C. UN BUDGET À « HAUTEUR D'HOMME » ?

1. Une remontée des effectifs conforme à la trajectoire fixée dans la LPM

La LPM 2019-2025 prolonge l'inflexion amorcée par la loi d'actualisation de 2015 16 ( * ) , qui revenait sur une partie des suppressions de postes 17 ( * ) prévue dans la LPM initiale 18 ( * ) , en prévoyant la création de 6 000 postes sur la période .

Trajectoire d'évolution des effectifs du ministère des armées prévue par l'article 6 de la LPM 2019-2025

(en ETP)

2019

2020

2021

2022

2023

Total
2019-2023

2024

2025

Total
2019-2025

+ 450

+ 300

+ 300

+ 450

+ 1 500

+ 3 000

+ 1 500

+ 1 500

+ 6 000

Source : LPM 2019-2025

La moitié de ces créations de postes ira au renforcement des effectifs consacrés à la cyberdéfense (1 500 emplois) et au renseignement (1 500 emplois) .

Répartition des créations de postes prévues entre 2019 et 2025

(en ETP)

Source : commission des finances du Sénat, d'après le rapport annexé à la LPM 2019-2025

Ainsi qu'il l'indiquait dans son rapport pour avis sur le projet de LPM 2019-2025, si votre rapporteur spécial considère qu' il était indispensable de rompre avec la logique déflationniste sur laquelle étaient construites les deux dernières LPM , il ne peut que regretter que, comme en matière budgétaire, l'essentiel de l'effort soit reporté sur le quinquennat suivant, 75 % des créations de postes devant intervenir entre 2023 à 2025 .

Conformément à la trajectoire inscrite à l'article 6 de la LPM 2019-2025 précité, en 2019, le ministère des armées devrait bénéficier de la création de 450 postes , selon la répartition figurant dans le tableau ci-après.

Répartition des créations de postes prévues en 2019

(en ETP)

Renseignement

199

Cyberdéfense

107

Action dans l'espace numérique

22

Sécurité-Protection

47

Infrastructures

- 34

Soutien aux exportations

45

Unités opérationnelles

65

Soutiens interarmées

- 29

Autres

28

Total

450

Source : ministère des armées, réponse au questionnaire budgétaire

16 créations de postes sont en outre prévues au profit du service industriel de l'aéronautique (SIAé) . En effet, dans le cadre de l'examen du projet de LPM 2019-2025, sur proposition de votre rapporteur spécial, le Sénat avait adopté un amendement 19 ( * ) visant à exclure les effectifs du SIAé de la trajectoire d'évolution des effectifs du ministère des armées, afin d'éviter un éventuel effet d'éviction.

2. Dans un contexte fortement concurrentiel et de remontée des effectifs, la question de la fidélisation des personnels constitue un enjeu de premier ordre
a) Une situation particulièrement critique sur certains métiers

Dans un rapport de septembre 2017, le Haut comité d'évaluation de la condition militaire 20 ( * ) (HCECM) estimait à près de 62 % la part des militaires envisageant de quitter la fonction .

Parmi les facteurs d'incitation au départ, figurent notamment la difficulté de concilier vie privée et vie militaire, l'insuffisance des moyens, la mobilité et les mutations, la rémunération ou encore le rythme d'activité.

Les leviers de fidélisation

Source : Haut comité d'évaluation de la condition militaire, 11 e rapport, « La fonction militaire dans la société française », septembre 2017.

Comme le relève le HCECM, la situation apparaît critique sur certains métiers :

- soit en raison de leur caractère particulièrement exigeant , comme cela est le cas, dans la marine ou l'armée de l'air, pour les fusiliers marins et les fusiliers commandos de l'air, dont les taux de renouvellement des contrats ne s'élèvent qu'à respectivement 50 % et 30 % ;

- soit en raison de la concurrence du secteur civil sur le marché du travail , comme cela est par exemple le cas des spécialistes en maintenance aéronautique, en systèmes d'information et en infrastructure. Lors de son audition 21 ( * ) , Jean-Paul Bodin, secrétaire général pour l'administration, a ainsi indiqué à votre rapporteur spécial que le ministère des armées rencontrait des difficultés à recruter des conducteurs de travaux, compte tenu de la concurrence, notamment salariale, des entreprises de BTP. De même, dans son rapport précité, le HCECM note que « certaines spécialités, notamment en chirurgie, sont soumises à l'attraction du secteur privé qui offre des rémunérations beaucoup plus importantes ».

