était de sa responsabilité de doter les forces de l'ordre des moyens nécessaires à prévenir la commission de ces faits. Il en va, de l'avis de votre rapporteur, non seulement de la sécurité de l'ensemble de nos concitoyens, mais également de la protection du droit de manifester.

L'existence de doutes sur la proportionnalité de certaines dispositions de la proposition de loi, en définitive peu nombreuses, ne lui est pas apparue de nature à devoir retarder l'entrée en vigueur d'un arsenal juridique fortement attendu par les forces de sécurité intérieure, tant dans son volet administratif que pénal. En tout état de cause, il appartiendra au Conseil constitutionnel, s'il venait à être saisi, de se prononcer sur la conformité à la Constitution des dispositions contenues dans ce texte.

Sur l'ensemble des difficultés soulevées, les représentants du ministère de l'intérieur et de la Chancellerie reçus en audition se sont attachés à apporter des garanties à votre rapporteur, notamment quant à l'application ciblée qui sera faite de ces mesures. Ils ont également indiqué avoir étudié avec soin la rédaction de chacun des articles de la proposition de loi soumis au vote des députés pour s'assurer qu'elle n'encourait pas de risque d'inconstitutionnalité.

Les personnes auditionnées lui ont également donné un éclairage utile sur les besoins opérationnels ayant présidé à l'adoption de ces rédactions plus souples et, à leurs yeux, plus conformes aux réalités du terrain. Ainsi, la nécessité d'inclure, dans le champ de la mesure d'interdiction de manifester, les organisateurs des manifestations ou les personnes incitant directement à la commission des violences impliquerait d'adopter une définition suffisamment large de la mesure. De même, s'agissant du délit de dissimulation du visage, il a été indiqué à votre rapporteur que l'assouplissement de l'élément intentionnel se justifiait par les difficultés à établir, dans la pratique, le fait qu'une personne mise en cause a dissimulé son visage dans le but de ne pas être reconnue.

Compte tenu de ces précisions et de ces assurances, votre commission juge qu'il convient d'approuver le texte dans sa rédaction issue des travaux de l'Assemblée nationale plutôt que de prolonger pendant encore plusieurs semaines, voire plusieurs mois, la navette parlementaire. Nos concitoyens attendent en effet aujourd'hui du législateur des décisions et une action rapides et déterminées.

*

* *

Pour l'ensemble de ces raisons, votre commission a adopté la proposition de loi n° 286 (2018-2019) visant à renforcer et garantir le maintien de l'ordre public dans les manifestations sans modification .

EXAMEN DES ARTICLES

CHAPITRE IER
MESURES DE POLICE ADMINISTRATIVE

Article 1er A (nouveau)
(art. L. 211-2 du code de la sécurité intérieure)
Modalités de déclaration d'une manifestation

Introduit par la commission des lois de l'Assemblée nationale , l'article 1 er A tend à simplifier les modalités de déclaration des manifestations sur la voie publique auprès de l'autorité administrative, de manière à encourager les organisateurs à procéder à leurs déclarations.

1. Le régime déclaratif propre aux manifestations sur la voie publique

L'article L. 211-1 du code de la sécurité intérieure soumet « à l'obligation d'une déclaration préalable tous cortèges, défilés et rassemblements de personnes, et, d'une façon générale, toutes les manifestations sur la voie publique. »

L'article L. 211-2 du code de la sécurité intérieure précise les modalités d'établissement de cette déclaration . Elle doit être formulée entre trois et quinze jours francs avant la date de la manifestation, généralement auprès de la mairie de la commune des lieux concernés par le rassemblement. À Paris, elle est remise au préfet de police. Dans les communes où est instituée la police d'État, elle est faite au représentant de l'État.

Les noms, prénoms et domiciles des organisateurs figurent dans la déclaration, qui doit être signée par trois d'entre eux résidant dans le département. Le but de la manifestation, le lieu, la date et l'heure du rassemblement des groupements invités à y prendre part et, s'il y a lieu, l'itinéraire projeté doivent être clairement indiqués.

L'autorité qui reçoit la déclaration en délivre immédiatement un récépissé.

2. Une simplification du régime souhaitée par l'Assemblée nationale

Introduit par l'Assemblée nationale, en commission, l'article 1 er A de la proposition de loi propose de modifier l'article L. 211-2 du code de la sécurité intérieure pour que la déclaration soit accomplie par une seule personne, sans condition de résidence, et non plus par trois personnes domiciliées dans le département où est organisée la manifestation.

Comme l'ont relevé les députés, les modalités de déclaration des manifestations, non modifiées depuis plus de 80 ans 7 ( * ) , seraient en effet de moins en moins adaptées à la réalité des rassemblements contemporains.

Outre la charge bureaucratique des procédures actuellement en vigueur, les conditions fixées par l'article L. 211-2 du code de la sécurité intérieure seraient de nature à désinciter les déclarations, sans pour autant apporter de véritables avantages opérationnels pour les services en charge du maintien de l'ordre public.

Ainsi, la condition de résidence apparaît contraignante, dès lors que le lien entre la commune de domiciliation des organisateurs et des participants et le lieu où se déroule la manifestation est, dans la pratique, de plus en plus ténu.

Qui plus est, le recours croissant aux réseaux sociaux pour l'organisation des manifestations rendrait souvent complexe l'identification de trois organisateurs.

Force est d'ailleurs de constater, dans la pratique, que de nombreuses manifestations ne sont pas déclarées, ou sont déclarées de manière non conforme au cadre légal, et que l'organisation sans déclaration d'une manifestation ne donne quasiment jamais lieu à des poursuites 8 ( * ) ou à des dispersions des rassemblements par les forces de l'ordre.

3. La position de votre commission

Lors des auditions organisées par votre rapporteur, les différents services de l'État chargés du maintien de l'ordre public au cours des manifestations ont bien confirmé que les trois contreseings exigés par la loi ainsi que la condition de résidence n'avaient pas de portée opérationnelle.

S'ils se sont montrés prudents sur l'impact réel de la simplification envisagée sur le nombre de déclarations, ils ont en revanche noté que toute incitation à la déclaration était souhaitable, dès lors qu'elle faciliterait, en amont, la communication avec les organisateurs et la préparation des dispositifs de maintien de l'ordre.

Votre commission a adopté l'article 1 er A sans modification.

Article 1er
(art. 78-2-5 [nouveau] du code de procédure pénale)
Contrôles lors des manifestations se déroulant sur la voie publique

L'article 1 er de la proposition de loi vise à permettre aux forces de sécurité intérieure de procéder à des contrôles des effets personnels, ainsi que des véhicules aux abords et sur le périmètre d'une manifestation se déroulant sur la voie publique.

1. Le choix par le Sénat d'un dispositif de police administrative strictement encadré

Dans sa rédaction issue du Sénat, l'article 1 er de la proposition de loi tendait à créer une nouvelle mesure de police administrative autorisant le préfet à instaurer, par arrêté, à l'occasion d'une manifestation sur la voie publique, un périmètre à l'entrée et au sein duquel il pourrait être procédé à des palpations de sécurité ainsi qu'à des inspections visuelles et des fouilles de bagages.

Inspiré des périmètres de protection créés par la loi n° 2017-1510 du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme, ce dispositif visait à permettre à l'autorité administrative de diligenter des contrôles préventifs systématiques sur un périmètre donné , assimilables à des dispositifs de « filtrage » . Il s'agissait notamment d'éviter l'introduction, dans les manifestations, d'armes ou d'objets susceptibles de constituer une arme et d'être utilisés pour commettre des violences ou des dégradations.

Tout en préservant le dispositif souhaité par les auteurs de la proposition de loi, plusieurs modifications substantielles avaient été apportées au texte par votre commission des lois afin d'assurer un équilibre entre les impératifs de sauvegarde de l'ordre public et la protection des droits et libertés constitutionnellement garantis .

À l'initiative de son rapporteur, votre commission avait en particulier limité le recours à cette mesure aux seules situations faisant craindre des troubles d'« une particulière gravité » à l'ordre public et circonscrit la durée et l'étendue du périmètre susceptible d'être instauré. Elle avait également prévu une adaptation des mesures de contrôle pour les personnes résidant ou travaillant dans le périmètre défini par arrêté. Enfin, elle avait supprimé la possibilité de mobiliser, au sein de ces périmètres, des agents de police municipale ou des agents de sécurité privée.

2. La préférence par l'Assemblée nationale d'un dispositif de nature judiciaire

Après avoir été supprimé par la commission des lois de l'Assemblée nationale, l'article 1 er de la proposition de loi a été réintroduit en séance publique, à l'initiative du Gouvernement, dans une rédaction profondément remaniée.

Le dispositif adopté poursuit un objectif identique à celui voté par le Sénat, à savoir faciliter les contrôles des effets personnels lors des manifestations afin d'éviter l'introduction de tout objet susceptible de constituer une arme et, ainsi, mieux prévenir les actes de dégradation et de violences.

Il substitue néanmoins au dispositif administratif adopté par le Sénat un dispositif de nature judiciaire .

Dans sa rédaction issue de l'Assemblée nationale, l'article 1 er créé ainsi un régime ad hoc de contrôles de police judiciaire, applicable aux manifestations se déroulant sur la voie publique. Il introduit, à cet effet, un article 78-2-5 au sein du code de procédure pénale.

Celui-ci autorise les officiers de police judiciaire et, sous leur responsabilité, les agents de police judiciaire, à procéder, sur réquisitions écrites du procureur de la République à des inspections visuelles et à des fouilles de bagages, ainsi qu'à des visites de véhicules circulant, arrêtés ou stationnant sur la voie publique, sur les lieux d'une manifestation et à ses abords immédiats.

À l'inverse du dispositif adopté par le Sénat, le nouvel article 78-2-5 du code de procédure pénale ne prévoit pas explicitement la possibilité de procéder à des palpations de sécurité. Comme le relevait toutefois le Gouvernement lors de l'examen du texte à l'Assemblée nationale en séance publique, cette précision n'est pas nécessaire dans un cadre judiciaire : les officiers et agents de police judiciaire ont en effet toujours la possibilité, à l'occasion d'un contrôle, de procéder à cette mesure de sûreté.

Les contrôles de police judiciaire

Le code de procédure pénale prévoit plusieurs dispositifs de contrôles dits de police judiciaire, diligentés par l'autorité judiciaire à des fins de prévention, de recherche et de poursuite des infractions.

En vertu de l 'article 78-2, alinéa 7 de ce code, l'identité de toute personne peut être contrôlée, sur réquisitions écrites du procureur de la République, aux fins de recherche et de poursuite d'infractions qu'il précise.

L' article 78-2-2 du même code prévoit que le procureur de la République peut autoriser la réalisation de contrôles d'identité, d'inspections visuelles et de fouilles de sacs ainsi que des visites de véhicules, aux fins de recherche et de poursuite d'infractions limitativement énumérées :

- les actes de terrorisme ;

- les infractions en matière de prolifération des armes de destruction massive et de leurs vecteurs ;

- les infractions relatives au port illégal d'arme de catégories A ou B ;

- les infractions en matière d'explosifs ;

- les infractions de vol et de recel ;

- les faits de trafic de stupéfiants.

La finalité des contrôles réalisés serait strictement encadrée : ils ne pourraient en effet être diligentés qu'aux seules fins de recherche et de poursuite du délit de participation à une manifestation ou à une réunion publique en étant porteur d'une arme, prévu par l'article 431-10 du code pénal.

Par ailleurs, contrairement aux contrôles sur réquisitions du procureur prévus par l'article 78-2-2 du code de procédure pénale, les officiers et agents de police judiciaire ne seraient pas autorisés, comme dans le dispositif adopté par le Sénat, à procéder, sur ce fondement, à des contrôles d'identité.

3. La position de votre commission : approuver sans modification un dispositif opérationnel et protecteur des libertés individuelles

En dépit des modifications substantielles apportées au texte adopté par le Sénat, votre rapporteur a, à l'occasion de ses auditions, pu constater que le dispositif judiciaire adopté par l'Assemblée nationale paraissait pertinent sur le plan opérationnel.

Les représentants des forces de sécurité intérieure lui ont ainsi indiqué que les contrôles sur réquisitions du procureur offraient une plus grande souplesse par rapport aux périmètres de contrôles.

En effet, s'il est efficace pour protéger des espaces clos et à l'étendue limitée, le modèle du périmètre serait difficile à mettre en oeuvre autour d'une manifestation mobile et surtout très consommateur en ressources humaines. Tout en atteignant le même objectif, les contrôles sur réquisitions du Parquet permettraient, au contraire, une meilleure adaptabilité des dispositifs de contrôle à l'évolution d'une manifestation et de son itinéraire.

Au demeurant, il a été précisé à votre rapporteur que les contrôles de police judiciaire présentaient le mérite d'être obligatoires . À l'inverse, dans un cadre administratif, les officiers et agents de police judiciaire n'auraient eu que la possibilité, en cas de refus d'une personne de se soumettre aux contrôles, de lui empêcher l'entrée au sein du périmètre.

Soucieuse de doter les forces de l'ordre de nouveaux outils opérationnels, votre commission a été sensible à l'ensemble de ces arguments .

