Sous-section 1 - Ouverture du régime d'assurance chômage aux démissionnaires

Article 27 (art. L. 5422-1-1 et L. 5426-1-2 [nouveaux] du code du travail) - Droits et obligations des démissionnaires

Objet : Cet article impose au salarié qui souhaite bénéficier d'une allocation d'assurance chômage de solliciter un conseil en évolution professionnelle (CEP) préalablement à sa démission, afin de garantir le caractère réel et sérieux de son projet professionnel. Il prévoit également que cette personne est radiée des listes des demandeurs d'emploi et perd le bénéfice de son allocation d'assurance chômage si elle n'accomplit pas les démarches nécessaires à la mise en oeuvre de son projet professionnel, le premier contrôle étant effectué par Pôle emploi dans les six premiers mois d'indemnisation.

I - Le dispositif proposé

Cet article introduit deux nouveaux articles dans le code du travail : le premier, L. 5422-1-1 , oblige le salarié qui souhaite démissionner et bénéficier de l'allocation d'assurance chômage, à solliciter au préalable un conseil en évolution professionnelle pour justifier du caractère réel et sérieux de son projet professionnel ; le second, L. 5426-1-2 , définit le motif de radiation d'un démissionnaire qui bénéficie d'une allocation de Pôle emploi.

A. Le conseil en évolution professionnelle pour les démissionnaires : une obligation préalable pour bénéficier de l'allocation d'assurance chômage

Introduit par l'article 5 de la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013 relative à la sécurisation de l'emploi, défini par l'article 22 de la loi n° 2014-288 du 5 mars 2014 relative à la formation professionnelle, à l'emploi et à la démocratie sociale et précisé par l'article 39 de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels, le conseil en évolution professionnelle (CEP) a pour objet de favoriser l'évolution et la sécurisation du parcours professionnel du travailleur tout au long de son activité.

Défini à l'article L. 6111-6 du code du travail, le CEP est gratuit et il est mis en oeuvre dans le cadre du service public régional de l'orientation.

Cinq organismes sont actuellement habilités par la loi à dispenser un CEP : Pôle emploi, l'Association pour l'emploi des cadres (Apec), les missions locales, les Opacif et Cap emploi (pour les personnes en situation de handicap).

Le CEP, qui peut être assuré à distance, accompagne les projets d'évolution professionnelle en lien avec les besoins économiques existants et prévisibles dans les territoires. Il facilite l'accès à la formation et, le cas échéant, au compte personnel de formation.

Compte tenu de l' arrêté du 16 juillet 2014 fixant le cahier des charges des organismes habilités , tout CEP doit comporter un entretien individuel pour analyser la situation professionnelle du travailleur, des propositions pour préciser son projet professionnel et un accompagnement dans la mise en oeuvre de ce projet.

L'article 3 du présent projet de loi initial réforme le régime juridique du CEP (voir supra) en remplaçant notamment les Opacif par les opérateurs de compétences financés par France compétences, dont l'une des missions fixées au 4° de l'article L. 6123-5 est l'organisation et le financement de ce dispositif.

À travers l'introduction de l'article L. 5422-1-1 dans le code du travail, le présent article du projet de loi rend obligatoire le recours préalable au CEP pour les salariés qui souhaitent démissionner et bénéficier de l'allocation d'assurance chômage. C'est dans ce cadre que le salarié devra élaborer son projet de reconversion professionnelle ou son projet de création ou de reprise d'entreprise (article 26, voir supra) . Toutefois, Pôle emploi et les missions locales ne pourront pas assurer le CEP pour ce public. L'étude d'impact justifie cette double exclusion par les arguments suivants 184 ( * ) :

- Pôle emploi, chargé d'ouvrir les droits à l'assurance chômage, ne doit pas être juge et partie en accompagnant le salarié dans la définition du projet professionnel ;

- compte tenu de la condition d'ancienneté de cinq ans prévue par le Gouvernement, les missions locales seraient mécaniquement exclues du dispositif car elles accueillent les jeunes de 16 à 25 ans.

Concrètement, seuls l'Apec, CAP emploi et les opérateurs habilités par France compétences pourront assurer un CEP à l'attention des futurs démissionnaires.

Le cas échéant, l'institution, l'organisme ou l'opérateur en charge du CEP informe le salarié des droits qu'il pourrait faire valoir pour mettre en oeuvre son projet dans le cadre de son contrat de travail.

B. La radiation du démissionnaire des listes de Pôle emploi en cas d'absence de mise en oeuvre de son projet professionnel

L'article L. 5421-3 prévoit actuellement que la condition de recherche d'emploi requise pour bénéficier d'un revenu de remplacement est satisfaite dès lors que la personne est inscrite comme demandeur d'emploi et accomplit des actes positifs et répétés en vue de retrouver un emploi, de créer ou de reprendre une entreprise.

