III. PRINCIPALES OBSERVATIONS SUR LE PROGRAMME 147 « POLITIQUE DE LA VILLE » (RAPPORTEUR SPÉCIAL : M. PHILIPPE DALLIER)

La mission « Politique des territoires » comprenait, jusqu'à l'année 2017, le programme 147 « Politique de la ville ».

Comme l'avait souhaité votre rapporteur spécial, ainsi que son prédécesseur Daniel Raoul, rapporteur spécial pour les crédits de ce programme jusqu'en 2017, ce programme est rattaché à compter de l'année 2018 à la mission portant les crédits relatifs à la politique du logement, c'est-à-dire à la nouvelle mission « Égalité des territoires et logement ».

1. Une dépense en retrait

Le programme 147 connaît en 2016 une diminution de crédits consommés de 23,2 millions d'euros en autorisations d'engagement, soit 5,96 %, et de 22,1 millions d'euros en crédits de paiement, soit 5,65 %, par rapport à l'année 2016.

Cette diminution porte principalement sur les actions 1 « Actions territorialisées et dispositifs spécifiques de la politique de la ville » (- 14,7 millions d'euros en autorisations d'engagement et - 14,6 millions d'euros en crédits de paiement) et 2 « Revitalisation économique et emploi » (- 10,3 millions d'euros en autorisations d'engagement et - 12,6 millions d'euros en crédits de paiement).

L'action 4 « Rénovation urbaine et amélioration du cadre de la vie » affiche un niveau de consommation nul en 2017, en autorisations d'engagement comme en crédits de paiement. C'est toutefois elle qui a connu les mouvements de crédits les plus importants, avec une annulation de crédits réalisée par un décret du 21 juillet 2017.

Exécution des crédits du programme 147 « Politique de la ville » en 2017

(en euros)

Exécution
2016

Exécution
2017

Évolution
2016-2017

Loi de finances initiale
2017*

Taux de consommation
par rapport
à la prévision

Action 01
Actions territorialisées et dispositifs spécifiques de la politique de la ville

AE

301 249 019

286 565 705

- 4,87%

336 238 150

+ 85,23%

CP

301 543 906

286 906 969

- 4,85%

336 238 150

+ 85,33%

Action 02
Revitalisation économique et emploi

AE

64 771 306

54 507 000

- 15,85%

48 522 000

+ 112,33%

CP

67 061 306

54 507 000

- 18,72%

48 522 000

+ 112,33%

Action 03
Stratégie, ressources et évaluation

AE

23 188 765

25 323 920

+ 9,21%

29 913 510

+ 84,66%

CP

20 645 344

27 192 279

+ 31,71%

29 913 510

+ 90,90%

Action 04
Rénovation urbaine et amélioration du cadre de la vie

AE

399 889

ns

- 100,00%

100 036 000

ns

CP

1 445 853

ns

- 100,00%

15 036 000

ns

Total programme 147

AE

389 608 979

366 396 625

- 5,96%

514 709 660

+ 71,19%

CP

390 696 409

368 606 248

- 5,65%

429 709 660

+ 85,78%

* Y compris fonds de concours et attribution de produits

ns = non significatif

Source : commission des finances du Sénat d'après le rapport annuel de performances pour 2017

2. L'annulation des crédits consacrés au nouveau programme national de renouvellement urbain

Le Gouvernement avait annoncé , à l'automne 2016, le retour de l'État dans le financement de la rénovation urbaine , alors qu'il avait cessé au cours des années passées de participer au financement du programme national de rénovation urbaine (PNRU).

Cette nouvelle ambition avait été traduite dans la loi de finances pour 2017 :

- d'une part par l'augmentation à 6 milliards d'euros, contre 5 milliards d'euros précédemment, des moyens affectés jusqu'en 2014 à l'Agence nationale de rénovation urbaine (Anru) pour la mise en oeuvre du nouveau programme national de renouvellement urbain (NPNRU) 175 ( * ) ;

- d'autre part, par l'inscription, en première lecture du projet de loi de finances à l'Assemblée nationale, d'un montant de 100 millions d'euros en autorisations d'engagement et 15 millions d'euros en autorisations d'engagement pour le financement du NPNRU.

Il convient en effet de rappeler que la loi n° 2014-173 de programmation pour la ville et la cohésion urbaine du 21 février 2014 a prévu le lancement d'un nouveau programme national de renouvellement urbain, faisant suite au programme national de rénovation urbaine lancé par la loi du 1 er août 2003 d'orientation et de programmation pour la ville et la rénovation urbaine.