Ainsi, en 2017, le taux de réalisation des effectifs de chirurgiens orthopédiques n'était que de 87 % . De même, sur un effectif théorique de médecins généralistes dans les centres médicaux des armées s'élevant à 697, seuls 593 ETP étaient recensés .

Cette sous-exécution concerne également certaines spécialités paramédicales telles que les infirmiers de bloc opératoire diplômés d'État ou encore les masseurs kinésithérapeutes .

Au total, il a été indiqué en audition qu'une sous-consommation des crédits de personnel pourrait être constatée en 2018, à hauteur de 155 millions d'euros environ . Votre rapporteur spécial appelle par conséquent le ministère des armées à en analyser précisément les causes afin d'y remédier au plus vite.

b) Une question indissociable de celle de l'amélioration de la situation matérielle des personnels

Comme il a été rappelé supra , la question de la rémunération constitue un facteur important de fidélisation.

Dans son rapport précité, le HCECM relève ainsi que 53 % des militaires estiment que leur engagement n'est pas suffisamment rémunéré .

Afin de mieux prendre en compte les sujétions et le surengagement des militaires, plusieurs mesures ont été décidées lors des conseils de défense du 6 avril et du 3 août 2016 dans le cadre d'un plan d'amélioration de la condition du personnel (PACP), dont le volet financier, mis en oeuvre à compter de 2017, prévoyait en particulier :

- la création de l'indemnité pour absence cumulée (IAC), qui indemnise l'absence du domicile des personnels militaires au-delà de 150 jours sur l'année civile ;

- la transformation de deux jours de permissions complémentaires planifiées (PCP) en indemnité pour temps d'activité et d'obligations professionnelles complémentaires (ITAOPC) ;

- le doublement et l'élargissement du champ de l'indemnité pour sujétion spéciale d'alerte opérationnelle (AOPER) aux personnels mobilisés dans le cadre de la protection des sites et des installations du ministère ;

- la revalorisation du taux journalier de l'AOPER ;

- la monétisation de deux jours supplémentaires de PCP, la revalorisation de l'indemnité de sujétion d'absence du port base (ISAPB) et l'augmentation du contingent ouvrant droit à la prime de haute technicité (PHT).

Le présent projet de loi de finances prévoit de prolonger cet effort. Hors pensions, la dotation destinée aux mesures catégorielles inscrite dans le présent projet de loi de finance s'élèvera ainsi à 131 millions d'euros , dont 106 millions d'euros à destination des personnels militaires, 23 millions d'euros à destination des personnels civils et 2 millions d'euros à destination des gendarmes du ministère des armées.

Facteurs d'évolution des dépenses de personnel

(hors contribution au CAS « Pensions », en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

En particulier, le présent projet de loi de finances prévoit la création d'une prime de lien au service (PLS) destinée à renforcer l'attractivité de certains métiers (praticiens du service de santé des armées, métiers sous tension).

La prime de lien au service

La nouvelle prime de lien au service (PLS) remplace 5 primes organisées par 3 décrets antérieurs :

- la prime d'engagement initial (PEI), la prime d'engagement supplémentaire (PS), la prime d'attractivité modulable à l'engagement (PAM) organisées par le décret n° 97-440 du 24 avril 1997 modifié relatif au régime des primes d'engagement attribuées aux militaires non officiers servant sous contrat ;

- la prime de volontariat des sous-mariniers organisée par le décret n° 72-220 du 22 mars 1972 portant création d'une prime de volontariat en faveur des militaires non officiers servant dans les forces sous-marines ;

- et la prime réversible des compétences à fidéliser (PRCF) organisée par le décret n° 2010-79 du 20 janvier 2010 créant une prime réversible des compétences à fidéliser en faveur de certains militaires non officiers à solde mensuelle.

L'objet de la PLS est de contribuer à la constitution et à l'entretien des viviers nécessaires pour répondre aux besoins en ressources humaines des employeurs du ministère. Pour ce faire, elle propose un supplément de rémunération dont on attend :

- soit qu'il améliore des flux entrants quantitativement et/ou qualitativement insuffisants (génération des effectifs - attractivité) ;

- soit qu'il diminue des flux sortants trop importants (préservation des effectifs - fidélisation) ;

- soit qu'il sécurise un vivier existant que l'on souhaite particulièrement préserver.

