Rapport n° 79 (2018-2019) de M. André GATTOLIN et Mme Colette MÉLOT , fait au nom de la commission des affaires européennes, déposé le 25 octobre 2018

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N° 79

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2018-2019

Enregistré à la Présidence du Sénat le 25 octobre 2018

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des affaires européennes (1) sur la proposition de résolution européenne, présentée en application de l'article 73 quinquies du Règlement, sur la responsabilisation partielle des hébergeurs ,

Par M. André GATTOLIN et Mme Colette MÉLOT,

Sénateurs

et TEXTE DE LA COMMISSION

(Envoyé à la commission des affaires économiques.)

(1) Cette commission est composée de : M. Jean Bizet, président ; MM. Philippe Bonnecarrère, André Gattolin, Mmes Véronique Guillotin, Fabienne Keller, M. Didier Marie, Mme Colette Mélot, MM. Pierre Ouzoulias, Cyril Pellevat, André Reichardt, Simon Sutour, vice-présidents ; M. Benoît Huré, Mme Gisèle Jourda, MM. Pierre Médevielle, Jean-François Rapin, secrétaires ; MM. Pascal Allizard, Jacques Bigot, Yannick Botrel, Pierre Cuypers, René Danesi, Mme Nicole Duranton, M. Christophe-André Frassa, Mme Joëlle Garriaud-Maylam, M. Daniel Gremillet, Mme Pascale Gruny, Laurence Harribey, MM. Claude Haut, Olivier Henno, Mmes Sophie Joissains, Claudine Kauffmann, MM. Guy-Dominique Kennel, Claude Kern, Pierre Laurent, Jean-Yves Leconte, Jean-Pierre Leleux, Mme Anne-Catherine Loisier, MM. Franck Menonville, Georges Patient, Michel Raison, Claude Raynal, Mme Sylvie Robert.

Voir le numéro :

Sénat :

739 (2017-2018)

AVANT-PROPOS

Madame, Monsieur,

En application de l'article 73 quinquies du règlement du Sénat, la commission des affaires européennes a été saisie, le 27 septembre dernier, d'une proposition de résolution européenne sur la responsabilisation partielle des hébergeurs. Le rapport et la proposition seront ensuite transmis à la commission des affaires économiques pour examen.

Cette proposition de résolution a été initiée par Catherine Morin-Dessailly. Elle avait été rapporteure d'une mission commune d'information sur l'Europe au secours de l'Internet mondial dont elle formalise les préconisations dans des propositions de résolution européenne.

Elle pose aujourd'hui la question du statut des plateformes qui hébergent et diffusent des contenus numériques dans le droit européen. Ce statut est défini par une directive de 2000, dite « directive sur le commerce électronique », écrite à une époque où le rôle et la place des plateformes dans la diffusion de l'information n'avaient rien à voir avec ce qu'ils sont aujourd'hui.

En vingt ans, en effet, l'évolution technologique a permis la création de plateformes interactives, de réseaux sociaux aux différentes formes et a placé ces derniers au centre du processus de circulation de l'information et de la propagande. Leur modèle économique participe à une diffusion toujours plus rapide de textes, de photos, de vidéos qui rencontrent un certain écho dans l'opinion publique, au détriment parfois de la vérité, souvent du droit d'auteur d'oeuvres protégées. Une étape a été franchie avec de véritables campagnes de propagande orchestrées à l'occasion de récents scrutins et il existe aujourd'hui un risque pour nos démocraties.

Face à cela, les autorités tentent d'apporter des réponses teintées de pragmatisme. Toutefois, personne - et en premier lieu, pas la Commission européenne - ne songe à modifier le statut ancien des hébergeurs pour tenir compte de la responsabilité qui est désormais la leur. La proposition de résolution invite à franchir ce cap.

Le présent rapport rappellera ce qu'est la responsabilité des hébergeurs dans le droit européen et les tentatives d'évolution recherchées à ce jour, avant de prendre position sur la proposition de résolution soumise à la commission des affaires européennes.

LE CONSTAT LUCIDE D'UN STATUT DEVENU OBSOLÈTE

Les auteurs de la proposition de résolution estiment que la responsabilité limitée des hébergeurs établie par le législateur européen à la fin des années 90 est désormais trop limitée au regard de l'évolution d'internet. Quel est ce statut ? En quoi est-il dépassé ?

UN DISPOSITIF DE RESPONSABILITÉ ALLÉGÉE QUI AVAIT FAIT L'OBJET DE RÉSERVES DU SÉNAT DÈS SON ORIGINE

UN DISPOSITIF ANCIEN ET UNE RESPONSABILITÉ LIMITÉE DES HÉBERGEURS SUR LA PUBLICATION DES CONTENUS

Comme le rappellent les auteurs de la proposition de résolution, la directive 2000/31/CE du 8 juin 2000 relative à certains aspects juridiques des services de la société de l'information, et notamment du commerce électronique, dans le marché intérieur, dite «directive sur le commerce électronique», a mis en place une responsabilité limitée des fournisseurs d'accès à internet et des hébergeurs de contenus. Cette directive est issue d'une proposition elle-même présentée par la Commission européenne le 18 novembre 1998, soit il y a bientôt vingt ans !

Elle a été transposée en droit français par la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique, dite loi NCEN qui définit en son article 6 les hébergeurs comme « les personnes physiques ou morales qui assurent, même à titre gratuit, pour mise à disposition du public par des services de communication au public en ligne, le stockage de signaux, d'écrits, d'images, de sons ou de messages de toute nature fournis par des destinataires de ces services ».

Fournisseurs d'accès et hébergeurs sont considérés comme des intermédiaires techniques qui n'ont pas de responsabilité quant au contenu publié. La responsabilité revient à l'éditeur qui élabore et publie le contenu. L'hébergeur ne verra sa responsabilité engagée que s'il ne suspend pas la diffusion d'un contenu illicite qui lui a été signalé. Il n'a pas d'obligation de surveillance générale de sa plateforme. Il n'a, en droit, même pas de rôle proactif à mener dans la recherche de contenus litigieux et peut se contenter de répondre aux signalements.

La responsabilité de l'hébergeur ne pourra être engagée que dans deux cas :

- S'il met en avant des contenus autrement que par une classification automatique, auquel cas il pourrait être considéré comme éditeur ;

- S'il apparaît que, connaissant l'existence de certains contenus et leur caractère manifestement illicite, il n'a pas retiré lesdits contenus avec diligence.

En outre, comme le rappelle la proposition de résolution, ce statut de responsabilité limitée s'est vu renforcé par la jurisprudence européenne.

