EXAMEN DES ARTICLES

CHAPITRE IER - MESURES DE POLICE ADMINISTRATIVE

Article 1er (art. L. 211-3-1 [nouveau] du code de la sécurité intérieure) - Instauration de périmètres de contrôle lors des manifestations

L'article 1 er de la proposition de loi vise à conférer à l'autorité administrative le pouvoir d'autoriser les forces de sécurité intérieure à procéder à des palpations de sécurité ainsi qu'à un contrôle des effets personnels des personnes à l'entrée et dans le périmètre d'une manifestation.

1. Les contrôles susceptibles d'être effectués à l'occasion d'une manifestation sur la voie publique

a) Les contrôles d'identité de droit commun

En l'état du droit, le contrôle des personnes à l'occasion d'une manifestation se déroulant sur la voie publique est possible sur deux fondements juridiques principaux.

Les articles 78-2, alinéa 8, et 78-2-4 du code de procédure pénale permettent tout d'abord aux forces de sécurité intérieure de procéder, à titre préventif , à des contrôles d'identité, des visites de véhicules ainsi qu'à des inspections visuelles et des fouilles de bagages, avec l'accord du conducteur ou du propriétaire du bagage, « pour prévenir une atteinte grave à la sécurité des personnes et des biens » . Ces contrôles, qui relèvent de la police administrative, sont effectués sans l'accord préalable de l'autorité judiciaire, qui n'est sollicitée qu'en cas de refus de la personne concernée de se soumettre aux contrôles.

En vertu d'une jurisprudence constitutionnelle constante, ces contrôles de police administrative ne peuvent toutefois revêtir un caractère généralisé ni discrétionnaire. Le Conseil constitutionnel rappelle en effet, à cet égard, que « s'il est loisible au législateur de prévoir que le contrôle d'identité d'une personne peut ne pas être lié à son comportement, il demeure que l'autorité concernée doit justifier, dans tous les cas, des circonstances particulières établissant le risque d'atteinte à l'ordre public qui a motivé le contrôle » 6 ( * ) .

Dès lors, ces dispositions ne paraissent pas pouvoir servir de fondement à la mise en place de dispositifs de « filtrage » ni à une systématisation des contrôles aux abords d'une manifestation .

Les articles 78-2, alinéa 7, et 78-2-2 du code de procédure pénale autorisent quant à eux la pratique de contrôles d'identité plus systématiques , mais sur une période de temps circonscrite et uniquement sur autorisation préalable de l'autorité judiciaire . Ainsi, en vertu de l'article 78-2, alinéa 7, l'identité de toute personne peut être contrôlée, sur réquisitions écrites du procureur de la République, aux fins de recherche et de poursuite d'infractions qu'il précise. L'article 78-2-2 autorise également la réalisation de contrôles d'identité, de visites de véhicules, d'inspection visuelle et de fouilles de bagages, sur réquisitions du procureur de la République, pour une durée maximale de 24 heures, aux fins de recherche et de poursuite de certaines infractions, limitativement énumérées par le code.

Les contrôles d'identité de l'article 78-2-2 du code de procédure pénale

En application de l'article 78-2-2 du code de procédure pénale, le procureur de la République peut autoriser la réalisation de contrôles d'identité, d'inspections visuelles et de fouilles de sacs ainsi que de visites de véhicules, aux fins de recherche et de poursuite des infractions suivantes :

- les actes de terrorisme ;

- les infractions en matière de prolifération des armes de destruction massive et de leurs vecteurs ;

- les infractions en matière d'armes ;

- les infractions en matière d'explosifs ;

- les infractions de vol et de recel ;

- les faits de trafic de stupéfiants.

Contrairement aux autres formes de contrôles d'identité, administratifs comme judiciaires, ces contrôles peuvent être réalisés sans être dûment motivés par des éléments concrets, rattachables à la personne. Dès lors, ils peuvent, à condition d'être limités dans le temps et dans l'espace, revêtir un caractère plus systématique, sans pour autant pouvoir être réalisés de manière généralisée 7 ( * ) .

