B. L'AVENIR INSTITUTIONNEL DE LA NOUVELLE-CALÉDONIE EN QUESTION

Certaines personnalités calédoniennes de premier plan, parmi lesquelles notre collègue Pierre Frogier, signataire de l'Accord de Nouméa, souhaitaient éviter un « référendum-couperet », où les électeurs seraient appelés à se prononcer pour ou contre l'indépendance, ce qui risquait selon eux de raviver les tensions au sein de la société calédonienne après trente années d'apaisement. Ils appelaient de leurs voeux un « troisième accord » , qui prendrait la suite des accords de Matignon-Oudinot et de Nouméa pour poursuivre la construction d'un destin commun.

Ces appels n'ont pas été entendus. Il est vrai que, pour que la consultation sur l'accession à la pleine souveraineté n'eût pas lieu, il eût fallu réviser la Constitution. D'autres responsables politiques calédoniens, tant parmi les indépendantistes que parmi les tenants du rattachement à la France, estiment nécessaire d'aller au bout de la démarche engagée lors des accords précédents et de trancher enfin la question de l'indépendance. En tout état de cause, il semble qu'il soit désormais trop tard pour trouver un autre chemin, et la consultation prévue aura bien lieu.

Elle n'épuisera pas, cependant, la question de l'avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie. Tous les responsables politiques rencontrés par votre rapporteur et par notre collègue Jacques Bigot en conviennent : celle-ci ne se résume pas à savoir si la Nouvelle-Calédonie doit ou non devenir un État souverain. Dans un rapport remis au Premier ministre en octobre 2013, M. Jean Courtial, conseiller d'État, et M. Ferdinand Mélin-Soucramanien, professeur des universités, ont esquissé quatre hypothèses sur l'avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie 3 ( * ) :

- l'accession pure et simple à la pleine souveraineté , qui n'interdirait pas la poursuite de formes de coopération avec la France ;

- l'accession à la pleine souveraineté assortie d'un accord de partenariat avec la France , qui permettrait à la Nouvelle-Calédonie de déléguer à la France une partie de ses compétences régaliennes, qu'elle n'aurait pas, du moins dans les premiers temps, les moyens d'exercer elle-même (défense, diplomatie, monnaie, etc. ), et par lequel chacun des deux États pourrait accorder un statut privilégié aux ressortissants de l'autre État (droit de circulation et d'établissement, droit au maintien de la nationalité française pour les Calédoniens qui le souhaiteraient, etc. ) ;

- le maintien dans la République avec une autonomie plus étendue encore qu'actuellement (transfert des compétences mentionnées à l'article 27 de la loi organique statutaire, voire transfert de certaines compétences dites régaliennes) ;

- la consolidation du statut actuel d'autonomie , défini à titre provisoire par l'Accord de Nouméa 4 ( * ) .

Quelle que soit l'issue de la consultation prévue cet automne, ce débat devra avoir lieu. Certains auraient d'ailleurs souhaité que la question soumise au référendum ne fût pas formulée sous la forme d'une alternative radicale - pour ou contre l'indépendance - mais que l'on soumît à leur approbation une nouvelle formule institutionnelle capable de satisfaire les deux parties. Ils pensaient notamment à la formule de l'indépendance-association, déjà évoquée par le Haut-commissaire Edgard Pisani en 1985. Mais outre qu'une solution de ce type est loin d'être consensuelle, les principes de clarté et de loyauté des consultations référendaires 5 ( * ) interdisent de poser une telle question aux électeurs, puisqu'un éventuel accord d'association ne pourrait être négocié qu'après l'accession de la Nouvelle-Calédonie à la pleine souveraineté. Le Premier ministre l'a dit en décembre devant le congrès : l'Accord de Nouméa et les exigences constitutionnelles et conventionnelles impliquent que la consultation de 2018 porte sur une question simple et binaire 6 ( * ) .


* 3 J. Courtial et F. Mélin-Soucramanien, « Réflexions sur l'avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie », rapport au Premier ministre, octobre 2013. Ce document est consultable à l'adresse suivante :

http://www.ladocumentationfrancaise.fr/var/storage/rapports-publics/134000711.pdf.

* 4 L'Accord de Nouméa a défini « pour vingt années » l'organisation politique du territoire (préambule, § 5), et c'est pourquoi le titre XIII de la Constitution est intitulé « Dispositions transitoires relatives à la Nouvelle-Calédonie ». L'Accord stipule par ailleurs que, tant que les consultations qu'il prévoit au terme de sa période d'application n'auront pas abouti à la nouvelle organisation politique proposée, l'organisation politique qu'il met en place restera en vigueur. Il en résulte, selon l'opinion la plus courante, que l'Accord et les institutions qu'il a créées pourront demeurer valides jusqu'en 2022, mais pas au-delà. Surtout, la Cour européenne des droits de l'homme n'a admis les restrictions apportées au corps électoral pour l'élection du Congrès et des assemblées de province qu'au regard de leur caractère transitoire et de l'« histoire politique et institutionnelle tourmentée » de la Nouvelle-Calédonie (CEDH, Py c. France , 11 janvier 2005, n° 66289/01). De même, il n'est pas improbable que le Conseil constitutionnel censure ces dispositions si elles étaient maintenues au-delà de la période de validité de l'Accord de Nouméa.

* 5 Voir la décision du Conseil constitutionnel n° 2000-428 DC du 4 mai 2000, loi organisant une consultation de la population de Mayotte .

* 6 Discours de M. Édouard Philippe, Premier ministre, au congrès de Nouvelle-Calédonie, le 5 décembre 2017. Le texte de ce discours est consultable à l'adresse suivante : http://www.gouvernement.fr/sites/default/files/document/document/2017/12/discours_de_m._edouard_philippe_premier_ministre_au_congres_de_nouvelle-caledonie_-_mardi_5_decembre_2017.pdf.

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