Bien qu'elle se soit interrogée sur l'utilité de créer un nouveau régime de contrôles judiciaires 9 ( * ) , elle a observé que le nouvel article 78-2-5 du code de procédure pénale présentait deux avantages.

Il permettrait, d'une part, de sécuriser sur le plan juridique les réquisitions judiciaires émises pour les manifestations. En l'état du droit, l'article 78-2-2 du code de procédure pénale, bien que régulièrement mobilisé, ne fait en effet référence qu'à des infractions lourdes, en réalité peu adaptées pour couvrir les infractions commises dans le cadre des manifestations.

La création d'un régime de contrôles dédié garantirait, d'autre part, une meilleure adaptabilité des dispositifs de contrôle. Les représentants des forces de l'ordre entendus par votre rapporteur ont en effet indiqué que l'article 78-2-2 du code de procédure pénale, en exigeant une énumération précise des lieux concernés par les contrôles dans les réquisitions du procureur, ne permettait pas d'adapter le dispositif de contrôle en cas d'évolution du périmètre ou de l'itinéraire d'une manifestation. La rédaction de l'article 78-2-5, en autorisant des contrôles sur les lieux d'une manifestation et ses abords immédiats, garantirait, à cet égard, davantage de souplesse pour les forces de l'ordre.

Bien qu'elle ait approuvé le texte adopté par l'Assemblée nationale, votre commission a néanmoins tenu à souligner que, conformément à la jurisprudence constitutionnelle, le nouvel article 78-2-5 du code de procédure pénale ne permettrait en aucun cas la réalisation de contrôles généralisés dans le temps et dans l'espace 10 ( * ) . Ceux-ci ne pourront ainsi être conduits que sur les lieux et pour la durée d'une manifestation se déroulant sur la voie publique.

Au bénéfice de ces observations, votre commission a adopté l'article 1 er sans modification .

Article 2
(art. L. 211-4-1 [nouveau] du code de la sécurité intérieure)
Création d'une interdiction administrative individuelle de manifester

L'article 2 de la proposition de loi tend à permettre aux préfets d'interdire, par arrêté, à toute personne susceptible de représenter une menace d'une particulière gravité pour l'ordre public de participer à une manifestation sur la voie publique.

1. Une mesure administrative entourée de plusieurs garanties au Sénat

Lors de l'examen du texte en première lecture, le Sénat avait approuvé la création de cette nouvelle mesure de police administrative, dont la durée se limitait à celle d'une manifestation. Comme l'avait alors relevé votre rapporteur, un tel outil permettrait « d'éloigner, en amont d'une manifestation, toute personne susceptible de commettre des dégradations ou des violences et qui entrave, en conséquence, la liberté de manifester » 11 ( * ) .

Soucieuse d'assurer la constitutionnalité du dispositif, votre commission des lois avait néanmoins, à l'initiative de son rapporteur, souhaité apporter plusieurs garanties au texte initial de la proposition de loi afin d'assurer un équilibre entre la prévention des atteintes à l'ordre public et la protection des libertés constitutionnellement garantis.

Elle s'était tout d'abord efforcée de mieux caractériser le champ de la mesure, en prévoyant que ne pourraient être concernés par une interdiction de manifester que les individus appartenant à des groupuscules violents ou ayant commis des actes délictuels à l'occasion d'une manifestation.

Avait également été prévu que l'arrêté préfectoral précise les lieux faisant l'objet de l'interdiction, qui ne pourraient, en tout état de cause, inclure le domicile ni le lieu de travail de la personne.

Enfin, votre commission avait introduit, afin de garantir un droit au recours effectif, une obligation de notification à l'intéressé de l'arrêté d'interdiction, au maximum 48 heures avant la date prévue pour la manifestation.

2. Un dispositif sensiblement étendu par l'Assemblée nationale

Tout en conservant l'esprit de la mesure et plusieurs des garanties ajoutées par le Sénat, l'Assemblée nationale a apporté, à l'initiative du Gouvernement, plusieurs modifications substantielles au texte .

Le champ de la mesure d'interdiction a, en premier lieu, été sensiblement refondu , dans deux sens opposés.

D'un côté, la rédaction proposée par l'Assemblée nationale supprime la possibilité de prononcer une interdiction à l'encontre d'une personne qui « appartient ou en entre en relation de manière régulière avec des individus incitant, facilitant ou participant à la commission de ces mêmes faits », estimant que ces critères ne suffisaient pas à justifier une mesure restrictive de liberté. De l'autre côté, l'Assemblée nationale a élargi le champ de la mesure, en dissociant son prononcé de toute condamnation pénale préalable.

En définitive, la rédaction adoptée par les députés permettrait de couvrir deux catégories d'individus :

- d'une part, les personnes ayant commis des actes violents pénalement répréhensibles à l'occasion de précédentes manifestations, y compris si elles n'ont pas encore fait l'objet d'une condamnation ;

- d'autre part, les personnes dont les agissements lors de précédentes manifestations ayant donné lieu à des violences permettent d'établir qu'ils constituent une menace d'une particulière gravité pour l'ordre public.

En deuxième lieu, l'Assemblée nationale a complété le dispositif voté par le Sénat d'une mesure complémentaire. Elle a ainsi prévu que le préfet puisse interdire à une personne de manifester sur tout le territoire national, pour une durée pouvant aller jusqu'à un mois, lorsqu'il existe des raisons sérieuses de penser que cette personne est susceptible de participer à plusieurs manifestations concomitantes sur le territoire ou à plusieurs manifestations successives. Par cet ajout, les députés ont voulu éviter qu'une personne interdite de manifester puisse contourner la mesure prononcée à son égard, par exemple en participant à un rassemblement se déroulant dans une autre ville. Ils ont également souhaité assurer l'effectivité de la mesure d'interdiction lorsque plusieurs manifestations se succèdent dans des délais très rapprochés.

Dans le prolongement des garanties apportées par le Sénat en vue d'assurer le droit au recours effectif, l'Assemblée nationale a, en troisième lieu, précisé que la condition d'urgence serait présumée à l'occasion de tout recours devant le juge des référés contre une décision d'interdiction de participer à une manifestation.

Enfin, tout en approuvant l'introduction d'un délai de notification, l'Assemblée nationale a estimé nécessaire de préciser que ce délai ne serait pas applicable lorsque la manifestation n'a pas été déclarée ou lorsqu'elle a été déclarée tardivement. Dans ces hypothèses, l'arrêté serait exécutoire d'office et notifié à la personne concernée par tout moyen. La suppression de ce délai restreint, certes, les possibilités de recours a priori , mais elle répond à une contrainte opérationnelle évidente, liée à la prise de connaissance tardive, par l'autorité administrative, de la tenue d'une manifestation.

3. La position de la commission : adopter une mesure utile sur le plan opérationnel

Votre commission se félicite que l'Assemblée nationale ait approuvé la création de cette mesure de police administrative et conservé la plupart des garanties ajoutées par le Sénat en première lecture.

Elle approuve également pleinement l'ajout de la présomption de la condition d'urgence en cas de référé, de nature à garantir l'effectivité du recours a priori devant le juge administratif.

Elle s'est toutefois interrogée, à plusieurs égards, sur la constitutionnalité de la rédaction adoptée par l'Assemblée nationale .

Selon une jurisprudence constante, le Conseil constitutionnel rappelle que les mesures de police administrative « susceptibles d'affecter l'exercice des libertés constitutionnellement garanties [...] doivent être justifiées par la nécessité de sauvegarder l'ordre public et proportionnées à cet objectif » 12 ( * ) . Il relève qu'il appartient au législateur d'encadrer, à cette fin, les mesures administratives restrictives de liberté des conditions et des garanties de nature à assurer une conciliation équilibrée entre la présentation des atteintes à l'ordre public et les droits et libertés constitutionnellement garantis 13 ( * ) .

En l'espèce, plusieurs modifications apportées par l'Assemblée nationale sont apparues susceptibles de remettre en cause la proportionnalité du dispositif recherchée par le Sénat en première lecture.

S'agissant, en premier lieu, du champ de la mesure , votre commission a souscrit au fait de dissocier le prononcé de la mesure de toute condamnation pénale préalable, celle-ci ne constituant pas un prérequis pour établir qu'une personne constitue une menace pour l'ordre public, ni pour garantir la proportionnalité d'une mesure de nature administrative.

Elle a au demeurant relevé un intérêt opérationnel  à cette modification : cela permettrait d'interdire, à titre préventif, à des personnes dont on sait qu'elles ont commis des actes de violence mais pour lesquelles une condamnation pénale n'a pas été encore prononcée, de participer à une manifestation.

En revanche, elle s'est interrogée sur le caractère suffisamment précis et restrictif de la notion d'« agissements », sur laquelle le Conseil constitutionnel ne s'est à ce jour jamais prononcé, pour caractériser le risque d'atteinte grave à l'ordre public.

En second lieu, votre commission a émis des réserves quant à la nécessité et à la proportionnalité de la mesure complémentaire d'interdiction de manifester introduite par l'Assemblée nationale, compte tenu de l'extension de son champ d'application temporel et territorial.

Elle a admis la pertinence, d'un point de vue opérationnel, de permettre le prononcé d'une mesure applicable à l'ensemble du territoire, afin d'éviter les stratégies de contournement. En revanche, elle a considéré qu'eu égard à l'atteinte portée au droit de manifester et à la liberté d'aller et venir, le caractère proportionné de l'extension, jusqu'à un mois, de la durée de la mesure pourrait ne pas être pleinement assuré au regard des exigences constitutionnelles.

Les représentants du ministère de l'intérieur entendus par votre rapporteur ont écarté tout risque d'inconstitutionnalité, estimant que les rédactions adoptées par l'Assemblée nationale résultaient d'un équilibre dûment pesé entre opérationnalité du dispositif et protection des droits et libertés individuels.

Ils ont notamment indiqué que la terminologie employée pour définir le champ de la mesure, similaire à celle employée pour les interdictions de stade 14 ( * ) , présentait un intérêt opérationnel, dès lors qu'elle permettait de cibler des personnes constituant une menace caractérisée pour l'ordre public mais auxquelles il serait difficile d'attribuer la commission d'un acte précis. Répondraient notamment à ces critères les individus qui incitent de manière expresse à la commission de violences ou de dégradations dans le cadre des manifestations.

Il a été assuré à votre rapporteur qu'ainsi définie, la mesure d'interdiction de manifester aurait un périmètre d'application réduit et ne devrait cibler que les personnes les plus violentes, dont le nombre est estimé à quelques centaines seulement sur l'ensemble du territoire national.

Par ailleurs, plusieurs personnes auditionnées ont précisé que la succession, dans des délais très rapprochés, de manifestations sur l'ensemble du territoire nécessitait qu'une interdiction de plus longue durée puisse être prononcée, de manière proportionnée avec le risque d'atteinte à l'ordre public. Ils ont estimé qu'à défaut, l'effectivité même de la mesure d'interdiction administrative de manifester en serait affectée.

Tenant compte de ces arguments opérationnels ainsi que des garanties apportées par les services du ministère de l'intérieur, notamment quant au nombre réduit de personnes concernées, votre commission, en dépit de ses interrogations persistantes sur la proportionnalité de certaines dispositions, a choisi d' approuver les modifications apportées par l'Assemblée nationale .

Elle a considéré que les atteintes graves à l'ordre public commises par des groupes violents nuisaient, en pratique, à l'exercice de la liberté de manifester et justifiaient, dès lors, de doter l'autorité administrative de mesures de prévention fermes et efficaces.

Au bénéfice de ces observations, elle a adopté l'article 2 sans modification .

Article 3
(art. 230-19 du code de procédure pénale)
Inscription au fichier des personnes recherchées
des mesures d'interdiction de participer à une manifestation

Dans sa version adoptée en première lecture au Sénat, l'article 3 de la proposition de loi prévoyait la création d'un traitement de données à caractère personnel spécifique destiné à répertorier, au sein d'un même fichier, les mesures d'interdiction de manifester prononcées soit dans un cadre judiciaire, en application de l'article 131-32-1 du code pénal, soit dans un cadre administratif, en application du nouvel article L. 211-4-1 du code de la sécurité intérieure 15 ( * ) .

Comme le relevait votre rapporteur lors de l'examen du texte en première lecture, le recensement de ces mesures s'avère nécessaire pour que les forces de sécurité intérieure puissent facilement identifier, lors de leurs opérations de contrôles, les personnes faisant l'objet d'une interdiction de manifester.

Tout en partageant cet objectif, la commission des lois de l'Assemblée nationale a, à l'initiative de son rapporteur, préféré à la création d'un nouveau fichier une inscription des mesures concernées au fichier des personnes recherchées (FPR) .

Elle a, à cet effet, prévu de compléter l'article 230-19 du code de procédure pénale qui dresse la liste des décisions judiciaires inscrites au FPR, de manière à y ajouter la peine complémentaire d'interdiction de participer à des manifestations prononcée en application de l'article 131-32-1 du code pénal.

De manière à tenir compte de la création de l'article 6 bis , l'article 3 adopté par l'Assemblée nationale prévoit également que puissent figurer au FPR les mesures d'interdiction de manifester prononcées dans le cadre d'un contrôle judiciaire, comme cela est déjà le cas pour d'autres modalités de contrôle judiciaire.

