III. LA POSITION DE VOTRE COMMISSION

Favorable au principe d'une réforme du système ferroviaire et à l'ouverture à la concurrence du transport ferroviaire de voyageurs, la commission a toutefois relevé le caractère inédit de la méthode suivie pour réformer le système ferroviaire et souhaité renforcer le texte dans quatre directions .

A. UNE MÉTHODE INÉDITE POUR RÉFORMER LE SYSTÈME FERROVIAIRE

Pour mener la réforme du système ferroviaire nécessaire à l'ouverture à la concurrence du marché national du transport ferroviaire de voyageurs, le Gouvernement a adopté une méthode inédite, en déposant un projet de loi comportant essentiellement des habilitations à procéder par voie d'ordonnance, en application de l'article 38 de la Constitution, tout en indiquant que ces habilitations avaient vocation à être remplacées , au fur et à mesure de l'examen du texte au Parlement, par des dispositions législatives modifiant directement le droit en vigueur.

Le Gouvernement a justifié ce choix par la nécessité de poursuivre la concertation avec les différentes parties prenantes et l'obligation de respecter l'échéance de transposition des nouvelles directives européennes, en particulier la date du 25 décembre 2018 fixée par la directive (UE) 2016/2370 du Parlement européen et du Conseil du 14 décembre 2016 7 ( * ) .

LE RÉGIME DES ORDONNANCES DE L'ARTICLE 38 DE LA CONSTITUTION

L'article 38 de la Constitution permet au Gouvernement de demander au Parlement l'autorisation de modifier par voie d'ordonnance des dispositions relevant du domaine de la loi. La mise en oeuvre de cette faculté doit faire l'objet d'une loi d'habilitation adoptée par le Parlement.

La référence à l'exécution du programme du Gouvernement au premier alinéa de l'article 38 implique que la demande d'habilitation doit indiquer le domaine d'intervention des mesures envisagées et leurs finalités . En revanche, le Gouvernement n'a pas l'obligation d'indiquer au Parlement la teneur des mesures qu'il envisage de prendre par ordonnance 8 ( * ) .

En matière d'initiative, seul le Gouvernement est autorisé à proposer l'insertion ou l'extension d'une habilitation . Les amendements parlementaires ne peuvent que préciser ou supprimer des mesures d'habilitation existantes.

Le premier alinéa de l'article 38 prévoit que la demande d'habilitation doit fixer un délai dans lequel une ordonnance peut être prise par le Gouvernement , courant à partir de la promulgation de la loi d'habilitation. En application du second alinéa de l'article 38, la loi d'habilitation doit également fixer le délai à compter de la publication de l'ordonnance dans lequel une mesure de ratification doit être déposée, sous peine de voir l'ordonnance frappée de caducité.

Les ordonnances sont prises en Conseil des ministres après avis du Conseil d'État, et sont applicables dès leur publication. Entre leur publication et leur ratification, les ordonnances constituent des actes administratifs , pouvant faire l'objet d'un recours devant le juge administratif. Elles acquièrent une valeur législative après leur ratification, de manière rétroactive à compter de leur signature.

Depuis la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, il est précisé au deuxième alinéa de l'article 38 que la ratification des ordonnances ne peut être qu'expresse . L'initiative de la ratification appartient concurremment au Gouvernement et aux parlementaires par le dépôt d'un texte ou d'un amendement. Il est devenu fréquent qu'un projet de loi de ratification d'une ordonnance soit déposé en vue de prévenir sa caducité, mais que la ratification de l'ordonnance soit effectuée ultérieurement via l'insertion d'une mesure de ratification dans un texte au périmètre plus large.

Sur certains sujets, comme la tarification de l'accès au réseau ou la gouvernance de l'infrastructure ferroviaire, les deux dispositifs coexistent dans le projet de loi. Dans ces matières, le droit applicable est donc susceptible d'évoluer à trois reprises dans les prochains mois : lors de l'entrée en vigueur des modifications du droit en vigueur prévues par le projet de loi, lors de la publication des ordonnances, et enfin à l'occasion de leur ratification.

Comme l'ont soulevé plusieurs membres de la commission, l'insertion de pans entiers de la réforme par voie d'amendements prive par ailleurs le Gouvernement d'un avis du Conseil d'État sur ces dispositions, alors que le Conseil d'État aurait été saisi sur un projet de loi classique ou les projets d'ordonnance. Il prive également les parlementaires d'une étude d'impact, et leur donne peu de temps pour analyser ces dispositions et effectuer les concertations nécessaires avec les acteurs concernés.

Soucieux que la réforme du système ferroviaire fasse l'objet d'un débat parlementaire substantiel, votre rapporteur se félicite néanmoins que le projet de loi ait pu être complété par votre commission par de nouveaux amendements de fond , modifiant directement le droit en vigueur. Cette évolution permet en effet de dessiner plus précisément les contours de la réforme.

Votre commission a notamment pu s'appuyer sur le travail réalisé dans le cadre de la proposition de loi du président de votre commission Hervé Maurey et du sénateur Louis Nègre relative à l'ouverture à la concurrence du transport ferroviaire de voyageurs, adoptée par le Sénat le 29 mars 2018. Ce texte a apporté des réponses concrètes aux questions soulevées par l'ouverture à la concurrence, pour s'assurer qu'elle soit effective et qu'elle se passe dans de bonnes conditions pour l'ensemble des acteurs concernés.

À l'initiative de son rapporteur Jean-François Longeot, la commission avait modifié ce texte pour prendre en compte les remarques faites par le Conseil d'État, saisi à la demande du Président du Sénat, et ainsi améliorer encore sa qualité et sa sécurité juridique. Votre commission a ainsi intégré dans le présent projet de loi plusieurs dispositifs de cette proposition de loi.

Les amendements adoptés par votre commission ont également permis de préciser des dispositifs introduits à l'Assemblée nationale , ce qui était particulièrement important s'agissant du volet social de ce texte, compte tenu des inquiétudes légitimes des salariés quant à leur devenir.

Votre commission s'est aussi attachée à préciser les demandes d'habilitations, en vue de fixer un cadre plus exigeant aux ordonnances prises par le Gouvernement et de les orienter en fonction des priorités du Parlement.

Votre rapporteur relève toutefois le nombre et l'importance des sujets qui restent renvoyés à des ordonnances. À cet égard, l'examen des mesures de ratification des ordonnances prises sur le fondement des habilitations prévues par le présent projet de loi devra s'accompagner d'un débat de fond sur les choix retenus, afin d'examiner leur adéquation aux objectifs de l'ouverture à la concurrence du transport ferroviaire national de voyageurs et, si nécessaire, de les modifier.


* 7 Exposé des motifs du projet de loi pour un nouveau pacte ferroviaire.

* 8 Décision n° 86-207 DC du 26 juin 1986.

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