Il apparait donc que le statut juridique des hébergeurs leur est, dès sa création, très favorable, dans le sens où ils n'ont quasiment aucune responsabilité quant au contenus mis en ligne sur leur site. Cette conception très libérale avait notamment pour objectif de favoriser le développement d'un secteur nouveau et d'acteurs européens. Internet en était encore aux débuts de sa généralisation et les grandes plateformes n'existaient pas encore. Toutefois, beaucoup de choses ont changé en ce domaine en vingt ans et notamment la diffusion de contenus écrits et vidéos, alors que l'objet premier de la directive était bien la réglementation du commerce électronique.

LES RÉSERVES MESURÉES DU SÉNAT EN 1999

La délégation pour l'Union européenne du Sénat a été saisie de la proposition de directive au titre de l'article 88-4 de la Constitution le 9 février 1999 et a émis un avis le 29 juin de la même année. Celui-ci reflète les débats qui ont animé les opinions publiques et les législateurs européens à l'époque 1 ( * ) .

Dans son rapport, René Trégouët a rappelé que l'élaboration d'un texte européen sur le commerce électronique avait pour vocation première de ne pas laisser les américains réglementer seuls le secteur. Évoquant la taxation des services en ligne, il soulignait que « l'Europe n'a pas encore pris suffisamment conscience du développement de cette valeur immatérielle, qui remet en cause les fondements mêmes de notre société » .

Il convient de rappeler que le débat entre les institutions européennes de l'époque fût des plus âpres. Face à la proposition de la Commission européenne d'une responsabilité aménagée pour les hébergeurs, le Parlement européen avait réagi durement en proposant que les intermédiaires soient responsables « dès lors qu'ils étaient en mesure » de savoir que l'activité était illicite. Le travail de la délégation sénatoriale s'inscrivant au coeur de ce débat avait proposé une voie médiane.

Le rapporteur estimait en effet que « la solution proposée par la Commission européenne est sans doute trop laxiste, en exonérant les intermédiaires de toute responsabilité dès lors qu'ils se contentent de transmettre passivement l'information. A l'inverse, la solution proposée par le Parlement européen apparaît trop rigoureuse, en les rendant responsables dès lors qu'ils sont en mesure de savoir que l'activité concernée est illicite » . Il prônait alors une solution plus équilibrée, « qui pourrait consister dans l'instauration d'une obligation de vigilance pour les intermédiaires, tenus de se doter des moyens techniques de gérer rapidement les situations à problème et d'assurer la traçabilité des messages et services échangés ». Et l'avis émis par la Délégation 2 ( * ) demandait alors que « les conditions d'engagement de la responsabilité des intermédiaires ne fassent pas peser sur eux un risque juridique excessif » .

Comme on l'a vu, c'est la conception libérale de la Commission qui a été finalement retenue. La dureté du débat et la difficulté d'aboutir à un texte a certainement prévalu dans le refus répété de la Commission européenne de revoir le statut des hébergeurs. Pourtant, depuis lors, les progrès technologiques et l'émergence des réseaux sociaux et d'acteurs économiques de taille mondiale ont bouleversé le monde et l'accès des citoyens à l'information.

UN DISPOSITIF DÉPASSÉ

Il importe de rappeler que lorsque la règle européenne concernant les hébergeurs a été adoptée, nombre des acteurs qui structurent aujourd'hui les réseaux de l'information n'existaient pas. Facebook, a été lancé le 4 février 2004, Youtube en mai 2005, Twitter en mars 2006, Instagram en 2010, Snapchat en 2011.

Certes Google a été créé le 4 septembre 1998, mais son expansion en deux ans mérite d'être mentionnée. À son lancement, le moteur de recherche répondait à 100 000 requêtes par jour ; en février 1999, 500 000 requêtes par jour ; en août 1999, 3 millions de requêtes par jour. En mai 2000, dix nouvelles langues pouvaient être employées pour effectuer des recherches : allemand, danois, espagnol, finnois, français, italien, néerlandais, norvégien, portugais et suédois. À la fin de la même année, Google signait un partenariat pour proposer des publicités ciblées en fonction des mots clés employés pour une recherche et annonçait dépasser 100 millions de requêtes par jour.

Aujourd'hui, Facebook compte 2 milliards d'inscrits et Instagram revendique plus d'un milliard d'utilisateurs à travers le monde. Sur Youtube plus d`un milliard d'heures de vidéos sont vues quotidiennement. Et comme le rappellent les auteurs de la proposition de résolution, c'est l'éclosion du web 2.0, c'est-à-dire la capacité pour les internautes d'interagir, de publier eux-mêmes des contenus sur internet ou de transmettre ceux qu'ils ont consultés qui a favorisé l'essor des réseaux sociaux. Ils occupent désormais une place prépondérante dans la vie politique, médiatique, sociale et personnelle.

Or, on ne peut que déplorer que, parmi tous ces acteurs, aucun ne soit européen, contrairement à un des objectifs de la directive sur le commerce électronique. Un cadre souple devait, en effet, favoriser l'innovation en Europe et permettre l'émergence d'acteurs économiques européens de premier plan. Dans les années 2000, le modèle économique des hébergeurs était le plus souvent déficitaire, ce qui a conduit à une certaine mansuétude de la Commission dans l'idée de ne pas leur accorder une responsabilité induisant des coûts importants.

Le régime juridique adopté a, en réalité, favorisé les acteurs américains. Pourtant, rien n'a été fait depuis 2000 pour protéger les entreprises européennes ou leur permettre de rivaliser avec ces grands groupes. Et aujourd'hui, grâce à la publicité et surtout l'appropriation des données à caractère personnel, nous avons affaire à des groupes très puissants.

En outre, le cadre juridique actuel ne permet pas de répondre aux problèmes posés par l'activité sur les plateformes et les réseaux sociaux qui se sont multipliés ces dernières années. À la mise en ligne d'oeuvres sans respect du droit d'auteur, se sont ajoutés la diffusion de propos racistes, la propagande terroriste et enfin les fausses informations. Cette dernière catégorie connaît désormais un certain relief dans le cadre des campagnes électorales et fait peser un risque sur les démocraties. Après les élections présidentielles américaine et française et le référendum sur le Brexit au Royaume-Uni, c'est désormais la campagne électorale au Brésil qui est touchée et les élections de mi-mandat aux États-Unis font l'objet de la plus grande attention. En Europe, l'inquiétude grandit en ce qui concerne la campagne pour les élections au Parlement européen en 2019.

