C. D'AUTRES SOLUTIONS EXISTENT ET DOIVENT ÊTRE ENVISAGÉES

Votre rapporteur spécial considère qu'une autre solution , consistant à réserver une partie des dividendes annuels perçus par l'État au soutien à l'innovation, aurait permis de concilier intérêt patrimonial, soutien à l'innovation et pouvoirs du Parlement.

1. Une alternative immédiate : prolonger la constitution transitoire du fonds en attendant les retours des PIA

Le Gouvernement justifie son choix par la volonté d'assurer la stabilité du soutien à l'innovation. Bruno Le Maire, ministre de l'économie et des finances, indique ainsi : « on me dit qu'on pourrait prendre les dividendes d'ADP ou d'autres entreprises publiques pour financer le fonds. Je reconnais que la question peut se poser , mais j'affirme que le choix que nous avons fait est sans doute le plus protecteur des intérêts de l'État et des Français parce que nous garantissons la stabilité du rendement à 2,5 %, soit 250 millions d'euros chaque année [...] pour le financement de l'innovation de rupture. Je rappelle que le rendement de ces entreprises publiques n'est pas stable, par définition. [...] Or, en matière de financement des innovations de rupture, nous avons besoin de stabilité » 24 ( * ) .

Il peut toutefois être répondu au ministre que le montant annuel moyen des dividendes perçus par l'État d'ADP et de la FDJ au cours des dix dernières années s'établit à près de 190 millions d'euros, avec un écart de 25 % maximum à cette moyenne selon les exercices. Encore, cet écart est amplifié en raison de la prise en compte de ces deux seules participations. Sur l'ensemble du portefeuille de l'État actionnaire, il est possible de garantir la stabilité d'un rendement de 250 millions d'euros annuels .

La décision de doter à titre transitoire le fonds pour l'innovation et l'industrie de participations n'ayant pas vocation à être cédées atteste de cette possibilité.

Votre rapporteur spécial souligne à cet égard une autre possibilité de capitalisation du fonds, sans procéder à des cessions complémentaires. Comme l'indique le rapport sur les aides à l'innovation de mars 2018, « l'État reçoit des différents programmes d'investissements d'avenir engagés des retours des prêts, avances remboursables et investissements en fonds propres consentis. Le rattachement du fonds pour l'innovation et l'industrie au grand plan d'investissement invite à ce que ces retours viennent au fil du temps compléter les 10 milliards d'euros de capital du fonds. [Ils représentent], selon une première estimation, près de 3 milliards d'euros à échéance du quinquennat, et près de 8 milliards d'euros sur les dix prochaines années » 25 ( * ) .

Afin de concilier intérêts patrimoniaux et soutien à l'innovation, le Gouvernement aurait pu décider de prolonger la situation actuelle, en maintenant la dotation hybride du fonds, conjuguant numéraire et poche d'actifs, dans l'attente des retours des PIA .

2. Une solution structurelle : transformer l'Agence des participations de l'État en véritable gestionnaire des participations de l'État

L'an dernier, votre rapporteur spécial recommandait d'étudier la possibilité de transformer le statut de l'APE. Cette réflexion s'inscrivait dans le sillage des travaux de la Cour des comptes : dans son rapport consacré à l'État actionnaire, elle préconisait ainsi une évolution du statut de l'Agence vers une société publique de gestion des participations , intégralement détenue par l'État. « L'Agence des participations de l'État verserait chaque année au budget de l'État un dividende, fruit des produits de cession et des dividendes qu'elle aura elle-même reçus, et qui alimenterait le budget général sous la forme de recettes non fiscales » 26 ( * ) .

Le rapport remis au Parlement en application de l'article 178 de la loi de finances pour 2018 27 ( * ) sur la politique de dividende de l'État actionnaire et sur l'opportunité de faire évoluer le statut de l'Agence des participations de l'État afin que celle-ci soit transformée en opérateur public doté de la personnalité morale étaye l'analyse de votre rapporteur spécial.

Y sont énumérés « les freins structurels à la poursuite de la démarche de professionnalisation et d'optimisation de la gestion des participations de l'État :

« - le versement au budget général de l'État des dividendes des participations de l'État, qui prive l'État actionnaire d'une source de financement naturelle et importante pour l'exercice du métier d'actif [...] ;

« - la contrainte de l'annualité du compte d'affectation spéciale, qui limite le développement d'une logique pluriannuelle de gestion des participations et peut contraindre à des opérations de cessions, motivées par le souci d'assurer l'équilibre du compte ;

« - la contrainte posée par la LOLF du vecteur unique de prises de participations financières de l'État qu'est le compte, qui ne permet pas de distinguer au sein des opérations patrimoniales les prises de participations relevant de la politique de l'État actionnaire mise en oeuvre par l'APE et celles relevant de la mise en oeuvre de politiques publiques comme celles effectuées dans le cadre des PIA ;

« - les contraintes découlant des règles administratives s'appliquant à l'APE, notamment s'agissant de la gestion des ressources humaines. » 28 ( * )

De ce point de vue, la transformation de l'APE en gestionnaire du portefeuille de participations de l'État doté de la personnalité morale apporterait plusieurs corrections .

Cette évolution se traduirait tout d'abord par une lisibilité accrue.

