CHAPITRE IV
FAVORISER LA CONSTRUCTION
D'ÉTABLISSEMENTS PÉNITENTIAIRES

Article 51
(art. 100 de la loi pénitentiaire n° 2009-1436 du 24 novembre 2009)
Allégement des procédures en matière de construction des établissements pénitentiaires et report du moratoire sur l'encellulement individuel

L'article 51 du projet de loi tend à faciliter les opérations d'extension et de construction des établissements pénitentiaires entrées en phase d'études avant le 31 décembre 2026, notamment en allégeant les procédures d'urbanisme et en permettant aux collectivités territoriales, leurs établissements publics ou leurs groupements de céder des terrains à l'État.

Il prévoit également la prorogation jusqu'en 2022 du moratoire sur l'encellulement individuel.

1. La mise en oeuvre de procédures dérogatoires visant à faciliter l'extension et la construction d'établissements pénitentiaires

S'inspirant largement du régime dérogatoire prévu pour les Jeux Olympiques et Paralympiques de 2024 374 ( * ) , les I à III de l'article 51 prévoient le recours à des procédures exceptionnelles afin d'accélérer la construction d'établissements pénitentiaires.

a) Le remplacement des enquêtes publiques par une procédure de consultation du public par voie électronique

Le I de l'article 51 du projet de loi tend à déroger au code de l'environnement pour accélérer la réalisation des opérations d'extension ou de construction d'établissements.

En l'état du droit, l'extension ou la construction d'établissements pénitentiaires est soumise à une enquête publique . Désigné par le tribunal administratif, le commissaire-enquêteur recueille les observations des parties prenantes et donne son avis sur le projet.

Le I de l'article 51 tend à remplacer cette enquête publique par une procédure, plus souple, de participation du public par voie électronique 375 ( * ) .

Cette procédure serait menée par un ou plusieurs « garants » nommés par la Commission nationale du débat public (CNDP) . Dans un délai d'un mois à compter de la clôture de la consultation, les garants rédigeraient une synthèse des observations et propositions du public, mentionnant, le cas échéant, les réponses du maître d'ouvrage.

Par rapport à l'enquête publique, la procédure de participation du public par voie électronique représenterait un gain de temps compris entre 45 et 120 jours d'après l'étude d'impact, notamment parce qu'elle supprimerait le délai de désignation du commissaire-enquêteur ou les possibilités pour ce dernier de solliciter un délai supplémentaire pour rédiger son rapport.

De même, l'article 51 tend à supprimer l'obligation d'information du public via les annonces légales, la mise à disposition automatique du dossier du projet sur support papier et l'avis du commissaire-enquêteur, ce qui représenterait une source importante de simplification pour le maître d'ouvrage .

À l'initiative de ses rapporteurs, votre commission a renforcé les garanties d'impartialité de cette nouvelle procédure de participation du public par voie électronique (amendement COM-217) en :

- rappelant 376 ( * ) que le garant est tenu à des obligations de neutralité et doit veiller à la qualité, à la sincérité et à l'intelligibilité de la procédure ;

- évitant tout lien de subordination financière entre le garant et le maître d'ouvrage. Concrètement, l'indemnité du garant serait versée par le maître d'ouvrage à la CNDP, qui serait responsable de son transfert vers le garant 377 ( * ) .

Votre commission a également adopté un amendement COM-216 de ses rapporteurs visant à limiter l'utilisation de procédures dérogatoires aux établissements construits ou programmés avant le 31 décembre 2022 : en effet, la garde des sceaux s'est engagée à ce que 15 000 places d'emprisonnement soient construites ou lancées avant le 31 décembre 2022. Il est donc inutile d'étendre à 2026 ces dispositifs. Le même amendement vise à exclure l'application de ces dispositions aux projets de construction d'établissements pénitentiaires en phase d'études préalables : seules les phases d'études au stade de la commande opérationnelle nécessitent le recours à ces procédures dérogatoires.

b) Le recours à la procédure d'expropriation d'extrême urgence

L'expropriation pour cause d'utilité publique permet à une personne publique de « prendre possession » d'un immeuble privé (transfert de propriété) afin d'y mener son projet.

Dans la procédure de droit commun, cette prise de possession est possible :

- lorsque la personne expropriée a accepté l'indemnité proposée par l'administration ou, à défaut d'accord, lorsque le juge a fixé le montant de l'indemnité d'expropriation ;

- et uniquement après paiement complet de cette indemnité.