Or, comme le relève la proposition de résolution, le modèle économique des plateformes favorise la transmission virale de fausses informations. Les plateformes de partage et les réseaux sociaux sont principalement rémunérés par la publicité, comme beaucoup de sites dits gratuits (sous couvert de gratuité, l'internaute consent souvent accès à ses données personnelles). Or, le prix de celle-ci augmente avec le nombre de consultations. Par conséquent, plus un site est visité, plus il gagne d'argent. Et comme le rappellent les auteurs de la proposition de résolution, les fausses informations font augmenter le trafic. Ainsi, de par leur propre modèle économique, les hébergeurs n'ont pas intérêt à limiter la circulation de fausses informations. C'est la raison pour laquelle, une contrainte réglementaire est nécessaire.

LES LIMITES DE L'ACTION DANS LE CADRE JURIDIQUE ACTUEL APPELLENT À LA DÉFINITION D'UNE NOUVELLE RESPONSABILITÉ POUR LES HÉBERGEURS

Réguler la diffusion des contenus est un casse-tête pour les régulateurs publics depuis plusieurs années, que ce soit au niveau européen ou à l'échelon national. Afin d'éviter le risque de censure privée et d'éviter de toucher au statut prévu par la directive de 2000, quelques mesures ont été prises durant les dernières années. Au regard de l'expérience et, face aux nouvelles difficultés, elles s'avèrent insuffisantes.

LES LIMITES DES RÉPONSES TEINTÉES DE PRAGMATISME

Le législateur national et européen se devaient de réagir à ces phénomènes susceptibles de déstabiliser certains secteurs économiques (respect du droit d'auteur), d'attaques contre certaines catégories de la société (groupe religieux avec le racisme et l'antisémitisme, la protection de l'enfance avec la pédopornographie), et d'atteintes à la démocratie (scrutins faussés par la diffusion de fausses informations durant les campagnes électorales). Ils l'ont fait de différentes façons et sans jamais remettre en cause les règles de la directive sur le commerce électronique concernant les hébergeurs. Avec certaines limites.

AU NIVEAU EUROPÉEN

En premier lieu, les hébergeurs ont eu l'obligation de retrait des contenus manifestement illégaux, comme ceux montrant de la pédopornographie ou faisant l'apologie du terrorisme, qui doivent faire l'objet d'un retrait rapide. Mais cette obligation se limite aux seuls contenus ouvertement illégaux et définis comme tels par la loi. Il est bien plus difficile d'appréhender des écrits ou des vidéos de propagande ou incitant à la haine sans porter atteinte à la liberté d'expression.

Pour le reste, la Commission a préféré, d'une part, adopter des règles propres à certains secteurs comme celles concernant les médias audiovisuels ou le droit d'auteur et, d'autre part, se tourner vers le droit mou, lignes directrices et autorégulation. C'est le cas notamment du code de conduite visant à lutter contre les discours haineux illégaux en ligne adopté en juin 2016.

De la même manière, elle a favorisé l'adoption un code de conduite pour lutter contre la désinformation, présenté en septembre dernier et adopté par les plateformes le 16 octobre. Il définit quinze engagements contraignants comme une plus grande transparence de la publicité politique, la formation des groupes politiques et des autorités électorales, le renforcement de la coopération avec les vérificateurs de faits. Pourtant, l'adoption de ce code est critiquée par le groupe de réflexion associé à sa préparation et qui regrette le manque d'engagements communs et mesurables, car chaque plateforme s'est engagée sur la base de bonnes pratiques individuellement consenties.

Cependant, la Commission européenne a toujours refusé de modifier les règles établies en 2000. Une récente initiative relative à la prévention de la diffusion de contenus à caractère terroriste en ligne 3 ( * ) illustre cette position. Bien que ce projet de règlement prévoie expressément qu'un contenu terroriste en ligne soit supprimé dans le délai d'une heure, et donc l'obligation pour l'hébergeur de le faire, il s'inscrit dans la continuité des règles de la directive sur le commerce électronique et le respect du statut d'hébergeur sans responsabilité. L'attendu (5) précise en effet qu' « aucune des mesures prises par le fournisseur de service d'hébergement en application du présent règlement, y compris des mesures proactives, ne devrait par elle-même entraîner la perte par ce fournisseur de services du bénéfice de l'exemption de responsabilité à cet article » .

Si cette proposition mérite une analyse approfondie dont ce rapport n'est pas l'objet, elle illustre pleinement la logique dans laquelle se place la Commission européenne : il s'agit de « compléter » la règle de 2000, soit en l'atténuant soit en la renforçant selon les cas, mais sans la modifier.

AU NIVEAU NATIONAL

Au niveau national, l'Allemagne a été la première, en Europe et dans le monde, à adopter une législation ambitieuse et contraignante dite «NetzDG », entrée en vigueur en octobre 2017 et mise ne application le 1er janvier 2018. Elle vise à règlementer la gestion des contenus illicites par les réseaux sociaux qui comptent plus de 2 millions d'inscrits. Ainsi, les plateformes concernées par cette règlementation sont tenues de mettre en place un dispositif permettant aux internautes de signaler facilement des contenus dits illicites ; les plateformes, dès qu'elles en ont connaissance, ont donc l'obligation sous 24 heures de supprimer ces contenus. En cas de manquement à leurs obligations, les amendes qu'elles encourent pourraient atteindre les 50 millions d'euros.

Malgré plusieurs critiques qui lui ont été adressées (un champ d'application trop vaste, l'apparition d'une pratique de censure préventive ou encore une privatisation de la censure), les premiers retours semblent positifs. Il convient également de relever que la loi allemande ne créé pas de nouvelle catégorie d'intermédiaire en ligne, mais s'inscrit dans le droit positif européen.

En France, la proposition de loi relative à la lutte contre les fausses informations actuellement en cours de discussion au Parlement s'inscrit elle aussi dans le cadre juridique européen existant. Deux rapports récents proposent, cependant, d'aller plus loin et évoquent une modification des règles européennes : l'un sur la lutte contre le racisme et l'antisémitisme, l'autre sur la désinformation.

La loi allemande a en partie inspiré, en France, les auteurs du rapport pour renforcer la lutte contre le racisme et l'antisémitisme sur internet. Écrit par Karim Amellal, Laetitia Avia et Gilles Taïeb, ce rapport a été remis au Premier ministre le 20 septembre dernier. Les auteurs préconisent un certain nombre de mesures à adopter en droit national, comme la création d'un statut d'accélérateur de contenus. Le rapport évoque aussi la difficulté de faire évoluer le droit européen concernant les hébergeurs. Il insiste sur la nécessité d'ouvrir des négociations, au niveau européen, pour faire évoluer le droit, sur la base des législations nationales adoptées en ce domaine en France et en Allemagne.