Le NPNRU, qui couvre la période 2014-2024, vise en priorité les quartiers présentant les dysfonctionnements urbains les plus importants. Les moyens sont concentrés sur 216 quartiers d'intérêt national et 264 quartiers d'intérêt régional, mais doivent venir en complément, et non en remplacement des crédits de droits commun des autres ministères. Les crédits proviennent principalement d'Action logement.

Dans le même temps, le PNRU, dont la période d'engagement a pris fin en 2015, poursuit son application jusqu'en 2020.

Malgré les annonces faites fin 2017, le nouveau Gouvernement a décidé, dans le cadre du décret du 20 juillet 2017, d'annuler 130,4 millions d'euros en autorisations d'engagement et 46,5 millions d'euros en crédits de paiement sur le programme 147, soit respectivement 25 % et 11 % des enveloppes prévues en loi de finances initiale.

Cette annulation a porté majoritairement sur le NPNRU, dont la totalité des autorisations d'engagement et des crédits de paiement ont été annulés.

Cette décision apparaît en contradiction avec les ambitions très fortes affichées par le nouveau Gouvernement en matière de renouvellement urbain . Il a en effet affiché sa volonté d'augmenter à 10 milliards d'euros les moyens alloués au NPNRU : c'est ce qu'a réalisé l'article 132 de la loi de finances pour 2018, qui a également inscrit dans la loi le principe de la participation de l'État à hauteur de 1 milliard d'euros.

Certes, l'annulation des crédits du renouvellement urbain paraît liée à l'état d'avancement du NPNRU : la Cour des comptes note que l'année 2017 a essentiellement été consacrée à la réalisation d'études.

De fait, le projet annuel de performances de la mission « Politique des territoires », annexé au projet de loi de finances pour 2017, indiquait déjà que « L'année 2017 sera notamment consacrée à l'élaboration des protocoles de préfiguration qui permettent aux collectivités de constituer la feuille de route des projets, ainsi qu'à la négociation des premières conventions opérationnelles ». Fin novembre 2017, les protocoles de préconfiguration, qui constituent pour chaque quartier une feuille de route préalable à la signature de conventions de renouvellement urbain, étaient signés pour 91 % des quartiers d'intérêt national et 94 % des quartiers d'intérêt régional. La première convention, quant à elle, a été signée à Rennes le 16 février 2017.

NPNRU : les 450 quartiers d'intérêt national et régional

Source : Anru, dossier de presse, 31 janvier 2018.

On peut donc se demander si l'inscription en loi de finances pour 2017 de 100 millions d'euros en autorisations d'engagement et de 15 millions d'euros en crédits de paiement n'était pas manifestement prématurée.

Il n'en reste pas moins que l'annulation des crédits est un mauvais signal envoyé aux opérateurs .

Pour 2018, la loi de finances a prévu l'attribution de 15 millions d'euros en autorisations d'engagement et de 15 millions d'euros en crédits de paiement au renouvellement urbain. Ces montants sont inférieurs, en autorisations d'engagement, à ceux qui avaient été inscrits dans la loi de finances précédente. Or l'élaboration du programme est désormais plus avancée même si, comme votre rapporteur a pu le constater, le volet « co-construction » avec les conseils citoyens , qui est l'un des points les plus mis en avant du NPNRU, tarde à se mettre réellement en place dans bien des quartiers concernés .

Votre rapporteur réitère donc les interrogations qui étaient les siennes lors de l'élaboration du budget pour 2018 en rappelant que, en 2016, le conseil d'administration de l'ANRU avait dû se réunir au moins de juin pour voter un budget rectificatif prévoyant une augmentation de la contribution d'Action logement, afin de répondre à des besoins supplémentaires constatés en termes de décaissements sur le PNRU.

Pour l'avenir, les 10 milliards d'euros alloués désormais au NPNRU seraient apportés :

- par Action Logement à hauteur de 7 milliards d'euros, soit 2 milliards de plus que prévu précédemment. Cette augmentation a été inscrite dans la convention quinquennale 2018-2022 signée par l'État et Action Logement  le 16 janvier 2018 ;

- par l'État à hauteur de 1 milliard d'euros, dont 200 millions d'euros entre 2018 et 2022 ;

- par les bailleurs sociaux à hauteur de 2 milliards d'euros, un protocole d'accord ayant été signé en ce sens le 4 avril dernier.

Votre rapporteur souligne que , si la tension sur les crédits a été limitée en 2017, il faudra être vigilant sur le maintien des financements d'État au cours des prochaines années et tout particulièrement en fin de période, puisque 800 des 1 000 millions d'euros relevant de l'État devront être fournis après 2022 .