Le fichier des personnes recherchées

Créé dès 1969, le fichier des personnes recherchées est un traitement automatisé de données à caractère personnel qui recense l'ensemble des personnes faisant l'objet d'une mesure de recherche ou de vérification de leur situation.

Il a pour objectif de faciliter les recherches, les surveillances et les contrôles effectués par les services de police, de gendarmerie ou des douanes. Il peut également être, dans certains cas, consultés par les autorités administratives dans le cadre de l'instruction de certaines procédures administrations (instruction des demandes relatives à la législation sur les étrangers par exemple).

Le FPR est actuellement régi par le décret en Conseil d'État n° 2010-569 du 28 mai 2010. Celui-ci précise les types d'informations contenues dans le fichier, les différentes catégories de mesures de recherche ainsi que les conditions d'accès au fichier.

L'inscription des décisions administratives dans le FPR relevant en revanche du pouvoir réglementaire, l'Assemblée nationale a renvoyé au Gouvernement le soin de modifier le décret n° 2010-569 du 28 mai 2010, afin de prévoir le recensement des mesures administratives d'interdiction de manifester.

Votre commission partage le souci d'opérationnalité poursuivi par l'Assemblée nationale . Elle juge en effet cohérent de privilégier l'inscription des mesures d'interdiction de manifester au sein d'un fichier existant et facilement accessible par les forces de l'ordre, y compris sur leurs téléphones et tablettes.

Elle insiste toutefois sur la nécessité, pour le Gouvernement, de compléter rapidement, à l'issue de la promulgation de la présente loi, le décret relatif au fichier des personnes recherchées afin de garantir l'efficacité de la mesure d'interdiction administrative de manifester.

Votre commission a adopté l'article 3 sans modification .

Article 3 bis
Évaluation et contrôle parlementaires des mesures de contrôle judiciaire
et d'interdiction administrative de manifester

Introduit par la commission des lois de l'Assemblée nationale, par l'adoption de trois amendements identiques, l'article 3 bis prévoit les modalités spécifiques d'évaluation et de contrôle par le Parlement des dispositions du chapitre I er de la proposition de loi.

S'inspirant du contrôle parlementaire mis en place par l'article 5 de la loi n° 2017-1510 du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme 16 ( * ) , les députés ont souhaité prévoir un contrôle parlementaire renforcé des mesures susceptibles de porter l'atteinte la plus importante aux droits et libertés constitutionnellement garantis . Seraient concernés les articles 1 er A à 3 de la proposition de loi, c'est-à-dire les mesures destinées à prévenir les risques de débordements dans le cadre des manifestations et rassemblements sur la voie publique.

L'article 3 bis prévoit, à cette fin :

- une évaluation annuelle de l'application des dispositions prévues par les articles 1 er A à 3 de la présente proposition de loi ;

- la possibilité pour l'Assemblée nationale et le Sénat de requérir, dans ce cadre, toute information nécessaire à leur activité d'évaluation et de contrôle ;

- la remise annuelle au Parlement d'un rapport détaillé sur l'application de ces dispositions.

Bien qu'elle ne soit pas favorable à la multiplication des demandes de rapports au Parlement, votre commission a souscrit à la mise en place d'un contrôle parlementaire renforcé . Elle a en effet considéré que l'atteinte susceptible d'être portée aux droits et libertés constitutionnellement garantis, en particulier s'agissant des mesures d'interdiction administrative de participer à une manifestation prévues par l'article 2, justifiait un contrôle approfondi et régulier par le Parlement.

Elle a observé que l'article 3 bis adopté par l'Assemblée nationale ne conférait pas des prérogatives identiques à celles prévues dans le cadre de la loi du 30 octobre 2017. Ainsi, il ne prévoit pas que soient transmis au Parlement tous les actes, y compris individuels, pris en application des dispositions de la loi. Votre commission note toutefois que les parlementaires bénéficieraient d'un droit d'information renforcé et pourraient exiger du Gouvernement toute information utile à l'exercice de leur contrôle.

Votre commission a adopté l'article 3 bis sans modification .

CHAPITRE II
DISPOSITIONS PÉNALES

Article 4
(art. 431-9-1 [nouveau] du code pénal)
Délit de dissimulation du visage dans une manifestation

L'article 4 de la proposition de loi tend à instaurer un délit de dissimulation du visage au sein ou aux abords immédiats d'une manifestation sur la voie publique, mentionné dans un nouvel article 431-9-1 du code pénal.

1. Le dispositif adopté par le Sénat en première lecture

En première lecture, le Sénat a souhaité la création de ce délit de dissimulation du visage, au sein ou aux abords immédiats d'une manifestation sur la voie publique, qui serait passible d'une peine d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende

Ce délit aurait vocation à se substituer à la contravention prévue, depuis 2009, à l'article R. 645-14 du code pénal. Cette disposition réglementaire punit d'une amende 17 ( * ) le fait, pour une personne, au sein ou aux abords immédiats d'une manifestation sur la voie publique, de dissimuler volontairement son visage afin de ne pas être identifiée dans des circonstances faisant craindre des atteintes à l'ordre public .

La création d'un délit présente un avantage important, sur le plan opérationnel, par rapport à une simple contravention : elle rend possible l'interpellation et le placement en garde à vue des auteurs de l'infraction, ce qui n'est pas possible aujourd'hui 18 ( * ) . Il devrait donc en résulter un gain réel en termes d'efficacité de la réponse pénale. L'alourdissement de la peine encourue devrait également rendre la sanction plus dissuasive.

Le Sénat avait prévu que la dissimulation du visage ne pourrait toutefois être sanctionnée dans deux hypothèses :

- lorsqu'elle se produit dans le cadre de manifestations conformes aux usages locaux , ce qui permettrait de masquer son visage à l'occasion d'un défilé costumé comme le carnaval de Nice par exemple ;

- lorsqu'elle est justifiée par un motif légitime , ce dernier critère laissant une marge d'appréciation au juge.

Votre commission des lois avait veillé à caractériser précisément l'élément moral de l'infraction, c'est-à-dire l'existence d'une intention ou d'une imprudence, afin de garantir la constitutionnalité du délit, au regard du principe de légalité des délits et des peines, et sa conventionalité, au regard notamment des articles 10 et 11 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (CEDH), relatifs à la liberté d'expression et à la liberté de réunion et d'association.

C'est pourquoi elle avait complété la définition du délit en précisant que la dissimulation du visage doit être opérée afin de ne pas être identifié dans des circonstances faisant craindre des atteintes à l'ordre public . Elle avait ainsi repris les termes qui figurent aujourd'hui à l'article R. 645-14 du code pénal

2. Une rédaction simplifiée par l'Assemblée nationale

À l'Assemblée nationale, la commission des lois a d'abord adopté un amendement de sa rapporteure, et des députés membres du groupe La République En Marche, afin de mieux caractériser encore l'élément intentionnel de l'infraction.

Deux précisions ont été apportées par cet amendement : d'une part, le délit serait constitué si la personne dissimule son visage au sein ou aux abords immédiats d'une manifestation « au cours ou à l'issue de laquelle des troubles à l'ordre public sont commis ou, en raison des circonstances, risquent d'être commis » ; d'autre part, elle devrait procéder à cette dissimulation « afin de participer ou d'être en mesure de participer à la commission de ces troubles sans pouvoir être identifiée ». Ce faisant, la commission a voulu détailler les circonstances permettant de sanctionner ce comportement et insister sur son élément intentionnel : l'auteur de la dissimulation a en réalité pour objectif de participer à des troubles à l'ordre public sans être identifié.

En séance publique, l'Assemblée nationale a pourtant opté pour une rédaction beaucoup plus concise de cet article.

Elle a en effet adopté, sur l'avis défavorable de la commission et l'avis de sagesse du Gouvernement, un amendement présenté par la députée Laurence Vichnievsky (Modem), dont le dispositif a été jugé plus opérationnel que celui de la commission.

Cette nouvelle rédaction permet de sanctionner le fait, pour une personne, au sein ou aux abords immédiats d'une manifestation sur la voie publique, au cours ou à l'issue de laquelle des troubles à l'ordre public sont commis ou risquent d'être commis, de « dissimuler volontairement tout ou partie de son visage sans motif légitime ».

La précision selon laquelle la dissimulation a pour but de commettre des troubles à l'ordre public sans être identifiée a donc été supprimée, de même que la référence aux usages locaux, considérés comme un motif légitime parmi d'autres de dissimulation du visage.

3. La position de la commission

Votre rapporteur s'est interrogé sur la rédaction adoptée par l'Assemblée nationale, qui peut paraître en retrait par rapport à l'effort de caractérisation de l'élément intentionnel qu'avait effectué votre commission des lois.

Les personnes entendues par votre rapporteur ont toutefois souligné qu'il reviendrait aux magistrats d'apprécier l'élément intentionnel de l'infraction, en examinant si la personne mise en cause avait ou non un motif légitime de se couvrir le visage.

La charge de la preuve incombant à l'accusation en matière pénale, il appartiendra au parquet d'apporter des éléments de preuve tendant à établir que la personne mise en cause n'avait pas de motif légitime de se couvrir le visage. Cet article ne procède donc pas à une inversion de la charge de la preuve, contrairement à ce qui a pu être dit lors des débats à l'Assemblée. Si tel avait été le cas, votre commission n'aurait pu l'accepter , car elle auraitsoulevé de sérieux problèmes de constitutionnalité au regard du principe de la présomption d'innocence, dont le Conseil constitutionnel a déduit que la charge de la preuve incombe au ministère public 19 ( * ) .

Les représentants de la police et de la gendarmerie nationales, entendus par votre rapporteur, ont insisté sur la nécessité de disposer d'un texte opérationnel et estimé qu'il serait très difficile d'établir devant une juridiction que la personne mise en cause a dissimulé son visage dans le but de ne pas être reconnue. Les procès-verbaux de constatation établis par les agents sur le terrain seront très utiles pour montrer que la personne interpellée était animée d'intentions malveillantes.

Ils ont également souligné que ce nouveau délit présentait un grand intérêt du point de vue de l'objectif du maintien de l'ordre, en permettant l'interpellation d'individus dangereux qui seront ainsi empêchés de commettre des troubles à l'ordre public à l'occasion de la manifestation.

Compte tenu de l'attente exprimée par nos forces de sécurité, et des assurances données par le Gouvernement concernant la solidité juridique de cet article 4, votre commission a choisi de se rallier à la rédaction retenue par l'Assemblée nationale de manière à permettre l'entrée en vigueur de ce dispositif dans des délais rapprochés.

Votre commission a adopté l'article 4 sans modification.

Article 5
(art. 431-10 et 431-12 du code pénal)
Sanction du port d'arme et du jet de projectile lors d'une manifestation

L'article 5 de la proposition de loi, supprimé par l'Assemblée nationale, visait à réécrire l'article 431-10 du code pénal afin d'élargir les incriminations prévues par cet article.

1. Le dispositif adopté par le Sénat en première lecture

En première lecture, le Sénat avait adopté une nouvelle rédaction de l'article 431-10 du code pénal tendant à punir de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende le fait :

- d' introduire ou de porte r une arme ou, sans motif légitime, tout objet susceptible de constituer une arme , y compris des fusées et artifices, dans une réunion publique, dans une manifestation sur la voie publique ou à ses abords immédiats ;

- de jeter un projectile présentant un danger pour la sécurité des personnes dans une manifestation sur la voie publique.

Le Sénat avait également souhaité punir des mêmes peines la tentative de ces délits.

Votre commission avait toutefois noté que le droit en vigueur permettait déjà de réprimer la plupart des infractions qui viennent d'être énumérées. L'intérêt de cet article 5 était donc surtout pédagogique, en explicitant davantage certaines incriminations.

Dans sa rédaction actuelle, l'article 431-10 du code pénal punit en effet de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende le fait de participer à une manifestation ou à une réunion publique en étant porteur d'une arme.

De plus, l'article 132-75 du code pénal retient une définition extensive de la notion d'arme : tout objet conçu pour tuer ou blesser ; mais aussi, tout objet susceptible de présenter un danger pour les personnes dès lors qu'il est utilisé pour tuer, blesser ou menacer ou qu'il est destiné par celui qui en est porteur à tuer, blesser ou menacer. En pratique, la jurisprudence a assimilé de nombreux objets à une arme, y compris des objets ramassés sur le parcours d'une manifestation.

S'agissant du jet de projectile, il peut aujourd'hui être poursuivi et réprimé sur le fondement de l'article 222-13 du code pénal, qui punit de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende les violences n'ayant entraîné aucune incapacité de travail lorsqu'elles ont été commises en faisant usage d'une arme.

2. La suppression de cet article par l'Assemblée nationale

Considérant que les dispositions de l'article 5 sont, pour l'essentiel, satisfaites par le droit existant et par l'état de la jurisprudence, la commission des lois de l'Assemblée nationale a décidé, sur proposition de sa rapporteure, de M. Jean-Félix Acquaviva et plusieurs députés du groupe Libertés et Territoires, de Mme Marietta Karamanli et plusieurs députés du groupe Socialistes et apparentés, de M. Ugo Bernalicis et les membres du groupe La France Insoumise ainsi que de M. Jacques Marilossian et plusieurs députés du groupe La République En Marche, de supprimer ledit article.