On peut également citer le rapport d'août 2018 du Centre d'analyse, de prévision et de stratégie (CAPS, ministère de l'Europe et des Affaires étrangères) et de l'Institut de recherche stratégique de l'École militaire (IRSEM, ministère des Armées) intitulé « Les manipulations de l'information, un défi pour nos démocraties ». Détaillant les formes nouvelles de la désinformation et la vulnérabilité des sociétés démocratiques, le rapport rappelle la difficulté de concilier la lutte contre les fausses informations et le respect de la liberté d''expression. Parmi les cinquante préconisations qu'il propose, la quatorzième porte expressément sur la responsabilisation des plateformes, qui doit se faire au niveau européen :

« 14. Responsabiliser les plateformes numériques. Le rôle des réseaux sociaux dans les manipulations de l'information n'est plus à démontrer : ils sont devenus les principales sources d'information, donc de désinformation, pour la majorité de la population (ils sont devenus nos « infomédiaires »). En dépit du fait que ces manipulations leur coûtent cher en termes réputationnels et qu'ils ont donné des gages en prenant dernièrement un certain nombre de mesures d'autorégulation, leur volonté de mettre fin à ces pratiques est ambivalente. Nous devons donc trouver les leviers pour, à l'échelle européenne :

a) les obliger à rendre publique l'origine des publicités - en exigeant une transparence équivalente à celle demandée aux médias traditionnels ;

b) les inciter à mettre en place des mesures pour combattre les manipulations de l'information sur leurs sites et contribuer à l'éducation aux médias et à la sensibilisation de la population.

Il revient au législateur de trouver le bon équilibre entre responsabilisation des plateformes numériques dans la lutte contre les fausses nouvelles et respect de la liberté d'expression. »

Cette invitation est la bienvenue : à ce stade, il ne s'agit pas de dire ce que doit être la responsabilité des hébergeurs, mais bien d'envisager une modification de la législation européenne. La Commission européenne doit soumettre une proposition en ce sens aux législateurs européens. C'est également ce que proposent les auteurs de la proposition de résolution.

FAIRE ÉVOLUER LE DROIT EUROPÉEN POUR RESPONSABILISER LES HÉBERGEURS

Tirant justement les conséquences des limites du régime juridique européen des hébergeurs, la proposition de résolution invite à l'ouverture de négociations pour la création d'un « statut intermédiaire entre celui d'hébergeur et d'éditeur » .

Cette idée a également été émise par le secrétaire d'État au numérique, Mounir Mahjoubi, dans une interview donnée au journal Le Monde le 17 octobre 2018. Il y déclare que « le mode de fonctionnement de Facebook et de Twitter, de ces plates-formes dont l'objet est la diffusion de contenus, il ne correspond ni à celui de l'éditeur ni à celui de l'hébergeur. Le concept d'accélérateur de contenus, introduit par le rapport Avia-Taïeb-Amellal, est très intéressant » . Rappelant que la loi allemande est née de l'inertie européenne, il ajoute que l'Union européenne doit aussi évoluer en ce sens et que des démarches pourraient être entreprises en 2019. Ce faisant, le secrétaire d'État se fait l'écho du Premier ministre qui a souligné la dimension européenne de ces questions.

Il semble donc qu'il y ait un consensus en France et en Allemagne pour une telle évolution. Le nombre élevé de signataires au Sénat de la proposition de résolution européenne et leur appartenance à des familles politiques différentes le montre. Pour vos rapporteurs, il est également temps que le droit européen évolue. Pour cela, il faudra convaincre un certain nombre de nos partenaires et la Commission européenne elle-même.

Il convient, certes, de mesurer l'immense travail accompli par la Commission depuis 2015 pour mettre en place sa stratégie pour un marché unique numérique. On peut comprendre qu'elle n'a pas voulu voir cette stratégie polluée par un débat sur le statut des hébergeurs tandis qu'elle dotait l'Union européenne d'un corpus réglementaire sur le numérique sans équivalent dans le monde. Il convient également de juger les dernières mesures de lutte contre la désinformation à l'aune de la rapidité de leur mise en oeuvre : le péril pèse sur les élections européennes de 2019 et on sait qu'il faut pratiquement deux années pour adopter un règlement ou une directive ; les mesures d'autorégulation proposées par la Commission européenne ont le mérite de pouvoir être mises en oeuvre dès le début de 2019.

Cependant, le fonctionnement d'Internet a été profondément modifié depuis 2000 et le poids des contenus en ligne dans le débat démocratique ne peut être nié. L'Union doit adapter ses règles en conséquence et de façon pérenne. Si l'actuelle Commission n'a pas voulu modifier le statut des hébergeurs, son mandat se terminera après les élections européennes de 2019. La prochaine Commission devra se saisir du sujet. En outre, si la France et l'Allemagne, ainsi que l'Autriche, semblent vouloir mieux encadrer la diffusion de contenus en ligne, il faudra convaincre le reste de l'Europe. Une voix française forte et unie sera nécessaire. C'est pourquoi, vos rapporteurs proposent d'adopter la proposition de résolution sans modification.

EXAMEN EN COMMISSION

La commission des affaires européennes s'est réunie le jeudi 25 octobre 2018 pour l'examen du présent rapport. À l'issue de la présentation faite par M. André Gattolin et Mme Colette Mélot, le débat suivant s'est engagé :

M. Jean Bizet , président . - Je salue le travail de nos rapporteurs, lequel s'inscrit dans la durée. Il faut souligner aussi le rôle important du Commissaire Julian King, ancien ambassadeur de Grande-Bretagne à Paris.

L'orientation prise par la Commission européenne devra être jugée dans le temps long. En Europe, nous sommes en retard en termes de technologie, mais en avance sur le plan de l'éthique. Il faut trouver le juste équilibre entre un encadrement coercitif et la libéralité permettant l'innovation.

M. Simon Sutour . - L'enfer est pavé de bonnes intentions puisque les propositions faites lors des débuts d'internet ont abouti au résultat inverse de ce que nous espérions. La France est isolée sur ces questions en Europe ; nos seuls alliés pourraient être les Britanniques, qui ont d'autres problèmes en ce moment.

Les grands groupes de l'internet se débrouillent à merveille pour échapper à tout, à la fiscalité comme au contrôle des contenus. Mais il y a une volonté, au niveau tant parlementaire que gouvernemental, de mieux maîtriser les choses. Il faut faire davantage, au regard notamment de la cybercriminalité.

J'approuve la proposition de résolution, mais il serait bon d'y ajouter un avis politique afin que l'on puisse s'adresser directement à la Commission.

M. Jean Bizet , président . - Cela aurait plus de force, en effet.

M. Pierre Cuypers . - Le sujet est immense et l'on n'en connaît pas les limites. Je m'interroge sur la sécurité. Comment définir le pouvoir que l'on pourrait confier à une autorité de contrôle ? Est-il possible de fermer des verrous, de créer des interdits dans ce domaine ? Au-delà des déclarations d'intention, quelles mesures de rétorsion prévoir contre les fausses nouvelles, qui engendrent de la suspicion et de l'insécurité ?

