B. LES TRAVAUX DE VOTRE COMMISSION SPÉCIALE : LA RECHERCHE D'UN DIFFICILE ÉQUILIBRE ENTRE L'EXIGENCE CONSTITUTIONNELLE DE PRÉCISION DE L'HABILITATION ET LE BESOIN DE FLEXIBILITÉ

1. La précision de l'habilitation : une exigence constitutionnelle

La législation par voie d'ordonnances n'est, par principe, pas une bonne méthode. Elle revient, pour le Parlement, à transférer au Gouvernement son droit souverain d'élaborer et d'adopter des lois qui ont ensuite des effets très concrets dans la vie quotidienne de nos concitoyens. Elle prive ainsi la procédure législative du débat démocratique indispensable à la qualité des lois et à leur acceptation par les citoyens. L'expérience montre que l'argument de célérité souvent mis en avant par le Gouvernement est très souvent démenti par les faits, la procédure d'ordonnances ne permettant pas un réel gain de temps dans l'adoption des textes législatifs. En outre, le statut des ordonnances est frappé d'une précarité qui met en cause la sécurité juridique. En effet, jusqu'à leur ratification, elles n'ont qu'une simple valeur réglementaire. Elles n'acquièrent une valeur législative que lorsque le projet de loi de ratification est inscrit à l'ordre du jour et que les ordonnances sont expressément ratifiées. Une nouvelle loi est alors nécessaire pour les modifier. Certes, au stade de l'examen du projet de loi de ratification, le Parlement doit pouvoir retrouver tout son pouvoir de contrôle pour valider ou non le travail réalisé par l'Exécutif. Le Gouvernement a l'obligation de déposer un projet de loi de ratification. Toutefois, la ratification d'une ordonnance n'est pas obligatoire. En pratique, le Gouvernement se dispense trop souvent d'inscrire les projets de loi de ratification à l'ordre du jour des assemblées : pour la seule session parlementaire 2016-2017, des projets de loi ont été déposés au Sénat pour ratifier 71 ordonnances ; 53 d'entre-elles n'ont toujours pas été ratifiées, faute d'inscription à l'ordre du jour. Reste que la procédure des ordonnances est prévue par l'article 38 de la Constitution. Quand le Gouvernement y a recours, il fait donc usage d'une prérogative constitutionnelle. Il revient, dès lors, au Parlement d'examiner la demande d'habilitation présentée par le Gouvernement en évaluant le bien fondé des finalités qu'il met en avant. Ce n'est en effet qu'au regard de circonstances bien définies que le Parlement peut consentir à déléguer temporairement son droit souverain.

Au regard des enjeux que met en cause le retrait annoncé du Royaume-Uni de l'Union européenne, votre commission spéciale a considéré que le Sénat pouvait accepter l'habilitation sollicitée.

Toute une série de mesures - certaines dérogatoires au droit commun - devront en effet être prises dans un certain nombre de domaines, notamment pour ce qui concerne le droit des personnes, dans des délais très rapides à l'approche de l'échéance du 30 mars 2019 . Il importe que la France soit armée très vite sur le plan législatif pour faire face aux conséquences prévisibles du Brexit , particulièrement en l'absence d'accord de retrait mais également si un accord était en définitive conclu. On ajoutera que l'étroitesse des délais ne permet pas la négociation immédiate de traités ou d'accords bilatéraux avec le Royaume-Uni, qui permettraient de régler les différentes questions pendantes du fait du Brexit. En revanche, lorsque de tels accords pourront être négociés et conclus, ils auront vocation à se substituer aux ordonnances pour autant qu'ils contiennent les mesures pertinentes dans le champ couvert par les ordonnances.

Votre commission spéciale souligne toutefois que l'habilitation ne peut être consentie que sous la réserve expresse qu'elle soit précise et que donc le champ d'action donné au Gouvernement pour intervenir de façon unilatérale dans le domaine de la Loi soit clairement énoncé et encadré.