Comme l'a indiqué à votre rapporteur le procureur de la République près le tribunal de grande instance de Paris, M. François Molins, le recours aux contrôles d'identité sur réquisitions du parquet est devenu fréquent dans le cadre des manifestations, voire systématique lors des manifestations d'ampleur nationale, aux fins de prévention des actes de dégradations et de violences à l'occasion d'une manifestation.

b) Des contrôles renforcés et plus systématiques dans le cadre de l'état d'urgence, sans autorisation préalable de l'autorité judiciaire

Dans le cadre de l'état d'urgence, des mesures de contrôle renforcé des personnes participant à une manifestation ou se trouvant sur les lieux d'une manifestation pouvaient, jusqu'à une date récente, être diligentées par l'autorité administrative, sur le fondement de l'article 5 de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence , en vue de prévenir les atteintes à l'ordre public.

Déclarée non conforme à la Constitution en janvier 2018, faute de garanties suffisantes, cette disposition autorisait le préfet à « instituer, par arrêté, des zones de protection ou de sécurité où le séjour des personnes est réglementé » dans le but de prévenir des troubles à la sécurité et à l'ordre publics.

Lors de la mise en oeuvre de l'état d'urgence entre novembre 2015 et octobre 2018, plusieurs zones de protection et de sécurité ont été instaurées sur le territoire national afin d'encadrer l'accès à certaines manifestations, notamment au cours du printemps 2016 lors des manifestations qui se sont déroulées, à Paris, en marge de l'examen de la « loi Travail » au Parlement.

Les zones de protection ont été accompagnées, dans la majeure partie des cas, de mesures de restrictions destinées à prévenir toute atteinte à l'ordre public :

- interdiction d'introduire des objets présentant un danger pour la sécurité des personnes et des biens (armes, objets pouvant servir de projectiles, artifices, animaux dangereux) ;

- interdiction d'introduire ou de vendre de l'alcool ;

- instauration de mesures de filtrage et d'inspection.

2. La mise en oeuvre de périmètres de contrôle sur les lieux d'une manifestation

a) Une extension du dispositif des périmètres de protection à des fins de prévention des atteintes à l'ordre public dans le cadre d'une manifestation

L'article 1 er de la proposition de loi introduit dans le code de la sécurité intérieure un nouvel article L. 211-3-1 afin de permettre au préfet ou, à Paris, au préfet de police, d'instaurer par arrêté, à l'occasion d'une manifestation sur la voie publique , un périmètre à l'entrée et au sein duquel il pourrait être procédé à des palpations de sécurité ainsi qu'à des inspections visuelles et des fouilles de bagages.

Ce faisant, il élargit le dispositif des périmètres de protection introduit par la loi n° 2017-1510 du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme , qui est actuellement limité à la sécurisation des lieux et des évènements exposés à un risque d'actes de terrorisme, le rapprochant, de fait, du dispositif des zones de protection et de sécurité de l'état d'urgence.

Les périmètres de protection de l'article L. 226-1 du code de la sécurité intérieure

L'article L. 226-1 du code de la sécurité intérieure autorise le préfet ou, à Paris, le préfet de police à instituer, « afin d'assurer la sécurité d'un lieu ou d'un événement exposé à un risque d'actes de terrorisme à raison de sa nature et de l'ampleur de sa fréquentation », un périmètre de protection au sein duquel l'accès et la circulation des personnes sont réglementés. Il s'agit d'une transposition, dans le droit commun, des zones de protection et de sécurité de l'état d'urgence, mais uniquement pour la prévention des actes de terrorisme .

Les forces de sécurité intérieure peuvent être autorisées à procéder, à l'entrée et au sein de ce périmètre, à des mesures de contrôle - palpations de sécurité, inspections visuelles et fouilles de bagages, visites de véhicules ; sont en revanche exclus les contrôles d'identité. Il peut être permis à des agents de police municipale ainsi qu'à des agents de sécurité privée de participer à ces opérations de contrôle (hors visites de véhicules), à condition d'être placés sous le contrôle permanent d'officiers de police judiciaire.

Plusieurs garanties ont été prévues par le législateur afin d'assurer la proportionnalité du dispositif :

- l'étendue et la durée du périmètre doivent être adaptées et proportionnées aux nécessités que font apparaître les circonstances. En tout état de cause, l'arrêté instaurant un périmètre ne saurait avoir une durée supérieure à un mois ;

- un renouvellement est prévu au-delà d'un mois, à condition que l'autorité préfectorale soit en mesure de justifier de la persistance d'un risque ;

- l'autorité préfectorale est tenue de tenir compte, lors de la mise en oeuvre d'un périmètre, des impératifs de vie privée, professionnelle et familiale des personnes.