M. Daniel Gremillet . - La capacité d'imagination de ces groupes est du même niveau que celle de la grande distribution ; on a toujours l'impression d'être à la traîne !

Je soutiens cette proposition de résolution, même si elle est a minima . Un avis politique renforcerait la position de la France dans ce combat au niveau communautaire. Ce sujet est stratégique pour le futur.

M. Jean Bizet , président . - Sur le plan scientifique, des vérités établies sont battues en brèche via les fake news , qui, une fois diffusées, sont impossibles à enlever du subconscient de nos concitoyens. C'est dramatique !

M. Didier Marie . - La toile représente, à la fois, le meilleur et le pire. Les problèmes posés sont d'ordre démocratique, éthique, et liés à la sécurité. La course de vitesse est permanente entre les hébergeurs et les démocraties. Les pays de l'Union européenne tentent d'encadrer la diffusion de l'information, mais ces mesures sont à chaque fois insuffisantes.

La volonté est-elle assez forte en Europe pour réguler ce marché ? Il nous faut des champions dans le domaine du numérique, mais comment les faire émerger ? En matière de fiscalité des GAFA, on a vu combien il était difficile d'accorder les différentes positions des États membres. Or on ne peut pas compter sur les grands hébergeurs pour s'autoréguler. Ils ne le feront que sous la pression de la loi, qui prend la forme de directives européennes, et sous celle de la société civile. Une bataille politique est à mener pour exiger davantage d'éthique.

Je suis inquiet de l'impuissance actuelle et du déséquilibre des forces entre les GAFA et les pouvoirs publics. Aux États-Unis, la forme que prend la diffusion de certaines informations exacerbe les tensions et aboutit à la violence politique. Nous n'en sommes pas si loin en Europe, où des responsables politiques exploitent les faiblesses des dispositifs. L'Union européenne doit réagir plus fortement, et l'envoi d'un avis politique est une très bonne idée.

Mme Anne-Catherine Loisier . - La technologie avance plus rapidement que nos législations. La prise de conscience du problème par l'opinion publique est un moyen de faire pression sur les grands opérateurs.

L'Allemagne a récemment mis en place une législation contraignante. Les retours sont-ils positifs ?

M. Pierre Médevielle . - Il y a comme une chape de fatalisme... Quand la prévention est difficile, ne doit-on pas anticiper et se faire plus diabolique que le diable ? Il faudrait un système mixte qui permette, à la fois, de réprimer et d'anticiper.

M. Claude Raynal . - Nous ne sommes qu'au début du phénomène. C'est un espace de domination américain qui se met en place. L'ensemble du système est d'ores et déjà sous le contrôle des États-Unis, et cela s'aggravera si l'on ne fait rien. À égard, la proposition faite dans le rapport mériterait d'être durcie.

Quand les États-Unis accepteront de nouveau de dialoguer, il faudra mettre en place une autorité mondiale, car ce sujet est du même niveau que l'énergie atomique. Je ne pense pas que la Commission européenne ait le pouvoir de contrôler quoi que ce soit en la matière. Un gendarme mondial est nécessaire sur ces sujets.

M. Jean Bizet , président . - À propos de gendarmes mondiaux, l'Organisation mondiale du commerce (OMC) est en effet à une période charnière. L'actuelle phase américaine nous empêche d'élever le débat, ce qui nous expose à des affrontements stériles.

M. André Gattolin , rapporteur . - Il faut une réflexion globale sur la philosophie des États membres à l'égard d'internet. Il y a un groupe composite de huit à dix pays qui refusent toute régulation, pour des raisons parfois divergentes. Des pays nordiques et baltes invoquent une logique de marché ouvert et de coopération. D'autres - le Luxembourg, les Pays-Bas, l'Irlande -, qui mènent une politique fiscale différentielle, pour ne pas parler de dumping, s'approprient une partie de la richesse produite par le commerce en ligne sur l'ensemble du territoire européen. Il faut aussi citer une myriade de pays, dont Chypre ou Malte, qui prônent aussi la non-régulation.

L'Union européenne est fondée sur les principes budgétaires de la réparation et de la redistribution. Tel est l'esprit, par exemple, de la politique agricole commune. Aujourd'hui, avec l'économie numérique et les jeux fiscaux pratiqués par certains États membres, nous recréons de l'inégalité au sein de l'Europe.

La présente proposition de résolution ne remplacera pas une régulation sur les fausses nouvelles car, au sein de l'Union européenne, les États prêts à réguler ne sont pas majoritaires. Certains jouent leur propre partition pour des raisons économiques et de relation historique avec les États-Unis.

Le code de bonnes pratiques a été signé quelque peu sous la contrainte par Google, Facebook, Firefox, Twitter, car la Commission les a menacés, s'ils ne le faisaient pas, de légiférer avant la fin 2018. Mais de nombreuses clauses sont refusées par les signataires, comme celles prévoyant l'engagement de moyens technologiques, d'investissements, des achats de produits, la création de dispositifs améliorant la vérification de l'information, ou l'appel à des tiers pour repérer les fausses nouvelles.

Le règlement européen sur les données à caractère personnel s'impose comme une norme extraterritoriale. Quand on veut, on peut...

À l'époque de la mobilisation, des industriels du secteur, les fournisseurs d'accès à internet (FAI), étaient montés au créneau contre la régulation. Mais on n'a pas entendu les hébergeurs, car leur modèle ne prévoyait pas encore de publicité, ils étaient gratuits et leurs ressources étaient quasiment nulles. Aujourd'hui, les hébergeurs sont devenus des monstres qui captent la ressource publicitaire et, demain, celle des données personnelles, du big data . Nous sommes donc en droit, économiquement, d'exiger d'eux ce que nous n'osions pas leur demander auparavant.

L'évolution technologique est un autre argument en faveur de la régulation, puisqu'il existe désormais des outils permettant l'encadrement. Par exemple, face à l'avalanche de fausses nouvelles lors de la campagne électorale brésilienne, Facebook a mis en place une cellule de crise, travaillé avec les médias, et s'est engagé à retirer très rapidement les contenus contestés.

Point positif, les premières études montrent une baisse considérable de la propagation des fausses nouvelles au Brésil entre les deux tours. Point négatif, Facebook dit qu'il peut retirer l'information première, mais pas contrôler sa diffusion virale - mais peut-être y a-t-il dans ce refus un peu de mauvaise volonté. Lorsqu'il se fait pirater 50 millions de comptes, on voit bien qu'il n'a pas investi suffisamment. Mais attention avec la gouvernance globale ! Nous avons vu l'émergence d'un internet chinois puissant, mais avec un pouvoir chinois qui sait se protéger de l'extérieur, avec son firewall , sa muraille de Chine...

