B. L'HARMONISATION FISCALE : UNE NÉCESSITÉ POUR L'EUROPE

La présente convention fiscale qui organise entre les deux États le pouvoir d'imposer et facilite les échanges d'information ne saurait pallier l'absence d'harmonisation au sein de l'Europe de la fiscalité en général et l'impôt applicable aux revenus des sociétés en particulier .

À l'inverse, cette convention s'inscrit aussi dans le contexte juridique de l'union, qui, sur ces sujets fiscaux, s'est lentement renforcé aussi bien en matière de transparence fiscale que de lutte contre l'optimisation fiscale .

De ce point de vue, la convention doit être lue au regard de l'évolution du droit européen qui s'impose aux deux États membres que sont la France et le Luxembourg.

Constatant que la fraude et l'évasion fiscales privent les budgets publics de milliards d'euros chaque année, alourdissent la charge fiscale pesant sur les citoyens et entraînent des distorsions de concurrence pour les entreprises qui paient leur part de l'impôt et entravent la réalisation des objectifs de l'Union en matière de croissance, de compétitivité et de consolidation du marché unique la commission, le Conseil et le Parlement européen ont été incité à promouvoir ces dernières années un encadrement plus strict de certaines pratiques fiscales et à favoriser une approche coordonnée dans la lutte contre la fraude et l'évasion fiscales .

Du fait de la nature transfrontière de la fraude et de l'évasion fiscales, une action menée uniquement au niveau national ou bilatéral ne permet pas, en effet, de résoudre les problèmes rencontrés. Les efforts unilatéraux déployés par les États membres pour protéger leurs bases d'imposition peuvent se traduire par de nouvelles charges pour les contribuables, une incertitude juridique pour les investisseurs et de nouvelles failles que certains exploiteront aux fins d'une planification fiscale agressive. C'est pourquoi, la solution ne peut être trouvée qu'au niveau européen, voire multilatéral dans le cadre de l'OCDE.

Force est de constater que l'Europe a poursuivi ces dernières années dans le sillage de l'OCDE un programme ambitieux visant à renforcer les moyens de défense de l'Union contre la fraude et l'évasion fiscales qui s'est déjà traduit par un certain nombre de réalisations marquantes .

Ces travaux s'articulent autour de deux grands piliers :

Le premier concerne le renforcement de la transparence fiscale. La Commission européenne a présenté de nouvelles propositions en matière de transparence, qui ont amené les États membres à s'engager en faveur d'un niveau sans précédent d'ouverture et de coopération entre leurs autorités fiscales.

À partir de 2017, tous les États membres pratiquent l'échange automatique d'informations concernant les décisions fiscales et partagent des déclarations pays par pays concernant les activités des entreprises multinationales. La Commission a aussi proposé d'accroître la transparence vis-à-vis du public, en imposant aux grandes multinationales de publier en ligne des informations essentielles relatives à la fiscalité.

Une nouvelle législation est également entrée en vigueur en 2016 afin d'empêcher les fraudeurs du fisc de dissimuler leur argent à l'étranger. Les États membres sont désormais tenus d'échanger automatiquement toute une série d'informations sur les comptes financiers des particuliers.

Le deuxième pilier concerne les règles anti-abus. Des progrès ont été accomplis dans le cadre d'initiatives clés visant à garantir que les entreprises sont imposées là où elles réalisent leurs bénéfices.

En juin 2016, les États membres ont notamment approuvé des règles anti-abus juridiquement contraignantes dans la directive sur la lutte contre l'évasion fiscale, qui empêcheront certaines des formes les plus courantes de planification fiscale agressive

Ces différentes mesures ont permis de définir depuis 2016 un cadre juridique renforcé notamment à travers les directives suivantes :

- 8 décembre 2015 : Directive (UE) n° 2015/2376 dite « DAC 3 », sur la transparence en matière de dispositions fiscales anticipées (rulings) : dès lors qu'elles ont impact transfrontière, celles-ci doivent être échangées automatiquement entre les États membres (inspirée de l'action 5 du plan BEPS) ;

- le 22 mai 2016 : Directive (UE) n° 2016/881 dite « DAC 4 » : création d'une exigence de transparence pour les entreprises multinationales avec l'échange automatique et obligatoire d'informations concernant les déclarations pays par pays (reprend l'action 13 du plan BEPS) ;

- le 12 juillet 2016 : Directive (UE) n°2016/1164 dite « ATAD 1 » : mesures harmonisées de lutte contre l'optimisation fiscale agressive : limitation de la déductibilité des intérêts, imposition des sociétés étrangères contrôlées, clauses anti-abus, imposition à la sortie (reprend notamment les actions 3 et 4 du plan BEPS) ;

- le 6 décembre 2016 : Directive (UE) n°2016/2258 dite « DAC 5 » : accès de l'administration fiscale aux données collectées dans le cadre de la lutte anti-blanchiment ;