La précision de la demande d'habilitation du Gouvernement constitue, en effet, une exigence constitutionnelle . Selon la jurisprudence du Conseil constitutionnel, le Gouvernement doit indiquer au Parlement les finalités (objectifs) de l'ordonnance ainsi que les secteurs d'intervention (pans du droit qu'il est proposé de modifier) 4 ( * ) . Le Conseil constitutionnel a d'ailleurs récemment censuré une habilitation à légiférer par ordonnances qui visait, sans autre précision, à « redéfinir » les dispositifs d'insertion des personnes handicapées 5 ( * ) .

En revanche, le Gouvernement n'est pas tenu de « faire connaître au Parlement la teneur (exacte) des ordonnances qu'il prendra en vertu de cette habilitation » 6 ( * ) .

Cette exigence de précision a d'ailleurs été mise en avant par le Conseil d'État dans son avis sur le projet de loi. Le Gouvernement n'a toutefois pas souhaité transmettre ce document au Parlement - contrairement à la pratique en usage depuis 2015 - pour des motifs tirés de la nécessaire discrétion autour du déroulement des négociations avec le Royaume-Uni.

Devant votre commission spéciale, la ministre en charge des affaires européennes a justifié en ses termes la décision du Gouvernement :

« Le texte prend pleinement en compte l'avis que lui a adressé le Conseil d'État. Cet avis nous a permis d'améliorer le texte, notamment en précisant davantage la finalité des mesures envisagées dans le sens suggéré par lui et en en ôtant une disposition qui n'était pas nécessaire, relative au maintien des conseillers municipaux de nationalité britannique. En l'état actuel du droit, le Conseil d'État nous a confirmé que les élus de nationalité britannique pourront poursuivre leur mandat jusqu'à son terme et qu'il n'était donc pas opportun d'inclure une disposition en ce sens. Le Conseil d'État précise clairement dans son avis que, dans cette nouvelle rédaction, le texte est conforme aux exigences constitutionnelles. Le Gouvernement a souhaité que cet avis ne soit pas publié pour ne pas donner d'indication sensible à l'autre partie de cette négociation, comme il est d'usage en matière de conduite des relations internationales. »

Votre rapporteur regrette ce choix du Gouvernement. En ne donnant aucune publicité à l'avis du Conseil d'État, le Gouvernement crée un mystère là où il n'y en a pas .

C'est aussi cette même motivation de précision de l'habilitation qui conduit votre commission spéciale à soumettre au Sénat un texte précisant sur plusieurs points l'habilitation sollicitée. À l'initiative de son rapporteur, votre commission a par exemple précisé les finalités de l'article 1 er du projet de loi, dans un objectif de sécurité juridique :

- tirer les conséquences de l'absence d'accord de retrait sur la situation, en France, des ressortissants britanniques ;

- préserver les activités économiques sur le territoire français ;

- préserver les flux de marchandises et de personnes en provenance du Royaume-Uni ;

- garantir un niveau élevé de sécurité sanitaire en France ;

- prévoir des dérogations, des procédures administratives simplifiées et des délais de régularisation pour les personnes morales ou physiques concernées.

2. Un besoin de flexibilité imposée par le contexte des négociations

Le projet de loi d'habilitation est marqué par un besoin de flexibilité qui se manifeste dans quatre directions .

Première contrainte : le contenu des ordonnances sera impacté selon qu'elles doivent répondre à la situation créée par la conclusion d'un accord de retrait ou, au contraire, par l'absence d'un tel accord. Pour les motifs rappelés ci-dessus, la perspective de conclusion d'un accord de retrait apparaît, à ce stade, très incertaine. Mais on ne peut exclure que les négociations puissent finalement aboutir « dans la dernière ligne droite ». Votre rapporteur rappelle que la loi votée au Royaume-Uni a fixé au 29 mars la date de sortie de l'Union européenne. Les Britanniques ont fait valoir qu'un délai de six mois était nécessaire pour mener à bien le débat parlementaire sur un projet d'accord de retrait. C'est donc autour du 15-30 novembre au plus tard qu'un accord de retrait devrait être conclu pour que la ratification au Royaume-Uni puisse être menée à bien. On ne peut malheureusement non plus exclure qu'un projet d'accord de retrait soit en définitive rejeté très tardivement, à la veille du retrait effectif du Royaume-Uni le 29 mars.

