EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 24 octobre 2018, sous la présidence de M. Vincent Éblé, président, la commission a procédé à l'examen du rapport de M. Patrice Joly, rapporteur spécial, sur la participation de la France au budget de l'Union européenne (article 37 du projet de loi de finances pour 2019).

M. Patrice Joly , rapporteur spécial . - Au moment où nous siégeons, siège également le Parlement européen qui devrait se prononcer sur le budget 2019. En juillet dernier, nous avons déjà évoqué la participation de la France au budget de l'Union européenne lorsque nous avons eu un échange sur les perspectives du prochain cadre financier pluriannuel.

Comme chaque année, la contribution de la France est composée du prélèvement sur recettes et des droits de douane qui sont directement versés au budget européen. Si la contribution de la France constituait une mission budgétaire, elle représenterait le quatrième poste de dépenses de l'État, juste après le budget de l'enseignement supérieur et de la recherche.

Pour l'année prochaine, le montant du prélèvement sur recettes est estimé à 21,5 milliards d'euros, contre 19,9 milliards d'euros inscrits en loi de finances pour 2018. À ce montant s'ajouteront environ 1,7 milliard d'euros de droits de douane, ce qui porte la contribution totale de la France à 23,2 milliards d'euros. Ainsi, pour la deuxième année consécutive, le prélèvement sur recettes européen augmente et atteint un niveau sans précédent depuis le début de la programmation, c'est-à-dire depuis 2014. Cette hausse résulte d'un effet de rattrapage de la consommation des crédits européens, en particulier ceux dédiés à la politique de cohésion et au développement rural. Nous nous réjouissons de cette augmentation qui traduit une réelle montée en charge des politiques européennes, après un démarrage plus lent que prévu en début de programmation.

Même si cette hausse était anticipée, elle n'en demeure pas moins conséquente puisqu'elle est 30 % supérieure au montant exécuté en 2017, soit plus de 5 milliards d'euros supplémentaires. Après plusieurs années de sous-exécution par rapport au montant adopté en loi de finances, la tendance est sur le point de s'inverser. D'ailleurs, pour 2018, la prévision actualisée est de 646 millions d'euros supérieure au montant voté à l'automne dernier.

La difficile prévisibilité du prélèvement sur recettes constitue un élément d'incertitude pour le budget de l'État. Toutefois, nous sommes dépendants de l'évaluation du besoin de financement de l'Union, réalisée chaque année par la Commission européenne. De plus, le prélèvement sur recettes est soumis à plusieurs variables en cours d'exercice telles que l'adoption de budgets rectificatifs de l'Union - un sixième budget rectificatif rien que pour 2018 devrait prochainement être publié - ou encore des corrections portées sur les contributions nationales pour les exercices antérieurs.

Par ailleurs, les prévisions de ressources TVA s'établissant à 4,5 milliards d'euros pour la France devraient être stables, comme la contribution au « chèque britannique » à hauteur de 1,3 milliard d'euros.

L'échec des négociations du Brexit lors du dernier Conseil européen nous rappelle que d'ici la fin de l'année 2020, le budget européen se verra amputé de la contribution britannique. En outre, les élections européennes qui se tiendront dans quelques mois incitent à élaborer un budget en prise directe avec les attentes des Européens.

La Commission a présenté en mai dernier un projet de budget pour 2019, actuellement examiné au Parlement européen. Ce budget respecte les plafonds de dépenses du cadre financier pluriannuel pour les années 2014-2020. Il prévoit 149 milliards de crédits de paiement, soit une hausse de 2,7 %, en intégrant les budgets rectificatifs n° 1 à 3. L'accent a été mis sur les crédits en faveur de la sécurité intérieure et extérieure de l'Union. Ainsi, les crédits dédiés à la rubrique « sécurité et citoyenneté » devraient augmenter de 17 % pour s'élever à 3,5 milliards d'euros. La Commission souhaite également augmenter les crédits dédiés à la croissance et l'emploi. Cette enveloppe devrait croître de 3,9 %. Toutefois, ces augmentations restent modestes et ne bouleversent pas les équilibres budgétaires traditionnels. La PAC et la politique de cohésion représenteront toujours respectivement 38 % et 31 % des crédits de paiement en 2019. Par conséquent, ce projet de budget s'inscrit résolument dans la continuité des précédents.

