AVANT-PROPOS

Mesdames, Messieurs,

Quelques mois seulement après l'adoption par le Parlement d'une loi instaurant la sélection à l'entrée en master 1 ( * ) , la question de la sélection à l'université revient devant la représentation nationale, cette fois-ci s'agissant de l'entrée en licence. Comme pour l'entrée en master, cette introduction de la sélection se fait à marche forcée, dans un contexte d'insécurité juridique et d'urgence peu favorable à un débat serein et apaisé.

Plus de trente ans après le retrait du projet de loi sur l'enseignement supérieur d'Alain Devaquet 2 ( * ) , le débat sur la sélection dans l'enseignement supérieur, devenu un véritable tabou de notre vie politique, peut enfin avoir lieu.

Que plus de la moitié de l'offre de formation d'enseignement supérieur français est déjà sélective soit passé sous silence ; les deux tiers des étudiants sont inscrits dans des filières qui sélectionnent à l'entrée : manifestement celles-ci sont plébiscitées.

Les enfants issus des classes moyennes et modestes sont surreprésentés dans le tiers de nos étudiants qui se retrouve « exclu » de la sélection. C'est donc une sélection sociale qui se joue sous couvert de « non sélection ». Elle est aggravée par une douloureuse sélection par l'échec en licence comme le démontre sans fard la faible proportion d'étudiants réussissant en licence.

Ce système quelque peu hypocrite a été dénoncé à de nombreuses reprises par votre commission. Elle avait plaidé il y a deux ans pour l'instauration d'une « sélection pour tous » afin que tous soient sélectionnés dans des filières correspondant à leur profil et dans lesquelles ils auront les meilleures chances de réussir.

Le présent projet de loi et les modifications apportées par votre commission devraient permettre d'avancer sur la voie de la sélection à l'entrée de l'université, afin d'améliorer la réussite des étudiants.

EXPOSÉ GÉNÉRAL

I. TROIS DÉFIS POUR L'ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR QUI IMPOSENT UNE RÉFORME

Les ingrédients d'une impérieuse réforme de l'enseignement supérieur français étaient présents depuis plusieurs années :

- des candidats toujours plus nombreux à l'entrée dans l'enseignement supérieur : 30 000 étudiants supplémentaires chaque année en moyenne soit l'équivalent d'une petite université supplémentaire tous les ans ;

- un échec massif en licence qu'aucune mesure n'avait encore réussi à enrayer : moins de 30 % des inscrits en première année de licence obtiennent leur diplôme en trois ans.

Mais ce sont les difficultés de la plateforme d'affectation Admission post bac (APB) à l'été 2017 qui ont précipité les choses et imposé qu'une réforme de l'admission dans l'enseignement supérieur soit menée dans l'urgence, entre deux campagnes d'affectation.

A. UNE PRESSION DÉMOGRAPHIQUE INÉDITE AUX PORTES DE L'ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR FRANÇAIS

En vingt ans, les effectifs de l'enseignement supérieur ont augmenté de plus de 20 % : de 2,2 millions d'étudiants en 1995, ils ont atteint 2,6 millions en 2016. On estime qu'à l'horizon 2025, la France comptera 2,9 millions d'étudiants, soit environ 360 000 de plus qu'en 2015 3 ( * ) .

Effectifs dans l'enseignement supérieur français (2014-2025)

(en millions d'étudiants)

Source : Commission de la culture, de l'éducation et de la communication,
d'après données MESRI-SIES

Plusieurs facteurs expliquent cette évolution remarquable :

- l'arrivée des classes d'âge nombreuses nées entre 2000 et 2006, parviendront au baccalauréat à partir de 2017 ;

- des taux de poursuite des études élevés : proches de 100 % pour les bacheliers généraux, proches de 80 % pour les bacheliers technologiques et de 60 % pour les bacheliers professionnels 4 ( * ) ; en effet, le diplôme de l'enseignement supérieur est souvent perçu comme une protection contre le chômage ;

- mais aussi la hausse générale du niveau de qualification qui a constitué un véritable objectif de politique publique, partagé par les gouvernements successifs. Ces objectifs se sont déclinés en taux de bacheliers et de diplômés de l'enseignement supérieur dans une classe d'âge.

Nombre de bacheliers (1994-2016) et prévisions jusqu'en 2025

Source : MESRI-SIES

Source : Commission de la culture, de l'éducation et de la communication, d'après les documents budgétaires

Évolution du niveau général de qualification au niveau de l'enseignement supérieur : objectifs et réalisations

En 2005, le législateur avait fixé un objectif de 50 % d'une classe d'âge titulaire d'un diplôme de l'enseignement supérieur. Cet objectif n'ayant pas été atteint, il a été reconduit par la loi du 22 juillet 2013 5 ( * ) . Dans son rapport au Président de la République en septembre 2015, le comité de la stratégie nationale pour l'enseignement supérieur (StraNES) préconise de porter cet objectif à 60 % en 2020 (50 % au niveau licence et 25 % au niveau master) 6 ( * ) .

L'Union européenne s'est fixé un objectif moins ambitieux de 40 % d'une classe d'âge diplômée de l'enseignement supérieur en 2020. La France dépasse d'ores et déjà cet objectif, puisque le projet annuel de performance (PAP) pour 2018 de la mission « Recherche et enseignement supérieur » fait état d'un pourcentage d'une classe d'âge diplômée de l'enseignement supérieur en formation initiale s'élevant à 49,2 %. La moyenne observée au sein des États membres de l'Union européenne s'élevait en 2015 à de 38,7 % 7 ( * ) .


* 1 Loi n° 2016-1828 du 23 décembre 2016 portant adaptation du deuxième cycle de l'enseignement supérieur français au système Licence-Master-Doctorat.

* 2 Projet de loi sur l'enseignement supérieur, texte n° 452 (1985-1986) déposé au Sénat le 11 juillet 1986.

* 3 MESRI-SIES, Projections des effectifs dans l'enseignement supérieur pour les rentrées de 2016 à 2025, note d'information n° 5, avril 2017.

* 4 Cela est particulièrement vrai pour les bacheliers professionnels, dont le nombre a fortement augmenté depuis la réforme du baccalauréat professionnel de 2009 et dont les perspectives d'insertion professionnelle restent limitées à ce niveau de diplôme, notamment dans certaines filières du secteur tertiaire (comptabilité, secrétariat). Le rajeunissement de la population bachelière, du fait de l'obtention en trois ans de leur diplôme et d'une moindre pratique du redoublement, explique également une préférence pour la poursuite d'études.

* 5 Loi n° 2013-660 du 22 juillet 2013 relative à l'enseignement supérieur et à la recherche.

* 6 « Pour une société apprenante », rapport du comité de la StraNES, septembre 2015.

* 7 MEN-DEPP, Repères et références statistiques 2016.

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