M. Simon Sutour . - Il sait se protéger de l'extérieur... et de l'intérieur !

M. André Gattolin . - Oui : 200 000 ou 300 000 personnes surveillent ce que les autres font sur internet.

Il faut cesser de dire que l'Union européenne est impuissante. Elle doit se souvenir qu'elle est le premier marché au monde ; elle pourrait dire aux entreprises : si vous voulez y accéder, il faudra respecter mes règles. La Commission n'est pas très sincère dans ce domaine. Elle s'est enfermée dans une logique étrange dans son dialogue avec les acteurs. Avec Colette Mélot, nous avons rencontré un prétendu syndicat du monde de l'internet européen. En l'interrogeant sur sa composition, nous nous sommes rendu compte que derrière quelques acteurs européens qu'on invite à des grands séminaires, c'étaient surtout Google, Facebook et autres qui se livraient à un lobbying intensif.

Paradoxe de la Commission, Jean-Claude Juncker parle de souveraineté à propos de tous les domaines, dans son discours sur l'état de l'Union ; mais sur le numérique, rien. Cela ne fait que dix-huit mois que l'on s'en préoccupe. On se dit qu'il faut des supercalculateurs, un nuage propre, des composants et des microcomposants indépendants et non chargés de back doors captables par des puissances étrangères. Toute cette dimension avait été oubliée. Sur la cybersécurité, la Commission met l'accent sur le cyberterrorisme, mais veut développer les objets connectés, alors que c'est la plus grande passoire dans ce domaine...

Nous n'avons pas de rapport officiel concernant l'Allemagne, la loi n'étant entrée en application que le 1 er janvier dernier. Mais il apparaît dans le rapport, remis au Premier ministre par des députés, sur le renforcement de la lutte contre le racisme et l'antisémitisme sur internet - une question suivie avec une très grande attention en Allemagne -, que la loi aurait un début d'effet.

Nous voudrions, Colette Mélot et moi, vous proposer une modification du titre.

Mme Colette Mélot . - Parler d'hébergeurs sans autre complément n'est pas clair. Il serait préférable de parler d'hébergeurs de contenus numériques.

M. Michel Raison . - Oui, cela pourrait faire référence aux hôtes de logements Airbnb...

Mme Colette Mélot . - La liberté d'expression ne doit pas être respectée seulement dans la presse écrite, mais aussi sur le web. Il y a aussi un risque de privatisation de la censure. Les fausses informations ont toujours existé : à la cour des rois de France, déjà, les rumeurs couraient, et au siècle dernier, la presse a fait tomber des gouvernements, des suicides ont eu lieu à la suite de fausses informations. Ce n'est pas nouveau. La Commission a produit un code de bonne conduite, c'est déjà ça. Mais le temps est venu de prendre les choses à bras-le-corps ; c'est le moment, puisqu'il y aura bientôt une nouvelle Commission. Mais il sera toujours difficile de contrer la suprématie américaine. Dans ce contexte, notre résolution sera la bienvenue.

M. Jean Bizet , président . - Êtes-vous d'accord pour modifier le titre et adopter cette résolution, doublée d'un courrier à Jean-Claude Juncker ? Sans aller jusqu'au firewall des Chinois, il faudra sans doute être plus coercitif contre ceux qui ne respectent pas les valeurs de l'Union. Il faudra bien, un jour, affirmer davantage la puissance et la souveraineté de l'Union européenne.

*

À l'issue du débat, la proposition de résolution européenne est adoptée à l'unanimité dans la rédaction suivante :

PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE SUR LA RESPONSABILISATION PARTIELLE DES HÉBERGEURS
DE CONTENUS NUMÉRIQUES

Le Sénat,

Vu l'article 88-4 de la Constitution,

Vu l'article 3 du Traité sur l'Union européenne (TUE),

Vu l'article 10 paragraphe 1 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales,

Vu les articles 14 et 15 de la directive 2000/31/CE du Parlement européen et du Conseil du 8 juin 2000 relative à certains aspects juridiques des services de la société de l'information, et notamment du commerce électronique, dans le marché intérieur (« directive sur le commerce électronique »),

Vu le 7) des conclusions du Conseil européen du 22 mars 2018 (EUCO 1/18),

Vu la communication de la Commission européenne du 26 avril 2018 au Parlement européen, au Comité économique et social européen et au Comité européen des Régions intitulé « Tackling online disinformation: a European approach » (COM (2018) 236 final),

Vu le rapport du groupe d'experts de haut niveau intitulé « A multi-dimensional approach to disinformation » remis à la Commission européenne le 12 mars 2018,

Vu l'article 6 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique,

Vu l'article 27 de la loi n° 2009-669 du 12 juin 2009 favorisant la diffusion et la protection de la création sur internet,

Vu l'article L. 111-7 du code de la consommation, introduit par l'article 49 de la loi n° 2016-1321 du 7 octobre 2016 pour une République numérique,

Vu l'arrêt de la Cour de Justice de l'Union européenne du 23 mars 2010 « Google France et Google » C-236/08,

Vu le Rapport d'information « Lutte contre la contrefaçon : premier bilan de la loi du 29 octobre 2007 » de MM. Laurent BÉTEILLE et Richard YUNG, fait au nom de la commission des lois du Sénat n° 296 (2010-2011) - 9 février 2011 ;

Vu le Rapport d'information « L'Union européenne, colonie du monde numérique ? » de Mme Catherine MORIN-DESAILLY, fait au nom de la commission des affaires européennes du Sénat n° 443 (2012-2013) - 20 mars 2013,

Vu le rapport du Conseil d'État de 2014 « Le numérique et les droits fondamentaux » présenté le 9 septembre 2014,

Considérant la place primordiale prise par les hébergeurs, au sens de la directive 2000/31/CE du Parlement européen et du Conseil du 8 juin 2000, dans l'accès à l'information pour les citoyens européens ;

Considérant que, depuis l'adoption de ladite directive et sa transposition dans les droits nationaux, les fonctionnalités proposées par les plateformes ont considérablement évolué, avec l'émergence d'un « Web 2.0 » qui n'avait alors pas été anticipée ;

Considérant que le modèle économique dominant de ces entités repose sur des recettes publicitaires directement réglées par l'annonceur ou bien engendrées par le nombre de pages vues par les internautes ;

Considérant que ce modèle constitue un cadre favorable non seulement à la propagation de nouvelles contestables ou fallacieuses, mais également à des tentatives de manipulation menées par des pays tiers, en particulier en période électorale ;