Cette suppression n'a pas été remise en cause en séance publique.

3. La position de votre commission

Les auditions auxquelles a procédé votre rapporteur ont confirmé que l'apport de cet article 5 était des plus limités et qu'il n'était donc pas justifié de demander son rétablissement.

Votre rapporteur s'est interrogé sur l'intérêt de pénaliser la tentative de port d'arme dans une manifestation. Cette disposition avait initialement été envisagée en lien avec la création, à l'article 1 er , de périmètres de contrôle lors des manifestations : au cours d'une inspection visuelle, un agent de police aurait pu constater qu'un individu tentait d'introduire une arme dans la manifestation, ce qui aurait pu donner lieu à des poursuites.

L'abandon de ces périmètres de contrôle réduit l'intérêt de cette mesure : si une personne porte une arme, l'actuel délit de port d'arme dans une manifestation est commis dès que la personne arrive dans la manifestation et celle-ci peut être immédiatement interpellée. La tentative d'introduire une arme, si elle était pénalisée, viserait donc un comportement antérieur à l'arrivée de la personne dans la manifestation. Or, avant cette arrivée, on voit mal comment, en l'absence de périmètre de contrôle, pourrait être caractérisée son intention ferme de se rendre armée dans la manifestation.

Pour ces raisons, votre commission a estimé qu'il n'y avait pas lieu de revenir sur la suppression décidée par l'Assemblée nationale.

Votre commission a donc confirmé la suppression de l'article 5.

Article 6
(art. 131-32-1 [nouveau], 222-47, 322-15, 431-8-1[nouveau], 431-11,
434-38-1 [nouveau] du code pénal ;
art. L. 211-13 [abrogé] du code de la sécurité intérieure)
Peine complémentaire d'interdiction de participer à des manifestations
sur la voie publique et élargissement des peines complémentaires applicables aux délits de participation délictueuse à une manifestation

Cet article vise principalement à modifier la peine complémentaire d'interdiction de participer à des manifestations sur la voie publique et à étendre le champ d'application de cette peine complémentaire.

1. Le dispositif initial de la proposition de loi

Dans sa version initiale, cet article poursuivait trois objectifs.

Tout d'abord, il tendait à faire évoluer le contenu de la peine complémentaire d'interdiction de participer à des manifestations sur la voie publique, prévue à l'article L. 211-13 du code de la sécurité intérieure.

Cette peine complémentaire peut être prononcée, en plus d'une peine principale, pour une durée maximale de trois ans , lorsque la personne poursuivie a été reconnue coupable de certaines infractions commises lors du déroulement de manifestations sur la voie publique : des violences, réprimées par les articles 222-7 à 222-13 du code pénal, ou certaines destructions, dégradations ou détériorations de biens, réprimées par les articles 322-1 à 322-3 et 322-6 à 322-10 du même code. La décision de condamnation précise les lieux dans lesquels s'applique cette interdiction.

La proposition de loi tendait à introduire une obligation de pointage pendant le temps des manifestations, dont le non-respect aurait été pénalement sanctionné. En parallèle, elle tendait à supprimer l'obligation pour la juridiction de préciser les lieux faisant l'objet de l'interdiction de manifester et prévoyait l'information obligatoire du préfet de toute condamnation à cette peine complémentaire.

En deuxième lieu, la proposition de loi visait à élargir le champ d'application de cette peine complémentaire à cinq nouvelles infractions : le fait de tracer des inscriptions, signes ou dessins (autrement dit, des tags) sans autorisation sur des façades, véhicules, voies publiques ou sur le mobilier urbain, infraction réprimée par le second alinéa de l'article 322-1 du code pénal ; la participation à un groupe violent (article 222-14-2 du même code) ; la participation délictueuse à une manifestation illicite sur la voie publique (article 431-9 dudit code) ; le nouveau délit de dissimulation du visage pendant une manifestation, tel qu'il résulte de l'article 4 de la proposition de loi ; enfin, le délit de port d'arme et de jet de projectile lors d'une manifestation sur la voie publique ou d'une réunion publique, tel qu'il résultait de l'article 5 de la proposition de loi.

En dernier lieu, la proposition de loi envisageait d'étendre le champ d'application des peines complémentaires d'interdiction des droits civiques, civils et de famille, et d'interdiction de séjour . Aujourd'hui encourues seulement en cas de port d'arme lors d'une manifestation, ces peines complémentaires seraient étendues aux délits de participation à une manifestation illicite sur la voie publique et aux deux nouveaux délits prévus aux articles 4 et 5 de la proposition de loi.

2. Le dispositif adopté par le Sénat en première lecture

En première lecture, le Sénat a choisi de déplacer les dispositions relatives à la peine complémentaire d'interdiction de manifester sur la voie publique de l'article 211-13 du code de la sécurité intérieure, qui serait en conséquence abrogé, vers deux nouveaux articles 131-32-1 et 434-8 du code pénal. L'objectif était que ces dispositions soient mieux connues, et plus souvent appliquées, par le juge correctionnel, qui est souvent plus familier du code pénal que du code de la sécurité intérieure.

Sur le fond, le Sénat a décidé de maintenir l'obligation pour la juridiction de fixer les lieux faisant l'objet de l'interdiction de manifester , afin de garantir la conformité du dispositif à la Constitution. Dans sa décision n° 94-352 DC du 18 janvier 1995, le Conseil constitutionnel avait estimé que cette peine complémentaire ne méconnaissait pas les exigences constitutionnelles de la liberté individuelle, de la liberté d'aller et de venir et du droit d'expression collective des idées et des opinions au motif que l'interdiction de manifester était « limitée à des lieux fixés par la décision de condamnation ».

Le Sénat a également précisé les conditions de mise en oeuvre du pointage, qui aurait emporté, pour le condamné, l'obligation de répondre, le temps des manifestations, aux convocations de toute autorité publique désignée par la juridiction de jugement, sous réserve que l'obligation de pointage soit proportionnée au regard du comportement de la personne.

Il a enfin supprimé l'obligation d'information du préfet de toute condamnation à la peine complémentaire, au bénéfice des dispositifs de droit commun permettant l'information des forces de l'ordre, notamment l'alimentation du fichier des personnes recherchées.

3. Un dispositif complété par l'Assemblée nationale

Sur proposition de sa rapporteure et des députés du groupe La République En Marche, la commission des lois de l'Assemblée nationale est revenue sur trois dispositions adoptées par le Sénat.

Concernant tout d'abord la peine complémentaire d'interdiction de manifester, elle a supprimé la possibilité qui était donnée au juge de l'application des peines de modifier la liste des lieux dans lesquels s'appliquait cette interdiction , au motif qu'il n'appartient pas à un tel juge de modifier une décision de condamnation.

Elle a également supprimé l'obligation de pointage , jugée complexe à mettre en oeuvre, peu opérationnelle - lorsqu'une manifestation dure toute une journée, la personne condamnée pourrait sans difficulté satisfaire à son obligation de pointage avant de se rendre sur les lieux de la manifestation - et inutile au regard du caractère dissuasif de la sanction prévue en cas de violation de l'interdiction de manifester (un an d'emprisonnement et 15 000 euros d'amende).

Enfin, elle n'a pas retenu l'extension de l'application de cette peine complémentaire aux tags , considérant que la peine complémentaire aurait été excessive au regard des peines principales encourues (travail d'intérêt général et amende).

En séance publique, l'Assemblée nationale a confirmé ces modifications et a adopté un amendement du Gouvernement tendant à ce que les procédures rapides (convocation par procès-verbal, comparution immédiate et comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité) puissent être appliquées aux délits liés à un attroupement .

Les délits en lien avec un attroupement

La section 2 du chapitre 1 er du titre III du livre IV du code pénal, intitulée « De la participation délictueuse à un attroupement », comporte une série d'infractions en lien avec un attroupement.

L'article 431-3 du code pénal définit tout d'abord un attroupement comme tout rassemblement de personnes sur la voie publique ou dans un lieu public susceptible de troubler l'ordre public. Un attroupement peut être dissipé par la force publique, après sommations.

L'article 431-4 du même code punit d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende le fait de continuer à participer à un attroupement après les sommations . La peine encourue est alourdie lorsque l'auteur des faits dissimule volontairement son visage afin de ne pas être identifié (trois ans d'emprisonnement et 45 000 euros d'amende).

L'article 431-5 réprime ensuite le fait de participer à un attroupement en étant porteur d'une arme (trois ans d'emprisonnement et 45 000 euros d'amende). La peine est portée à cinq ans d'emprisonnement et 75 000 euros d'amende si l'auteur porteur d'une arme continue à participer à l'attroupement après sommations ou s'il dissimule son visage afin de ne pas être identifié.

Enfin, l'article 431-6 punit d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende la provocation à un attroupement armé . La peine est portée à sept ans de prison et 100 000 euros d'amende si la provocation a été suivie d'effet.

La Cour de cassation a qualifié ces délits en lien avec un attroupement de délits politiques 20 ( * ) , ce qui a des conséquences sur le plan procédural.

L'article 397-6 du code de procédure pénal dispose en effet que les procédures de convocation par procès-verbal et de comparution immédiate ne s'appliquent pas aux délits politiques.

Convocation par procès-verbal et comparution immédiate

Ces deux procédures, définies aux articles 393 à 397-7 du code de procédure pénale, visent à procéder plus rapidement au jugement d'une affaire.

Le recours à la convocation sur procès-verbal est décidé par le procureur de la République, qui auditionne l'auteur supposé de l'infraction juste après sa garde à vue. Elle permet de juger la personne mise en cause dans un délai de six mois suivant la garde à vue, dans des affaires simples qui ne nécessitent pas une enquête approfondie.

Plus connue, la procédure de comparution immédiate permet au procureur de faire juger la personne mise en cause dès la fin de sa garde à vue . Cette procédure peut être utilisée pour les délits punis d'au moins deux ans d'emprisonnement (six mois en cas de flagrance). Lors de l'audience, le prévenu peut refuser d'être jugé immédiatement, ce qui entraîne alors le report du procès.

De même, l'article 495-16 du code de procédure pénale dispose que la procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC) ne s'applique pas aux délits politiques.

La comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité

La comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC) (appelée aussi « plaider-coupable » ) permet d'éviter un procès à une personne qui reconnaît les faits qui lui sont reprochés.

La procédure se déroule de la manière suivante : le procureur de la République propose à la personne mise en cause d'exécuter une ou plusieurs peines ; si elle l'accepte, le procureur saisit le président du tribunal correctionnel en vue d'une audience d'homologation ; le président du tribunal décide d'homologuer ou de rejeter la proposition du procureur, sans pouvoir la modifier.

Souvent proposée au stade de l'enquête préliminaire, la CRPC peut aussi être proposée à l'issue d'une information judiciaire. Si le juge d'instruction estime que les faits constituent un délit, que la personne mise en examen reconnaît les faits et qu'elle accepte la qualification pénale retenue, il peut, à la demande ou avec l'accord du procureur, du mis en examen et de la partie civile, prononcer par ordonnance le renvoi de l'affaire au procureur aux fins de mise en oeuvre d'une CRPC.

Le Gouvernement a estimé qu'il serait utile que ces procédures rapides puissent être appliquées aux délits liés à un attroupement, afin d'apporter une réponse pénale rapide à des comportements se plaçant délibérément en dehors du cadre de l'exercice de la liberté de manifestation.

4. La position de votre commission

Votre commission se félicite, en premier lieu, que l'Assemblée nationale ait conservé la plupart les dispositions prévues à cet article.

La principale différence entre la version du texte adoptée par le Sénat et celle adoptée par l'Assemblée nationale réside dans la suppression de l'obligation de pointage. Les personnes entendues par votre rapporteur ont confirmé que sa mise en oeuvre serait complexe, ne serait-ce qu'en raison de la difficulté de se tenir informé de l'ensemble des manifestations susceptibles d'être organisées, et sans doute peu efficace dans la mesure où le pointage ne saurait entraîner l'obligation pour la personne concernée de rester au commissariat pendant toute la durée d'une manifestation. Certaines manifestations pouvant durer plusieurs heures, le respect de l'obligation de pointage ne constituerait donc pas une garantie de non-participation à la manifestation.

Votre commission juge donc acceptable la décision prise par l'Assemblée nationale de supprimer cette disposition.

Elle approuve également les modifications apportées en ce qui concerne les procédures de comparution, convaincue de l'intérêt d'apporter une réponse rapide à ce type d'infractions afin de lutter contre la répétition de tels actes.

Il arrive aujourd'hui que les parquets engagent des poursuites en dénaturant la qualification juridique des faits, de manière à pouvoir obtenir une comparution à délai plus rapproché, ce qui aboutit fréquemment à des relaxes. Cette modification législative permettra un jugement plus rapide de ces affaires en donnant aux faits de chaque espèce leur véritable qualification juridique.

Votre commission a adopté cet article sans modification .

Article 6 bis (nouveau)
(art. 138 du code de procédure pénale)
Interdiction de manifester dans le cadre d'un contrôle judiciaire

Cet article, introduit par la commission des lois de l'Assemblée nationale à l'initiative de sa rapporteure, propose de compléter la liste des obligations et interdictions auxquelles une personne peut être astreinte dans le cadre d'un contrôle judiciaire , en ajoutant l'interdiction de manifester dans certains lieux déterminés.