Par rapport à l'éclatement actuel, cette évolution assurerait l'unification de l'État actionnaire , tant dans ses charges que dans ses produits. En effet, l'APE bénéficierait en ce cas de l'ensemble des produits issus des participations de l'État, puisqu'elle recevrait les dividendes en numéraire. Les ressources de l'APE en seraient fortement renforcées puisque, selon les données du rapport précité, « depuis 2008, le portefeuille des participations de l'État a généré près de 48 milliards d'euros de produits , dont 18 milliards d'euros de cessions et 30 milliards d'euros de dividendes, et employé environ 19,3 milliards d'euros, essentiellement en investissements en capital, soit un excédent de ressources sur emplois de 29 milliards d'euros ». Par ailleurs, l'APE pourrait également recourir à des instruments de financement non spéculatifs en cas de circonstances exceptionnelles, comme des obligations échangeables, avec les titres des actifs en sous-jacents.

Cette évolution serait ensuite davantage conforme aux intérêts patrimoniaux de l'État.

Elle répondrait en effet au besoin de l'inscription dans une logique pluriannuelle. La contrainte annuelle de gestion du solde du compte, répercuté sur le solde budgétaire, disparaîtrait.

Certes, ne recevant plus directement les dividendes en numéraire annuels, le budget général serait confronté à un besoin de financement immédiat. Toutefois, l'APE exercerait le rôle de gestionnaire d'actifs pour le compte de l'État, charge à elle de dégager, chaque année, un produit qu'elle devrait verser à l'État en application d'un contrat pluriannuel conclu avec la tutelle.

Cette évolution favoriserait enfin l'exercice des prérogatives du Parlement.

La création d'un opérateur doté de la personnalité morale conduirait le Parlement à ne plus voter en amont les crédits du compte d'affectation spéciale relatifs aux opérations de l'État actionnaire. Il ne s'agit toutefois pas d'une difficulté majeure, compte tenu du caractère factice de la prévision sur laquelle ce vote s'effectue.

Ses moyens d'analyse et de contrôle en seraient renforcés :

- la lisibilité de l'action de l'État actionnaire, incarnée par un opérateur unique et retracée dans son compte de résultat présentant ses produits et ses charges, serait assurée ;

- la valorisation du portefeuille, aujourd'hui lacunaire s'agissant des entreprises non cotées, serait accrue puisque « la transformation de l'APE en société de droit privé détenue par l'État emporterait l'obligation légale de publier des comptes consolidés et donc de procéder chaque année à une évaluation de son portefeuille calculée à la juste valeur et non seulement à la valeur comptable. Elle contraindrait ainsi à renforcer la transparence et la qualité de l'information financière sur la gestion et la performance du portefeuille avec notamment une évaluation régulière du portefeuille sur la base de l'actif net réévalué » 29 ( * ) ;

- le Parlement serait associé au suivi et au contrôle de l'APE, en particulier dans la définition du contrat pluriannuel passé entre l'APE et l'État et déterminant les objectifs de gestion patrimoniale et le montant du dividende qui devrait être versé à l'État.

L'équation actuelle, insoluble et traitée au détriment des prérogatives du Parlement , consistant à concilier pouvoirs du Parlement et confidentialité des opérations, serait résolue .

3. Une différence essentielle : pas de désendettement affiché

Dans le cadre de l'évolution proposée du statut de l'APE, l'État bénéficierait toujours de recettes, dont la stabilité serait garantie. L'obstacle avancé par Bruno Le Maire, ministre de l'économie et des finances, pour justifier le recours au fonds pour l'innovation et l'industrie, selon lequel les dividendes ne constituent pas une ressource stable, serait alors surmonté.

Il est donc pour le moins surprenant que le Gouvernement opte pour une solution distincte , consistant à atrophier le portefeuille des participations de l'État.

Une conception différente du rôle de l'État actionnaire guide sans doute ce choix. Il est inévitable que le caractère stratégique d'une participation fasse l'objet de débats politiques.

Pour autant, votre rapporteur spécial considère que d'autres facteurs sont à l'oeuvre dans la décision du Gouvernement de procéder au mécanisme décrit précédemment.

En effet, la différence essentielle tient à l'effet constaté sur l'endettement des administrations publiques . Contrairement à l'investissement de la dotation du fonds pour l'innovation en obligations à long terme, la transformation de l'APE en gestionnaire d'actifs doté de la personnalité morale n'entraîne aucun effet sur le niveau de dette publique.


* 24 Rapport n° 1088 de la commission spéciale de l'Assemblée nationale chargée d'examiner le projet de loi « PACTE », page 737.

* 25 « Les aides à l'innovation », rapport de Jacques Lewiner, Ronan Stephan, Stéphane Distinguin et Julien Dubertret, mars 2018.

* 26 « L'État actionnaire », Rapport public thématique, Cour des comptes, janvier 2017, page 122.

* 27 Loi n° 2017-1837 du 30 décembre 2017 de finances pour 2018.

* 28 Rapport au Parlement sur la politique de dividende de l'État actionnaire et sur l'opportunité de faire évoluer le statut de l'Agence des participations de l'État, remis en application de l'article 178 de la loi de finances pour 2018, juillet 2018.

* 29 Rapport au Parlement sur la politique de dividende de l'État actionnaire et sur l'opportunité de faire évoluer le statut de l'Agence des participations de l'État, remis au Parlement en application de l'article 178 de la loi de finances pour 2018, juillet 2018.

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