3. Les difficultés d'évaluation du coût des exonérations de charges patronales en ZFU

La Cour des comptes souligne le risque pesant sur la trajectoire de la dette de l'État au titre des exonérations de charges sociales en zones franches urbaines (ZFU) à l'égard de l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACOSS) , établissement public qui assure la gestion commune et centralisée des ressources et de la trésorerie du régime général de Sécurité sociale.

Les gains et rémunérations versées en ZFU sont exonérés des cotisations à la charge de l'employeur au titre des assurances sociales, des allocations familiales ainsi que du versement de transport et de la contribution au Fonds national d'aide au logement.

Dégressives en fonction de la rémunération jusqu'à un niveau égal à deux fois le SMIC, ces exonérations s'appliquent à taux plein pendant cinq ans puis diminuent et s'annulent au bout de neuf ans. Enfin, elles sont réservées aux entreprises installées avant le 31 décembre 2014 : la transformation du dispositif des zones franches urbaines en zones franches urbaines - territoire entrepreneur (ZFU-TE) s'est accompagnée d'une disparition des exonérations de charges patronales.

De fait, les abaissements successifs du niveau des charges sur les bas salaires, ainsi que l'instauration du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE), ont fait perdre une partie de leur intérêt aux baisses de charge sociales limitées à une zone géographique (ZFU, zones de revitalisation rurales...).

Le Commissariat général à l'égalité des territoires (CGET) avait ainsi estimé à 19,6 millions d'euros seulement le montant de ces exonérations pour la construction du budget 2016. Or les dernières estimations indiquent que ce montant serait de 41,1 millions d'euros. Cette hausse inattendue a entraîné un déplacement de crédits entre la ligne consacrée aux contrats de ville et celle dédiée aux exonérations en ZFU.

Or le manque de fiabilité de ces prévisions est récurrent et révèle une réelle difficulté à assurer un paiement effectif des sommes nécessaires. L'inscription des crédits en loi de finances sous-estime chaque année les paiements effectifs et ne prend pas non plus en compte la dette passée.

Prévisions et réalisation des exonérations de charges sociales accordées dans le cadre des ZFU

Source : commission des finances, d'après des données CGET, Cour des comptes.

Les raisons de cet écart ne sont pas suffisamment connues . Or la Cour des comptes indique qu'une mission d'inspection demandée par le CGET n'a pas encore eu lieu afin de déterminer pourquoi les entreprises concernées ne basculent pas vers les exonérations de charges sociales de droit commun. Il serait utile que cette mission soit conduite afin de permettre l'apurement de cette dette, même si son montant ne met pas en danger la soutenabilité du programme dans son ensemble, et de mieux adapter à l'avenir l'autorisation donnée en loi de finances aux besoins finaux.

4. Des dépenses fiscales toujours considérables

Les dépenses fiscales rattachées au programme 147 sont évaluées à un montant de 437 millions d'euros selon le rapport annuel de performances pour 2017, dont 360 millions d'euros sur des impôts d'État et 77 millions d'euros sur des impôts locaux pris en charge par l'État, à comparer aux crédits consommés qui sont de 366,4 millions d'euros en autorisations d'engagement et 368,6 millions d'euros en crédits de paiement.

L'effort de l'État consacré spécifiquement aux quartiers de la politique de la ville , hors crédits de droit commun, passe donc en majorité par des dépenses fiscales .

Les deux dépenses fiscales les plus importantes sont :

- l'exonération d'impôt sur le revenu en ZFU ou ZFU-TE, pour un coût en 2017 de 196 millions d'euros, qui dépasse de 16 millions d'euros la prévision de 180 millions d'euros ;

- l'application d'un taux de TVA de 5,5 % pour les logements en accession sociale à la propriété dans les zones faisant l'objet de la politique de la ville, pour un coût de 140 millions d'euros, en croissance par rapport à 2016 (120 millions d'euros) mais quasiment identique à la prévision (139 millions d'euros).

La Cour des comptes constate une nouvelle fois qu' aucune véritable évaluation de ces mesures n'a été réalisée , malgré les dispositions des articles 22 et 23 de la loi de programme des finances publiques pour 2014-2019.

Or les effets d'aubaine de ce type de dispositif sont bien connus, ainsi que leurs limites : les exonérations d'impôt sur les sociétés ne profitent qu'aux entreprises qui dégagent un bénéfice. Il est également difficile d'éviter tout effet de « tourisme fiscal », malgré les dispositions tenant à éviter le cumul de ces dispositifs lorsqu'une entreprise se déplace d'un territoire fiscalement favorisé à un autre.