Le I du nouvel article L. 5426-1-2 dispose que cette condition de recherche d'emploi est également remplie quand la personne démissionnaire est inscrite à Pôle emploi et accomplit les démarches nécessaires à la mise en oeuvre de son projet professionnel.

Le II de cet article indique que :

- Pôle emploi vérifie la réalité de ces démarches au plus tard six mois après l'ouverture du droit à l'assurance chômage ;

- l'allocataire est radié de la liste des demandeurs d'emploi s'il n'accomplit pas ces démarches, sauf motif légitime de sa part, et il perd alors le bénéfice de son allocation d'assurance chômage ;

- la convention d'assurance chômage doit définir les conditions dans lesquelles une personne démissionnaire radiée de Pôle emploi en raison de l'absence de démarches nécessaires à la mise en oeuvre de son projet professionnel peut bénéficier à nouveau de son allocation d'assurance chômage.

C. Le coût de l'extension de l'assurance chômage aux démissionnaires demeure difficile à mesurer

Selon l'Unédic 185 ( * ) , sur la période 2009-2012, 56 % des fins de CDI résultent d'une démission , 22 % d'un licenciement non économique, 14 % d'une rupture conventionnelle et 8 % d'un licenciement économique.

La moitié des démissionnaires sont âgés de moins de 30 ans, tandis que les employés et, dans une moindre mesure, les ouvriers, sont surreprésentés par rapport aux cadres.

Sur un total d'un million de démissions en 2016, 210 000 environ ont donné lieu à une inscription à Pôle emploi. En effet, certains démissionnaires retrouvent une activité, salariée ou non, sans s'inscrire à Pôle emploi, tandis que d'autres personnes, sans doute moins nombreuses, restent inactives sans s'inscrire sur les listes des demandeurs d'emploi.

Parmi ces 210 000 démissionnaires, 65 000 ont bénéficié d'une allocation par Pôle emploi en 2016 , soit 2 % des personnes indemnisées par l'assurance chômage, comme le montre le tableau suivant.

Nombre de salariés démissionnaires qui ont été indemnisés
par Pôle emploi en 2016 et cadre juridique applicable

Cadre juridique applicable aux personnes
indemnisées par Pôle emploi

Nombre de personnes indemnisées

Démissions dites légitimes , définies par l'accord d'application n° 14 de la convention du 14 avril 2017.

Sont concernées les démissions :

- en raison d'un changement de résidence ou de violences conjugales ;

- à la suite d'une faute de l'employeur (non-paiement des salaires, harcèlement) ;

- pour reprendre un emploi en CDI ;

- d'un contrat dit « de couple ou indivisible » ;

-  d'un journaliste faisant jouer la clause de conscience ;

- en vue de conclure un contrat de service civique ou un contrat assimilé ;

- pour créer ou reprendre une entreprise.

L'accord d'application assimile à une démission légitime la rupture par le salarié de certains contrats de travail atypiques comme les contrats aidés.

24 000

Ouverture de droits à la suite de la reprise d'une activité ultérieure de plus de trois mois.

22 000

Réexamen à quatre mois du dossier d'un demandeur d'emploi qui a démissionné mais qui n'a pas retrouvé d'emploi, défini par l'accord d'application n° 12 de la convention d'assurance chômage du 14 avril 2017.

Pôle emploi, par délégation de l'Unédic, ou à défaut de réponse positive de sa part, l'instance paritaire régionale (IPR), peut décider de verser une allocation à un demandeur d'emploi démissionnaire lorsque ce dernier est toujours sans emploi 121 jours après sa démission.

19 000

Source : Commission des affaires sociales du Sénat, à partir de l'étude d'impact

Les conséquences financières de l'extension de l'indemnisation aux démissionnaires ayant élaboré un projet de reconversion professionnelle sont difficiles à mesurer, fautes de données précises.

L'Unédic a distingué parmi les populations de bénéficiaires les démissionnaires qui s'inscriraient à Pôle emploi du fait de cette mesure, et les salariés actuellement en poste qui seraient incités à démissionner.

À l'issue d'une enquête en ligne auprès de 5 000 salariés en CDI, d'entretiens avec les opérateurs de l'accompagnement de projet et d'une analyse des trajectoires passées de salariés, l'Unédic a évalué que le coût de la mesure, telle qu'elle est prévue au présent article, pouvait varier entre 270 et 480 millions d'euros par an , pour un nombre de bénéficiaires compris entre 15 000 et 27 000 .