Si le champ des mesures de contrôle susceptibles d'être diligentées est plus restreint que pour les périmètres de protection, les visites de véhicules étant exclues, les conditions de mise en oeuvre de ces nouveaux périmètres de contrôle se rapprocheraient de celles prévues par l'article L. 226-1 du code de la sécurité intérieure.

Il s'agirait de conférer à l'autorité administrative le pouvoir de diligenter, à l'entrée ainsi qu'au sein d'un périmètre défini par arrêté, un contrôle des individus y circulant ou souhaitant y accéder. Ce contrôle pourrait inclure des palpations de sécurité, des inspections visuelles et des fouilles de bagages, mais exclurait, de même que pour les périmètres de protection, tout contrôle d'identité. L'article vise donc, contrairement aux contrôles susceptibles d'être réalisés en application des articles 78-2 et suivants du code de procédure pénale, à autoriser des contrôles préventifs systématiques sur un périmètre donné, assimilables à des dispositifs de « filtrage » .

Toute personne refusant de se soumettre aux contrôles pour accéder ou circuler à l'intérieur du périmètre ou détenant, en infraction d'un arrêté préfectoral pris en application de l'article L. 211-3 du code de la sécurité intérieure 8 ( * ) , des objets susceptibles de constituer une arme, pourrait être reconduite d'office à l'extérieur du périmètre ou s'en voir interdire l'accès.

Seraient autorisés à procéder aux mesures de contrôle, comme pour l'article L. 226-1 du code de la sécurité intérieure :

- les officiers de police judiciaire, et sous leur responsabilité, les agents de police judiciaire ainsi que certaines catégories d'agents de police judiciaire adjoints , à savoir les fonctionnaires des services de police ne remplissant pas les conditions pour être agents de police judiciaire, les membres de la réserve citoyenne et de la réserve opérationnelle de la gendarmerie nationale et les adjoints de sécurité ;

- les agents de sécurité privée , sous l'autorité d'un officier de police judiciaire ;

- après accord du maire de la commune concernée, les agents de police municipale , sous l'autorité d'un officier de police judiciaire.

De manière à respecter les principes de proportionnalité et de nécessité qui s'appliquent à toute mesure de police administrative, le nouvel article L. 211-3-1 prévoit plusieurs garanties .

Les contrôles ne pourraient être diligentés que « lorsque les circonstances font craindre des troubles graves à l'ordre public », imposant à l'autorité administrative de justifier, par des éléments concrets et précis, la mise en oeuvre d'un périmètre de contrôle.

L'étendue et la durée du périmètre, définies par l'arrêté, devraient par ailleurs être « proportionné(es) aux nécessités que font apparaître les circonstances », proportionnalité qu'il appartiendrait, le cas échéant, au juge administratif d'apprécier. En tout état de cause, le périmètre devrait être circonscrit aux lieux où se déroule la manifestation, aux lieux avoisinants ainsi qu'à leurs accès. De même, il ne saurait être instauré plus de douze heures avant le début de la manifestation et ne pourrait se poursuivre au-delà de la dispersion des manifestants.

Enfin, de manière à garantir le respect des droits et libertés constitutionnellement garantis, au premier rang desquels le droit au respect de la vie privée, les contrôles au sein du périmètre ne pourraient être effectués, faute d'autorisation préalable de l'autorité judiciaire, qu'avec le consentement de l'intéressé et, s'agissant des palpations de sécurité, que par une personne de même sexe que celle faisant l'objet du contrôle. En cas de refus d'une personne de se soumettre à un contrôle, celle-ci pourrait se voir interdire l'accès au périmètre ou être reconduite à l'extérieur.

De même que pour tout acte de police administrative, il reviendrait au juge administratif, le cas échéant à l'occasion d'un référé-liberté, de contrôler le caractère strictement nécessaire, adapté et proportionné du dispositif, notamment en s'assurant qu'aucune autre mesure de police moins contraignante et moins attentatoire aux libertés individuelles n'aurait pu permettre d'atteindre le même objectif.

b) Des ajustements nécessaires pour garantir la constitutionnalité du dispositif

Selon une jurisprudence constante, le Conseil constitutionnel rappelle que les mesures de police administrative « susceptibles d'affecter l'exercice des libertés constitutionnellement garanties [...] doivent être justifiées par la nécessité de sauvegarder l'ordre public et proportionnées à cet objectif » 9 ( * ) .

