CHAPITRE III - RESPONSABILITÉ CIVILE

Article 7 (art. 431-12-1 [nouveau] du code pénal ; art. L. 211-10 du code de la sécurité intérieure) - Responsabilité civile pour les dommages causés lors d'une manifestation

L'article 7 de la proposition de loi, dans sa rédaction initiale, tendait à créer une présomption de responsabilité civile « collective » des personnes condamnées pénalement pour des infractions commises à l'occasion du déroulement d'une manifestation sur la voie publique pour la réparation des dommages de toute nature résultant de ladite manifestation.

Les infractions concernées auraient été les violences de toute nature, les faits de destruction, dégradation ou détérioration d'un bien d'autrui ou encore la participation à un groupement violent.

Une personne aurait ainsi pu être condamnée à réparer un dommage en l'absence de lien de causalité directe avec le fait pour lequel elle aurait été condamnée pénalement. En effet les dommages « résultant de la manifestation » n'auront pas nécessairement été causés par la faute de la personne condamnée pénalement.

Ainsi, une personne condamnée pour la dissimulation volontaire de son visage ou pour le port d'un objet pouvant être constitutif d'une arme lors d'une manifestation, aurait été présumée responsable de tous les dommages matériels ayant pu être occasionnés lors de cette manifestation ainsi que des dommages corporels éventuellement subis par d'autres participants ou par des membres des forces de l'ordre, alors même qu'elle n'aurait commis aucun des faits de destruction ou de violence à l'origine de ces dommages.

De même, une personne qui aurait été condamnée pour des faits de destruction ou dégradation de mobilier urbain par exemple, aurait pu être présumée responsable civilement des violences commises sur des membres des forces de l'ordre lors de la manifestation et condamnée à indemniser intégralement leur préjudice.

L'application du texte aurait pu être d'autant plus extensive que la notion de manifestation sur la voie publique peut être entendue très largement.

Plus problématique encore était l'instauration d'une responsabilité civile pour toute personne condamnée pour le délit de « participation à un groupement violent », infraction-obstacle qui n'exige aucun résultat matériel (aucun dommage causé ni à un bien ni à une personne), et donc aucun préjudice réparable, et pour laquelle la constitution de partie civile apparaît quasi-impossible.

La rédaction initiale de l'article 7 de la proposition de loi semblait ainsi aller à l'encontre de règles fondamentales de la responsabilité civile : en principe, une action civile en réparation ne peut aboutir que si est rapportée par la victime la triple preuve d'un fait générateur de responsabilité (faute ou éventuellement fait d'une chose), d'un préjudice réparable et d'un lien de causalité entre le fait et le préjudice. Une personne ne peut ainsi engager sa responsabilité civile au seul motif qu'elle a commis une faute si le préjudice invoqué est sans lien démontré avec cette faute.

La jurisprudence admet déjà des responsabilités solidaires lorsque la victime ne parvient pas à identifier l'auteur du fait auquel elle impute le dommage, afin d'alléger sa charge probatoire et de faciliter son indemnisation. Il s'agit de présomptions de causalité, et non de responsabilité , qui ne s'appliquent que lorsqu'un fait dommageable a pu être causé par plusieurs personnes nommément désignées mais sans que la victime puisse en identifier l'auteur.

Cette jurisprudence est notamment appliquée pour les dommages survenus lors d'une activité collective - par exemple, les accidents de chasse - ou d'un jeu collectif, mais également pour des infractions commises collectivement. La chambre criminelle de la Cour de cassation admet ainsi la responsabilité collective civile de ceux qui ont participé à l'activité illicite d'où le dommage est issu, lorsque l'auteur physique ne pouvait être désigné 22 ( * ) . Une telle solidarité ne peut néanmoins être prononcée que si chaque défendeur a participé à la faute commune et donc à l'activité illicite. Si la preuve de la participation à l'action fautive n'est pas rapportée, aucune responsabilité ne peut être encourue.