Elle répond à un constat ou un risque de déficit en personnel militaire. Elle peut être proposée par les gestionnaires de personnels à tout militaire (de carrière ou contractuels, officiers ou non-officier) s'engageant à servir pour une période donnée dans des conditions précisées par le gestionnaire.

La prime est versée en contrepartie d'un engagement à servir qui peut être général (disposition réservée aux militaires sous contrat) ou spécifique (c'est-à-dire au titre d'une spécialité, d'un emploi ou d'une compétence identifié comme présentant un sous-effectif ou un risque de sous-effectif). En cas de rupture de cet engagement par le bénéficiaire, elle fait l'objet d'un remboursement total ou partiel.

Afin d'assurer l'efficience du dispositif, l'attribution de la prime par les gestionnaires fera l'objet d'une politique annuelle visée par la DRH-MD et d'une évaluation de performance a posteriori .

Source : secrétariat général pour l'administration, réponse au questionnaire de votre rapporteur spécial

Par ailleurs, l'année 2019 verra la reprise du protocole « Parcours professionnels, carrières et rémunérations » qui avait été interrompue en 2018 pour un coût, hors pensions, s'élevant à 87,4 millions d'euros .

La problématique de la fidélisation des personnels dépasse cependant celle de la rémunération. Ainsi qu'il sera rappelé ultérieurement, les conditions de travail et de vie doivent également faire l'objet de la plus grande attention .

À ce titre, l'augmentation des crédits consacrés au plan « famille » (cf. infra ) prévue par la LPM 2019-2025 va incontestablement dans le bon sens .

c) La montée en charge du plan « Famille », un effort bienvenu en faveur de l'amélioration de la condition du personnel

Présenté par la ministre des armées le 31 octobre 2017, le plan « Famille » comprend un ensemble de mesures destinées à améliorer les conditions de vie des personnels du ministère des armées .

Il se décline en six axes :

- mieux prendre en compte les absences opérationnelles ;

- faciliter l'intégration des familles dans la communauté militaire et de défense ;

- mieux vivre la mobilité ;

- améliorer les conditions de logement familial et favoriser l'accession à la propriété ;

- faciliter l'accès des familles à l'accompagnement social du ministère ;

- améliorer les conditions d'hébergement et de vie des célibataires et des célibataires géographiques.

Selon le ministère des armées, 80 % des 46 actions 22 ( * ) de ce plan ont déjà débuté . À la fin de l'année 2018, 70 % d'entre elles devraient en outre être effectives .

57 millions d'euros sont inscrits dans le présent projet de loi de finances au titre du plan « Famille », contre 22,5 millions d'euros en 2018 .

La LPM 2019-2025 prévoit un effort total de 530 millions d'euros en faveur de ce plan sur la durée de la programmation .

Au cours des auditions et des déplacements qu'il a effectués, votre rapporteur spécial a pu mesurer le niveau d'attente des militaires vis-à-vis de ce plan . Il considère par conséquent que sa montée en charge va dans le bon sens et appelle à ce que la trajectoire prévue dans la LPM soit effectivement respectée.

3. Source solde : un déploiement sous haute surveillance, un coût et une durée qui doivent être maîtrisés

Lancé en 1996, le logiciel unique à vocation interarmées de la solde (Louvois) a connu, depuis sa mise en service en 2011, de graves dysfonctionnements qui n'ont jamais pu être totalement corrigés.

Au total, les surcoûts liés à ces difficultés sont estimés à 156,4 millions d'euros entre 2013 et 2018 .

Au-delà de la question budgétaire, la crise Louvois a été vécue comme un véritable traumatisme par les armées , du fait, dans un premier temps, des moins-versés subis par les militaires, puis, dans un second temps, des remboursements d'indus demandés.

Lors de son audition par votre rapporteur spécial 23 ( * ) , Jean-Paul Bodin, secrétaire général pour l'administration, a rappelé que le montant total des indus versés du fait de l'utilisation du logiciel Louvois s'élevait à 578 millions d'euros au 31 août 2018. Sur ce montant, plus de 83 % ont été notifiés, 16 % ont été prescrits, annulés ou fait l'objet d'une remise par le comptable public. Parmi les indus notifiés, 409,6 millions d'euros ont été recouvrés .

Face aux difficultés rencontrées par Louvois, le précédent ministre de la défense, Jean-Yves Le Drian, a annoncé, lors de son discours prononcé à Varces le 3 décembre 2013, sa décision de procéder à son remplacement dans le cadre du projet « Source solde ».