Au total, deux articles (articles 1 er et 2) prennent en compte l'absence d'accord de retrait ; les ordonnances envisagées ne seront donc plus nécessaires si un accord était en définitive trouvé. L'article 3, en revanche, porte sur la réalisation d'infrastructures qui seront de toute façon nécessaires qu'il y ait ou non un accord de retrait. Le contenu des ordonnances prises sur ce fondement devra, le cas échéant, être adapté en fonction de l'accord qui fixera le cadre des relations futures entre l'Union européenne et le Royaume-Uni.

Deuxième contrainte : les ordonnances devront prendre en compte les mesures qui seront prises au niveau de l'Union européenne. Comme votre rapporteur l'a souligné précédemment, beaucoup des mesures qui seront requises ne relèveront pas des États membres. Ce qui signifie que dans les domaines concernés, ces derniers seront chargés pour l'essentiel d'appliquer la réglementation européenne. Le cas échéant, des coordinations seront nécessaires entre les règles européennes et les dispositions nationales mises en oeuvre via les ordonnances. Il est donc indispensable qu'une concertation étroite s'établisse entre notre administration, sous le pilotage du Secrétariat général des affaires européennes (SGAE), et la Commission européenne à travers son Secrétariat général qui constitue la « cheville ouvrière » du processus de préparation au niveau européen. La Commission européenne a, d'ores et déjà, préparé huit projets d'actes législatifs destinés à anticiper le retrait. Des mesures d'urgence seront, par ailleurs nécessaires.

Troisième contrainte : le contenu des ordonnances sera aussi conditionné par les mesures dans le même sens prises par les autres États membres ; la France devra, en effet, rechercher une harmonisation avec les grands États membres, en particulier l'Allemagne. D'après les informations communiquées par le Gouvernement à partir des évaluations faites par la Commission européenne, quatre États membres apparaissent - comme la France - bien avancés dans leur préparation au Brexit : l'Allemagne, les Pays-Bas, la Belgique et l'Irlande. Par contraste, d'autres États membres peuvent sembler moins préparés. Mais ils sont aussi potentiellement moins impactés.

S'agissant de l'Allemagne , deux textes sont déjà en cours d'examen au Bundestag, qu'il s'agisse de la loi sur la période de transition ou de celle sur le rapatriement des entreprises créées au Royaume-Uni (8 à 10 000 entreprises seraient concernées). La loi relative au statut des fonctionnaires de nationalité britannique a été adoptée le 27 septembre dernier. On relèvera, par ailleurs l'articulation nécessaire entre le niveau fédéral et celui des Länder en fonction de la répartition des compétences.

L'imbrication apparaît encore plus forte en Belgique compte tenu de la structure institutionnelle. Le gouvernement belge a annoncé, en septembre dernier, le recrutement de 141 douaniers, censés être opérationnels dès avril 2019. Les ports de Zeebrugge et Anvers devraient bénéficier d'une attention particulière. Un site internet a, par ailleurs, été mis en ligne à l'initiative du ministère de l'Économie afin d'informer les entreprises. Un outil de diagnostic en ligne a également été créé afin d'évaluer l'état de préparation des entreprises ( Brexit Impact Scan ). Un groupe de haut niveau est, en outre, chargé depuis juin 2016, de cartographier les conséquences du Brexit et d'aider les entreprises.

Les Pays-Bas ont eux-mêmes prévu des moyens budgétaires supplémentaires et entrepris des actions de sensibilisation des entreprises. Les échanges bilatéraux avec le Royaume-Uni, troisième partenaire commercial, représentent en effet 10 % du PIB et un Brexit « dur » pourrait coûter, selon certaines évaluations, jusqu'à 4,25 points de PIB d'ici 2030. Le gouvernement prévoit de recruter 928 douaniers et inspecteurs vétérinaires. Le projet de loi de finances pour 2019 réserve d'ores et déjà une enveloppe supplémentaire de 90 millions d'euros pour le renforcement des capacités des autorités douanières et de contrôle phytosanitaires, qui rencontrent en outre des difficultés de recrutement. 35 000 entreprises commerçant avec le Royaume-Uni sans autre expérience que le marché unique devront faire face pour la première fois à des procédures douanières. Le gouvernement hollandais a mis en place un site d'information en continu. Un outil d'aide à l'évaluation de l'impact du Brexit a été mis en ligne par l'agence publique de soutien aux entreprises et une campagne « Brexit buddies » d'aide de grandes entreprises auprès des PME vient d'être lancée, ainsi qu'un site internet d'aide et de conseil. Le gouvernement néerlandais poursuit par ailleurs une politique fiscale favorable à l'investissement et à l'attractivité, avec notamment une baisse du taux de l'impôt sur les sociétés (de 25 à 22,25 %). Le gouvernement a, enfin, présenté une lettre au Parlement indiquant les mesures de contingence envisagées. Elle cible plusieurs champs : citoyenneté, transports, services financiers, contrôles frontaliers, santé et environnement.