S'agissant des périmètres de protection prévus par l'article L. 226-1 du code de la sécurité intérieure, le Conseil constitutionnel 10 ( * ) a estimé que le législateur n'avait pas porté d'atteinte disproportionnée à la liberté d'aller et venir et au droit au respect de la vie privée, dès lors que, d'une part, le périmètre de protection avait pour objectif la lutte contre le terrorisme et était proportionné aux nécessités que font apparaître les circonstances et, d'autre part, les mesures de vérifications étaient opérées sous le contrôle d'officiers de police judiciaire et avec le consentement des personnes.

Bien que le dispositif prévu par l'article 1 er de la proposition de loi se rapproche de celui de l'article L. 226-1 du code de la sécurité intérieure, votre rapporteur s'est interrogée sur le caractère nécessaire et proportionné de l'atteinte portée aux droits et libertés constitutionnellement garantis , en particulier à la liberté d'aller et venir, au droit au respect de la vie privée et à la liberté de manifester, par la mise en oeuvre de périmètres de contrôle aux abords d'une manifestation, notamment au regard de l'objectif poursuivi.

Elle observe en effet que si le Conseil constitutionnel reconnaît un caractère spécifique à la menace terroriste justifiant des atteintes fortes aux droits et libertés individuels, tel ne saurait avec certitude être le cas de la prévention des actes délictuels commis à l'occasion d'une manifestation : cette dernière participe certes de l'objectif de valeur constitutionnelle de prévention des atteintes à l'ordre public, mais elle n'en demeure pas moins un objectif de moindre niveau par rapport à la prévention des actes de terrorisme.

Toutefois, considérant, d'une part, que les atteintes graves à l'ordre public commises par des groupuscules violents nuisent, en pratique, à l'exercice de la liberté de manifester, d'autre part, que l'instauration d'un périmètre de contrôle constitue une mesure de police intermédiaire par rapport à l'interdiction totale d'une manifestation, votre commission a approuvé, dans son principe, le dispositif prévu par l'article 1 er de la proposition de loi.

À l'initiative de son rapporteur, elle a néanmoins adopté un amendement COM-5 afin d'encadrer l'exercice de cette nouvelle prérogative confiée à l'autorité administrative et d'assurer un équilibre entre les impératifs de sauvegarde de l'ordre public et la protection des droits et libertés constitutionnellement garantis.

Elle s'est tout d'abord attachée, par cet amendement, à limiter le recours à cette nouvelle mesure aux seules situations faisant craindre des troubles « d'une particulière gravité » à l'ordre public et à exiger un arrêté motivé pour sa mise en oeuvre.

Elle a réduit par ailleurs de douze à six heures la durée précédant une manifestation au cours de laquelle un périmètre de contrôle peut être instauré. Par cette modification, votre commission a tenu à mieux circonscrire la durée des périmètres de contrôle , afin d'éviter de porter une atteinte disproportionnée à la liberté d'aller et de venir des passants avant même le début de la manifestation.

Elle s'est, pour les mêmes raisons, efforcée d' encadrer plus strictement l'étendue des périmètres de contrôle . Dans sa décision n° 94-352 DC du 18 janvier 1995, le Conseil constitutionnel, appelé à se prononcer sur la conformité à la Constitution des dispositions de l'article L. 211-3 du code de la sécurité intérieure relatives à l'interdiction du port et du transport d'une arme dans une manifestation, a formulé une réserve d'interprétation sur les termes « lieux avoisinants », indiquant que ceux-ci ne pouvaient désigner que les lieux à proximité immédiate de la manifestation. Aussi, afin de tenir compte de cette jurisprudence, votre commission a-t-elle remplacé les termes « lieux avoisinants » par les termes « abords immédiats ».

Votre commission a par ailleurs estimé nécessaire de prévoir, comme pour les périmètres de protection de l'article L. 226-1 du code de la sécurité intérieure, une adaptation des mesures de contrôle pour les personnes résidant ou travaillant dans le périmètre défini par arrêté, afin de garantir le respect du droit de mener une vie familiale normale. Elle a donc précisé que l'arrêté devrait tenir compte des impératifs de vie privée, professionnelle et familiale des personnes contrôlées.

Enfin, toujours par le même amendement, votre commission a procédé à plusieurs modifications d'amélioration rédactionnelle ainsi qu'à la rectification d'une erreur de coordination.

c) Des modifications destinées à assurer l'efficacité opérationnelle du dispositif

L'article 1 er de la proposition de loi prévoit que les agents de police judiciaire pourraient, pour la mise en oeuvre des palpations de sécurité, des inspections visuelles et des fouilles de bagages, être assistés par des agents de police municipale et des agents de sécurité privée.

