B. UNE RELANCE DU POUVOIR D'ACHAT QUI NE PEUT EN RÉALITÉ PASSER QUE PAR LA CROISSANCE

1. Dans un contexte budgétaire contraint, le Gouvernement ne peut que transférer du pouvoir d'achat d'une catégorie de ménages à une autre

Faute de marges de manoeuvres budgétaires, la politique gouvernementale revient donc pour l'essentiel à transférer du pouvoir d'achat d'une catégorie de ménages à une autre - et non à augmenter le pouvoir d'achat agrégé.

À cet égard, l'évaluation du budget 2019 réalisée par l'IPP à la demande de l'Assemblée nationale permet pour la première fois d' identifier avec précision les « gagnants » et les « perdants » du « jeu à somme nulle » du Gouvernement .

Les retraités devraient ainsi voir leur revenu disponible amputé de façon significative, sous l'effet principalement de la hausse de la CSG et de la sous-revalorisation des pensions, tout comme les ménages modestes , qui subissent de plein fouet la hausse de la fiscalité sur le tabac et l'énergie, la sous-indexation des prestations sociales et la réforme des aides personnelles au logement. Enfin, le haut des classes moyennes « supérieures » - soit les 20 % les plus aisés qui n'appartiennent pas aux 1 % des plus hauts revenus - apparaît également perdant, faute notamment de pouvoir bénéficier de la baisse de la taxe d'habitation.

À l'inverse, les principaux gagnants sont les ménages situés au centre de la distribution des revenus , sous l'effet de la baisse des cotisations sociales pour les actifs et de la suppression progressive de la taxe d'habitation, ainsi que les ménages les plus aisés , en lien avec la mise en place du prélèvement forfaitaire unique et la transformation de l'impôt sur la fortune en impôt sur la fortune immobilière.

Estimation de l'impact sur le revenu disponible des ménages 2019 des mesures 2018-2019 portant sur les prestations et les prélèvements obligatoires

(en %)

Note méthodologique : les ménages sont classés selon leur revenu disponible par unité de consommation. Les centiles sont définis au sein de la population globale.

Source : Brice Fabre et Claire Leroy, « Évaluation du budget 2019 : Quelles conséquences pour les ménages », Institut des politiques publiques, 11 octobre 2018 (étude commandée par l'Assemblée nationale)

Encore faut-il préciser que cette évaluation globale ne permet sans doute pas d'apprécier pleinement l'ampleur des pertes de pouvoir d'achat qui peuvent exister au niveau individuel .

À titre d'illustration, pour un retraité aisé dont la pension s'élève à 3 500 euros par mois, la hausse de la CSG et la sous-revalorisation des pensions représenteraient une perte de pouvoir d'achat équivalente à près d'un demi-mois de retraite en 2020 49 ( * ) . Pour un ménage se chauffant au fioul domestique, utilisant une voiture diesel et roulant beaucoup, l'impact des hausses de fiscalité écologique s'élèverait à environ 136 euros en 2018 et 538 euros en 2022 50 ( * ) .

2. La croissance constitue la seule véritable source de pouvoir d'achat à long terme et devrait à ce titre concentrer l'énergie du Gouvernement

Dès lors, plutôt que s'adonner à un véritable jeu de « bonneteau fiscal » aux effets délétères et mal maîtrisés, votre rapporteur général estime que le Gouvernement devrait se concentrer sur les réformes permettant d'élever le potentiel de croissance de l'économie française , qui représente la seule véritable source de pouvoir d'achat à long terme.

En effet, différents travaux économiques tendent à confirmer que c'est bien la croissance, et non les transferts organisés par le Gouvernement, qui constitue le facteur déterminant pour permettre d'élever durablement le pouvoir d'achat agrégé des ménages .

À titre d'illustration, les services de l'Insee relevaient récemment dans une étude comparative que « de façon générale, dans l'ensemble des pays étudiés, entre 75 et 80 % du revenu national sont reçus par les ménages, à travers les revenus de leur travail ou du capital qu'ils détiennent, ainsi qu'à travers les prestations qu'ils perçoivent de la part des administrations publiques » 51 ( * ) . Ainsi, la capacité des ménages à s'approprier le revenu national par rapport aux administrations publiques et aux entreprises est proche au sein des pays comparables.

Le lien entre croissance et pouvoir d'achat est particulièrement manifeste dans le cas français. Sur longue période, l'évolution du pouvoir d'achat suit ainsi de façon quasi-parfaite celle du PIB, une fois la croissance de ce dernier corrigée des évolutions liées à la démographie et aux structures familiales.

Évolution comparée du PIB et du pouvoir d'achat depuis 1960

(taux de croissance annuel moyen)

Note méthodologique : l'évolution du pouvoir d'achat correspond à l'évolution du revenu disponible brut des ménages, déflatée par l'indice du prix de la dépense de consommation finale des ménages.

Source : commission des finances du Sénat (calculs à partir des données de l'Insee)

Les évolutions en matière de pouvoir d'achat correspondent donc aux grandes ruptures de tendance de l'activité économique , avec des gains très importants (près de 5 % par an) pendant la période dite des « Trente Glorieuses », des gains modérés jusqu'au déclenchement de la crise financière en 2007 et une quasi-stagnation du pouvoir d'achat depuis.

Selon la même logique, les hiérarchies en matière de gains de pouvoir d'achat à l'échelle européenne correspondent à celles observées s'agissant de la croissance : depuis le déclenchement de la crise financière, la France se situe ainsi dans une situation intermédiaire entre des pays qui, à l'image de l'Allemagne, ont réussi à « rebondir » plus rapidement, et d'autres qui, à l'instar de l'Italie, de l'Espagne ou de la Grèce, ne sont toujours pas en mesure de rattraper le terrain perdu.

Évolution du pouvoir d'achat par habitant depuis 2007

(base 100, 2007=100)

Note méthodologique : il s'agit de l'évolution du pouvoir d'achat du revenu disponible brut par habitant des ménages, corrigée à l'aide du déflateur des dépenses de consommation privée.

Source : commission des finances du Sénat (calculs à partir des données de la base AMECO)

Face à ce constat, votre rapporteur général appelle donc le Gouvernement à adopter les réformes structurelles nécessaires au redressement du potentiel de croissance de l'économie française , plutôt que de pratiquer un « jeu à somme nulle » consistant à prendre aux uns pour donner aux autres, au risque de susciter une défiance croissante de la part des contribuables.


* 49 La hausse de CSG s'élève à 708 euros. La perte de pouvoir d'achat liée à la sous-indexation pendant deux ans peut être estimée à 889 euros, sous l'hypothèse que la totalité de la pension provienne de régimes entrant dans le champ de la sous-indexation et en retenant le scénario gouvernemental s'agissant de l'évolution de l'indice des prix à la consommation hors tabac.

* 50 D'après les simulations transmises l'an passé par la direction de l'énergie et du climat à votre rapporteur général.

* 51 Raphaël Lee et Pierre Ralle, « Le pouvoir d'achat depuis la crise », rapport sur les comptes de la Nation 2015, Insee Références, édition 2016, p. 77.

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