Votre rapporteur mettra plus particulièrement l'accent sur le fort engagement de l'Irlande dans sa préparation au Brexit. Le pays a prévu de recruter quelque 1 000 douaniers supplémentaires. Des prêts à faible taux d'intérêt pourraient être consentis aux petites et moyennes entreprises qui sont très exposées aux conséquences du retrait britannique, en particulier dans le secteur agro-alimentaire. Un fonds a ainsi été mis en place, le Brexit Loan Scheme , doté de 300 millions d'euros, 40 % de cette somme étant orientés vers le soutien au secteur agro-alimentaire. Une subvention pouvant aller jusqu'à 5 000 euros est ainsi prévue pour les entreprises développant une stratégie Brexit. Le pays mène également un gros travail d'adaptation de ses structures portuaires. Cet engagement apparaît d'autant plus nécessaire que 80% du flux entre l'Irlande et le continent européen passent actuellement par le Royaume-Uni. Le Brexit entraînera inévitablement des réorientations du trafic. En outre, l'Irlande entend faire valoir ses atouts en ce qui concerne la relocalisation de services financiers sur son territoire.

Quatrième contrainte : les mesures adoptées seront par ailleurs subordonnées à une réciprocité de la part du Royaume-Uni. Leur contenu pourra donc être modifié en fonction de l'existence ou non de cette réciprocité. La première ministre britannique Theresa May a tenu des propos rassurants sur le traitement qui sera réservé aux ressortissants européens. Mais elle a aussi mis en avant le concept d' « immigration choisie » qui s'appliquerait à toutes les nationalités. À ce stade, il convient donc d'être prudent et de ne pas exclure une adaptation des mesures applicables aux ressortissants britanniques en fonction de l'existence, ou non, d'une réciprocité pour les ressortissants européens installés au Royaume-Uni.

Compte tenu de ces contraintes qui s'exercent en sens contraire, l'examen du projet de loi par le Sénat devra donc tout à la fois répondre à l'exigence constitutionnelle de précision de l'habilitation et ne pas mettre en cause la flexibilité nécessaire pour s'adapter à la situation à laquelle les ordonnances devront s'attacher à répondre . C'est le sens du texte élaboré par votre commission spéciale qu'elle soumet à l'approbation du Sénat.

3. Une exigence : la préparation des administrations et une sensibilisation renforcée aux conséquences du Brexit

Votre commission spéciale tient à souligner que la préparation au retrait du Royaume-Uni ne peut se résumer à l'adoption de dispositions législatives et réglementaires, si utiles soient-elles.

Lors de son audition par votre commission, M. Gérald Darmanin, ministre de l'action et des comptes publics, a fait valoir que l'administration française sera capable de gérer le flux en provenance du Royaume-Uni, principalement via Calais. L'enjeu principal portera sur la période de transition. Le Royaume-Uni a d'ores et déjà demandé qu'un accord de transit puisse être conclu. Mais l'administration des douanes se prépare aussi à l'absence d'accord de retrait et de période de transition. 700 ETP (« équivalents temps plein ») seront recrutés. Sur ce total, 250 douaniers sont déjà formés et attendent leur affectation ; 350 sont prévus dans le projet de loi de finances pour 2019 ; 100 supplémentaires seront budgétés en 2020. Par contraste, la création de 40 postes au titre du ministère de l'agriculture et de l'alimentation peut apparaître assez faible. Mais au final, c'est la nature et l'importance des contrôles sanitaires et phytosanitaires à effectuer qui permettront de déterminer plus précisément les besoins en personnel.