Considérant que le régime de responsabilité allégé prévu par la directive précitée de 2000 profite avant tout aux grands acteurs déjà établis de l'internet, et que ces derniers n'ont pas montré de volonté suffisante, en dépit des avancées technologiques, de trouver des solutions opérationnelles aux problèmes soulevés ;

Considérant que, pour l'essentiel, les entreprises qui mettent en place ces technologies sont extra-européennes et que, en dépit du cadre libéral qui a présidé à l'adoption de la directive de 2000, aucun acteur majeur des nouvelles technologies de l'information n'a encore émergé au sein de l'Union européenne ;

S'inquiète de ce que ce modèle ne participe désormais d'un affaiblissement de nos démocraties, comme l'ont montré les suspicions planant sur les derniers scrutins en Europe comme aux États-Unis ;

Considère donc que le régime de responsabilité allégé des hébergeurs, tel qu'il résulte de la directive de 2000, n'est aujourd'hui plus adapté à ces nouveaux défis ;

Requiert en conséquence une évolution du cadre légal pour créer un statut intermédiaire entre celui d'hébergeur et celui d'éditeur, spécifiquement dans le cas d'une hiérarchisation par un algorithme des informations présentées à l'utilisateur du service ;

Souligne que ce nouveau statut doit être compatible avec, d'une part, la liberté d'expression garantie par le paragraphe 1 de l'article 10 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, d'autre part avec le développement du marché intérieur et la croissance économique équilibrée mentionnés à l'article 3 du Traité sur l'Union européenne ;

Invite le Gouvernement à soutenir ces orientations et à les faire valoir dans les négociations à venir.

TABLEAU COMPARATIF

Texte de la proposition de résolution

Texte de la commission des affaires européennes

Proposition de résolution européenne sur la responsabilisation partielle des hébergeurs

Proposition de résolution européenne sur la responsabilisation partielle des hébergeurs de contenus numériques

Le Sénat,

Le Sénat,

Vu l'article 88-4 de la Constitution,

Vu l'article 88-4 de la Constitution,

Vu l'article 3 du traité sur l'Union européenne,

Vu l'article 3 du traité sur l'Union européenne,

Vu l'article 10 paragraphe 1 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales,

Vu l'article 10 paragraphe 1 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales,

Vu les articles 14 et 15 de la directive 2000/31/CE du Parlement européen et du Conseil du 8 juin 2000 relative à certains aspects juridiques des services de la société de l'information, et notamment du commerce électronique, dans le marché intérieur (« directive sur le commerce électronique »),

Vu les articles 14 et 15 de la directive 2000/31/CE du Parlement européen et du Conseil du 8 juin 2000 relative à certains aspects juridiques des services de la société de l'information, et notamment du commerce électronique, dans le marché intérieur (« directive sur le commerce électronique »),

Vu le point 7 des conclusions du Conseil européen du 22 mars 2018 (EUCO 1/18),

Vu le point 7 des conclusions du Conseil européen du 22 mars 2018 (EUCO 1/18),

Vu la communication COM (2018) 236 final de la Commission européenne au Parlement européen, au Comité économique et social européen et au Comité européen des Régions du 26 avril 2018 intitulée « Tackling online disinformation : a European approach »,

Vu la communication COM (2018) 236 final de la Commission européenne au Parlement européen, au Comité économique et social européen et au Comité européen des Régions du 26 avril 2018 intitulée « Tackling online disinformation : a European approach »,

Vu le rapport du groupe d'experts de haut niveau intitulé « A multi-dimensional approach to disinformation » remis à la Commission européenne le 12 mars 2018,

Vu le rapport du groupe d'experts de haut niveau intitulé « A multi-dimensional approach to disinformation » remis à la Commission européenne le 12 mars 2018,

Vu l'article 6 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique,

Vu l'article 6 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique,

Vu l'article 27 de la loi n° 2009-669 du 12 juin 2009 favorisant la diffusion et la protection de la création sur Internet,

Vu l'article 27 de la loi n° 2009-669 du 12 juin 2009 favorisant la diffusion et la protection de la création sur Internet,

Vu l'article L. 111-7 du code de la consommation, dans sa rédaction résultant de l'article 49 de la loi n° 2016-1321 du 7 octobre 2016 pour une République numérique,

Vu l'article L. 111-7 du code de la consommation, dans sa rédaction résultant de l'article 49 de la loi n° 2016-1321 du 7 octobre 2016 pour une République numérique,

Vu l'arrêt de la Cour de Justice de l'Union européenne du 23 mars 2010 « Google France et Google » C-236/08,

Vu l'arrêt de la Cour de Justice de l'Union européenne du 23 mars 2010 « Google France et Google » C-236/08,

Vu le rapport d'information du Sénat « Lutte contre la contrefaçon : premier bilan de la loi du 29 octobre 2007 » (n° 296, 2010-2011) - 9 février 2011 - de MM. Laurent BÉTEILLE et Richard YUNG, fait au nom de la commission des lois,

Vu le rapport d'information du Sénat « Lutte contre la contrefaçon : premier bilan de la loi du 29 octobre 2007 » (n° 296, 2010-2011) - 9 février 2011 - de MM. Laurent BÉTEILLE et Richard YUNG, fait au nom de la commission des lois,

Vu le rapport d'information du Sénat « L'Union européenne, colonie du monde numérique ? » (n° 443, 2012-2013) - 20 mars 2013 - de Mme Catherine MORIN-DESAILLY, fait au nom de la commission des affaires européennes,

Vu le rapport d'information du Sénat « L'Union européenne, colonie du monde numérique ? » (n° 443, 2012-2013) - 20 mars 2013 - de Mme Catherine MORIN-DESAILLY, fait au nom de la commission des affaires européennes,

Vu le rapport d'information du Sénat « L'Europe au secours de l'Internet : démocratiser la gouvernance de l'Internet en s'appuyant sur une ambition politique et industrielle européenne » (n° 696 tome I, 2013-2014) - 8 juillet 2014 - de Mme Catherine MORIN-DESAILLY, fait au nom de la Mission commune d'information « Nouveau rôle et nouvelle stratégie pour l'Union européenne dans la gouvernance mondiale de l'Internet »,

Vu le rapport d'information du Sénat « L'Europe au secours de l'Internet : démocratiser la gouvernance de l'Internet en s'appuyant sur une ambition politique et industrielle européenne » (n° 696 tome I, 2013-2014) - 8 juillet 2014 - de Mme Catherine MORIN-DESAILLY, fait au nom de la Mission commune d'information « Nouveau rôle et nouvelle stratégie pour l'Union européenne dans la gouvernance mondiale de l'Internet »,

