CHAPITRE IV - Égalité de rémunération entre les femmes et les hommes et lutte contre les violences sexuelles et les agissements sexistes au travail

Article 61 (art. L. 3221-11 à L. 3221-14 [nouveaux], L. 2232-9, L. 2242-8, L. 2312-26 du code du travail, L. 225-37-1, L. 225-82-1, L. 226-9-1 du code du commerce) - Mesure des écarts de rémunération entre les femmes et les hommes salariés d'une même entreprise

Objet : Cet article propose de doter les entreprises de plus de cinquante salariés d'un indicateur de mesure des écarts salariaux entre hommes et femmes et de soumettre ces derniers à une publication annuelle.

I - Le dispositif proposé

A. L'échec des dispositifs récents

Partant du constat particulièrement alarmant d' écarts salariaux entre hommes et femmes de près de 10 %, le Gouvernement a choisi d'introduire par l'article 61 une nouvelle méthodologie de lutte contre les écarts de rémunération injustifiés.

Pays

Écart salarial en % du salaire médian masculin

Luxembourg

3,4

Slovénie

5,0

Italie

5,6

Grèce

6,3

Hongrie

9,4

France

9,9

Espagne

11,5

Allemagne

15,5

Royaume-Uni

16,8

Lettonie

21,1

Source : OCDE, 2015

Le Sénat avait, à l'occasion de l'examen d'une proposition de loi de notre ancienne collègue Claire-Lise Campion 421 ( * ) , posé dès 2012 les termes du débat que l'article 61 entend à présent trancher 422 ( * ) .

Les constats de la délégation aux droits des femmes du Sénat encore d'actualité : l'échec des dispositifs renvoyant à la négociation collective

Depuis la loi du 22 décembre 1972 423 ( * ) , qui a introduit le principe dans le code du travail, selon lequel « tout employeur assure, pour un même travail ou pour un travail de valeur égale, l'égalité de rémunération entre les femmes et les hommes » (article L. 3221-2), quatre grandes lois ont spécifiquement renforcé le dispositif visant à garantir l'égalité professionnelle et salariale entre les hommes et les femmes :

- la loi du 13 juillet 1983, dite « loi Roudy », a notamment créé l'obligation de fournir annuellement un rapport de situation comparée (RSC),

- la loi du 9 mai 2001 relative à l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, dite « loi Génisson », instaure une obligation triennale pour chaque branche professionnelle de négocier sur l'égalité professionnelle , et contraint les entreprises d'au moins 50 salariés à négocier chaque année sur l'égalité professionnelle,

- la loi du 16 novembre 2001 relative à la lutte contre les discriminations institue un droit d'alerte pour les délégués du personnel et permet aux organisations syndicales d'engager une procédure à la place de la salariée victime de discrimination,

- la loi du 23 mars 2006 relative à l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes fixe, notamment, une date butoir au 31 décembre 2010 pour la suppression des écarts de rémunération entre les hommes et les femmes.

La délégation faisait le constat de mesures de réduction des écarts salariaux essentiellement fondées sur la négociation collective et peu portées sur la coercition .

L'article 99 de la loi du 9 novembre 2010 424 ( * ) a institué pour la première fois une sanction financière à l'encontre des entreprises d'au moins 50 salariés qui n'auraient pas conclu d'accord d'égalité professionnelle ou, à défaut d'accord, qui n'auraient pas défini les objectifs et les mesures constituant un plan d'action pour obtenir l'égalité professionnelle. Ce montant ne pouvait dépasser 1 % de la masse salariale des rémunérations et gains bruts versés par l'entreprise .

Ce dispositif a cependant été très largement dévoyé par le décret d'application du 7 juillet 2011 qui prévoyait une importante latitude laissée à l'entreprise, qui se voyait offrir la possibilité de présenter un plan d'action unilatéral, à défaut d'accord relatif à l'égalité professionnelle.