1. Le cadre juridique du contrôle judiciaire

Le contrôle judiciaire est une mesure qui soumet la personne mise en cause dans une affaire pénale à une ou plusieurs obligations ou interdictions, dans l'attente de son procès. Le contrôle judiciaire fait partie, avec la détention provisoire ou l'assignation à résidence sous surveillance électronique, des mesures de sûreté pouvant être ordonnées avant jugement.

Le contrôle judiciaire intervient principalement dans trois hypothèses : il peut être prononcé par le juge d'instruction dans le cadre d'une information judiciaire à l'encontre d'une personne mise en examen ; il peut être décidé par le juge des libertés et de la détention, à la demande du procureur de la République, dans l'attente de la date du procès ; il peut enfin être ordonné par le tribunal correctionnel, notamment en cas de renvoi à une date ultérieure de l'audience de jugement.

L'article 138 du code de procédure pénale prévoit que le contrôle judiciaire peut être ordonné uniquement si une personne encourt une peine d'emprisonnement.

Les obligations et interdictions que le magistrat peut prononcer sont limitativement énumérées à l'article 138 précité. Y figurent par exemple l'interdiction d'entrer en contact avec certaines personnes désignées (victime ou complice présumées) ou encore l'interdiction de se rendre dans certains lieux déterminés.

En vertu de l'article 141-2 du code de procédure pénale, la personne qui ne respecte pas son contrôle judiciaire s'expose à être placée en détention provisoire.

2. Les dispositions adoptées par l'Assemblée nationale

L'article 6 bis propose d'ajouter à la liste des obligations et interdictions prévues par l'article 138 du code de procédure pénale l'interdiction de manifester dans des lieux déterminés .

Actuellement, le contrôle judiciaire peut comporter l'interdiction, pour le mis en cause, de se rendre dans certains lieux, mais sans viser une activité en particulier.

Il s'agit donc de doter les magistrats d'un outil supplémentaire en leur permettant d'interdire au mis en cause de manifester en des lieux où il pourrait en revanche continuer à se rendre pour accomplir d'autres actes de la vie courante. Pour la rapporteure de l'Assemblée nationale, une telle interdiction pour des personnes déjà mises en cause pour des infractions en lien avec des manifestations permettrait de limiter, à l'occasion de ces évènements, le risque de réitération dans l'attente du procès.

3. La position de votre commission

La modification proposée permettrait en effet d'apporter une restriction ciblée et adaptée à la liberté d'aller et venir des personnes mises en cause pour des infractions survenues à l'occasion de manifestations. Le non-respect de cette obligation pourrait entraîner pour ces personnes une décision d'incarcération.

Votre rapporteur observe toutefois que la disposition adoptée par l'Assemblée nationale ne permet pas l'interpellation immédiate d'une personne placée sous contrôle judiciaire, en dehors de la commission de toute infraction, sur le fondement de l'article 141-4 du code procédure pénale. Cet article prévoit que les services de police ou de gendarmerie peuvent placer une personne soupçonnée d'avoir violé ses obligations en rétention judiciaire , pour une durée maximale de 24 heures, afin de l'entendre sur le non-respect de ses obligations.

Toutefois, le placement en rétention judicaire n'est possible qu'en cas de violation de certaines obligations énumérées à l'article 138 du code de procédure pénale. Or, comme l'Assemblée nationale n'a pas ajouté à l'article 141-4 du code de procédure pénale la nouvelle interdiction de manifester dans des lieux déterminés, une interpellation pour sa violation ne pourra donc pas intervenir.

Malgré cet oubli qui met en cause le caractère opérationnel de ce dispositif, votre rapporteur a proposé d'adopter cet article dans sa rédaction issue des travaux de l'Assemblée nationale, afin de ne pas compromettre l'entrée en vigueur dans les meilleurs délais des nombreuses autres dispositions contenues dans cette proposition de loi très attendues par les services de police et de gendarmerie.

La commission a adopté cet article sans modification .

CHAPITRE III
RESPONSABILITÉ CIVILE

Article 7
(art. L. 211-10 du code de la sécurité intérieure)
Responsabilité civile pour les dommages
causés lors d'une manifestation

Dans sa rédaction initiale, l'article 7 de la proposition de loi tendait à créer une présomption de responsabilité civile « collective » des personnes condamnées pénalement pour des infractions commises à l'occasion du déroulement d'une manifestation sur la voie publique pour la réparation des dommages de toute nature résultant de ladite manifestation.

Une telle rédaction semblait aller à l'encontre des règles fondamentales de la responsabilité civile puisqu'une action civile en réparation ne peut aboutir, en principe, que si est rapportée par la victime la triple preuve d'un fait générateur de responsabilité, d'un préjudice réparable et d'un lien de causalité entre le fait et le préjudice.

De plus, elle paraissait ne pas être conforme au bloc de constitutionnalité. Il résulte, en effet, de l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 que tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer. L'atteinte portée à ce principe de responsabilité personnelle et directe ne peut être admise qu'à la condition « que l'obligation qu'elle crée soit en rapport avec un motif d'intérêt général ou de valeur constitutionnelle et proportionnée à cet objectif » 21 ( * ) . Toutefois, les dispositions initiales de l'article 7 ne paraissaient pas répondre à cette condition.

C'est pour l'ensemble de ces raisons que votre commission avait préféré abandonner le dispositif initial pour lui privilégier le régime de responsabilité de l'État pour les dommages dus aux attroupements et rassemblements, défini à l'article L. 211-10 du code de la sécurité intérieure.

Cependant, elle avait jugé nécessaire de s'assurer que les responsables, sur le plan pénal, de ces dommages participent effectivement à l'indemnisation des victimes . Elle avait donc proposé de compléter l'article L. 211-10 du code de la sécurité intérieure en y introduisant la possibilité pour l'État d'exercer « une action récursoire contre les personnes ayant participé à tout attroupement ou rassemblement armé ou non armé, lorsque leur responsabilité pénale a été reconnue par une décision de condamnation devenue définitive . »

La commission des lois de l'Assemblée nationale a précisé les modalités d'exercice par l'État de son action récursoire. Estimant que l'imputabilité du dommage aux auteurs devrait pouvoir s'établir par tout moyen, elle a souhaité détacher la possibilité d'une action récursoire de la nécessité d'une condamnation pénale . Elle a également indiqué que le recours ne devait être ouvert que contre les personnes à l'origine du fait dommageable.

Enfin, la commission des lois de l'Assemblée nationale a voulu établir les conditions exactes dans lesquelles l'action récursoire contre les auteurs du fait dommageable devrait s'exercer, choisissant pour ce faire les conditions de droit commun prévues aux articles 1240 et suivants du code civil. Compte tenu de ce renvoi, une telle action ne serait donc recevable que si la triple preuve d'un fait générateur de responsabilité (faute ou fait d'une chose), d'un préjudice réparable et d'un lien de causalité entre ce fait et le préjudice était rapportée par la victime.

Votre commission constate que les précisions apportées par l'Assemblée nationale respectent et renforcent les principes qui l'avaient amenée à réécrire l'article 7. La volonté d'adresser un message de fermeté aux manifestants à l'origine des dommages par l'inscription de la possibilité par l'État d'exercer une action récursoire contre eux et d'inciter l'État à y avoir davantage recours est préservée. La disposition pourra être plus facilement mise en oeuvre puisque l'action récursoire pourra s'exercer sans qu'une condamnation pénale soit nécessaire, sur le seul fondement de la responsabilité civile. Cette dernière, telle que formulée aux articles 1240 et suivants du code civil, présente toute les garanties constitutionnelles nécessaires.

Votre commission a adopté l'article 7 sans modification .

*

* *

Votre commission a adopté la proposition de loi sans modification .

EXAMEN EN COMMISSION

___________

Mercredi 6 mars 2019

M. Philippe Bas , président . - Nous abordons maintenant l'examen de la proposition de loi de M. Bruno Retailleau, qui a été adoptée avec modifications par l'Assemblée nationale, et sur laquelle il nous revient de nous prononcer en deuxième lecture.

Mme Catherine Troendlé , rapporteur . - Le 5 février 2018, l'Assemblée nationale a adopté la proposition de loi visant à renforcer et garantir le maintien de l'ordre public. Déposée par le président Bruno Retailleau et plusieurs de nos collègues, cette proposition de loi avait été adoptée par notre assemblée le 23 octobre dernier.

Elle poursuivait deux objectifs principaux : doter l'autorité administrative et les forces de l'ordre de nouveaux outils pour prévenir la commission d'actes de violence et de dégradations, dans le cadre des manifestations se déroulant sur la voie publique, et permettre à l'autorité judiciaire d'apporter une réponse plus rapide et plus ferme contre les auteurs de ces actes.

Lors de l'examen au Sénat, le Gouvernement s'était montré réticent et il avait émis un avis de sagesse sur la plupart des dispositions en discussion, car il considérait que le texte présentait des faiblesses sur le plan opérationnel et des risques d'inconstitutionnalité.

Le 4 décembre dernier, à l'occasion d'une audition sur les débordements des manifestations des gilets jaunes, MM. Christophe Castaner et Laurent Nuñez avaient, à nouveau, souligné les limites des dispositions adoptées par le Sénat, estimant qu'elles « méritaient d'être retravaillées, notamment pour être constitutionnelles ». Faisant soudain preuve d'un grand intérêt pour ce texte, le Gouvernement a demandé, en début d'année, son inscription à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale. Je me réjouis de cette évolution, mais il est regrettable que tant de temps ait été perdu.

Le Sénat avait voté ce texte pour répondre aux graves débordements constatés à l'occasion de plusieurs manifestations, en particulier celles du 1 er mai 2018. Nous avions alors été accusés de faire preuve d'opportunisme et de proposer un texte de circonstance. Les évènements qui ont suivi son adoption au Sénat prouvent, au contraire, qu'il comportait des dispositifs pertinents et utiles : les actes de violence et les dégradations commis en marge des manifestations des gilets jaunes, d'une ampleur inédite, témoignent de l'urgence à doter nos forces de l'ordre et l'autorité judiciaire de nouveaux outils. Nous ne pouvons tolérer que, chaque semaine, des groupes de casseurs sèment le trouble en plusieurs points du territoire, s'en prenant aussi bien aux forces de l'ordre qu'à nos institutions et aux symboles de notre République.

Avant d'en venir au texte, je souhaiterais anticiper les critiques qui, légitimement, s'expriment à l'encontre de certaines dispositions. Nous avions d'ailleurs eu un débat animé au Sénat, en séance publique, lors de la première lecture. Nous restons tous, moi la première, profondément attachés au droit de manifester qui constitue un droit constitutionnellement garanti. Ce texte n'a pas et n'a jamais eu pour objet d'entraver l'exercice de ce droit ; il s'agit précisément de le garantir. Il cible un petit nombre de délinquants qui, par leurs actes violents, prennent en otage ceux de nos concitoyens qui défendent des revendications légitimes de justice sociale.

Ce texte comporte deux volets : l'un préventif, avec diverses dispositions de police administrative destinées à mieux anticiper et éviter les risques de débordements, l'autre répressif, qui sanctionne plus sévèrement les auteurs de violence et de dégradations dans les manifestations.

S'agissant du volet préventif, l'Assemblée nationale a souscrit à la position du Sénat en première lecture et a approuvé la plupart des dispositions que nous avions adoptées. Elle leur a toutefois apporté plusieurs modifications, afin de s'assurer de leur caractère opérationnel.

L'article 1 er adopté par le Sénat prévoyait de confier au préfet la possibilité d'instaurer des périmètres de contrôles au sein et aux abords des manifestations. Plutôt que de créer une nouvelle mesure de police administrative, l'Assemblée nationale a préféré créer un nouveau régime de contrôles de police judiciaire, sur réquisitions du procureur de la République. L'objet de ces contrôles serait limité : il ne s'agirait pas d'autoriser des contrôles d'identité généralisés, mais seulement de permettre des fouilles de sac et de véhicules afin d'éviter l'introduction d'armes ou d'objets susceptibles de constituer une arme dans une manifestation. Le dispositif adopté par les députés a le même objectif que celui du Sénat. Selon les représentants des forces de l'ordre que j'ai reçus en audition, il présenterait l'avantage d'être plus souple sur le plan opérationnel. La rédaction de l'Assemblée me semble donc parfaitement équilibrée.

L'Assemblée nationale a également souscrit, malgré quelques réticences initiales, à l'article 2, qui prévoit la création d'une mesure d'interdiction administrative de participer à une manifestation. Le Sénat avait été très attentif à entourer cette mesure de suffisamment de garanties. Les députés les ont, pour la plupart, conservées, en particulier s'agissant du droit au recours effectif. Dans le but de répondre aux besoins opérationnels constatés sur le terrain, l'Assemblée a toutefois élargi sensiblement le périmètre de la mesure. En premier lieu, son champ d'application a été redéfini. L'interdiction de manifester pourrait désormais être prononcée dans deux hypothèses : soit à l'encontre d'une personne ayant commis un ou plusieurs actes violents à l'occasion de précédentes manifestations, y compris lorsqu'elle n'a pas été encore condamnée pour ces faits ; soit à l'encontre d'une personne qui constitue une menace d'une particulière gravité pour l'ordre public en raison de ses « agissements » récurrents à l'occasion de précédentes manifestations.