Je souhaite attirer votre attention sur la question du « reste à liquider », c'est-à-dire le besoin en crédits de paiement nécessaires pour couvrir les engagements financiers pris par l'Union européenne. Au début de la programmation actuelle, le reste à liquider s'élevait à 190 milliards d'euros, soit plus qu'un budget annuel ; il a atteint un nouveau record à la fin de l'année 2017, en s'établissant à 267 milliards d'euros. D'ici 2020, le reste à liquider pourrait s'élever à 300 milliards d'euros, soit presque deux fois le budget annuel de l'Union. Certes, l'apparition d'un arriéré de paiement est habituelle, mais la Cour des comptes européenne a souligné que son augmentation continue interrogeait la bonne gestion financière de l'Union européenne.

Je ne reviendrai pas en détail sur les propositions de la Commission pour le prochain cadre financier pluriannuel, puisque je vous ai déjà présenté en juillet dernier les conclusions de mes travaux de contrôle sur ce sujet. La Commission européenne a détaillé ses propositions pour l'après 2020, puis les négociations se sont ouvertes avec les représentants des États membres, sous la présidence de l'Autriche. Si l'adoption d'un accord politique avant les élections européennes demeure un objectif de la Commission, celui-ci semble de moins en moins crédible. À ce stade, trois observations peuvent être formulées sur la conduite des négociations : en dépit des coupes budgétaires annoncées pour la politique de cohésion, la France devrait être relativement épargnée par rapport à ses voisins européens, avec une diminution d'environ 5 % de son enveloppe, même si certains de nos territoires pourraient pâtir de cette diminution, notamment en raison de l'augmentation des cofinancements nationaux. En second lieu, le départ du Royaume-Uni, contributeur net au budget européen, cristallise l'opposition entre les États membres favorables à l'augmentation du plafond de dépenses et donc des contributions nationales, et ceux qui la refusent, tels que les Pays-Bas, la Suède, le Danemark et l'Autriche. Par conséquent, la Commission européenne a proposé une solution de compromis peu satisfaisante, consistant à augmenter légèrement le plafond de dépenses à 1,114 % du RNB de l'Union, contre 1 % actuellement. Le Parlement européen avait proposé, quant à lui, une augmentation de 1,3 %.

Enfin, la question de l'évolution des ressources propres ne devrait malheureusement pas aboutir à des progrès à court terme. Néanmoins, la Commission a présenté ses propositions en la matière, telles que l'instauration d'une taxe sur le plastique, la taxation du système d'échange de quotas d'émission carbone, ou la réforme de l'assiette commune consolidée de l'impôt sur les sociétés (ACCIS). Ces propositions ont été accueillies avec prudence par les États membres.

La lutte contre la fraude pourrait constituer un gisement de ressources pour l'Union européenne. Le montant de la fraude et de l'évitement fiscal est estimé à 1 000 milliards d'euros par an. Or, le cadre financier pluriannuel 2014-2020 prévoit environ 1 030 milliards d'euros en crédits de paiement. La lutte contre la fraude et l'évitement fiscal pourrait régler le besoin de financement de l'Europe.

En l'état actuel des données disponibles, je recommande à la commission l'adoption, sans modification, de l'article 37 du projet de loi de finances pour 2019.

M. Albéric de Montgolfier , rapporteur général . - Patrice Joly a signalé l'ampleur de la fraude à la TVA. De fait, nous menons un combat très actif contre celle-ci, notamment en matière de e-commerce. Il reste encore beaucoup de chemin à parcourir et, en tant que rapporteur de la loi relative à la lutte contre la fraude, j'ai eu la confirmation de la part des services fiscaux de l'ampleur considérable de la fraude à la TVA et de leur incapacité à la combattre. L'enjeu est non seulement français, mais aussi européen.