B. Le projet de loi initial : les premiers jalons d'une démarche contraignante

Le dispositif porté par l'article 61 consiste en l'insertion d'un chapitre dans le code du travail intitulé « mesure des écarts éventuels et actions de correction ». Ce nouveau chapitre contient l'article unique L. 3221-11 prévoyant que, dans les entreprises d' au moins cinquante salariés , le respect du principe d'égalité salariale entre les hommes et les hommes, est garanti sur la base d'un indicateur chiffré et anonymisé mesurant les éventuels écarts de rémunération.

L'article 61 prévoit que cet indicateur sera déployé dans les entreprises de plus de 250 salariés à partir de 2019, et dans celles de 50 à 249 d'ici 2020.

C. L'exemple suisse révélateur de la pertinence du dispositif

Le dispositif porté par l'article 61 est en grande partie inspiré par l'expérience suisse du logiciel Logib .

L'exemple suisse

Le logiciel Logib a été développé en 2004 en Suisse sur mandat du Bureau fédéral de l'égalité entre femmes et hommes (BFEG). Il permet aux entreprises employant au moins 50 salariés de vérifier elles-mêmes si leurs pratiques en matière salariale ne comportent pas d'éventuelles discriminations.

Le succès remporté par ce logiciel est croissant. En 2011, Logib a été téléchargé 4 900 fois environ, soit une hausse de 30 % par rapport à son année de création. En Suisse, l'écart salarial était en moyenne de 18,4 % en 2010, dont environ 60 % étaient explicables par des facteurs objectifs comme par exemple les qualifications ou la situation professionnelle. Les 40 % restants constituaient un écart salarial inexplicable et donc une discrimination contraire au principe « un salaire égal pour un travail de valeur égale » inscrit dans la Constitution fédérale depuis 1981. Cet écart s'est depuis réduit pour atteindre 16,9 % en 2014, mais la Suisse, pourtant pourvue d'un logiciel de mesure des écarts de rémunération, a un rang notoirement alarmant en matière d'égalité salariale .

Il ne faut pas attendre de la diffusion généralisée d'un logiciel qu'elle résorbe, ainsi que l'ambitionne le Gouvernement, la totalité des écarts salariaux d'ici la fin du quinquennat. L'impact réel de ce dispositif réside essentiellement dans l'introduction par le Gouvernement de l'obligation de publication annuelle par toute entreprise de plus de cinquante salariés des chiffres reflétant ses écarts de rémunération (ce que les détracteurs de cette pratique désigne par le « name and shame »).

Là aussi, le choix du Gouvernement de contraindre les entreprises à la transparence s'inspire de l'exemple suisse qui, malgré la diffusion de Logib, continuait de déplorer des écarts importants et constatait l'insuffisance de la seule initiative de l'employeur .

Un projet de loi relatif à l'égalité salariale récemment adopté par le Conseil des États, chambre haute du Parlement fédéral, a connu un cheminement particulièrement chaotique : renvoyé en commission parlementaire en février 2018 en raison d'une disposition jugée excessivement contraignante à l'égard des entreprises de plus 100 salariés, qui se voyaient soumises à un contrôle par tiers des salaires et à une obligation d'information à l'égard de leurs employés, le projet modifié a finalement été adopté en mai 2018, grâce à l'abandon du contrôle par tiers.

II - Les modifications apportées par l'Assemblée nationale

Le Gouvernement a, par quatre amendements substantiels 425 ( * ) , largement étoffé le dispositif de l'article 61. Conservant la structure d'un nouveau chapitre relatif aux écarts de rémunération, il y a ajouté de nombreux articles obéissant à la structure suivante :

- il est d'abord mentionné que le chapitre est applicable aux employeurs et salariés de droit commun, au personnel des établissements publics à caractère industriel et commercial, ainsi qu'au personnel de droit privé des établissements publics administratifs ;

- il est ensuite prévu pour chaque employeur d'au moins 50 salariés une mesure annuelle des écarts de rémunération entre les femmes et les hommes selon des modalités et une méthodologie définies par décret ainsi que leur publication . La publication revêt le dispositif d'une dimension jusqu'ici inédite dans la lutte contre les écarts salariaux, à savoir un impératif de transparence directement imposé aux entreprises, dont la politique de rattrapage ne relevait que de la sphère de la négociation collective ;