Or les dispositions initiales de l'article 7 tendaient à dépasser cette jurisprudence, en permettant de condamner une personne à la réparation d'un préjudice en l'absence de lien de causalité avec le fait pour lequel elle aurait été condamné, ce qui soulève de nombreuses réserves constitutionnelles .

Il résulte en effet de l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 que tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer. Des dérogations à ce principe de responsabilité personnelle et directe peuvent être adoptées par le législateur, pour un motif d'intérêt général, et « à condition qu'il n'en résulte pas une atteinte disproportionnée aux droits des victimes d'actes fautifs ainsi qu'au droit à un recours juridictionnel effectif qui découle de l'article 16 de la Déclaration de 1789 23 ( * ) ». L'atteinte portée au principe de responsabilité individuelle ne peut être admise qu'à la condition « que l'obligation qu'elle crée soit en rapport avec un motif d'intérêt général ou de valeur constitutionnelle et proportionnée à cet objectif » 24 ( * ) . Ne semble pas répondre à cette exigence de proportionnalité l'instauration, pour une personne condamnée pour des faits matériels de dégradations, d'une présomption de responsabilité civile pour la réparation de dommages corporels, par exemple.

Par ailleurs, les dispositions initiales de l'article 7 ne semblaient pas s'articuler avec le régime de responsabilité sans faute défini à l'article L. 211-10 du code de la sécurité intérieure qui prévoit que « l'État est civilement responsable des dégâts et dommages résultant des crimes et délits commis, à force ouverte ou par violence, par des attroupements ou rassemblements armés ou non armés, soit contre les personnes, soit contre les biens. »

Ce régime est strictement limité à la réparation des dommages résultant directement des crimes ou délits commis lors d'une manifestation.

Il ne nécessite la démonstration d'aucune faute et est bien plus attractif pour les victimes que l'action civile, a fortiori l'action civile exercée devant le tribunal répressif : en effet, la répression pénale des dommages causés lors des manifestations permet difficilement aux victimes d'exercer leurs droits, notamment de se constituer partie civile. La rapidité des procès n'incite pas à une expertise de leur préjudice à réparer.

Étant entendu que la victime ne peut obtenir plus que la réparation intégrale de son préjudice et que les manifestants sont rarement solvables, votre rapporteur a considéré qu'il était nécessaire, dans l'intérêt des victimes, de les inciter plutôt à recourir à la voie de la responsabilité sans faute de l'État. Afin de garantir la proportionnalité et l'efficacité du régime de responsabilité civile en matière de dommages causés à l'occasion d'une manifestation sur la voie publique, votre commission n'a ainsi pas maintenu le dispositif initial proposé par l'article 7 de la proposition de loi.

En revanche, afin de s'assurer que les responsables, sur le plan pénal, de ces dommages participent effectivement à l'indemnisation des victimes, par l'adoption de l'amendement de rédaction globale COM-13 de votre rapporteur, votre commission a modifié le régime de responsabilité administrative, prévu à l'article L. 211-10 du code de la sécurité intérieure, afin de prévoir une action récursoire de l'État contre les manifestants à l'origine des dommages .

Votre commission a adopté l'article 7 ainsi modifié.


* 22 Cass. crim., 13 nov. 1975, n° 74-92.290, Bull. crim., N. 247 P. 652 : lorsque plusieurs prévenus, agissant de concert ont pris une part active et personnelle à des sévices exercés sur la personne de la victime, au cours d'une scène unique de violences, c'est à bon droit que la décision de la cour d'appel les déclare tenus, solidairement, à réparer dans sa totalité le dommage résultant de leurs agissements délictueux.

* 23 Décision n° 2010-2 QPC du 11 juin 2010, Mme Vivianne L. [Loi dite "anti-Perruche"] , du Conseil constitutionnel et décision n° 2010-8 QPC du 18 juin 2010, Époux L. [Faute inexcusable de l'employeur].

* 24 Décision n° 2015-517 QPC du 22 janvier 2016, Fédération des promoteurs immobiliers [Prise en charge par le maître d'ouvrage ou le donneur d'ordre de l'hébergement des salariés du cocontractant ou du sous-traitant soumis à des conditions d'hébergement indignes].

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