Si ces dispositions ne se heurtent à aucun obstacle juridique, dès lors que ces agents seraient soumis à un contrôle effectif d'un officier de police judiciaire 11 ( * ) , votre rapporteur observe en revanche que leur présence sur les lieux d'une manifestation pourrait soulever des difficultés sur le plan opérationnel. Eu égard à l'évolution rapide des évènements lors des manifestations, ces agents pourraient se trouver pris à partie dans des opérations de maintien de l'ordre, missions pour lesquelles ils ne sont ni formés, ni autorisés à intervenir.

Dès lors, votre commission a estimé préférable de réserver aux agents de la police nationale et de la gendarmerie nationale le soin de procéder à ces contrôles . Elle a adopté, à cette fin, l' amendement COM-6 de son rapporteur.

Votre commission a adopté l'article 1 er ainsi modifié .

Article 2 (art. L. 211-4-1 [nouveau] du code de la sécurité intérieure) - Création d'une interdiction administrative individuelle de manifester

L'article 2 de la proposition de loi vise à permettre aux préfets d'interdire, par arrêté, à toute personne susceptible de représenter une menace d'une particulière gravité pour l'ordre public de participer à une manifestation.

1. Des limites à la liberté de manifester strictement encadrées par la loi et principalement placées sous le contrôle de l'autorité judiciaire

Le droit de manifester étant un droit constitutionnellement garanti, les possibilités d'interdire à une personne de manifester sont limitées et strictement encadrées par la loi.

L'interdiction de manifester ne peut en principe être prononcée que dans un cadre judiciaire : il s'agit alors d'une peine complémentaire, prévue par l'article L. 211-13 du code de la sécurité intérieure 12 ( * ) , qui est prononcée par le juge lorsque la personne a été condamnée pour certaines infractions commises à l'occasion d'une manifestation.

L'interdiction de manifester s'applique dans des lieux fixés par la décision de condamnation et ne peut excéder une durée de trois ans.

Les infractions mentionnées par l'article L. 211-13 du code de la sécurité intérieure

L'interdiction judiciaire de manifester peut être prononcée, à titre de peine complémentaire, pour les infractions suivantes, lorsqu'elles sont commises à l'occasion d'une manifestation sur la voie publique :

-- les violences (art. 222-7 à 222-13 du code pénal) ;

-- les destructions, dégradations et détériorations ayant causé un dommage important (art. 322-1, 322-2 et 322-3 du code pénal) ;

-- les destructions, dégradations et détériorations par l'effet d'une substance explosive ou d'un incendie ou de tout autre moyen de nature à créer un danger pour les personnes (art. 322-6 à 322-10 du code pénal).

Par dérogation à ce principe et dans le seul cadre de l'état d'urgence, les préfets peuvent interdire, en application du 3° de l'article 5 de la loi n° 55-385 du 5 avril 1955 relative à l'état d'urgence , « à toute personne à l'égard de laquelle il existe des raisons sérieuses de penser que son comportement constitue une menace pour la sécurité et l'ordre publics » de séjourner dans un périmètre défini 13 ( * ) .

2. L'interdiction administrative de manifester : un nouvel outil à encadrer

L'article 2 de la proposition de loi introduit dans le code de la sécurité intérieure un article L. 211-4-1 qui tend à conférer au préfet ou, à Paris, au préfet de police, la possibilité de prononcer à l'encontre de toute personne, par arrêté motivé, une interdiction de prendre part à une manifestation, lorsque cette participation « constitue un risque d'une particulière gravité pour l'ordre public ».

Il conduit, de fait, à transposer dans le droit commun l'interdiction administrative de séjour de l'état d'urgence, en en limitant la portée aux manifestations se déroulant sur la voie publique .

Contrairement à l'interdiction judiciaire de manifester, l'interdiction administrative de manifester aurait une durée brève , dans la mesure où elle serait limitée à une manifestation identifiée, que celle-ci ait été préalablement déclarée ou soit organisée de manière illégale.

De manière à garantir le respect de l'interdiction, il est prévu que la personne concernée puisse être astreinte à une obligation de « pointage » , en vertu de laquelle elle serait tenue de répondre, au moment de la manifestation, aux convocations de toute autorité ou de toute personne qualifiée désignée par l'arrêté préfectoral.