En second lieu, les députés ont prévu la possibilité pour le préfet de prononcer des interdictions de manifester valables sur tout le territoire, pour une durée pouvant aller jusqu'à un mois. Une telle mesure ne serait applicable que lorsque la personne concernée est susceptible de participer à plusieurs manifestations concomitantes sur le territoire ou successives dans le temps. Je me suis demandé si cet élargissement de la mesure conservait un caractère suffisamment proportionné au regard de ses effets potentiels sur l'exercice du droit de manifester et de la liberté d'aller et venir. Plusieurs garanties m'ont été apportées par les représentants du ministère de l'intérieur. Il m'a été indiqué que l'application de cette mesure serait très ciblée : seules les personnes les plus dangereuses seraient concernées, quelques dizaines seulement à Paris, tout au plus quelques centaines sur l'ensemble du territoire. Il s'agit bien de tenir à l'écart de la manifestation les « casseurs », qui n'ont pas pour objectif de manifester pacifiquement, mais de causer des dégâts. En outre, les arrêtés d'interdiction seront soumis au contrôle du juge administratif, qui s'assurera de leur caractère nécessaire et proportionné, comme il le fait déjà pour toutes les autres mesures de police administrative.

À l'article 3, l'Assemblée nationale a préféré prévoir une inscription des mesures d'interdiction de manifester dans le fichier des personnes recherchées plutôt que de créer un nouveau fichier ad hoc . Cette modification est cohérente, dès lors que ce fichier est déjà facilement accessible par les forces de police et de gendarmerie.

Les députés ont enfin complété ce volet préventif de deux articles additionnels : le premier assouplit les modalités de déclaration des manifestations auprès de l'autorité administrative, afin d'encourager leurs organisateurs à les déclarer. Cette modification ne soulève pas de difficulté, même si son efficacité réelle sur le nombre de déclarations reste à prouver. Le second prévoit un contrôle parlementaire renforcé, avec une évaluation annuelle par le Parlement des dispositions jugées sensibles en termes de libertés, et la remise d'un rapport annuel au Parlement sur leur application.

S'agissant maintenant du volet répressif, je m'attarderai sur l'article 4 relatif à la création d'un nouveau délit de dissimulation du visage au sein ou aux abords d'une manifestation, puni d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende.

En octobre, nous avions soutenu la création de ce délit, appelé à se substituer à l'actuelle contravention prévue par le code pénal. La création d'un délit présente de réels avantages sur le plan opérationnel : elle permettra en effet d'interpeller et de placer en garde à vue les personnes qui dissimulent leur visage, ce qui n'est pas possible aujourd'hui. En première lecture, notre commission avait veillé à bien caractériser l'élément intentionnel du délit, en précisant que la dissimulation du visage devait avoir pour objectif de ne pas être identifié dans des circonstances faisant craindre des troubles à l'ordre public. Craignant que cet élément ne soit difficile à établir devant les tribunaux, l'Assemblée nationale a retenu une rédaction plus concise : pourrait ainsi être sanctionné le fait, pour une personne, au sein ou aux abords immédiats d'une manifestation, au cours ou à l'issue de laquelle des troubles à l'ordre public sont commis ou risquent d'être commis, de dissimuler volontairement tout ou partie de son visage sans motif légitime.

Cette définition est-elle satisfaisante, au regard du principe constitutionnel de légalité des délits et des peines, qui impose de définir avec précision tous les éléments constitutifs d'une infraction pénale ? Les représentants du ministère de l'intérieur comme de la chancellerie estiment cette rédaction acceptable. L'existence d'un motif légitime sera déterminante pour apprécier l'élément intentionnel et prononcer éventuellement une condamnation. Il appartiendra au parquet d'établir devant le tribunal correctionnel que la personne mise en cause n'avait pas de raison légitime de se couvrir le visage. Compte tenu de ces assurances, et même si la rédaction que nous avions adoptée en première lecture était plus précise, je vous propose de nous en tenir au texte de l'Assemblée, afin de doter rapidement nos forces de l'ordre de ce nouvel outil juridique qui leur sera très utile pour extraire d'une manifestation les éléments perturbateurs.

J'en arrive à l'article 5, relatif au port d'arme et au jet de projectile lors des manifestations, que l'Assemblée nationale a supprimé, au motif que ses dispositions sont satisfaites par les textes et la jurisprudence en vigueur. En première lecture, nous avions nous-mêmes observé que cet article avait surtout une portée pédagogique : je ne vous proposerai donc pas de le rétablir.

En ce qui concerne la peine complémentaire d'interdiction de manifester prévue à l'article 6, les députés ont supprimé l'obligation de pointage, que nous avions envisagée en première lecture, considérant qu'elle serait difficile à mettre en pratique et peu opérationnelle, dans la mesure où le pointage n'empêcherait pas un individu de se rendre ensuite sur les lieux de la manifestation. Ils ont également supprimé l'extension de cette peine complémentaire aux auteurs de tags, la sanction paraissant, à juste titre, disproportionnée. Surtout, ils ont complété cet article en autorisant la mise en oeuvre des procédures rapides - comparution immédiate et comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité notamment - pour les délits liés aux attroupements. Ces dispositions permettront d'apporter une réponse pénale plus rapide à des délits tels que l'attroupement armé ou la provocation à un attroupement armé.

Enfin, l'article 7 traite de la mise en cause de la responsabilité civile des auteurs de dommages lors d'une manifestation : comme nous l'avions souhaité, l'État pourra engager une action récursoire, dans les conditions prévues par le code civil, afin d'en obtenir le remboursement.

En dépit des réserves que j'ai évoquées sur certaines rédactions, je vous propose d'adopter sans modification la proposition de loi. Des garanties importantes m'ont été apportées, tant par le ministère de l'intérieur que par la chancellerie, sur le travail mené par leurs services pour garantir un juste équilibre entre efficacité des mesures et respect des droits et libertés. Il appartiendra au Conseil constitutionnel, s'il venait à être saisi, de se prononcer sur les dispositions du texte. Dans le contexte actuel, il nous revient, en tant que législateurs, de faire preuve de responsabilité, en dotant nos forces de l'ordre des moyens nécessaires à la prévention des violences. Il ne s'agit pas seulement d'assurer la sécurité de nos concitoyens, mais également de garantir le libre exercice du droit de manifester.

L'existence de doutes sur la proportionnalité de certaines dispositions ne doit pas effacer les nombreuses garanties apportées au texte. Surtout, ces doutes ne doivent pas nous conduire à retarder l'entrée en vigueur d'un arsenal attendu par les forces de sécurité intérieure, tant dans son volet administratif que pénal.

M. Philippe Bas , président . - En vous écoutant, je me disais que notre texte était sans doute meilleur, suscitant moins de questionnements sur les droits fondamentaux que celui des députés. Mais le débat à l'Assemblée nationale a montré combien la discussion pouvait être chaotique. Si notre texte était entré en vigueur avant les pillages auxquels nous avons assisté ces derniers mois, sans doute aurait-il été utile, notamment en ce qui concerne la dissimulation du visage.

Notre rapporteur nous propose de mettre un terme au processus législatif, pour que le texte entre en vigueur, quitte à ce que le Conseil constitutionnel se prononce. S'il devait trouver à y redire, nous n'en serions pas offensé, puisque la dégradation du respect des libertés individuelles n'est pas de notre fait. L'alliance objective entre le Sénat et le Conseil constitutionnel pourrait produire des effets positifs en nous permettant de lutter contre les hordes barbares qui se sont greffées sur les manifestations pacifiques des « gilets jaunes ».

Mme Esther Benbassa . - Comme d'autres, j'estime ce texte liberticide et circonstancié. Lors de notre examen en première lecture, le Gouvernement avait donné un avis de sagesse. Avec les manifestations des « gilets jaunes », il est devenu d'une cruelle actualité. Je m'élève contre ces lois de circonstances.

L'article 2 propose d'interdire à quelqu'un de manifester sur la base de simples présomptions. Que faut-il entendre par le terme « présomption » ? Comment interdire à une personne qui n'a pas été condamnée de ne pas manifester ? Demain, la présomption ne concernera-t-elle pas une personne ayant une peau mate ou un accoutrement qui déplait ? Nous devons défendre le droit constitutionnel de manifester.

L'Assemblée nationale a supprimé à l'article 1 er la notion de périmètre et je m'en réjouis.

À chaque manifestation, trente à quarante personnes habillées de noir arrivent au cours du défilé et commencent à casser les vitrines, notamment celles des banques. À la fin, des « gilets jaunes » les suivent, aspirés par cette grande violence. La police devrait les arrêter en amont, comme cela se fait en Allemagne.

Mme Catherine Troendlé , rapporteur . - C'est bien l'objectif de ce texte.

Mme Esther Benbassa . - Certes, mais rien n'est dit ici sur l'arrestation de ces individus en amont. L'article 2 prévoit l'interdiction administrative de manifester, mais pourquoi ne pas arrêter les casseurs dès le début ? Ce texte devrait être mieux rédigé.

M. Philippe Bas , président . - Rien ne vous interdit de déposer des amendements.

M. Loïc Hervé . - Notre rapporteur a bien rappelé les questions qui restaient pendantes. À l'origine, il s'agissait d'une proposition de loi d'appel qui, finalement, a prospéré et va entrer dans notre ordonnancement juridique. La constitutionnalité de ce texte pose problème, d'autant que la question sera traitée ailleurs.

Boileau disait : « Ce que l'on conçoit bien s'énonce clairement, et les mots pour le dire arrivent aisément ». Ce n'est pas le cas de l'article 2, que je vous invite à relire. Et d'abord, que signifie le terme « agissements » ? En français, cela ne signifie nullement acte ou action, mais intrigue ou manoeuvre. Consultez le Larousse !

M. Philippe Bas , président . - Il s'agit du substantif du verbe agir. Pour moi, c'est le synonyme d'acte.

M. Loïc Hervé . - La définition est la suivante : « façon d'agir, souvent blâmable, pour arriver à un but ». Il s'agit donc bien d'une façon d'agir, pas d'un acte. Les synonymes sont « combine, intrigue, machination, manège, manigance ».

En outre, ces agissements portent-ils atteinte aux biens ou aux personnes, ou sont-ce les manifestations au cours desquels ces agissements ont lieu qui sont visées ? Bref, la rédaction du Sénat était beaucoup plus claire, puisqu'elle renvoyait à des infractions.

Le mot « agissements » n'existe pas en droit pénal. Il n'est cité que sept fois dans le code pénal et, à chaque fois, il renvoie à des incriminations pénales circonscrites. Ce terme mériterait une définition précise.

M. Philippe Bas , président . - À l'article 2, c'est surtout le cinquième alinéa qui peut poser problème car il interdit de prendre part à toute manifestation sur l'ensemble du territoire national pour une durée d'un mois.

Je comprends vos interrogations sur le terme d'« agissements », qui est effectivement peu fréquent en droit pénal. Je crois cependant que le deuxième alinéa tend à ce que les personnes qui ne commettent pas elles-mêmes l'agression, mais qui se trouvent dans le groupe d'agresseurs, soient interdites de manifester, à condition qu'elles constituent une menace d'une particulière gravité pour l'ordre public, celle-ci restant à démontrer devant le juge administratif.

À mon sens, l'alinéa 5 pose plus de problème que l'alinéa 2, même si le terme « agissements » pose question.

Mme Catherine Troendlé , rapporteur . - Ce terme « agissements » est utilisé dans le code de la sécurité intérieure. Il est employé ici par parallélisme des formes avec la mesure d'interdiction de stade, qui fait référence à des comportements. Nous ciblons les manifestants qui restent en retrait, qui ne commettent pas eux-mêmes les actes violents, mais qui y contribuent, en transmettant les armes aux autres ou en les incitant à la violence. Nous ciblons les meneurs qui laissent faire leurs troupes tout en restant en retrait. Ces agissements, autrement dit ces comportements, pourront par exemple être détectés par la vidéoprotection.

M. Philippe Bas , président . - Notre rédaction faisait référence aux comportements et l'Assemblée nationale l'a remplacée par la notion d'« agissements », qui est sans doute plus contraignante pour l'autorité de police. Les garanties seraient donc plus importantes.

Mme Brigitte Lherbier . - Notre texte aurait été très utile lors des manifestations violentes et aurait évité bien des dérapages.

L'interdiction de la dissimulation du visage sera difficile à faire respecter. Comme pour la burqa, dès qu'on touche au visage, les avocats travaillent à trouver des motifs légitimes pour le dissimuler. Néanmoins, je voterai ce texte conforme, car nous devons avancer.

M. Jérôme Durain . - En dépit de l'excellent travail de notre rapporteur, ce texte ne peut être voté en l'état. Je ne m'explique pas cet enthousiasme paradoxal pour le conforme chez certains de nos collègues. Nous espérions que la navette nettoierait le texte de ses aspects les plus délicats s'agissant des libertés publiques : il n'en a rien été et l'article 2 pose davantage de difficultés que lors de son examen au Sénat. Cet article dissocie le prononcé de l'interdiction administrative de manifester de l'existence d'une condamnation pénale. Un vote conforme nous exposera sans doute à un rappel à l'ordre constitutionnel. Nous verrons alors s'il s'agit d'une loi anticasseurs ou anti-manifestants.