M. Roger Karoutchi . - Les restes à liquider étaient de 150 milliards d'euros en 2012 et devraient s'élever à 300 milliards d'euros à la fin de 2019. Or il ne se passe rien malgré les dénonciations régulières de la Cour des comptes européenne et de la commission du budget du Parlement européen. Des décisions ont-elles été prises au niveau européen à la demande de l'une ou de l'autre pour en revenir à des niveaux acceptables ?

La France a été provisoirement, en 2017, le troisième contributeur au budget de l'Union européenne, après le Royaume-Uni, et le deuxième bénéficiaire. Cela ne durera pas. Avec les remises en cause de la PAC et la réduction des subventions régionales, où en sera-t-on en 2020 ? Peut-être sera-t-on le premier contributeur.

M. Bernard Delcros . - A été évoqué le cadre financier pluriannuel 2021-2027. La Commission européenne propose une augmentation du budget européen, mais avec des changements importants dans les orientations. La France n'est pas impactée par la diminution du fonds de cohésion, puisqu'elle n'y est pas éligible ; en revanche, elle l'est par la baisse du fonds européen agricole pour le développement rural (Feader), principal levier du développement rural. Des rééquilibrages sont-ils envisageables dans le cadre des négociations afin de ne pas pénaliser les milieux ruraux ?

La contribution de la France au budget de l'Union européenne s'élève à 23 milliards d'euros ; elle en bénéficie à hauteur de 13 milliards d'euros. Quelles conséquences aura le Brexit sur ces équilibres financiers ?

Enfin, je suis impressionné par l'ampleur des fraudes. Il faut agir rapidement.

M. Jean-François Rapin . - L'augmentation du budget européen est consécutive aux évolutions de la PAC. Espérons que nos agriculteurs en verront les effets.

On parle très peu de l'impact potentiel du Brexit. Voilà peu, Gérald Darmanin nous avait indiqué qu'il réservait, si nécessaire, 1 milliard d'euros hors budget en financements d'urgence. Or il apparaît que le Brexit rendra nécessaires de nombreux investissements en France, notamment portuaires. Où en sont les négociations pour que la France puisse récupérer ses billes au travers des investissements qu'elle fait essentiellement pour l'Europe ?

M. Éric Bocquet . - À quelles actions - et dans quelles proportions - ont été affectés les 13,5 milliards d'euros qu'a reçus la France en 2017 ? Observe-t-on des évolutions significatives pour 2019 ? Comment se font les choix d'allocation des crédits ? Dans le cadre d'un dialogue franc et démocratique entre la Commission européenne et le Gouvernement ?

Par ailleurs, il faut en effet rappeler ces 1 000 milliards d'euros d'évasion fiscale au sein de l'Union européenne, et la France n'est pas seule concernée. Si chacun condamne cette fraude, certains lui trouvent parfois des circonstances atténuantes au regard de notre fiscalité qui serait excessive, délirante, « matraquante ».

M. Michel Canévet . - Pourquoi les restes à liquider augmentent-ils autant ? Est-ce lié à une rigidité dans l'octroi des aides européennes ? Quid de la procédure de dégagement d'office en cas de non-consommation des crédits ? Les contributions des États ont-elles été adaptées ou bien l'Union européenne s'est-elle constitué une abondante trésorerie de réserve ?

M. Arnaud Bazin . - Cette question des restes à liquider est en effet importante. Reste-t-il des restes à liquider qui ne seront jamais liquidés ? Nous avons vu les difficultés auxquelles se heurte notre administration nationale pour recouvrer notamment des fonds agricoles ou, dans une moindre mesure, des fonds destinés à l'aide alimentaire. Quels sont les impacts sur les participations passées et futures des États au budget européen ?

Mme Fabienne Keller . - J'ai lu avec attention l'analyse sur les perspectives 2021-2026. On voit l'intérêt pour la Commission et le Parlement de les finaliser avant les élections européennes de manière à fixer un cadre, mais on en voit aussi l'inconvénient sur le plan politique. Quelle est votre analyse ?