En toute hypothèse, les contrôles ne devraient pas être systématiques. Une procédure d'enregistrement des marchandises à distance de la frontière pourra être mise en place et les moyens technologiques seront sollicités. Le contrôle des marchandises aura pour finalité d'assurer la protection du marché unique et d'assurer la sécurité du tunnel sous la Manche et des ports concernés.

On ajoutera que face au défi que le Brexit représente pour notre économie, il est plus que jamais nécessaire de promouvoir une administration qui accompagne nos ports, les entreprises et les territoires afin de leur permettre de s'adapter au mieux et de renforcer leur compétitivité. C'est une impérieuse nécessité face aux risques de détournement de trafic vers d'autres ports européens comme Anvers ou Rotterdam. C'est aussi la voie pour que nos ports puissent capter une partie significative du trafic en provenance d'Irlande.

Le Brexit génère un coût pour le budget de l'État et celui des collectivités territoriales et d'opérateurs publics et privés . Or, après le retrait du Royaume-Uni, la France avec d'autres États membres fera figure de « porte d'entrée » dans le marché unique pour des marchandises en provenance du Royaume-Uni. Elle accueillera en outre des personnes qui pourront ensuite circuler dans l'espace européen. C'est pourquoi votre commission spéciale juge nécessaire qu'une solidarité financière européenne s'exprime à travers un fonds dédié. Il serait logique que cette question soit prise en compte dans les discussions en cours sur le prochain cadre financier de l'Union européenne. Il a été précisé à votre rapporteur que la demande dans ce sens a été faite à la Commission européenne par les autorités françaises.

La préparation des administrations et la mise en adéquation des moyens budgétaires doivent aller de pair avec des actions de sensibilisation des acteurs intéressés aux conséquences du Brexit. On peut regretter que la prise de conscience ait été tardive. Il importe désormais d'engager tous les acteurs à se préparer au mieux pour ce qui les concerne. Il a été indiqué à votre rapporteur qu'un site internet était en cours de réalisation à destination des différents publics. Les douanes ont établi des listes d'entreprises concernées par les échanges avec le Royaume-Uni. Le nombre d'entreprises exportatrices vers le Royaume-Uni s'élève à environ 30 000. Ces entreprises sont contactées par les directions régionales des douanes aux fins de sensibilisation. Des réunions d'information à destination des PME sont par ailleurs organisées. Cinq régions semblent principalement concernées : l'Île-de-France, les Hauts-de-France, la Normandie, Auvergne-Rhône-Alpes et l'Occitanie. Les secteurs principalement impactés seraient l'agro-alimentaire, la pharmacie, l'aéronautique et l'automobile.

Comme l'a mis en évidence l'audition des représentants des activités portuaires, de la logistique et des transports, le Brexit représente un défi majeur pour ces activités . Il importe donc de soutenir les aménagements qui seront nécessaires dans les ports, non seulement dans les deux plus grands d'entre eux, à savoir Le Havre et Dunkerque, mais aussi dans l'ensemble du réseau des ports d'Etat et des ports décentralisés, qui participent à la dynamique des territoires et subiront tous, de façons diverses, les répercussions du Brexit. Ces ports sont, en outre, confrontés à un défi commun d'attractivité, alors que le Brexit pourrait engendrer une concurrence accrue entre les ports européens, avec des risques de détournements de trafics vers Anvers et Rotterdam notamment. Les ports français doivent en particulier faire valoir leur attractivité vis-à-vis de l'Irlande compte tenu des modifications prévisibles du trafic. Les conseils régionaux doivent être force de propositions dans ce domaine. La région Hauts-de-France, directement concernée par ces questions, est particulièrement mobilisée.

La France doit aussi intensifier ses campagnes d'attractivité pour attirer sur son sol des services financiers jusque-là implantés au Royaume-Uni. Cela peut passer par des mesures fiscales mais aussi par une mise en adéquation de l'offre notamment dans le domaine scolaire. Il a été ainsi indiqué à votre rapporteur qu'une école européenne est implantée à Courbevoie, principalement financée sur fonds européens. Deux autres lycées internationaux ouvriront leurs portes en Île-de-France d'ici la rentrée 2022 pour permettre d'accueillir, entre autres, « les enfants du Brexit » : à Saclay (91) et à Vincennes (94). Cela portera à neuf le nombre de lycées internationaux situés dans la région.