Seraient enfin pénalement réprimés :

- d'une part, le fait de participer à une manifestation en méconnaissance d'une interdiction administrative (six mois d'emprisonnement et 7 500 euros d'amende) ;

- d'autre part, le fait de ne pas respecter l'obligation de « pointage » (trois mois d'emprisonnement et 3 750 euros d'amende).

Votre commission partage l'objectif des auteurs de la proposition de loi d'éloigner, en amont d'une manifestation, toute personne susceptible de commettre des dégradations ou des violences et qui entrave, en conséquence, la liberté de manifester. Comme l'indiquait à juste titre notre ancien collègue député Pascal Popelin qui, dans un rapport d'enquête 14 ( * ) , avait proposé la création d'une interdiction administrative de manifester, « il est des comportements individuels délictueux qui ne peuvent être assimilés à l'exercice d'une liberté constitutionnelle et doivent au contraire être prévenus, afin que les libertés publiques et l'ordre républicain soient conjointement préservés ».

Force est d'ailleurs de constater que plusieurs pays européens, notamment la Belgique et l'Allemagne, parties à la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ont d'ores et déjà instauré un cadre législatif permettant à l'autorité administrative d'interdire à un individu de manifester.

La création de ce nouvel instrument de police administrative serait d'autant plus utile qu'il est généralement complexe, comme l'ont indiqué plusieurs personnes entendues par votre rapporteur, d'interpeller les « casseurs » lors d'une manifestation. Ces derniers font en effet preuve d'une réactivité et d'une capacité de dissimulation qui entravent l'intervention des forces de l'ordre.

Votre commission a jugé nécessaire de renforcer les garanties prévues par les auteurs de la proposition de loi afin d'assurer un équilibre entre la prévention des atteintes à l'ordre public et la protection des libertés constitutionnellement garanties , en particulier la liberté d'aller et venir et la liberté de manifester, conciliation qu'il appartient au législateur d'assurer, conformément à une jurisprudence constitutionnelle constante 15 ( * ) .

Elle s'est notamment inspirée de la mesure d'interdiction administrative de participer à une manifestation sportive, prévue par l'article L. 332-16 du code du sport, qui est entourée de conditions de mise en oeuvre plus précises et de garanties plus importantes.

L' amendement COM-7, adopté par votre commission à l'initiative de son rapporteur, tend, en premier lieu, à mieux caractériser les raisons pour lesquelles la participation d'une personne à une manifestation est susceptible de constituer une menace d'une particulière gravité pour l'ordre public . Ne pourraient ainsi être concernés par une interdiction de manifester que les individus appartenant à des groupuscules violents ou ayant commis des actes délictuels à l'occasion de précédentes manifestations.

Par le même amendement , votre commission a en deuxième lieu prévu que l'arrêté préfectoral précise, outre la manifestation faisant l'objet de l'interdiction, les lieux concernés par cette interdiction , qui ne pourraient, en tout état de cause, excéder les lieux où se déroule la manifestation ainsi que leurs abords immédiats.

Eu égard à la jurisprudence constitutionnelle relative aux interdictions de séjour mises en oeuvre dans le cadre de l'état d'urgence 16 ( * ) , l'amendement précise en outre que les lieux faisant l'objet de l'interdiction ne pourraient inclure le domicile ni le lieu de travail de la personne concernée, de manière à garantir le droit à une vie familiale normale.

En dernier lieu, votre commission a fixé une obligation de notification à l'intéressé de l'arrêté d'interdiction, au maximum 48 heures avant la date prévue de la manifestation.

Une telle obligation apparaît nécessaire afin de garantir le droit au recours effectif pour les personnes faisant l'objet d'une interdiction de manifester. En effet, compte tenu de la brièveté d'une interdiction de manifester, la voie d'un recours a posteriori devant le juge administratif ne paraît pas apporter suffisamment de garanties à la personne intéressée, dès lors qu'elle ne lui permettrait de faire annuler une décision qu'une fois que celle-ci a fini de produire ses effets. Or, en l'absence de notification préalable ou en cas de notification tardive de l'arrêté, il serait impossible à l'intéressé de saisir a priori le juge administratif, en particulier le juge des référés, et de faire annuler, le cas échéant, la décision d'interdiction avant qu'elle ne s'applique.

En outre, eu égard au principe à valeur constitutionnelle de légalité des délits et des peines, l'obligation de notification apparaît essentielle pour que l'infraction de participation à une manifestation en méconnaissance d'un arrêté d'interdiction soit constituée.