L'Unédic, dans ses dernières perspectives financières publiées le 13 juin dernier, a toutefois apporté des précisions sur cette évaluation 186 ( * ) . Il est probable que le surcoût annuel pour l'assurance chômage se situe dans la fourchette basse de cet intervalle, car les enquêtes réalisées majorent vraisemblablement le nombre de démissions effectives. À l'inverse, il faudrait ajouter au coût direct de cette mesure le coût indirect que représente le financement des caisses de retraites complémentaires des allocataires qui relève de la responsabilité de l'Unédic, soit 6 % de l'ensemble des dépenses d'allocations brutes.

Le Gouvernement évalue quant à lui le coût de cette mesure entre 230 et 345 millions d'euros par an, tandis que le nombre de démissionnaires varierait entre 17 000 et 30 000 .

Pour mémoire, les partenaires sociaux ont estimé, dans l'annexe de l'accord national interprofessionnel (ANI) du 22 février 2018 relatif à la réforme de l'assurance chômage, que l'ouverture de l'assurance chômage aux demandeurs d'emploi pourrait concerner entre 14 000 et 23 000 salariés par an, la plupart étant des personnes qui démissionneraient en raison précisément du nouveau dispositif (entre 10 000 et 19 000). Le coût du dispositif était alors compris entre 180 et 330 millions d'euros.

En définitive, le coût de cette mesure dépendra des paramètres retenus par les textes d'application et du comportement des salariés .

D'une part, le Gouvernement envisage une durée d'affiliation de cinq années continues (contre sept ans dans l'ANI du 22 février 2018), qu'il fixera par décret en Conseil d'État pour la période comprise entre le 1 er janvier 2019 et le 30 septembre 2020 comme l'y autorise l'article 33 du présent projet de loi.

Au-delà de cette période, les partenaires sociaux retrouveront leurs compétences pour fixer dans la convention d'assurance chômage la durée d'affiliation requise, dans le respect du document de cadrage remis par le Premier ministre et mentionné à l'article 32 du texte. Ils pourraient réintroduire la durée d'affiliation de sept ans, conserver celle de cinq ans, ou choisir une autre durée.

D'autre part, eu égard notamment à l'intensité du contrôle exercé par les futures commissions paritaires interprofessionnelles régionales sur le caractère réel et sérieux des projets de reconversion et au nombre de contrôles exercés par Pôle emploi sur les démarches entreprises par les démissionnaires allocataires, les salariés seront plus ou moins incités à démissionner, ce qui pourrait entraîner une forte variation à la baisse comme à la hausse du coût de la mesure.

II - Les modifications adoptées par l'Assemblée nationale

Seuls deux amendements rédactionnels du rapporteur ont été adoptés en commission .

Aucun amendement n'a été adopté en séance publique sur cet article.

III - La position de votre commission

Contrairement à plusieurs responsables syndicaux auditionnés par vos rapporteurs, le Gouvernement considère que seule une disposition légale pouvait étendre le bénéfice de l'assurance chômage aux démissionnaires disposant d'un projet professionnel . De fait, l'étude d'impact indique « qu'il apparaît juridiquement exclu que ce type de démission puisse être assimilé à une privation involontaire d'emploi, comme le sont les quinze cas actuels de démissions légitimes » 187 ( * ) .

Vos rapporteurs considèrent que si cette mesure remet en cause la notion de « privation involontaire d'emploi » qui a été à l'origine de la construction de l'assurance chômage dans notre pays, elle n'est pas autant critiquée que l'allocation des travailleurs indépendants, dans la mesure où les salariés concernés dans un premier temps auront tous cotisé à l'assurance chômage pendant au moins cinq ans.

Vos rapporteurs partagent le souhait des partenaires sociaux, transcrits dans l'ANI du 22 février 2018, de ne pas créer artificiellement un appel d'air qui conduirait un grand nombre de salariés à démissionner sans disposer d'un projet de reconversion professionnelle robuste .

Malgré l'obligation de solliciter un conseil en évolution professionnelle pour garantir le caractère réel et sérieux du projet professionnel, et la condition de cinq ans d'affiliation à l'assurance chômage, le coût de cette mesure apparaît élevée pour l'assurance chômage, alors même que sa dette devrait atteindre 35 milliards d'euros l'an prochain.

Au final, vos rapporteurs considèrent que cette mesure renforcera l'incitation des partenaires sociaux à faire des économies sur d'autres sujets relevant de la convention d'assurance chômage, compte tenu de l'absence de nouvelles ressources pour la financer.

Sur proposition de vos rapporteurs, votre commission a adopté l' amendement rédactionnel COM-301 , et l' amendement de coordination COM-302 .

Votre commission a adopté cet article ainsi modifié.


* 184 Étude d'impact, p. 224.

* 185 Démissionnaires : un dispositif d'indemnisation spécifique et responsable, références Unédic, 23 mars 2018, p. 2.

* 186 Perspectives financières de l'assurance chômage 2018-2021, Unédic, 13 juin 2018, p. 29.

* 187 Étude d'impact, p. 222.

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