Ainsi, votre rapporteur rappelle qu'un dispositif de subventions peut produire de meilleurs résultats . C'est ce qu'a démontré l'enquête de la Cour des comptes, réalisée à la demande de la commission des finances, sur le programme « Habiter mieux » 176 ( * ) , à condition toutefois qu'un contrôle soit réalisé sur la réalité des effets de ces subventions. À cet égard, la création d'un dispositif « Habiter mieux agilité » pour des travaux moins importants ne devrait pas constituer une manière d'atteindre les objectifs chiffrés de rénovation thermique en laissant de côté l'exigence technique et environnementale.

5. Une mesure de la performance insuffisante

La mesure de la performance du programme 147 repose sur 4 indicateurs :

- indicateur 1.1 : écart entre la densité d'établissements exerçant une activité d'industrie et de commerce dans les territoires entrepreneurs et celle constatée dans les unités urbaines correspondantes ;

- indicateur 2.1 : évolution des chances de réussite scolaire des élèves scolarisés en collège REP+ dans un quartier prioritaire de la politique de la ville (QPV) ;

- indicateur 3.1 : rapport entre le revenu fiscal moyen par unité de consommation des QPV et celui de leurs agglomérations

- indicateur 4.1 : taux de couverture des démolitions par des reconstructions.

L'indicateur 3.1 est particulièrement important pour la prise en compte des orientations de la politique de la ville. L'article 1 er de la loi du 21 février 2014 de programmation pour la ville et la cohésion urbaine donnait en effet à cette politique l'objectif de « réduire les écarts de développement entre les quartiers défavorisés et leurs unités urbaines ». Mesuré au niveau de l'unité urbaine, il permet de prendre en compte le coût de la vie dans le territoire, qui diffère d'une région à une autre. Il est calculé par l'Insee à partir de données fiscales et sociales réunies dans le Fichier localisé social et fiscal (Filosofi).

Cet indicateur avait une valeur de 47,5 % en 2015 et 47,1 % en 2016. Malgré le léger recul de 2016, la prévision lors de l'élaboration du budget 2017 était ambitieuse avec 50 %, réduite plus tard à 49 %. La valeur réalisée n'est pas encore disponible.

Il reste donc un écart important de situation sociale entre les quartiers prioritaires de la politique de la ville et le reste de leur environnement urbain.

Votre rapporteur constate toutefois , comme le fait la Cour des comptes 177 ( * ) , que cet indicateur comporte une limite importante : il mesure un niveau global de revenu mais ne prend pas en compte leur disparité au sein des quartiers concernés.

Or la mixité sociale - ou son absence - est un enjeu majeur pour assurer une réelle intégration de ces quartiers dans la ville . Malgré les efforts des opérateurs, il reste difficile d'attirer dans ces quartiers des ménages plus aisés. Il serait donc utile qu'un indicateur, par exemple en distinguant les revenus par décile, prenne en compte l'évolution de la mixité sociale dans les quartiers de la politique de la ville, par rapport à l'ensemble de l'unité urbaine.

Une autre limite de ces indicateurs est qu'ils ne correspondent que très partiellement aux crédits budgétaires affectés au programme 147.

Le taux de couverture des démolitions par des reconstructions (indicateur 4.1) dépend de l'action de rénovation urbaine, qui n'a pas reçu de crédits d'État en 2017. L'évolution des chances de réussite scolaire des élèves (indicateur 2.1) relève d'abord des crédits de droit commun de l'éducation nationale.

Cette limite est liée à la difficulté à déterminer l'ensemble des dépenses consacrées par l'État et les autres collectivités aux quartiers prioritaires et à mesurer l'effet de levier des crédits spécifiquement inscrits au programme 147. Or l'évaluation correcte des effets des nouveaux contrats de ville, signés en application de la loi du 21 février 2014, dépend de la mesure de cet effet de levier.


* 175 Article 9-2 de la loi n° 2003-710 du 1 août 2003 d'orientation et de programmation pour la ville et la rénovation urbaine, modifié par l'article 137 de la loi n 2016-1917 du 29 décembre 2016 de finances pour 2017.

* 176 Rapport d'information n° 399 (2017-2018) de M. Philippe Dallier, fait au nom de la commission des finances sur l'enquête de la Cour des comptes relative au programme « Habiter mieux ».

* 177 Cour des comptes, note d'exécution budgétaire 2017, mission « Politique des territoires ».

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