Autorisée par un décret pris sur avis conforme du Conseil d'État, l'expropriation d'extrême urgence est une procédure beaucoup plus rapide : l'administration prend possession de l'immeuble avant même que l'indemnité d'expropriation ne soit définitivement fixée . En pratique, l'administration se contente de verser une « indemnité provisionnelle » , dont elle fixe elle-même le montant (dans l'attente de la décision du juge de l'expropriation).

Atteinte forte au droit de propriété, l'expropriation d'extrême urgence est aujourd'hui circonscrite à deux hypothèses : la défense nationale et certains travaux complexes (construction d'autoroutes, de voies de chemins de fer, etc .) 378 ( * ) . Le Conseil constitutionnel exige d'ailleurs qu'elle réponde à des « motifs impérieux d'intérêt général » et qu'elle soit assortie de « la garantie des droits des propriétaires intéressés » 379 ( * ) .

Le II de l'article 51 vise à rendre applicable la procédure d'expropriation d'extrême urgence pour l'acquisition des immeubles nécessaires à la réalisation des opérations d'extension ou de construction d'établissements pénitentiaires entrées en phase d'études avant le 31 décembre 2026.

Comme pour les Jeux Olympiques et Paralympiques de 2024, cette procédure concernerait les immeubles bâtis et non bâtis, alors que le régime d'extrême urgence du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique ne vise que les terrains non-bâtis.

D'après l'étude d'impact, il s'agit de « se prémunir de risques de dérapage des calendriers » du programme d'extension et de construction d'établissements pénitentiaires.

Par le même amendement COM-216 , votre commission a supprimé le recours à cette procédure dont la nécessité n'a pas été rapportée. Surtout, les retards accumulés par l'administration pénitentiaire depuis 2017 ne doivent pas se traduire par un abaissement des droits des riverains de ces futurs projets.

c) Le recours à la procédure intégrée de mise en conformité de documents d'urbanisme et de documents prescriptifs de niveau supérieur

L'extension ou la construction d'établissements pénitentiaires nécessite parfois de réviser ou de modifier des documents d'urbanisme (plan local d'urbanisme, schéma de cohérence territoriale, etc .) ou des documents prescriptifs qui leur sont supérieurs (plan de prévention des risques, directives territoriales d'aménagement, etc .).

Or, ces procédures de révision ou de modification varient d'un document à l'autre, ce qui complexifie grandement les projets d'urbanisme. À titre d'exemple, « en présence d'un projet impliquant la mise en compatibilité d'un plan local d'urbanisme (PLU) et la modification d'un plan de prévention des risques (PPR), la procédure classique suppose, en premier lieu, la révision du PPR (en moyenne 12 mois) puis la révision du PLU (12 mois environ) » 380 ( * ) .

Dès lors, le III de l'article 51 vise à créer une procédure intégrée de mise en conformité de documents d'urbanisme et de documents prescriptifs de niveau supérieur, s'inspirant de la procédure intégrée pour le logement (PILE).

Concrètement, cette procédure permettrait au représentant de l'État d'adapter simultanément plusieurs documents d'urbanisme et documents prescriptifs de rang supérieur pour respecter le calendrier d'extension ou de construction des établissements pénitentiaires.

Par cohérence avec cet objectif de simplification et s'inspirant de l'article 12 de la loi n° 2018-202 du 26 mars 2018 381 ( * ) , votre commission a remplacé l'enquête publique nécessaire pour mener cette procédure intégrée par le dispositif, plus souple, de participation du public par voie électronique (amendement COM-218 des rapporteurs) .

Par l'adoption du même amendement COM-216 de vos rapporteurs, votre commission a limité l'utilisation de cette procédure aux établissements construits ou programmés avant le 31 décembre 2022.

d) La cession à titre gratuit ou avec décote de terrains appartenant aux collectivités territoriales

Le IV de l'article 51 tend à permettre la cession, à titre gratuit ou avec décote, à l'État de terrains appartenant aux collectivités territoriales pour permettre la réalisation d'opérations d'extension ou de construction d'établissements pénitentiaires entrées en phase d'études avant le 31 décembre 2026.

• Les biens du domaine privé des personnes publiques sont, à la différence des biens du domaine public, aliénables et prescriptibles . Leur cession est régie par l'article L. 3211-14 du code général de la propriété des personnes publiques qui dispose que « les collectivités territoriales, leurs groupements et leurs établissements publics cèdent leurs immeubles ou leurs droits réels immobiliers, dans les conditions fixées par le code général des collectivités territoriales . »

La cession à titre gratuit est exclue lorsque l'acquéreur est une personne privée en application de l'article L. 1511-3 du code général des collectivités territoriales. Aucune disposition législative ne vient régir les cessions entre personnes publiques.