- le 29 mai 2017 : Directive (UE) n° 2017/952 dite « ATAD 2 » : met un terme aux situations liées à des différences de qualification juridique nationale de certains instruments financiers et entités (dits hybrides) permettant une imposition faible ou nulle (reprend l'action 2 du plan BEPS) ;

- le 10 octobre 2017 : Directive (UE) n° 2017/1852 dite « Arbitrage » : création d'une procédure obligatoire de règlement des différends entre États membres en cas d'échec des procédures amiables (inspirée de l'action 14 du plan BEPS) ;

- le 22 mai 2018 : Directive (UE) n° 2018/822 dite « DAC 6 » : divulgation obligatoire des montages d'optimisation fiscale par les intermédiaires et échange automatique de ces déclarations entre les États membres (inspirée de l'action 12 du plan BEPS).

L'application de la présente convention s'inscrira donc dans un cadre juridique qui a été progressivement renforcé, même si il existe encore des marges de progression.

La Commission européenne a en outre a relancé le débat sur l'assiette commune consolidée pour l'impôt sur les sociétés (ACCIS) , ce qui aurait pour effet d'éliminer de nombreuses possibilités de planification fiscale agressive, tout en améliorant l'environnement des entreprises au sein du marché unique 22 ( * ) .

Le 15 mars 2018, le Parlement européen a adopté deux résolutions relatives à l'adoption d'une assiette commune et consolidée pour l'impôt sur les sociétés. À défaut d'un accord hypothétique sur l'harmonisation du taux de l'impôt sur les sociétés, il apparaît au moins nécessaire d'harmoniser l'assiette de cet impôt afin de rendre plus facile et moins coûteux le déploiement des entreprises dans plusieurs États membres.

Le projet ACCIS vise toutes les sociétés constituées dans un État membre, y compris ses établissements stables (qu'ils soient ou non numériques) situés dans d'autres États membres, lorsque la société appartient à un groupe consolidé dont le chiffre d'affaires consolidé total dépasse 750 millions d'euros (ce seuil devrait être progressivement abaissé à zéro sur une période maximale de sept ans).

En pratique, les sociétés visées devraient calculer le montant de leur facture fiscale en additionnant tous les bénéfices et les pertes réalisés par leurs entités dans l'ensemble des États membres de l'UE. L'impôt qui en résulterait serait alors réparti entre ces derniers en fonction de l'endroit où les bénéfices seraient générés ; sachant que les entreprises seraient responsables devant une seule et unique administration fiscale (guichet unique).

Par ailleurs, la Commission et le Conseil travaillent à une nouvelle réglementation spécifique aux défis posés par l'économie numérique notamment nécessaires pour déterminer le lieu où la valeur des entreprises est créée et la manière dont celle-ci devrait être imputée à des fins fiscales.

En mars 2018, la commission a proposé un projet de directive concernant le système commun de taxe sur les services numériques applicable aux produits tirés de la fourniture de certains services numériques. En matière de fiscalité, la Commission européenne a proposé une taxe temporaire à hauteur de 3 % des revenus publicitaires des entreprises du numérique réalisant un chiffre d'affaires annuel brut d'au moins 750 millions d'euros dans le monde, et avec 50 millions d'euros en Europe.

Considérant qu'il résulte de la situation actuelle, d'une part, une distorsion fiscale entre les entreprises numériques, dont le taux d'imposition effectif moyen est de 9,5 %, et les entreprises traditionnelles, dont le taux d'imposition effectif moyen est de 23,2 %, et d'autre part, une attrition des recettes fiscales des États, votre commission s'est félicitée des propositions de la Commission européenne qui visent à garantir la juste imposition des activités numériques au sein de l'Union européenne 23 ( * ) .

Le texte doit encore faire l'objet de discussion pour une approbation avant mars 2019. Le conseil des ministres des Finances de l'Union européenne (Ecofin) du 4 décembre a été marqué par le ralliement de l'Allemagne à cette initiative, la France indiquant qu'en l'absence d'accord en mars 2019, elle mettrait en place une taxe au niveau national, à l'instar, par exemple, de l'Italie ou de l'Espagne.

Ainsi la convention bilatérale a vocation à être complétée par les lentes avancées du droit européen en la matière.


* 22 Voir la proposition de résolution du 27 décembre 2016 de M. Albéric de Montgolfier sur les propositions de directives du Conseil COM (2016) 683 final concernant une assiette commune consolidée pour l'impôt sur les sociétés (Accis) et COM (2016) 685 final concernant une assiette commune pour l'impôt sur les sociétés.

* 23 Proposition de résolution européenne présentée au nom de la commission des finances en application de l'article 73 quinquies du règlement, sur les propositions de directives du conseil de l'union européenne COM (2018)-147 établissant les règles d'imposition des sociétés ayant une présence numérique significative et COM (2018)-148 concernant le système commun de taxe sur les services numériques applicable aux produits tirés de la fourniture de certains services numériques, dont cette commission s'est saisie, présentée par M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général, sénateur.

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