Votre commission a adopté l'article 2 ainsi modifié .

Article 3 (art. L. 211-4-2 [nouveau] du code de la sécurité intérieure) - Création d'un fichier répertoriant les mesures d'interdiction administrative et judiciaire de manifester

L'article 3 de la proposition de loi a pour objet d'autoriser la création d'un traitement de données à caractère personnel destiné à répertorier les mesures d'interdiction individuelle de manifester.

Actuellement, les personnes condamnées à une peine complémentaire d'interdiction de manifester figurent au traitement des antécédents judiciaires (TAJ).

Selon les informations communiquées à votre rapporteur lors de ses auditions, ces personnes font également l'objet d'un enregistrement au fichier des personnes recherchées (FPR), ce qui permet aux forces de sécurité intérieure d'identifier, à l'occasion d'un contrôle dans une manifestation par exemple, une personne qui aurait été condamnée à une peine d'interdiction de manifester.

Tirant les conséquences de la création d'une interdiction administrative individuelle de manifester prévue par l'article 2 de la proposition de loi, cet article, dans sa version initiale, visait donc à permettre l'inscription, au sein de fichiers créés par les préfets de département et, à Paris, par le préfet de police, de toutes les interdictions de manifester , que celles-ci aient été prononcées dans un cadre judiciaire, à titre de peine complémentaire, ou dans un cadre administratif, à titre préventif.

Ces fichiers auraient eu pour finalité la prévention des troubles à l'ordre public, des atteintes à la sécurité des personnes et des biens ainsi que des infractions susceptibles d'être commises à l'occasion des manifestations sur la voie publique et des rassemblements en lien avec ces manifestations dans le ressort de chaque département.

Votre commission a approuvé, sur le principe, la création d'un tel fichier , qui devrait faciliter, notamment lors des contrôles de police, l'identification des personnes faisant l'objet d'une interdiction de manifester.

Elle a toutefois considéré qu'en définissant de manière très large le champ des finalités de ce fichier, le dispositif prévu par la proposition de loi était susceptible d'être jugé disproportionné au regard de l'objectif poursuivi. Elle a, en conséquence, adopté un amendement COM-8 de son rapporteur qui restreint, sur le modèle de ce qui est par exemple prévu pour le fichier national des interdits d'acquisition et de détention d'armes (FINIADA) 17 ( * ) , les finalités du fichier à « la mise en oeuvre et au suivi, au niveau national, des personnes faisant l'objet d'une interdiction de participer à une manifestation sur la voie publique ».

Votre commission a par ailleurs estimé qu'une mise en oeuvre déconcentrée de ce fichier , au niveau de chaque département, pourrait se révéler contre-productive . Cela impliquerait en effet la coexistence de plusieurs fichiers départementaux qui, s'ils ne communiquent pas entre eux, ne permettront pas d'assurer un contrôle effectif des personnes faisant l'objet d'une interdiction de manifester, dans l'hypothèse, par exemple, où une personne participerait à une manifestation en dehors de son département de résidence.

En conséquence, elle a, par le même amendement, prévu la création d'un fichier unique au niveau national . Eu égard à la nature des informations susceptibles d'être contenues dans le fichier (arrêtés préfectoraux et décisions de condamnations judiciaires), celui-ci devrait être mis en place par le ministre de l'intérieur et le ministre de la justice. La création d'un fichier unique ne ferait, bien entendu, pas obstacle à ce qu'un accès soit ouvert aux préfectures.

De manière à se conformer au régime prévu par l'article 26 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés , qui concerne les fichiers mis en oeuvre pour le compte de l'État et qui soit « intéressent la sûreté de l'État, la défense ou la sécurité publique », soit « ont pour objet la prévention, la recherche, la constatation ou la poursuite des infractions pénales ou l'exécution des condamnations pénales ou des mesures de sûreté », votre commission a en outre précisé que le décret en Conseil d'État prévu pour l'application de l'article serait pris après avis motivé et publié de la Commission nationale de l'informatique et des libertés.

Enfin, l'amendement adopté par votre commission procède à une coordination afin de tenir compte du déplacement, opéré par l'article 6 de la proposition de loi, des dispositions de l'article L. 211-13 du code de la sécurité intérieur à l'article 131-32-1 du code pénal.

Votre commission a adopté l'article 3 ainsi modifié .