- si, dans les entreprises de plus de 50 salariés, le principe de l'égalité de rémunération n'est pas respecté au regard d'indicateurs définis par décret, le législateur prévoit qu'un plan de rattrapage salarial sera inscrit à l'ordre du jour des négociations collectives obligatoires (devant avoir lieu au moins une fois tous les quatre ans) ;

- ainsi, l'entreprise dispose de trois ans pour se mettre en conformité. À l'expiration de ce délai, si l'écart de rémunération reste supérieur à un taux minimal déterminé par arrêté, une pénalité financière peut s'appliquer ;

- cette pénalité, construite sur le modèle de la loi du 9 novembre 2010, ne pourra être supérieure à 1 % du total des rémunérations et des gains versés par l'employeur . Son montant sera affecté au fonds de solidarité vieillesse (FSV).

III - La position de votre commission

Vos rapporteurs, éclairés par l'exemple suisse, se montrent favorables au dispositif de l'article 61 .

Au regard du coût important que ne manquera pas d'engendrer la mise en place de ce logiciel au sein des entreprises, vos rapporteurs souhaitent que son obligation de diffusion ne s'étende pas à celles déjà pourvues d'un outil similaire déployé dans le cadre de leur négociation collective. Ils ont donc déposé un amendement n° COM-405 dans ce sens, que votre commission a adopté.

Votre commission a adopté cet article ainsi modifié.

Article 62 (art. L. 1153-5, L. 1153-5-1 [nouveau], L. 2314-1, L. 2315-18 du code du travail) - Prévention des faits de harcèlement sexuel

Objet : Cet article prévoit une obligation supplémentaire d'information de l'employeur en matière de lutte contre le harcèlement sexuel.

I - Le dispositif proposé

En modifiant l'article L. 1153-5 du code du travail, le dispositif initial prévoit d'ajouter à l'obligation faite à tout employeur ou à tout recruteur de prévoir l'affichage dans les lieux de travail ou de recrutement du texte de l'article 222-33 du code pénal, une obligation d'affichage des « actions contentieuses civiles et pénales ouvertes en matière de harcèlement sexuel et des coordonnées des autorités et services compétents ».

L'article 222-33 du code pénal

I. - Le harcèlement sexuel est le fait d' imposer à une personne, de façon répétée , des propos ou comportements à connotation sexuelle qui soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante .

II. - Est assimilé au harcèlement sexuel le fait, même non répété , d'user de toute forme de pression grave dans le but réel ou apparent d'obtenir un acte de nature sexuelle, que celui-ci soit recherché au profit de l'auteur des faits ou au profit d'un tiers.

III. - Les faits mentionnés aux I et II sont punis de deux ans d'emprisonnement et de 30 000 euros d'amende.

Ces peines sont portées à trois ans d'emprisonnement et 45 000 euros d'amende lorsque les faits sont commis :

Par une personne qui abuse de l'autorité que lui confèrent ses fonctions ;

2° Sur un mineur de quinze ans ;

3° Sur une personne dont la particulière vulnérabilité, due à son âge, à une maladie, à une infirmité, à une déficience physique ou psychique ou à un état de grossesse, est apparente ou connue de leur auteur ;

4° Sur une personne dont la particulière vulnérabilité ou dépendance résultant de la précarité de sa situation économique ou sociale est apparente ou connue de leur auteur ;

5° Par plusieurs personnes agissant en qualité d'auteur ou de complice.

II - Les modifications apportées par l'Assemblée nationale

La commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale a adopté un amendement du Gouvernement insérant un article L. 1153-5-1 prévoyant la désignation, par le comité social et économique, dans toute entreprise de plus de 250 salariés , d'un référent chargé d'orienter, d'informer et d'accompagner les salariés en matière de lutte contre le harcèlement sexuel et les agissements sexistes.