Vu le rapport du Sénat sur la proposition de loi relative à la lutte contre la manipulation de l'information (n° 677, 2017-2018) - 18 juillet 2018 - de Mme Catherine MORIN-DESAILLY, fait au nom de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication,

Vu le rapport du Sénat sur la proposition de loi relative à la lutte contre la manipulation de l'information (n° 677, 2017-2018) - 18 juillet 2018 - de Mme Catherine MORIN-DESAILLY, fait au nom de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication,

Vu l'étude annuelle du Conseil d'État de 2014 « Le numérique et les droits fondamentaux » présentée le 9 septembre 2014,

Vu l'étude annuelle du Conseil d'État de 2014 « Le numérique et les droits fondamentaux » présentée le 9 septembre 2014,

Considérant la place primordiale prise par les hébergeurs, au sens de la directive 2000/31/CE du Parlement européen et du Conseil du 8 juin 2000 relative à certains aspects juridiques des services de la société de l'information, et notamment du commerce électronique, dans le marché intérieur (« directive sur le commerce électronique »), dans l'accès à l'information pour les citoyens européens ;

Considérant la place primordiale prise par les hébergeurs, au sens de la directive 2000/31/CE du Parlement européen et du Conseil du 8 juin 2000 relative à certains aspects juridiques des services de la société de l'information, et notamment du commerce électronique, dans le marché intérieur (« directive sur le commerce électronique »), dans l'accès à l'information pour les citoyens européens ;

Considérant que, depuis l'adoption de ladite directive et sa transposition dans les droits nationaux, les fonctionnalités proposées par les plateformes ont considérablement évolué, avec l'émergence d'un « Web 2.0 » qui n'avait alors pas été anticipée ;

Considérant que, depuis l'adoption de ladite directive et sa transposition dans les droits nationaux, les fonctionnalités proposées par les plateformes ont considérablement évolué, avec l'émergence d'un « Web 2.0 » qui n'avait alors pas été anticipée ;

Considérant que le modèle économique dominant de ces entités repose sur des recettes publicitaires directement réglées par l'annonceur ou bien engendrées par le nombre de pages vues par les internautes ;

Considérant que le modèle économique dominant de ces entités repose sur des recettes publicitaires directement réglées par l'annonceur ou bien engendrées par le nombre de pages vues par les internautes ;

Considérant que ce modèle constitue un cadre favorable non seulement à la propagation de nouvelles contestables ou fallacieuses, mais également à des tentatives de manipulation menées par des pays tiers, en particulier en période électorale ;

Considérant que ce modèle constitue un cadre favorable non seulement à la propagation de nouvelles contestables ou fallacieuses, mais également à des tentatives de manipulation menées par des pays tiers, en particulier en période électorale ;

Considérant que le régime de responsabilité allégé prévu par la directive 2000/31/CE du Parlement européen et du Conseil du 8 juin 2000 précitée profite avant tout aux grands acteurs déjà établis de l'Internet, et que ces derniers n'ont pas montré de volonté suffisante, en dépit des avancées technologiques, de trouver des solutions opérationnelles aux problèmes soulevés ;

Considérant que le régime de responsabilité allégé prévu par la directive 2000/31/CE du Parlement européen et du Conseil du 8 juin 2000 précitée profite avant tout aux grands acteurs déjà établis de l'Internet, et que ces derniers n'ont pas montré de volonté suffisante, en dépit des avancées technologiques, de trouver des solutions opérationnelles aux problèmes soulevés ;

Considérant que, pour l'essentiel, les entreprises qui mettent en place ces technologies sont extra-européennes et que, en dépit du cadre libéral qui a présidé à l'adoption de la directive 2000/31/CE du Parlement européen et du Conseil du 8 juin 2000 précitée, aucun acteur majeur des nouvelles technologies de l'information n'a encore émergé au sein de l'Union européenne ;

Considérant que, pour l'essentiel, les entreprises qui mettent en place ces technologies sont extra-européennes et que, en dépit du cadre libéral qui a présidé à l'adoption de la directive 2000/31/CE du Parlement européen et du Conseil du 8 juin 2000 précitée, aucun acteur majeur des nouvelles technologies de l'information n'a encore émergé au sein de l'Union européenne ;

S'inquiète de ce que ce modèle ne participe désormais d'un affaiblissement de nos démocraties, comme l'ont montré les suspicions planant sur les derniers scrutins en Europe comme aux États-Unis ;

S'inquiète de ce que ce modèle ne participe désormais d'un affaiblissement de nos démocraties, comme l'ont montré les suspicions planant sur les derniers scrutins en Europe comme aux États-Unis ;

Considère donc que le régime de responsabilité allégé des hébergeurs, tel qu'il résulte de la directive 2000/31/CE du Parlement européen et du Conseil du 8 juin 2000 précitée, n'est aujourd'hui plus adapté à ces nouveaux défis ;

Considère donc que le régime de responsabilité allégé des hébergeurs, tel qu'il résulte de la directive 2000/31/CE du Parlement européen et du Conseil du 8 juin 2000 précitée, n'est aujourd'hui plus adapté à ces nouveaux défis ;

Requiert en conséquence une évolution du cadre légal pour créer un statut intermédiaire entre celui d'hébergeur et celui d'éditeur, spécifiquement dans le cas d'une hiérarchisation par un algorithme des informations présentées à l'utilisateur du service ;

Requiert en conséquence une évolution du cadre légal pour créer un statut intermédiaire entre celui d'hébergeur et celui d'éditeur, spécifiquement dans le cas d'une hiérarchisation par un algorithme des informations présentées à l'utilisateur du service ;

Souligne que ce nouveau statut doit être compatible avec, d'une part, la liberté d'expression garantie par le paragraphe 1 de l'article 10 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, d'autre part avec le développement du marché intérieur et la croissance économique équilibrée mentionnés à l'article 3 du traité sur l'Union européenne ;

Souligne que ce nouveau statut doit être compatible avec, d'une part, la liberté d'expression garantie par le paragraphe 1 de l'article 10 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, d'autre part avec le développement du marché intérieur et la croissance économique équilibrée mentionnés à l'article 3 du traité sur l'Union européenne ;

Invite le Gouvernement à soutenir ces orientations et à les faire valoir dans les négociations à venir.

Invite le Gouvernement à soutenir ces orientations et à les faire valoir dans les négociations à venir.


* 1 http://www.senat.fr/ue/pac/E1210.html

* 2 Proposition de résolution n°475 (1998-1999).

* 3 Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif à la prévention de la diffusion de contenus à caractère terroriste en ligne - COM (2018) 640 final.

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