* 6 Conseil constitutionnel, décision n° 93-323 DC du 5 août 1993, Loi relative aux contrôles et vérifications d'identité.

* 7 Dans sa décision n° 2016-606/607 QPC du 24 janvier 2017, le Conseil constitutionnel a validé la conformité à la Constitution des contrôles d'identité sur réquisitions du procureur de la République, tout en formulant deux réserves. Il a, d'une part, considéré que « ces dispositions ne sauraient, sans méconnaître la liberté d'aller et de venir, autoriser le procureur de la République à retenir des lieux et périodes sans lien avec la recherche des infractions visées dans ses réquisitions ». D'autre part, il a estimé qu' « elles ne sauraient non plus autoriser, en particulier par un cumul de réquisitions portant sur des lieux ou des périodes différents, la pratique de contrôles d'identité généralisés dans le temps ou dans l'espace ».

* 8 L'article L. 211-3 du code de la sécurité intérieure autorise le préfet ou, à Paris, le préfet de police, lorsque les circonstances font craindre des troubles graves à l'ordre public, à interdire pendant une manifestation le port ou le transport, sans motif légitime, d'objets pouvant constituer une arme au sens du code pénal.

* 9 Conseil constitutionnel, décision n° 2011-625 DC du 10 mars 2011, Loi d'orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure.

* 10 Conseil constitutionnel, décision n° 2017-695 QPC du 29 mars 2018, M. Rouchdi B. et autre (Mesures administratives de lutte contre le terrorisme).

* 11 Dans sa décision n° 2017-695 QPC du 29 mars 2018 relatives aux mesures administratives de prévention du terrorisme introduites par la loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme , le Conseil constitutionnel a estimé que la participation de ces catégories d'agents à la mise en oeuvre de ces mêmes contrôles au sein des périmètres de protection de l'article L. 226-1 du code de la sécurité intérieure ne méconnaissait pas la Constitution, à la condition que « soit continûment garantie l'effectivité du contrôle exercé sur ces personnes par les officiers de police judiciaire ».

* 12 L'article 6 de la présente proposition de loi, tel qu'adopté par votre commission, déplace les dispositions de l'article L. 211-13 du code de la sécurité intérieure à l'article 131-32-1 du code pénal.

* 13 Cette disposition, dans sa version datant de 1955, avait été déclarée non conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2017-635 QPC du 9 juin 2017. Celui-ci a en effet estimé qu'en permettant le prononcé d'une interdiction de séjour « sans que celle-ci soit nécessairement justifiée par la prévention d'une atteinte à l'ordre public » et sans l'entourer de garanties, le législateur n'avait pas assuré une conciliation équilibrée entre, d'une part, l'objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l'ordre public et, d'autre part, la liberté d'aller et venir et le droit de mener une vie familiale normale. Elle a été réécrite par la loi n° 2017-1154 du 11 juillet 2017 prorogeant l'application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence.

* 14 Rapport de M. Pascal Popelin fait au nom de la commission d'enquête de l'Assemblée nationale chargée d'établir un état des lieux et de faire des propositions en matière de missions et de modalités du maintien de l'ordre républicain, dans un contexte de respect des libertés publiques et du droit de manifestation, ainsi que de protection des personnes et des biens, page 110. Ce rapport est consultable à l'adresse suivante : http://www.assemblee-nationale.fr/14/rap-enq/r2794.asp.

* 15 Conseil constitutionnel, décision n° 2003-467 DC du 13 mars 2003 relative à la loi pour la sécurité intérieure.

* 16 Dans sa décision n° 2017-635 QPC du 9 juin 2017, le Conseil constitutionnel a estimé, s'agissant des dispositions de l'article 5 de la loi du 3 avril 1955 relatives à l'interdiction de séjour, que le législateur, en ne soumettant cette mesure d'interdiction, « dont le périmètre peut notamment inclure le domicile ou le lieu de travail de la personne visée, à aucune condition et n'a encadré sa mise en oeuvre d'aucune garantie », n'avait « pas assuré une conciliation équilibrée entre, d'une part, l'objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l'ordre public et, d'autre part, la liberté d'aller et de venir et le droit de mener une vie familiale normale ». Ces dispositions ont été réécrites par la loi n° 2017-1154 du 11 juillet 2017 prorogeant l'application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence.

* 17 Décret n° 2011-374 du 5 avril 2011 portant création du fichier national des personnes interdites d'acquisition et de détention d'armes (FINIADA).

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