III - La position de votre commission

Vos rapporteurs estiment que les mesures prises pour la lutte contre les agissements sexistes et le harcèlement sexuel doivent, dans le cadre posé par la loi, être mises en oeuvre selon des modalités propres à chaque entreprise. Ils ne se sont pas montrés favorables à ce qu'un nouveau référent vienne s'ajouter à ceux déjà prévus par la loi.

C'est pourquoi la commission a adopté l' amendement n° COM-89 présenté par notre collègue Pascale Gruny et plusieurs membres du groupe Les Républicains prévoyant la suppression de ce référent.

Votre commission a adopté cet article ainsi modifié.

Article 62 bis (art. L. 2241-1 du code du travail) - Intégration de la prévention du harcèlement sexuel dans les négociations de branche

Objet : Cet article, issu d'un amendement du Gouvernement adopté par la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale, prévoit que les négociations obligatoires de branche devront aborder le thème des agissements sexistes et du harcèlement sexuel.

I - Le dispositif proposé par l'Assemblée nationale

L'article L. 2241-1 dispose que les organisations liées par une convention de banche ou, à défaut, par un accord professionnel, se réunissent au moins une fois tous les quatre ans pour évoquer les thèmes relatifs à leur politique salariale ( ), aux mesures promouvant l'égalité salariale ( ), l'insertion et le maintien dans l'emploi des personnes handicapées ( ), ainsi que la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences ( ).

L'article 62 bis prévoit que ces négociations collectives quadriennales obligatoires intègreront à leur ordre du jour, au titre de leur compétence relative à l'égalité salariale, la « mise à disposition d'outils aux entreprises pour prévenir et agir contre le harcèlement sexuel et les agissements sexistes ».

II - La position de votre commission

Votre commission se montre favorable à ce que les négociations de branche s'emparent pleinement d'un sujet relatif aux relations de travail et à la lutte contre les agissements sexistes et le harcèlement sexuel.

Elle a adopté cet article sans modification.

Article 62 ter (art. L. 2242-17 du code du travail) - Négociation annuelle en entreprise

Objet : Cet article, issu d'un amendement de MM. Gérard Cherpion et Stéphane Viry, députés, adopté par la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale, enrichit le contenu de la négociation annuelle obligatoire en entreprise portant sur la lutte contre toute forme de discrimination.

I - Le dispositif proposé par l'Assemblée nationale

L'article L. 2242-17 du code du travail dispose actuellement que la négociation annuelle obligatoire en entreprise sur l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes et la qualité de vie au travail porte notamment sur les mesures permettant de lutter contre toute discrimination en matière de recrutement, d'emploi et d'accès à la formation professionnelle .

L'article 62 ter précise le contenu de la négociation obligatoire par un renvoi à l'article L. 6315-1 du code du travail tel qu'issu des dispositions de l'article 6 du présent projet de loi. Les mesures relatives à la lutte contre les discriminations en entreprise devront désormais porter une attention particulière :

- au suivi d'au moins une action de formation ;

- aux acquis des éléments de certification par la formation ou par une validation des acquis de l'expérience ;

- à la progression salariale ou professionnelle ;

- à la proposition faite au salarié ou à la salariée d'abondement de son compte personnel de formation ;

- ainsi qu'à toute modalité d'appréciation du parcours professionnel.

II - La position de votre commission

Votre commission se montre favorable à cette mesure susceptible de sensibiliser davantage les entreprises à la lutte contre les discriminations en leur sein.

Elle a adopté cet article sans modification.


* 421 Proposition de loi n° 230 (2011-2012) relative à l'égalité salariale entre les hommes et les femmes, déposée le 23 décembre 2011.

* 422 Rapport d'information n° 334 (2011-2012) de Mme Michelle Meunier, fait au nom de la délégation aux droits des femmes, déposé le 7 février 2012.

* 423 Loi n° 72-1143 du 22 décembre 1972 relative à l'égalité de rémunération entre les femmes et les hommes.

* 424 Loi n° 2010-1330 du 9 novembre 2010 portant réforme des retraites.

* 425 Amendements n° AS 1242, AS 1229, AS, 1245 et AS 1247.

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