Depuis l'automne, de nouvelles voix se sont élevées contre ce texte, je songe aux syndicats et au Conseil de l'Europe. Le Président de la République a estimé que, lorsqu'on participe à des manifestations violentes, on est complice du pire. Cette proposition de loi ne contribue pas à une forme d'apaisement ni à la protection des forces de l'ordre : elle ne fera que crisper les relations entre police et manifestants. Il y a quelques mois, M. Nuñez disait : « Soyons sérieux, aucune des mesures prévues dans ce texte par rapport à une population que nous ne connaissons pas n'aurait d'effet ». À l'article 2, l'interdiction de manifester sera laissée à la seule appréciation du préfet. J'espère que le Conseil constitutionnel nous préservera de cette mesure qui, entre les mains d'une autre majorité, pourrait s'avérer dangereuse. Nous ne sommes pas non plus favorables à la création d'un nouveau fichier à l'article 3. Enfin, l'article 4 ne respecte pas la proportionnalité entre les atteintes au droit de manifester et les objectifs poursuivis.

M. Philippe Bonnecarrère . - Notre vote en première lecture pouvait relever d'une expression d'intention. La reprise inattendue du texte par le Gouvernement nous ramène à notre activité législative. Or, l'arsenal législatif existant permet de répondre aux violences dans les manifestations : nous disposons d'un dispositif complet par lequel la police administrative peut prévenir et le droit pénal sanctionner. Il serait déraisonnable d'aller plus loin en termes de libertés publiques. D'autant que les 2 000 manifestants ayant fait l'objet d'une procédure judiciaire depuis le début des manifestations de gilets jaunes démontrent que la police et la justice ne sont pas dépourvues de moyens.

Lors du dépôt de cette proposition de loi, il ne s'agissait pas d'un texte de circonstance. Le revirement du Gouvernement ne laisse en revanche pas de doute sur le fait que c'est bien le cas aujourd'hui. Or, les lois de circonstance n'ont jamais laissé de bons souvenirs.

L'atteinte à la liberté de manifester à l'article 2 a peu de chance d'être validée par le Conseil constitutionnel. Il existe une grande différence entre la liberté de manifester et la liberté d'assister à un match de football : difficile de comparer les hooligans aux casseurs.

Je salue les précautions oratoires de notre rapporteur et le soin qu'elle a pris à répondre de façon anticipée aux critiques qui pourraient être émises. Néanmoins, je ne vois pas de bons motifs de voter ce texte.

M. Jean-Yves Leconte . - Cette loi anticasseurs ne réprime en rien les agissements dont il est question : elle ne fait que restreindre les libertés. Comme lors de l'instauration de l'état d'urgence, ce texte s'en remet à l'administration pour prévenir les troubles à l'ordre public. Mais comment comparer un acte terroriste à des manifestations ?

Les dispositions prévues à l'alinéa 5 de l'article 2 sont totalement disproportionnées et notre rapporteur en est bien conscient. D'ailleurs, des tribunaux administratifs ont, au cours de l'état d'urgence, déjà estimé que des interdictions de séjour constituaient une atteinte grave à la liberté d'aller et de venir, qui est constitutionnellement garantie.

En outre, ce texte instaure une sorte de responsabilité collective, comme l'a d'ailleurs indiqué le président de la République il y a quelques jours, ce qui ne correspond en rien à l'État de droit. Il est étonnant de voir la majorité faire la leçon à l'Europe sur le progressisme face aux démocraties non libérales et réduire dans le même temps le droit de manifester dans son propre pays. C'est un « en même temps » surprenant.

Plutôt que de nous en remettre au Conseil constitutionnel pour dire le droit, faisons notre travail : puisqu'il existe des réserves sur ce texte, faisons-le évoluer. Il en va des libertés constitutionnelles et de notre rôle de parlementaires.

M. François Grosdidier . - Je ne suis guère enthousiasmé par ce vote conforme, mais nous devons prévenir les violences dans les manifestations. Cette loi n'est pas de circonstance, car il y a une tendance de fond : régulièrement, des individus s'infiltrent dans les manifestations pour les dénaturer.

J'entends dire qu'une majorité moins respectueuse des libertés fondamentales pourrait utiliser ce texte à des fins néfastes. Mais le juge administratif serait là pour faire respecter la loi. Cet argument n'est donc pas recevable.

Dans le cas qui nous occupe, l'arsenal juridique actuel ne suffit pas. Nous ne pouvons empêcher les casseurs de participer à des manifestations. Les lois contre le hooliganisme ont montré leur efficacité. Les préfets pourront délimiter les abords des manifestations, ce qui permettra d'en interdire l'accès à certains individus.

Les mesures de ce texte me semblent donc proportionnées, contrairement à ce qui a été dit par certains à l'Assemblée nationale qui ont évoqué le régime de Vichy. Membre de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, je n'accepte pas d'entendre les représentants de la Turquie ou de certains pays de l'Est nous faire la leçon en matière de libertés fondamentales. La disproportion se trouve bien davantage dans les commentaires que dans les mesures que nous allons adopter par souci d'efficacité.

M. Pierre-Yves Collombat . - Elle sera adoptée, mais la mort dans l'âme...

Mme Françoise Gatel . - Je suis sensible aux arguments juridiques avancés. Notre texte respectait l'équilibre entre les libertés et l'ordre public. Les atermoiements de l'Assemblée nationale l'ont fragilisé.

Cette proposition de loi n'était pas de circonstance puisque les débordements qui ont eu lieu lors des manifestations des gilets jaunes n'étaient pas encore intervenus. En revanche, pour avoir vécu à Rennes les effets collatéraux de Notre-Dame-des-Landes et pour avoir eu entre les mains les invitations des zadistes à venir suivre des stages de formation à la guérilla urbaine et à l'agression des policiers, je pense que les manifestations pacifiques appartiennent à un temps révolu. Notre démocratie est aujourd'hui fragilisée par des personnes qui exploitent notre tolérance pour assaillir les forces de l'ordre. Ce texte concerne seulement les casseurs et les agresseurs qui s'en prennent aux policiers et aux biens. Nous devons adapter notre dispositif législatif à la réalité actuelle.

M. François Bonhomme . - Les manifestants sont de plus en plus organisés et déterminés à s'en prendre aux forces de l'ordre et à tout ce qui représente le pouvoir. Non, il ne s'agit pas d'une loi de circonstance, car ces débordements durent et commencent à dater. Le phénomène des « black blocs » remonte en effet à une quinzaine d'années. Ces groupes sont organisés et déterminés : leur violence froide s'attaque à des cibles précises. L'État a toutes les raisons de vouloir se défendre pour assurer la sécurité publique. Depuis 20 ans, la loi anti-hooligans a montré son efficacité. Le débat entre libertés publiques et sécurité est légitime, et le point d'équilibre est difficile à trouver. Mais ne parlons pas de texte liberticide ! Ce serait un prétexte fallacieux pour ne rien faire. Ces groupes détournent le droit de manifester. L'article 2 prévoit une mesure préventive, mais limitée dans l'espace et dans le temps et soumise à des contrôles et à des recours.

Cette proposition de loi met fin à l'inversion des valeurs qui était à l'oeuvre : ce serait faire preuve de naïveté ou de lâcheté que d'en rester au statu quo et refuser les évolutions législatives nécessaires pour endiguer ce phénomène.

M. Pierre-Yves Collombat . - La messe étant dite, je serai bref. Depuis que je suis au Sénat, une loi répressive est votée tous les ans. Depuis le temps, il est curieux que l'on n'ait pas réglé le problème dont il est question ce matin, alors que d'autres pays l'ont fait.

Je m'étonne que les services de renseignement ne soient pas capables d'identifier ces quelques 200 à 300 casseurs qui agissent dans notre pays. En fin de compte, ils sont bien pratiques, ces casseurs... Ils évitent de répondre aux raisons profondes de la présence des « gilets jaunes » dans la rue puisqu'on ne parle que des dégâts provoqués. Certes, la pensée de notre Président de la République est complexe, mais cela ne doit pas nous empêcher de nous poser des questions.

M. Éric Kerrouche . - Ce texte est liberticide, dangereux et de circonstance, n'en déplaise à certains.

Depuis une quinzaine d'années, les libertés publiques se contractent dans nos démocraties occidentales, du fait de la menace terroriste. Mais faut-il les réduire jusqu'à un point où elles n'existeront plus ? Mal utilisée par une autre majorité, cette loi pourrait se révéler dangereuse.

Enfin, je m'étonne que nous nous en remettions au Conseil constitutionnel pour nous taper sur les doigts. Est-ce vraiment ainsi que nous envisageons notre rôle de législateur ?

M. Philippe Bas , président . - Je me suis également posé cette question. Mais si le Sénat n'adoptait pas ce texte conforme, le risque d'enlisement serait réel puisque le Gouvernement n'a pas le pouvoir de mettre immédiatement un terme à la navette. Il serait peut-être plus satisfaisant pour le Sénat de parfaire le texte, mais je pense que son entrée en vigueur doit intervenir rapidement, pour mettre un terme aux troubles graves à l'ordre public.

M. Jean-Pierre Sueur . - Qu'il s'agisse d'un projet de loi ou d'une proposition de loi, le Gouvernement a toujours la possibilité de réunir une commission mixte paritaire après deux lectures dans chaque assemblée.

M. Philippe Bas , président . - Le risque d'enlisement est néanmoins bien réel.

M. Marc-Philippe Daubresse . - Le problème de fond a été soulevé par plusieurs de nos collègues, dont M. Bonnecarrère que je rejoins sur bien des points. L'idéal aurait été de faire comme pour la loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme (SILT) : des mesures qu'on puisse supprimer après quelques années. Rien ne nous interdit d'ailleurs de suivre attentivement l'application de cette proposition de loi.

Ayant été à deux reprises vice-président de l'Assemblée nationale, j'ai souvent vu des textes dénaturés en deuxième lecture. Les débats confus qui ont eu lieu à l'Assemblée nationale sur l'article 2 ne m'incitent guère à renvoyer ce texte aux députés.

Le Conseil constitutionnel s'est déjà prononcé sur divers dispositifs de ce type, même s'il n'a encore rien dit sur la dissimulation du visage ou sur des interdictions de pénétrer dans des périmètres définis. Cette loi sera examinée au filtre de la Constitution et nous verrons bien ce qui sera dit sur l'article 2. De nombreuses questions prioritaires de constitutionnalité (QPC) ont été posées sur les mesures de la loi SILT. À chaque fois, le juge administratif a été attentif à la motivation des décisions de l'autorité administrative.

La solution du vote conforme me semble donc la plus efficace.

M. Alain Richard . - Notre débat porte sur les groupes violents qui participent aux manifestations et qui ont jusqu'à présent remarquablement préservé leur anonymat. Contrairement à ce que j'entends dire, ces individus ne sont pas tous connus.

M. Pierre-Yves Collombat . - Nos services de renseignement sont donc bien mauvais !

M. Alain Richard . - Il suffit pour s'en convaincre d'interroger les gendarmes qui ont tenté de sécuriser Notre-Dame-des-Landes. Aujourd'hui, nous ne disposons pas de dispositif législatif adapté au phénomène des « casseurs ». Dans un monde idéal, la sanction pénale résoudrait tous les problèmes et les mesures d'interdiction seraient une peine complémentaire logique. Relisez le reportage du Parisien sur le parcours d'un casseur qui, durant tout un samedi, a arpenté Paris en commettant une trentaine d'infractions pénales : les policiers ne pouvaient l'extraire de la manifestation sans risquer l'émeute. Des dispositions préventives, de nature administrative, sont donc nécessaires. L'article 1 er prévoit que le procureur décide où et quand se feront les fouilles pour empêcher les casseurs de parvenir jusqu'à la manifestation avec des battes de baseball et des boules de pétanque. Ces mesures préventives n'existent pas dans notre arsenal juridique : lorsqu'elles seront adoptées, je suis persuadé qu'elles resteront durablement dans notre corpus législatif. Nous devons donc répondre à une question simple : le droit de manifester doit-il comprendre le droit de participer aux défilés avec une batte de baseball et des boules de pétanques ? La réponse est non, et c'est ce que dit ce projet de loi dont la constitutionnalité a été soigneusement vérifiée.

Mme Sophie Joissains . - Nous sommes bien sûr tous hostiles aux casseurs et nous voulons les empêcher de surgir dans les manifestations. Le Gouvernement essaye d'enfermer le Sénat dans un texte - initialement d'appel - qui prévoit des sanctions et des interdictions relativement aléatoires et arbitraires : nul besoin de condamnation préalable ! La durée de l'interdiction semble aussi mouvante : pourra-t-elle se renouveler indéfiniment ? Personne ne le sait. Enfin, l'autorité qui prononcera cette interdiction sera une émanation de l'exécutif, non une autorité judiciaire. Depuis quelques temps, nous assistons à un recul du droit du justiciable et du citoyen, et cette proposition de loi y participe. Pour toutes ces raisons, je ne pourrai voter ce texte.

M. André Reichardt . - Chacun prend ses responsabilités et j'ai choisi mon camp : je voterai ce texte conforme, malgré les critiques émises. Nous nous devons d'être efficaces, ne serait-ce que pour nos concitoyens.