M. Patrice Joly , rapporteur spécial . - Les restes à liquider résultent d'une certaine rigidité des cadres budgétaires de l'Union européenne. Des réponses ont été apportées, notamment lors de la révision à mi-parcours du cadre financier pluriannuel, en instaurant des mécanismes accrus de flexibilité, ces redéploiements devant favoriser une meilleure mise en oeuvre de ces crédits budgétaires.

Les autorités de gestion de ces fonds, en France et dans les autres pays européens, ont été désignées tardivement, de même que les procédures ont été définies tout aussi tardivement, ce qui explique le retard pris dans la mise en oeuvre de cette programmation.

Pour permettre malgré tout la réalisation des actions financées sur fonds européens, le délai de dégagement d'office a été reporté de deux à trois ans. D'où une moindre tension sur les consommateurs de ces crédits. La Commission européenne propose de ramener ce délai à 2 ans dans le prochain cadre financier pluriannuel, soit à partir de 2021.

Les contributions nationales sont ajustées au besoin en crédits de paiement prévu au cours de l'année. Le reste à liquider est différent puisqu'il désigne les engagements qui devront ultérieurement être couverts par des crédits de paiement. Ainsi, on n'assiste pas à la constitution d'une épargne à l'échelle européenne qui se ferait au détriment des contributions nationales.

A fortiori s'il n'est pas défini en 2019, le prochain cadre financier pluriannuel sera impacté.

Concernant la PAC, on a eu le sentiment d'un flottement dans la position française dès lors que notre pays, en 2016, n'était plus bénéficiaire net - après avoir dû rembourser 656 millions d'euros de versements irréguliers. Les choses ont changé en 2018, vraisemblablement sous la pression des organisations professionnelles et compte tenu de la situation économique de l'agriculture en raison des conditions météorologiques. À l'occasion d'un séjour en Roumanie, j'ai pu constater que la France tentait de réunir un groupe de pays oeuvrant en faveur d'un maintien de la PAC.

Le Brexit aurait un coût évalué à 12 milliards d'euros pour le budget européen, ce qui correspond à la contribution nette du Royaume-Uni. Les propositions de la Commission européenne pour 2021-2027, sans la contribution britannique, pourraient se traduire par une contribution supplémentaire de la France d'environ 1 milliard d'euros par an. S'agissant des investissements à réaliser, notamment dans les ports, nous ne disposons pas d'éléments. Il faudrait savoir quelle sera la part de l'Union européenne dans ces charges particulières.

Fabienne Keller s'interrogeait sur l'adoption du cadre financier pluriannuel avant les élections européennes. Si le Parlement européen prochainement élu ne devait pas se prononcer sur ce cadre, cela signifierait que les députés élus ne traiteraient pas des questions budgétaires jusqu'en 2027. Compte tenu des délais de négociation, ce cadre financier ne devrait pas pouvoir être adopté avant les élections. La perspective, c'est que les enveloppes globales, par rubrique, soient adoptées, la répartition entre les différents fonds intervenant après les élections. Les hauts fonctionnaires de la Commission européenne ont une telle crainte du résultat des futures élections qu'ils ont envie de définir avant celles-ci un cadre sur lequel il serait difficile de revenir. On comprend l'enjeu, mais on ne peut pas s'asseoir sur les choix souverains des peuples européens.

Enfin pour répondre à Éric Bocquet, les évolutions significatives du budget européen portent sur des masses budgétaires qui ne sont pas, elles, les plus significatives. En particulier, on observe une augmentation des crédits liés aux enjeux de sécurité, également une augmentation des crédits de l'aide au développement et des crédits alloués en faveur des réfugiés en Turquie ainsi qu'aux engagements humanitaires de l'Union en Syrie. Erasmus devrait bénéficier également d'une hausse de ces crédits.

Les négociations se font soit à Bruxelles, soit au niveau des ministères. Nous avons constaté un certain chevauchement des compétences dans les négociations. J'ignore si cela nuit à l'unité du discours tenu par la France ; les ministères et le Secrétariat général des affaires européennes nous ont assuré de la cohérence de l'ensemble.

À l'issue de ce débat, la commission a décidé de proposer au Sénat d'adopter, sans modification, l'article 37 du projet de loi de finances pour 2019.

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