Les impératifs de valorisation du domaine des personnes publiques semblent cependant s'opposer à des cessions à titre gratuit entre personnes publiques, en dehors des règles de mise à disposition en cas de transfert de compétence 382 ( * ) , ceci en vertu des principes d'égalité de protection de la propriété 383 ( * ) . Cette position est confortée par la réponse ministérielle a une question de notre collègue député Guillaume Larrivé 384 ( * ) qui indique que les « cessions de biens du domaine public entre personnes publiques ne faisant l'objet d'aucune dérogation législative autorisant des cessions à des valeurs minorées ou à titre gratuit, elles doivent s'effectuer à la valeur vénale du bien déterminée en fonction des valeurs du marché ». Par parallélisme des formes, il peut être considéré que les cessions de biens du domaine privé entre personnes publiques ne faisant l'objet d'aucune dérogation législative, elles s'effectuent également à titre onéreux .

• Une disposition législative parait donc nécessaire pour permettre aux collectivités territoriales, à leurs groupements et à leurs établissements publics de céder des terrains de leur domaine privé à titre gratuit ou à un montant inférieur à la valeur vénale.

Le IV de l'article 51 du projet de loi tend à rendre possible une cession de ce type à l'État pour favoriser la construction d'établissements pénitentiaires.

Une double limitation est posée :

- les opérations concernées seraient celles entrées en phase d'études avant le 31 décembre 2026 ; la possibilité serait donc temporaire ;

- les terrains ainsi cédés ne pourraient être destinés qu'à l'extension ou à la construction d'établissements pénitentiaires.

Cette disposition n'introduit en outre qu'une simple possibilité , et en aucun cas une obligation de cession des terrains à des valeurs minorées ou à titre gratuit.

Par l'adoption du même amendement COM-216 de ses rapporteurs, votre commission a limité l'utilisation de cette procédure aux établissements construits ou programmés avant le 31 décembre 2022. Sous réserve d'un amendement COM-219 de clarification de ses rapporteurs, votre commission a approuvé ces dispositions.

2. La prolongation du moratoire sur l'encellulement individuel

Enfin le V de l'article 51 du projet de loi vise à prolonger le moratoire sur l'encellulement individuel.

a) Le principe de l'encellulement individuel, un objectif sans cesse repoussé

Inscrit depuis la loi du 5 juin 1875 sur le régime des prisons départementales, le principe de l'encellulement individuel , qui prévoit que chaque détenu doit être incarcéré dans une cellule individuelle, n'a jamais été véritablement appliqué.

L'article 716 du code de procédure pénale du 2 mars 1959 a repris ces principes tout en aménageant une dérogation en raison de l'« encombrement temporaire » des établissements .

La loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 a réaffirmé le principe d'une détention en cellule individuelle dans les maisons d'arrêt et dans les établissements pour peines , auquel il ne peut être dérogé que si les intéressés en font la demande, si leur personnalité le justifie ou si les nécessités d'organisation de leur autorisation de travail notamment, l'imposent 385 ( * ) .

Au regard des capacités du parc pénitentiaire, l'article 100 386 ( * ) de la loi pénitentiaire a néanmoins instauré un moratoire de cinq ans pour l'encellulement individuel dans les maisons d'arrêt « au motif tiré de ce que la distribution intérieure des locaux ou le nombre de personnes détenues présentes ne permet pas son application ». Ce moratoire a été prorogé jusqu'au 31 décembre 2019 par la loi n° 2014-1655 du 29 décembre 2014 de finances rectificative pour 2014 . La même loi a prévu la remise au Parlement d'un rapport du Gouvernement sur l'encellulement individuel au deuxième trimestre de l'année 2016, puis au dernier trimestre de l'année 2019.

Le premier rapport a été remis au Parlement par Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux, ministre de la justice, le 20 septembre 2016. Afin d'atteindre un taux de 80 % d'encellulement individuel, ce rapport recommandait de construire entre 9 481 et 14 666 cellules individuelles d'ici 2023.

b) Une nouvelle prorogation du moratoire sur l'encellulement individuel, dont le calendrier apparaît peu crédible

Alors que le moratoire expire le 31 décembre 2019, sur 70 519 personnes détenues au 1 er août 2018, seules 40 % d'entre elles bénéficiaient d'une cellule individuelle. Parallèlement, 1 527 matelas étaient posés au sol pour permettre le couchage de détenus dans les établissements où le doublement, voire le triplement des cellules apparaît insuffisant.

Alors que le taux d'encellulement individuel est de 82,7 % dans les établissements pour peine au 1 er juillet 2018, il n'est que de 19,4 % dans les maisons d'arrêt.