Dans sa réponse au questionnaire budgétaire, le ministère des armées a indiqué à votre rapporteur spécial que « la qualification du calculateur est désormais bien avancée . Les essais de bon fonctionnement ont été réalisés " à blanc " jusqu'en février 2018. La phase de pré-solde en double a ensuite débuté pour valider l'aptitude du système à être mis en oeuvre de " bout en bout ". La prochaine étape décisive sera celle du passage effectif en " solde en double ", qui constitue un test en grandeur réelle. Cette décision de bascule en solde en double pour la marine pour le premier semestre 2019 sera prise mi-novembre par la ministre si les assurances données en termes de fiabilité du calculateur et de qualité de la solde sont suffisantes ».

Le déploiement de Source solde revêt d'importants enjeux.

En premier lieu, il convient que celui-ci ne donne pas lieu à des déboires similaires à ceux connus par Louvois.

En deuxième lieu, il conviendra que ce logiciel soit en mesure de gérer la mise en place du prélèvement à la source à compter du 1 er janvier 2019.

Enfin, en troisième lieu, il devra prendre en charge les modifications liées à la mise en place d'une nouvelle politique de rémunération des militaires (NPRM) à l'horizon 2021 , qui, si elle devrait se traduire par une simplification de l'architecture de paye des militaires, présente néanmoins un risque.

Le présent projet de loi de finances prévoit un déploiement de Source Solde à compter de 2019, et non 2018, comme le prévoyait le projet de loi de finances pour 2018 . Celui-ci concernera tout d'abord la marine avant d'être étendu à l'armée de terre en 2020 et au service de santé des armées et à l'armée de l'air en 2021.

Outre les questions liées à la fiabilité de ce logiciel, se posent également celles de sa durée et de son coût de réalisation .

Son développement devrait ainsi prendre 80 mois, contre 60 mois prévus initialement . Selon le projet annuel de performances pour 2019, ce report « fait suite à des difficultés pour finaliser les spécifications fonctionnelles, à la mise en place d'une nouvelle stratégie de qualification avant bascule et à des évolutions d'origine règlementaire ».

Par ailleurs, le coût budgétaire total de Source solde est désormais estimé à 174,8 millions d'euros, contre 108,33 millions d'euros prévus initialement, soit un écart de 66,47 millions d'euros .

Si votre rapporteur spécial partage avec le ministère des armées la volonté que ce logiciel ne soit pas déployé avant d'avoir fait la preuve de sa fiabilité, une explosion de la durée et du coût de Source solde ne serait cependant pas soutenable .

Il continuera par conséquent à suivre avec la plus grande vigilance l'état d'avancement de ce projet.


* 16 Loi n° 2015-917 du 28 juillet 2015 actualisant la programmation militaire pour les années 2015 à 2019 et portant diverses dispositions concernant la défense.

* 17 La LPM 2014-2019 initiale prévoyait la suppression de 33 675 postes. Ce nombre a été abaissé une première fois par la loi d'actualisation de 2015 (14 925 postes), puis par deux fois, lors du conseil de défense d'avril 2016 (4 925 postes) et par la lettre-plafond 2018-2022 (4 357 postes).

* 18 Loi n° 2013-1168 du 18 décembre 2013 relative à la programmation militaire pour les années 2014 à 2019 et portant diverses dispositions concernant la défense et la sécurité nationale.

* 19 http://www.senat.fr/amendements/commissions/2017-2018/383/Amdt_COM-122.html.

* 20 Haut comité d'évaluation de la condition militaire, 11 e rapport, « La fonction militaire dans la société française », septembre 2017.

* 21 Audition du 18 octobre 2018.

* 22 Parmi ces mesures, peuvent notamment être cités : l'augmentation du nombre de places en crèche, l'élargissement et la simplification de l'offre de prestations sociales pendant l'absence en mission, un accès facilité au soutien psychologique, la facilitation des démarches administratives pendant l'absence du conjoint, l'extension du bénéfice de la carte famille SNCF, la poursuite de la politique d'optimisation de la mobilité, l'augmentation de 660 logements de l'offre en métropole, l'amélioration de l'état du parc de logements, l'augmentation de 410 places de l'offre d'hébergements en Île-de-France, l'extension du Wifi gratuit, etc.

* 23 Audition du 18 octobre 2018.

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