4. La situation des conseillers municipaux de nationalité britannique

Répondant à la mission constitutionnelle du Sénat de représentant des collectivités territoriales (article 24 de la Constitution), votre commission spéciale s'est préoccupée de la situation, après le retrait du Royaume-Uni, des conseillers municipaux de nationalité britannique, élus en 2014 , soit environ 900 personnes d'après informations recueillies par votre rapporteur.

Conformément à l'acquis communautaire 7 ( * ) et à l'article 88-3 de la Constitution, les citoyens européens sont autorisés à se présenter aux élections municipales 8 ( * ) . En revanche, ils ne peuvent pas exercer les fonctions de maire ou d'adjoint au maire 9 ( * ) .

Après le Brexit, les ressortissants britanniques ne seront plus éligibles aux élections municipales françaises.

Se pose toutefois la question des Britanniques élus conseillers municipaux en 2014 : pourront-ils aller jusqu'au bout de leur mandat ou seront-ils considérés comme démissionnaires d'office au lendemain du Brexit ?

Le projet de loi déposé sur le bureau du Sénat ne traite pas de cette question, ce qui a pu prêter à confusion. Toutefois, après échanges avec le Gouvernement, seule la première hypothèse paraît envisageable : sauf démission pour motifs personnels, les Britanniques élus en 2014 resteront conseillers municipaux jusqu'aux prochaines élections municipales (2020) .

Certes, les articles L. 230 et L. 236 du code électoral disposent que « ne peuvent être conseillers municipaux (...) les individus privés du droit électoral » et précisent que les personnes concernées sont déclarées démissionnaires d'office par le préfet.

Cependant, ces dispositions concernent uniquement les conseillers municipaux privés de leurs droits civiques après une condamnation pénale 10 ( * ) , ce qui ne correspond pas au cas d'espèce.

En outre, conformément à l'article 88-3 de la Constitution , seule une loi organique votée dans les mêmes termes par l'Assemblée nationale et le Sénat peut modifier le droit de vote et d'éligibilité des citoyens européens résidant en France. À titre d'exemple, l'article L.O. 236 du code électoral prévoit la démission d'office des citoyens européens déchus du droit d'éligibilité dans leur État d'origine.

En l'état du droit, il n'existe aucune disposition de nature organique prévoyant la démission d'office, du fait du Brexit, des Britanniques élus aux élections municipales de 2014 . Or, les dispositions encadrant les inéligibilités sont d' interprétation stricte , comme l'a rappelé le Conseil constitutionnel 11 ( * ) .

Dès lors, les ressortissants britanniques élus en 2014 conserveront leur mandat de conseillers municipaux jusqu'aux élections de 2020.

*

* *

Votre commission a adopté le projet de loi ainsi modifié.


* 4 Conseil constitutionnel, 26 juin 1986, Loi autorisant le Gouvernement à prendre diverses mesures d'ordre économique et social, décision n° 86-207 DC.

* 5 Conseil constitutionnel, 4 septembre 2018, Loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel , décision n° 2017-751 DC.

* 6 Conseil constitutionnel, 7 septembre 2017, Loi d'habilitation à prendre par ordonnances les mesures pour le renforcement du dialogue social , décision n° 2017-751 DC.

* 7 Directive 94/80/CE du Conseil du 19 décembre 1994, fixant les modalités de l'exercice du droit de vote et d'éligibilité aux élections municipales pour les citoyens de l'Union résidant dans un État membre dont ils n'ont pas la nationalité.

* 8 Article L.O. 228-1 du code électoral.

* 9 Article L.O. 2122-4-1 du code général des collectivités territoriales.

* 10 Voir, à titre d'exemple, l'arrêt suivant : Conseil d'État, 25 juillet 2013, Conseil municipal de Fos-sur-Mer , affaire n° 365376.

* 11 Conseil constitutionnel, 12 avril 2011, Loi organique relative à l'élection des députés et des sénateurs, décision n° 2011-628 DC.

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