L'objectif de placement en cellule individuelle ne pouvant manifestement pas être atteint au 31 décembre 2019, le Gouvernement propose « un moratoire de trois années supplémentaires [...] afin de permettre la mise en service de nouveaux établissements 387 ( * ) ».

Vos rapporteurs s'interrogent sur l'échéance retenue par le Gouvernement : comment le programme immobilier pénitentiaire qui prévoit la livraison de seulement 7 000 places d'ici 2022 (alors même que le délai moyen de construction d'un établissement pénitentiaire est estimé à 6 ans) pourrait permettre de résorber suffisamment la surpopulation carcérale pour appliquer le principe de l'encellulement individuel ?

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice, a déclaré lors de son audition devant votre commission qu'un certain niveau d'encellulement individuel pourrait être atteint par la diminution de la population carcérale de 8 000 personnes associée à la livraison de 7 000 places. Néanmoins l'estimation de la réduction de la population carcérale semble souffrir d'un problème méthodologique. Comment la création d'une peine autonome de détention à domicile sous surveillance électronique (DDSE) pourrait-elle faire baisser la population carcérale de 3 508 personnes (selon l'étude d'impact) alors même que les juridictions correctionnelles peuvent déjà prononcer à l'audience un placement sous surveillance électronique (PSE) ? Comment le recours à la semi-liberté et au placement à l'extérieur pourrait-il bénéficier à plus de 3 000 condamnés alors que les conditions de recours restent inchangées et que l'aménagement des peines d'emprisonnement de moins de deux ans est déjà le principe ?

Vos rapporteurs soulignent la nécessité de créer effectivement les 15 000 places de prison supplémentaires annoncées par le Président de la République et de rénover le parc existant, nonobstant les réformes relatives au développement des peines alternatives à l'incarcération et à l'exécution des peines.

Enfin, vos rapporteurs ont estimé nécessaire de maintenir le principe d'une information régulière du Parlement par le Gouvernement. Aussi, après la remise d'un rapport en 2019, un rapport informant le Parlement sur l'exécution des programmes immobiliers pénitentiaires devrait également être remis par le Gouvernement en 2022 à la fin du moratoire programmé . À cette fin, votre commission a adopté l' amendement COM-179 de vos rapporteurs.

Votre commission a adopté l'article 51 ainsi modifié.


* 374 Voir article 9 de la loi n° 2018-202 du 26 mars 2018 relative à l'organisation des Jeux Olympiques et Paralympiques de 2024.

* 375 Une enquête publique resterait toutefois nécessaire en amont d'une expropriation pour cause d'utilité publique, notamment pour mieux évaluer le montant de l'indemnisation de la personne expropriée.

* 376 Par renvoi aux I et III de l'article L. 121-1-1 du code de l'environnement.

* 377 Alors que, dans le projet de loi initial, le garant était directement indemnisé par le maître d'ouvrage.

* 378 Articles L. 521-1 à L. 521-8 et L. 522-1 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique.

* 379 Décision n° 89-256 DC du 25 juillet 1989, loi portant dispositions diverses en matière d'urbanisme et d'agglomérations nouvelles.

* 380 Étude d'impact du projet de loi relatif à l'organisation des Jeux Olympiques et Paralympiques de 2024, p. 53.

* 381 Loi relative à l'organisation des Jeux Olympiques et Paralympiques de 2024.

* 382 En application de l'article L. 1321-2 du code général des collectivités territoriales.

* 383 Conseil constitutionnel, Décision n° 86-207 DC du 26 juin 1986.

* 384 Question n° 38373, la question et la réponse sont consultables à l'adresse suivante : http://questions.assemblee-nationale.fr/q14/14-38373QE.htm .

* 385 L'article 716 du code de procédure pénale prévoit que, pour les prévenus, ne peut être dérogé à ce principe que « si les intéressés en font la demande » ; « leur personnalité justifie, dans leur intérêt, qu'ils ne soient pas laissés seuls » ; « s'ils ont été autorisés à travailler ou à suivre une formation professionnelle ou scolaire et que les nécessités d'organisation l'imposent ».

L'article 717-2 prévoit que, pour les condamnés, il ne peut être dérogé à ce principe que « si les intéressés en font la demande ou si leur personnalité justifie que, dans leur intérêt, ils ne soient pas laissés seuls, ou en raison des nécessités d'organisation du travail ».

* 386 L'article 100 de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 prévoit que « dans la limite de cinq ans à compter de la publication de la présente loi, il peut être dérogé au placement en cellule individuelle dans les maisons d'arrêt au motif tiré de ce que la distribution intérieure des locaux ou le nombre de personnes détenues présentes ne permet pas son application. »

* 387 Étude d'impact, page 430.

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