Mme Catherine Troendlé , rapporteur . - Madame Joissains, il ne s'agissait pas d'un texte d'appel et nous avons voulu qu'il soit compatible avec notre Constitution. Nous entendons répondre au défi des casseurs et de leurs meneurs.

Mme Benbassa estime que la présomption d'innocence est remise en cause. Mais les mesures de police administrative ne constituent pas en tant que telles une sanction : il ne s'agit que de mesures préventives.

À M. Hervé, je veux dire que nous ciblons les meneurs. Certes, le mot « agissements » ne manque pas d'interroger, mais il répond à un besoin opérationnel.

La preuve du motif illégitime de dissimulation du visage devra être apportée par le procureur, madame Lherbier, et non par la personne mise en cause. Cette garantie est importante, mais la tâche du procureur ne sera pas aisée.

M. Bonnecarrère estime que la police et la justice ne sont pas dépourvues de moyens : certes, mais les mesures préventives font défaut pour interdire aux fauteurs de troubles de se présenter dans les manifestations. Il est vrai que nous ne parlons pas ici de terrorisme, comme dans la loi du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme. Mais les gradations des sanctions ne sont pas les mêmes : on ne parle pas ici d'assignation à résidence.

Je suis d'accord avec M. Leconte : l'intervention de l'autorité judiciaire, lorsqu'elle est possible, est souhaitable. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle nous avons durci le volet pénal.

Le volet pénal n'est toutefois pas exclusif de toute action administrative : l'interdiction de manifester prévue aura toute son utilité.

M. Philippe Bas , président . - D'autant que ce sera sous le contrôle du juge administratif, et l'on sait la contribution importante qu'il apporte à la protection des libertés publiques.

Mme Catherine Troendlé , rapporteur . - Oui : le magistrat administratif concourt à la préservation des libertés individuelles. L'interdiction de manifester s'inspire des mesures contre les hooligans. Si l'atteinte aux libertés est certes beaucoup plus forte dans le cas présent, notons que la durée de l'interdiction est plus courte, un mois et non deux ans.

M. Collombat a évoqué les services de renseignement. Leur action et les informations qu'ils collectent s'inscrivent justement dans une logique administrative, plus que judiciaire.

M. Pierre-Yves Collombat . - On leur demande juste d'être efficaces !

Mme Catherine Troendlé , rapporteur . - L'article 3 bis prévoit un contrôle parlementaire inspiré de la loi SILT : chaque année, un rapport sera remis au Parlement, monsieur Daubresse.

L'interdiction de manifester sera limitée dans le temps, madame Joissains. L'interdiction simple sera limitée à la durée d'une manifestation et lorsqu'une personne sera susceptible de participer à plusieurs manifestations, la durée sera portée à un mois maximum.

Mme Sophie Joissains . - Mais cette décision peut être renouvelée.

Mme Catherine Troendlé , rapporteur . - Si les conditions sont toujours réunies.

Enfin, je répondrai en séance aux arguments avancés par M. Durain.

M. Philippe Bas , président . - Si vous en êtes d'accord, je vous propose de nous prononcer par un seul vote sur les amendements déposés sur ce texte, puisque notre rapporteur préconise un vote conforme et émet par conséquent un avis défavorable à l'ensemble des amendements.

Les amendements ne sont pas adoptés.

La proposition de loi est adoptée sans modification.

Le sort des amendements examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :

Auteur

Objet

Sort de l'amendement

Article 1 er A (nouveau)
Modalités de déclaration d'une manifestation

M. RICHARD

COM-8

Consultation préalable entre les organisateurs d'une manifestation et les responsables du service de maintien de l'ordre

Rejeté

M. GRAND

COM-1

Information des manifestants sur la procédure de dispersion des manifestations

Rejeté

M. GRAND

COM-2

Obligation pour les organisateurs de manifestation d'informer les manifestants sur les règles de dispersion

Rejeté

Article 1 er
Contrôles lors des manifestations se déroulant sur la voie publique

M. RICHARD

COM-9

Précision relative à la compétence des officiers de police judiciaire

Rejeté

M. GRAND

COM-3

Compétence des agents de police municipale pour effectuer des contrôles dans le cadre d'une manifestation

Rejeté

Article 2
Création d'une interdiction administrative individuelle de manifester

M. DURAIN

COM-4

Suppression de l'article 2

Rejeté

M. RICHARD

COM-10

Encadrement de la durée de l'interdiction administrative de manifester

Rejeté

Mme Nathalie DELATTRE

COM-13

Introduction d'un délai de recours de 48 heures

Rejeté

Mme Nathalie DELATTRE

COM-15

Introduction d'un délai maximal de jugement de 48 heures

Rejeté

M. RICHARD

COM-12

Suppression de la possibilité de procéder à la notification d'une interdiction de manifestation au cours d'une manifestation

Rejeté

Article 3
Inscription au fichier des personnes recherchées des mesures d'interdiction
de participer à une manifestation

M. DURAIN

COM-5

Suppression de l'article 3

Rejeté

Mme Nathalie DELATTRE

COM-16

Définition des modalités d'application de l'article 4 par voie réglementaire

Rejeté

Article 4
Délit de dissimulation du visage dans une manifestation

M. DURAIN

COM-6

Suppression de l'article 4

Rejeté

Article 6
Peine complémentaire d'interdiction de participer à des manifestations sur la voie publique
et élargissement des peines complémentaires applicables
aux délits de participation délictueuse à une manifestation

M. RICHARD

COM-11

Précision relative à l'interdiction judiciaire de manifester

Rejeté

M. BIZET

COM-7

Création d'une peine complémentaire de suppression du RSA pour les auteurs de certains délits commis lors des manifestations

Rejeté

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES

Ministère de l'intérieur

Cabinet

Mme Clémence Lecoeur , conseillère auprès du ministre, en charge des relations avec le Parlement

M. Grégoire Dulin , conseiller justice

Direction des libertés publiques et des affaires juridiques

M. Thomas Campeaux , directeur

Mme Pascale Léglise , directrice adjointe et chef du service du conseil juridique et du contentieux

Mme Anne-Sophie Mach , chef du bureau de la liberté individuelle

M. Vincent Plumas , chef du bureau des questions pénales

Direction générale de la police nationale

M. Éric Morvan , préfet, directeur

M. Thierry Ferré , contrôleur général, conseiller doctrine-défense-planification-renseignement

M. Laurent Monbrun , administrateur civil, conseiller juridique

Direction générale de la gendarmerie nationale

M. Christian Rodriguez , major général

Mme Sandrine Guillon , conseillère juridique et judiciaire

M. Benoît Taponat , lieutenant-colonel, chargé de mission

Ministère de la justice

Direction des affaires civiles et du sceau

M. Hervé Cozic , chef du bureau du droit constitutionnel et du droit public général

Direction des affaires criminelles et des grâces

M. Manuel Rubio-Gullon , sous-directeur de la négociation et de la législation pénales

M. Mathieu Gaite , rédacteur au bureau de la législation pénale générale

Préfecture de police de Paris

M. Michel Delpuech , préfet de police

M. Alexis Marsan , contrôleur général, chef d'État-major à la direction de l'ordre public et de la circulation

M. Lucas Demurger , conseiller technique chargé de la prospective au cabinet du Préfet de police

Syndicat de la magistrature

Mme Sophie Legrand , secrétaire nationale

Union syndicale des magistrats

M. Jacky Coulon , secrétaire général

Mme Nina Milesi , secrétaire nationale

Barreau de Paris

M. Bernard Fau , membre du conseil de l'ordre

M. Jean-François Funke , avocat

Conseil national des barreaux

Mme Béatrice Voss , présidente de la commission liberté et droits de l'homme


* 1 L'Assemblée nationale a notamment modifié l'intitulé du texte : la proposition de loi visant à prévenir les violences et à sanctionner leurs auteurs est devenue la proposition de loi visant à renforcer et garantir le maintien de l'ordre public lors des manifestations.

* 2 Objet de l'amendement n° 228 (Rect) déposé par le Gouvernement, en séance publique, sur l'article 2 de la proposition de loi, et adopté par l'Assemblée nationale.

* 3 Rapport n° 1352 (XVe législature) de Mme Alice Thourot fait au nom de la commission des lois de l'Assemblée nationale sur la proposition de loi visant à prévenir les violences lors des manifestations et à sanctionner leurs auteurs. Ce rapport est disponible à l'adresse suivante :

http://www.assemblee-nationale.fr/15/pdf/rapports/r1600.pdf

* 4 Cf . le mémorandum sur le maintien de l'ordre et la liberté de réunion dans le contexte du mouvement des « gilets jaunes » en France, en date du 26 février 2019.

* 5 Cf . l'interview de Mme Céline Parisot, présidente de l'USM, au journal Le Monde , 10 janvier 2019.

* 6 Arrêt Benjamin du 19 mai 1933.

* 7 La section 1 du chapitre I er du livre II du code de la sécurité intérieure dénommée « manifestations sur la voie publique », qui comprend les articles L. 211-1 à L. 211-4, résulte de la codification, sans modification, du décret-loi du 23 octobre 1935, pris à la suite des manifestations du 6 février 1934.

* 8 L'article 431-9 du code pénal punit de six mois d'emprisonnement et de 7 500 euros d'amende l'organisation d'une manifestation non déclarée ou ayant donné lieu à une déclaration incomplète ou inexacte de nature à tromper sur son objet ou ses conditions.

* 9 Lors de l'examen du texte en première lecture, votre rapporteur avait observé que le recours aux contrôles sur réquisitions du parquet était d'ores et déjà régulièrement pratiqué dans le cadre des manifestations, sur le fondement des articles 78-2 et 78-2-2 du code de procédure pénale, aux fins de prévention des actes de dégradations et de violences.

* 10 Dans sa décision n° 2016-606/607 QPC du 24 janvier 2017, le Conseil constitutionnel a validé la conformité à la Constitution des contrôles d'identité sur réquisitions du procureur de la République, tout en formulant deux réserves. Il a, d'une part, considéré que « ces dispositions ne sauraient, sans méconnaître la liberté d'aller et de venir, autoriser le procureur de la République à retenir des lieux et périodes sans lien avec la recherche des infractions visées dans ses réquisitions ». D'autre part, il a estimé qu' « elles ne sauraient non plus autoriser, en particulier par un cumul de réquisitions portant sur des lieux ou des périodes différents, la pratique de contrôles d'identité généralisés dans le temps ou dans l'espace ».

* 11 Rapport n° 251 (2018-2019) de Mme Catherine Troendlé fait au nom de la commission des lois sur la proposition de loi visant à prévenir les violences lors des manifestations et à sanctionner leurs auteurs. Ce rapport est consultable à l'adresse suivante : https://www.senat.fr/rap/l18-051/l18-051.html

* 12 Conseil constitutionnel, décision n° 2011-625 DC du 10 mars 2011, Loi d'orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure .

* 13 Dans sa décision n° 2017-635 QPC du 9 juin 2017, M. Émile L., le Conseil constitutionnel a jugé que les dispositions de l'article 5 de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 dès lors que le législateur n'avait soumis le prononcé d'une mesure d'interdiction de séjour à aucune condition et encadré sa mise en oeuvre d'aucune garantie.

* 14 L'article L. 332-16 du code du sport autorise ainsi le préfet à prononcer une mesure d'interdiction de pénétrer dans une enceinte sportive à toute personne qui constitue une menace pour l'ordre public « par son comportement d'ensemble à l'occasion de manifestations sportives ».

* 15 La mesure d'interdiction administrative de manifester est créée par l'article 2 de la présente proposition de loi, qui insère dans le code de la sécurité intérieure un article L. 211-4-1.

* 16 L'article 5 de la loi n° 2017-1510 du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme prévoit que l'Assemblée nationale et le Sénat sont informés sans délai des mesures prises ou mises en oeuvre par les autorités administratives en application des quatre mesures de la loi considérées les plus attentatoires aux libertés individuelles, à savoir les périmètres de protection, les fermetures de lieux de culte, les mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance et les visites domiciliaires. Il prévoit également que leur soient transmise copie de tous les actes pris en application de ces mêmes dispositions et qu'un rapport détaillé sur l'application de ces mesures leur soit remis chaque année.

* 17 D'un montant maximal de 1 500 euros, doublé en cas de récidive.

* 18 Dans le cadre d'une contravention, les policiers peuvent seulement contrôler l'identité du contrevenant, puis dresser un procès-verbal de leurs constatations, transmis au ministère public qui décide de poursuivre ou non.

* 19 Décision n° 80-127 DC, Sécurité et Liberté, 19 et 20 janvier 1981.

* 20 Cf . récemment l'arrêt Cass.Crim du 28 mars 2017, pourvoi n° 15-84.940. La chambre criminelle qualifie de délits politiques les infractions portant atteinte à l'existence, au fonctionnement ou à l'organisation de l'État.

* 21 Cf. la décision n° 2015-517 QPC du 22 janvier 2016, Fédération des promoteurs immobiliers, sur la prise en charge par le maître d'ouvrage ou le donneur d'ordre de l'hébergement des salariés du cocontractant ou du sous-traitant soumis à des conditions d'hébergement indignes.

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